Taiyo Onorato et Nico Krebs au BAL

 

Taiyo Onorato et Nico Krebs au BAL,

Impasse de la Défense, à Paris, jusqu’au 25 août.

Il est encore temps. L’exposition n’est pas finie. Vous êtes à Paris. Tout est vide. Non. Tout n’est pas vide. Une exposition occupe le vide. C’est au BAL : « ready (to be made). On y voit des photos de Taiko Onorato et Nico Krebs.

L’art se décline de deux façons : les artistes qui font de l’art, parfois sans trop y penser, sans beaucoup d’intention de faire de l’art, ou passionnément ce qui est une autre façon de faire de l’art sans y penser, et les artistes qui pensent beaucoup l’art et en font, un peu, parfois beaucoup, mais ce n’est pas le sujet, leur action artistique est de penser l’art. Dans cette dernière catégorie, des personnalités fortes. Breton, Duchamp, Restany.

Certains artistes, par leurs œuvres, ont été, sont, seront autant des penseurs de l’art que des acteurs. On l’a beaucoup dit de Courbet et de Manet aussi. La différence avec les artistes qui sont essentiellement penseurs tient à cette infime chose qu’ils parlent par les œuvres plutôt que par leurs écrits.

Pourquoi ce long prologue ? Pour introduire cette exposition du BAL qui est une très intéressante réflexion sur le statut de l’artiste et, en l’espèce, sur le statut du photographe et du Vidéaste. Donc, ne pas chercher dans cette présentation des œuvres des trois artistes mentionnés des « visions artistiques », ne pas chercher ni l’image percutante, ni l’image finie, tension vers le vrai, ni, surtout pas, l’image belle et confondante par l’équilibre fort entre esthétique et sens qu’a réussie son auteur !

 

Ce sont des photos programmes. Démonstrations. Abus des yeux. Mystification du regard. Il y a dans ce travail du rire. Du sérieux. Un questionnement. Par-dessus tout, un questionnement.

 

Regarder derrière au lieu de regarder devant. Montrer la trace aérienne d’une automobile ? D’une course de chevaux ? D’un tracteur lancé sur une route poussiéreuse ? Cette trace est-elle fumée de moteur ou poussière de la route ? Finalement qu’ont-ils voulu photographier Taiko Onorato et Nico Krebs en trois photos dont on ne sait si elles sont prises de l’avant ou de l’arrière?

 

Et ainsi de suite durant toute l’exposition. Lorsque la question de la réalité ne pourra pas être posée de la sorte, elle le sera par subterfuges, par travestissements, par glissements d’une image, qui instable, ou trop solidement arrimée, trahit ce qu’on devrait voir et montre ce qui n’était pas visible.

Blockbuster est une vidéo amusante, ironique, débridée qui s’appuie sur le grand classique de la réalité détournée. Une échelle, un monsieur sur une échelle, mais un monsieur pas à l’échelle de l’univers dans lequel se déroule son action, un monsieur qui donne des coups de marteaux ou de perceuses, ou de n’importe quoi à une ville, une tour, une usine pour en éprouver la solidité, pour la casser, pour la réparer ! Des jouets ou des tours, des villes, des usines en vrai ? Chaque frappe est accompagnée d’un pang, ping, bong, plus ou moins fort ou aigu selon l’instrument utilisé et le bâtiment sur lequel on tape, le tout provenant d’une machine complétement rustique posée telle quelle dans la grande salle d’exposition, où, en vrai, sont produits les pang, ping, bong qui accompagnent chaque frappe, donnée en faux !!!!

 

Dans constructions 2009-2012, les deux photographes étayent de bouts de bois, de morceaux de planches, des bâtiments finis ou en cours de construction. Ils en prolongent les lignes de fuite, ils assortissent ainsi des pylônes en béton de leur double en tringles de bois fragiles et donnent l’impression que les bouts de bois sont essentiels à la solidité de l’ensemble. Abus du trompe l’œil. Clin d’œil à Escher. Surjouer les perspectives. Morceaux de bois qui deviennent colonnes, structures d’acier que soutiennent des fils de fer. Les deux photographes ne « retravaillent » pas les photos de bâtiments ou d’usines. Ils « retravaillent » la réalité, sur place, avec les moyens du bord, avec des ficelles ou des morceaux de pneus !

 

Où est le décor ? N’est-on pas à Cinecitta ou à Hollywood. Les façades tiennent par des planches et des morceaux de bois. Maison en construction ou façade en exposition ? Décor ou immeuble en l’état futur d’achèvement ? Magritte au secours, ils sont aussi fous que toi ! Un lit et une chambre entière se sont enfuis dans la forêt.

 

On a envie de recourir à d’autres références. Il faut limiter les risques n’est-ce pas ? Ces gens-là mettent tout sens-dessus-dessous. Visions hoppériennes d’un intérieur de motel dont les baies sont largement ouvertes vers l’extérieur. De grandes traces d’ombres et de lumières s’étalent sur les tapis et les canapés. Bien sûr, nous sommes en fin d’une journée ensoleillée. Bien sûr, nous sommes dans un « lounge » ouvrant sur un paysage grandiose de l’Arizona. Un peu plus loin, une autre photo, le même lounge ouvre sur un large tournant d’autoroute. Il n’est pas interdit de penser qu’il peut, si les auteurs le veulent et si les regardeurs acceptent le jeu de la fantaisie, ouvrir sur n’importe quoi d’autre !!! Il suffit d’associer cette image du lounge avec ce qu’on veut. Comme à la foire : le pirate a le visage rieur des enfants qui passent leurs têtes sur le rond découpé dans la toile, la silhouette en bois ou la sculpture en papier mâché.

Dans les photographies des deux artistes, les lignes jaunes survivent à l’effondrement des routes ; les routes se déploient comme des tapis dans les déserts. Prendre un drap plus long que large, tracer une ligne blanche son milieu ! Prendre un rouleau de papier toilette, le déployer sur quelques mètres, poser en son milieu une longue baguette de n’importe quoi, prendre le bon angle pour la photo, et voilà une belle route.  Les autoroutes sont lassantes de monotonie aux Etats-Unis : elles sont droites à pleurer. Elles n’ont aucune réalité sérieuse. Les bords des autoroutes forment des exercices de perspectives angoissantes. Ils ne se rencontreront qu’à l’infini ! Les autoroutes qui ont besoin de l’infini pour rassembler leurs bordures mènent-elles quelque part ? Pour se délivrer d’une inquiétude douloureuse, les photographes ont installé une autoroute en cercle, morceaux de caoutchouc, bouts de laine, coups de crayon et voilà un circuit autoroutier prêt à toutes les performances.

 

Réalité réinventée, transgressée, amplifiée ?

Interrogation sur ce que voit le photographe. Interrogation sur l’opportunité de ne photographier que ce que l’on voit. Interrogation sur l’action artistique entre les mains de celui qui détient l’appareil, l’objectif, le viseur. Interrogation sur les trahisons de la réalité. Sur les trahisons de celui qui dévoile la réalité ? Ou sur celui qui met un voile peu chaste sur une réalité qui n’est pas à montrer toute nue.

 

A voir absolument: passionnante pensée sur l’acte de photographier.

 

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