Michel Houellebecq: while talking

I was making notes.


C’était chez Vu. C’était le vernissage d’un jeune nouveau dans la photographie. Michel Houellebecq. Il était là, entouré, emmené, emporté, par la nécessaire et fatale cohorte de journalistes, courtisans, ennemis et admirateurs inconditionnels. Inapprochable. Et pourtant, je suis sûr qu’il y avait tant à dire de la part de celui qui a poussé le français hors des habitudes prises du « dire », de l’« énoncer », du « raconter ».

Alors, me promenant dans la grande salle où étaient exposées ses œuvres, son portfolio de photographies, je me suis pris à rêver d’un dialogue avec le monde de la photo, ses habitants, résidents permanents ou éphémères et ses icônes.

 

Je venais d’achever la lecture d’un livre d’entretien de Remi Coignet avec un nombre respectablement important de photographes de la catégorie mentionnée ci-dessus.

 

Tout d’un coup la lumière, le flash : ce dialogue que j’avais imaginé, je le tenais. Il est venu, comme ça, d’un coup, sans y penser. Si vite que je n’ai eu le temps que de donner les réponses ou les réflexions des photographes engagés dans le dialogue imaginaire avec Michel Houellebecq. Pas de nom. Pas de questions posées. Rien que les mots de tous ces artistes.

 

 

Ah oui, aussi, les numéros des pages, pour me rassurer : les propos avaient bien été tenus. Le rêve avait sa part de réalité ! On pouvait vérifier. Il suffirait de se rendre dans "Mots d'auteurs".

 

 

Fragment d’un dialogue avec Michel Houellebecq.

 

 

32. L’art est inutile. Et c’est l’une des meilleures raisons de l’aimer. Je pense qu’une œuvre qui provient de la conscience d’un artiste n’est pas entièrement inutile. Même si elle n’a pas pour effet de produire le changement que l’artiste juge utile et espère faire advenir.

 

35. Garry Winogrand a eu cette phrase célébrissime : «Je photographie pour voir à quoi le monde ressemble en photographie ».

 

36. Cela m’intéressait de photographier quelque chose d’impossible à photographier. C’est une sorte de mise à jour des vieilles idées de la caverne de Platon. Parce qu’en fait il était impossible de voir ce qui était important : on ne voyait que ce qui ne l’était pas. Plus je regardais, plus je prenais de distance avec ce qui était réellement important. Mais invisible, dissimulé par une forme de visible.

 

37. …d’une certaine manière, plus on voit, moins on comprend. Et j’ai pensé que c’était une intéressante contradiction par rapport à ce que nous croyons habituellement de la photographie.

 

42. La photographie, est déjà une mémoire. Ça lui est intrinsèque. On n’a pas besoin de Roland Barthes pour le savoir. Même s’il a fort bien écrit à ce propos.  A l’instant où tu prends une photo. Elle est déjà une mémoire. Même une photo de mode, destinée à une utilisation, immédiate, sera dans quelques années, une mémoire de ce vêtement, de ce style, etc. Je pense donc que questionner la mémoire par la photographie est une chose très logique.

 

44. J’aime aussi cette phrase de Diane Arbus qui dit : « A photograph is a secret about a secret. The more it tells you, the less you know. »

 

46. Je pense que la photographie peut raconter des histoires. Notamment en s’inspirant de la tradition américaine des nouvelles. Les nouvelles débutent à un moment donné. Mais n’ont pas réellement de fin. Raymond Carver, par exemple déroule une histoire. Mais. A la fin, tu ne sais pas ce qui s’est réellement passé.

 

47. L’important n’est pas de prendre la photo, mais de la penser.

 

86. Je me rendais compte que toutes les photos que je faisais étaient des photos que j’avais déjà vues auparavant. C’étaient des photos qui ressemblaient plus à des photos qu’à autre chose !

 

87. Observer de loin est une manière de rester en sécurité. En te rapprochant, tu te montres. Mais si tu décides d’être proche de ton sujet, tu te dévoiles en tant que photographe tout autant que sont dévoilés les gens que tu photographies. Peut-être la photographie pose-t-elle cette question que signifie être présent ou absent ? Être proche ou lointain ? Toute la photographie circule entre cette proximité et cette distance, que tu sois en train de photographier ou de regarder des images.

 

104. On se rend compte que plutôt que de chercher à photographier la montagne sublime, il vaut mieux photographier un premier plan dérisoire qui laissera imaginer ce qui se joue au fond. La photo est une expérience de la déperdition.

 

108. …Il y a de la mise à mort dans la photographie, elle tue le mouvement, elle tue le temps, elle immobilise. Mais en même temps qu’elle interrompt elle atteste, elle peut servir à réaliser, à actualiser l’imaginaire.

 

129. Je joue en quelque sorte à faire semblant de ne pas savoir photographier. Cela rejoint la citation latine « Ars est celare artem » (l’art consiste à dissimuler l’art).

 

131. Oui La photographie est aussi une écriture.

 

133. Tout est autobiographique et rien ne l’est tout à la fois.

 

179. Qu’est-ce que tu nommes performance ? Un photographe se tient dans la rue, il prend son appareil et appuie sur le déclencheur â un moment donné. Rien n’est mis en scène. Mais en réalité il s’agit d’une mise en scène. Non pas dans le sens d’une fiction, non pas dans le sens que ce n’est pas vrai ou que cela a été préparé. Une scène se met en place parce que la caméra est là, un cadrage est fait et un sens est donné. Il y a une intention, mais je ne contrôle pas et ne cherche pas à contrôler le résultat Cela est essentiellement une pratique d’observation. Mais, plus crucial, elle est conduite avec une certaine conscience de ce que cela signifie.

 

179.  Nous le faisons tous les jours. Nous modifions le réel chaque jour. Ma pratique voudrait affirmer que nous participons à la création de ce que nous percevons. C’est un principe philosophique, scientifique et spirituel à peu près universel. C’est pourquoi cette notion d’une réalité, d’une vérité est risible. C’est une vision très adolescente de la photographie. Il y a des réalités, et nous les créons en partie à travers notre perception des choses. Les photos sont une manière de rendre cette perception concrète, d’en faire un objet. Nous participons à créer du réel seconde après seconde de nos vies.

 

219. … la question du positionnement du photographe ne m’a jamais intéressé. Et je pense qu’avec de mauvais sentiments on peut faire de bonnes photos. Et les bons sentiments ne font pas forcément les bonnes photographies.

 

 

231. Ma manière de photographier est liée à mes expériences. A ce que je vis. Peu importe qu’il s’agisse du début de ma vie ou de sa conclusion.

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