"Marcel Broodthaers n'est pas un musée", à la monnaie de Paris

Marcel Broodthaers, est-il un exposant, un exposé, un ex-posant, ou un ex-posé, mais s’il était un posé serait-il imposé ou imposant ????

 

J’ai dit qu’il y a des moments de grâce et cette même journée où je décidai de traverser tout Paris à pied, j’ai eu la bonne idée de passer à côté de la Monnaie de Paris, ce mardi 19 mai. On a décrit cet « hôtel »comme un chef d’œuvre de l’art nouveau après le rococo de la régence et les bonbons en Sèvre du siècle de Louis XV. Enfin des lignes droites, enfin des angles droits, enfin des plafonds droits, et des formes géométriques pures, des hypoténuses partout et des sommes de l’angle droit à faire pleurer Pythagore. Il est beau ce bâtiment. Pourtant, je ne l’ai jamais beaucoup fréquenté. Il me paraissait triste. Trop au large dans des vêtements trop grands. Austère comme ces vieillards droits comme des poteaux télégraphiques, portant décorations fanées sur costumes lustrés à force d’être antiques et discourant sur le monde avec d’autant plus de sévérité que plus personne ne les écoute. Pourtant quel beau bâtiment !

 

Il vient d’être magnifiquement restauré. Un restaurant, ce n’est pas un jeu de mot, y a été installé. Guy Savoye, excusez du peu ! Mais aussi de vastes espaces d’exposition. Et le premier à en bénéficier, est un belge un peu farceur, très questionneur, ami de Magritte et de tant d’auteurs d’importance parmi lesquels j’aurais tendance à ranger Georges Fourest, celui à qui nous devons la « Négresse Blonde » et le « Géranium ovipare ». Ce belge, partisan comme tous les belges de la « ligne claire » se nomme Marcel Broodthaers. (ne me demandez pas comment ça se prononce, restons-en à ce que, de toute évidence, ça s’écrive).

 

Marcel Broodthaers partage avec Saint Paul et Sainte Thérèse (n’importe laquelle) ce moment brutal qui transforme une vie : Une vision. Sa vision à lui est que le musée est la vraie œuvre d’art au lieu que tout le monde croie que l’Art ce sont les objets accrochés au mur ou posés sur les planchers, avec de petits cartouches en dessous ou des commentaires à côté.


Partant de cette vision, Marcel Broodthaers a, durant toute sa vie, créé des lieux d’exposition qu’il exposait un peu partout, les décorant de mille choses trouvées dans mille endroits et rajoutant quelques-unes quand il estimait qu’il n’en n’avait pas assez. Un musée sert à conserver pour mieux montrer, les Anglais ne disent-ils pas « exhibition », Marcel Broodthaers, accumula, de façon systématique, en les classant des dizaines d’objets en tous genres, qu’il installa dans son musée et qui par le fait même que le musée était exposé, exposant des œuvres, sont devenus des œuvres muséales. Il créa donc un musée portant le beau nom de « Musée des Aigles » qui démarra petitement et crût chaque année et s’enrichissant de choses qu’on pouvait voir à chaque fois qu’il exposait telle ou telle partie de son musée dans les grandes villes d’Europe.

 

L’inventeur de ce Musée qui s’expose autant qu’il expose et qui acquiert son statut d’œuvre d’art par le fait même d’exposer de l’art, sachant que les œuvres deviennent « d’art » quand on les expose dans un musée, en fit une œuvre totale. Il dessina, grava, formata l’ensemble de la signalétique, panneau indicateur, interdiction, autorisation, annonce des expositions des objets d’art indispensables pour les visiteurs de son musée. Naturellement, tous instruments, panneaux et roses de vents remplissaient un double office, celui d’information avec par exemple les panneaux « interdit aux enfants » et celui d’élévateur d’âme puisqu’ils étaient accrochés aux murs du musée et à ce titre exposés comme le sont les objets accrochés aux murs des musées ou posés sur leurs plancher. Il fit don à son musée de nombreux objets recueillis avec passion et patience, des casques allemands à pointe, des objets de dévotion, des vases de Meissen, des déclarations de guerre, d’autres d’amour et même des cartes postales représentant les plus belles œuvres des autres musées.

 

 

C’était un surréaliste, se risquera-t-on à penser ? ou bien un duchampien (mais n’est-ce pas trop d’honneur pour ce dernier qui ne songea jamais à créer un musée où mettre ses œuvres et se satisfaisait d’exposer les œuvres des autres avec la parcimonie d’un « marchand de couleur » qui doit rentabiliser le linéaire de sa devanture) ? Il vaut mieux considérer que c’est un Belge ! Un homme qui, à l’inverse des Allemands, n’assène pas les vérités mais qui les glisse dans le cornet qui contient les frites comme Ragueneau se résignait à envelopper ses pâtés dans les feuillets de ses sonnets.

 

 

Cette exposition est à voir absolument. Vous n’avez pas à craindre de n’y rien comprendre. L’Administration de la Monnaie a pourvu à tout. Pour introduire le sujet, avec votre billet, on vous remet un petit document qui comporte une version enfant et une version « grande personne ». La version enfant est sympathique car elle est assortie des traditionnelles questions destinées à traquer l’enfant insouciant ou paresseux: « l’auteur a fait une faute d’orthographe dans ce panneau indicateur ? Peux-tu la retrouver. Penses-tu que ce soit volontaire ?». En vrai, il y a une horrible faute de participe passé dans le document remis aux enfants ! C’est pourquoi je recommande instamment qu’on les écarte d’une lecture (quand ils savent lire, c’est-à-dire à partir de douze-treize ans dans l’école du bon François) qui pourrait les conduire dans des voies douteuses.

 

Vous pouvez aussi requérir les services d’une « médiatrice » qui est au musée ce que le prêtre est à l’église : elle vous fait accéder à l’œuvre comme l’autre au divin. La mienne était charmante et a fait son boulot avec conviction. Et puis comme j’étais le seul à visiter l’exposition, ça l’a un peu divertie !!!

C’est que voyez-vous les gens aiment bien les musées mais pas les questions sur les musées et encore moins l’humour qui les entourent. Et franchement, prendre exemple sur ce farceur de Magritte, qui peignant une pipe ne trouvait pas mieux que d’intituler son œuvre « ceci n’est pas une pipe » ne peut que dérouter. Entrer dans un musée où on a marqué « ceci n’est pas un musée » et le découvrir une fois qu’on a payé… c’est moyen.

 

 

Au fait, ce belge était un horrible copieur. Il a « pompé » un très beau poème de Georges Fourest dont je me contenterai de citer deux vers (c’est un sonnet):

 

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(°) : si j’ose m’exprimer ainsi

 

Une exposition à voir absolument, ne serait-ce que pour escalader ce monument d’arrogance architecturale qu’est le grand escalier de l’hôtel de la Monnaie

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