Paula Modersohn-Becker et Amadeo De Souza Cardoso: Mourir trop jeunes

 

 

Deux expositions sont absolument incontournables pour deux raisons :

 

L’une n’est pas gaie : les deux artistes sont morts très jeunes des suites de maladies brutales, ils n’ont donc pas exercé leurs talents plus d’une dizaine d’années. C’est peu mais comme on l’a indiqué dans une «humeur», l’âge, parfois, «ne fait rien à l’affaire».

 

 

L’autre qui l’est davantage tient au talent de ces deux artistes et au fait qu’ils sont restés dans une ombre presque totale malgré leurs apports incontestables à l’évolution de l’art moderne.

 

Allez regarder et vous vous poserez immanquablement cette question comme pour Paula Modersohn-Becker : si tôt parti, quel talent gâché?

 

On ne le saura jamais. Dans les deux cas, on ne peut s’empêcher de rêver et de s’interroger sur la création : ils sont morts jeunes, ils auraient peut-être été les grands artistes du début du XXème siècle: jusqu’où sont-ils allés? S’en rendaient-ils compte ? Les regardeurs d’aujourd’hui dont les regards ont été éduqués par des dizaines d’années de révolution picturale, par des milliers de tableaux, de fresque et de «techniques mixtes» se disent émus devant pareils talents. Les auraient-ils vus au temps de leur fin tragique? A quel point auraient-ils pu dire que ces artistes apportaient des pierres de première solidité à l’édifice de l’art moderne en cours de construction?

 

 

Un autre point commun pour ces deux artistes : Paris, creuset du monde de l’art du futur.

 

 

Paula Modersohn-Becker

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 21 août.

 

La première, honneur aux dames, est une Allemande, Paula Modersohn-Becker. Elle meurt à 31 en 1907. Elle aura vécu à Paris à plusieurs reprises et rencontré bon nombre des acteurs de la scène agitée, prolifique et créatrice de l’art moderne français. Son travail appartient clairement à ce moment privilégié et aux leçons des trois pères fondateurs de l’art Moderne : Cézanne, Monet et Gauguin, ceux-là qui ont posé des jalons solides. De ces trois Maîtres, Cézanne et Gauguin sont sûrement les plus influents.

 

Plusieurs séjours à Paris où elles travaillent avec les peintres «de demain» lui permettront de faire évoluer ses premières idées.

 

 

La peinture de l’artiste, beaucoup d’autoportraits, va évoluer vers la recherche de la matière, des volumes, l’élimination de ce qui est superflu, pour avancer vers des formes lourdes, épurées, sculpturales. Les couleurs deviennent terreuses, gris, verts, marrons, clairs ou sombres. Certaines œuvres sont marquées «à la Pont-aven» et on pourrait s’y tromper. L’obsession de Paula-Modersohn-Becker : les corps en forme de volumes, l’inscription des formes dans l’espace. Pas de mouvements, pas de vitesse, pas d’illuminations ou d’effets de couleurs : des formes, trois dimensions, la terre, ses fruits et parmi eux les hommes. 

Amadeo De Souza Cardoso

Musée du Grand Palais, jusqu’au 18 juillet.

 

Portugais, il meurt en 1918, foudroyé par la grippe espagnole. Il a juste 30 ans. Il a, en dix années, comme Van Gogh, comme Modigliani produit une œuvre considérable. Et il tombera dans le plus absolu oubli. Bien sûr, au Portugal, il demeure « un grand artiste moderne », mais personne ne se souvient plus de l’artiste saisissant, un des meilleurs de son temps, sur la brèche en permanence.

 

Car durant ces quelques dix années de vie active, il aura parcouru tous les grands mouvements, toutes les tendances et les aura brillamment illustrés. Doué pour le dessin comme pour la peinture, pour l’huile comme pour la gouache, coloriste de génie capable de rivaliser avec les grands du suprématisme, il structure ses œuvres comme un cubiste accompli et sait jouer du collage et du burin.

 

Il y a chez lui de l’humour qu’on trouve sous certains dessins et des gravures. Il y a aussi un amour de la lumière qui aurait pu en faire un émule, un concurrent de Delaunay. Un adjectif à la mode d’aujourd’hui lui aurait bien convenu : Solaire. Dans le bon sens du terme, celui qui désigne, une personne, un artiste qui s’accomplit au fait de l’art, qui atteint les sommets de l’expression picturale et qui sait s’y maintenir tout en faisant vivre ses recherches.

 

En 1917, ses collages annoncent un mouvement vers l’expression surréaliste après qu’il ait fréquenté le cubisme analytique.

 

 

Pourquoi a-t-il été si vite oublié ? Mystère de l’art. Pas assez d’œuvres dans les collections qui comptent ? Trop d’œuvres diverses qui traduisent ses recherches, ses passions, ses maîtres. Trop vite pour les regardeurs voient là un artiste en recherche à un niveau très élevé ? Ou tout simplement, un grand artiste, œuvrant dans un monde en mouvement incessant, et qui le quitte alors que les cordées se sont constituées et emportent tant de grands artistes vers les sommets, à grand renfort de compétition, de « Ismes » et de chapelles. 


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