L'Art à Bakou

 

 

 

 

 

C’est un peu tardif pour une relation de visite.

L’exposition est finie. Je crois même que j’y suis allé le dernier jour. Par hasard.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a des lieux qui attirent. Des lieux-ailleurs, comme je l’ai écrit pour le Musée de la Chasse. Ce jour-là, le lieu était l’Hôtel Salomon de Rothschild. Vous savez : celui qui fait face, quasiment, à l’Hôtel Potocki, où est installé la Chambre de Commerce de Paris. Il est doté d’un de ces jardins « confetti » pareil à tous ceux qui sont éparpillés çà et là dans des recoins de la Capitale, au bord des grands axes, restes, moignons, épluchures,  du grand parc initial, tronqué et tronçonné par les grands axes tirés au cordeau, engoncés parfois, on dit des « dents creuses » dans le jargon des architectes, entre quatre murs plus ou moins aveugles des immeubles de rapports de la fin du XIXème siècle installés en bordure des anciens jardins, pour donner directement sur les rues adjacentes où il y avait de la commercialité. Pauvres rescapés des investissements immobiliers et des grands projets de voirie parisienne.

 

L’Hôtel qui a encore de beaux restes de sa décoration et de ses pâtisseries fin du XIXème siècle accueille des expositions. Cette fois-ci, le thème était « fly to Baku ». Capital de l’Azerbaïdjan. Etaient rassemblés des artistes Azeris. Modernes. Peintures. Sculptures. Photos. Videos. Installations.

 

Quelle idée que de s’intéresser à l’art de Bakou ! Ce n’était pas une idée préconçue. Je l’ai dit. Le hasard.  Il n’a pas si mal fait les choses. J’ai aimé cette exposition. Peu de « regardeurs » il va sans dire ! Beaucoup de tableaux. De nombreux artistes. Le charme des expositions de ce genre tient à la découverte de la variété des expressions d’artistes parfaitement inconnus venant d’univers improbables, mais aussi aux influences dont on ressent la force et la prégnance. On y trouve la recherche de modèles, une étude des techniques, une analyse des styles. Il faut y ajouter le charme des expositions collectives qui mêlent artistes doués et moins doués. Passeurs de style et d’idées qui font résonner inventions et visions nouvelles des autres continents. Simples soldats de l’art qui appliquent le règlement en vigueur depuis 25 ans, modifié 4B, revu, 5VGNi, et répètent ce qu’on leur a appris avec plus ou moins de conscience et de bonne volonté. Après tout, les impressionnistes ont continué leur conquête du monde de la couleur et du chevalet durant tout le XXème siècle. Aujourd’hui encore, il est doux de suivre les quais et de retrouver au même endroit la cohorte des peintres de Notre-Dame, au même endroit qu’il y a un siècle, qui seront au même endroit encore dans un siècle supplémentaire. Si je n’ai pas senti le génie, si l’art à Bakou ne me paraît pas encore en mesure de dire au monde ce que l’art doit être, il s’y trouve des porteurs de flambeau vigoureux et pugnace.

 

Au fond peu importe. L’intérêt ne serait-il que de rencontrer l’œuvre d’un peintre ou d’un sculpteur qui parle, qui poser les questions qui touchent, l’objectif d’une telle exposition serait alors atteint. J’y suis resté plus longtemps que je ne l’avais pensé.

 

Trois artistes m’ont frappé et touché.

 

L’un, Altai Sadiqzadeh, présentait des sculptures, stabiles colorés, dégingandés, torturés. Insectes ou arbres déchiquetés. Ferrailles grossièrement découpées, lançant des membrures tordues. Sculptures fortes et bien construites. Inscrites dans l’espace. Des sculptures qui tournent comme j’aime que les sculptures soient capables non seulement de piéger l’espace mais aussi le temps. Ses peintures sont à l’unisson. Couleurs primaires et éclatantes. Formes déchirées. Rien d’inutilement agressif. Rien de gentil. Les acryliques sur papier, noir et blanc plus sévères et plus durs sont très forts, très noirs. On trouve souvent sur papier ce qu’il y a au fond du cœur d’un artiste. A ce moment d’expression la technique ne multiplie par les embûches, le format légitime que le dessin, la tâche, l’éraflure parlent le langage de ces signes dessinés qui définissent l’écriture. Toutes ces œuvres ont une force et accrochent le regard.

 

Le second, est manifestement sous l’influence des écoles allemandes de l’entre-deux guerres, Niyaz Najafov. Ses peintures sont dans la veine du réalisme expressionniste. Couleurs « allemandes », des jaunes criards ou verdâtres, des rouges violents et des personnages ou bien à l’abandon ou engagé dans la violence et la menace.

 

La troisième, puisqu’il s’agit d’ « une » artiste, Leila Aliyeva est aussi l’organisatrice de l’exposition. Ses techniques mixtes, encre et crayon, sont plus proche de l’écriture et de la calligraphie. Scènes et personnages sortis des contes peuplent le travail de l’artiste, en compagnie d’un bestiaire moderne.

 

A aucun moment,  la phrase assassine « comment peut-on être artiste à Baku ? » n’est venue troubler le plaisir de la visite. A tout moment, en revanche, se donnaient à voir et à écouter, l’art qui parle à l’art, les artistes qui voyagent, l’art d’ailleurs aussi qui s’infiltre partout, venant de partout, le travail bien au-delà des frontières pays, les échanges.

Moment de charme dans un grand vaisseau vide et silencieux. Lumineux. La journée était ensoleillée. 

 

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