Diana Michener, le corps cru.

 

 

Maison Européenne de la Photographie.

Jusqu’au 7 avril.

 

 

 

Cette exposition peut froisser les âmes sensibles ? Sûrement ! Et même ne pas les réjouir du tout. Que peut-on, ne peut-on pas photographier ? Que peut-on, ne peut-on pas dire et montrer ? On a voulu en débattre dans une chronique sur le « l’indicible et le visible ». On avait cité des artistes et parmi eux, justement, pour cette exposition qui lui est consacrée, Diana Michener.

 

La photographie extrême, dangereuse, celle qui va essayer d’aller jusqu’au bout, comme la littérature extrême, Bret Easton Ellis, par exemple, veut oublier l’interdit moral qui freine, filtre, falsifie la représentation de l’horreur, de la laideur, de l’abaissement. Montrer l’amour qui se fait sans autre forme de procès que la violence qui l’accompagne ou même de la violence qu’il appelle et recherche, n’est-ce pas faire l’apologie de relations hors normes ? Anormal ?

 

Diana Michener photographiant l’amour qui se fait, au plus près de l’épiderme, au plus près des sexes, au plus près des gémissements et des cris, réalise-t-elle une œuvre anormale ? Le photographe ne se maîtrisant plus, ne retenant pas son objectif, le déclenchement de son obturateur et acceptant d’entrer dans sa boîte des photos faites au fond des lits et des chambres, des bordels ou non, ne devient-il pas non seulement le voyeur de situations scabreuses mais aussi l’acteur, le commanditaire, le metteur en scène ? N’y a-t-il pas, fera-t-on remarquer, une symbolique particulière derrière l’appareil qui shoote ? S’il est manié par une femme…

 

On ne reviendra pas ici sur ces photographes de l’extrême intimité. Ni sur les vanités et les figures de désolation dont l’imagerie chrétienne est remplie. On dira que les photos prises par Diana Michener témoignent, comme peu savent le faire, de l’ambiguïté du regard. Le regard choisit de voir et de ne pas voir. Il choisit quoi voir. A l’artiste d’accepter ce qui est donné à voir. A l’artiste de vouloir voir à son tour et de chercher ce qu’il veut voir, où, quand.

 

Photographier l’amour qui déferle ? Extases, hurlements, postures crucifiées ou effondrement des corps qui s’écrasent, voir au-delà de l’imagerie lisse des bons sentiments et aussi, (Hamilton viens que je t’exorcise) et surtout de celle de la pornographie de tabloïds, qui progressivement se plante dans un décor sur-conventionnel, hyper-codé. Les photos de Diana Michener, ne sont ni provocantes, ni fausses, ni éhontées. Elles sont là nous donnent à voir. La vie, la violence, la passion. Au-delà du regard, ce sont des questions qui sont convoquées, les solutions, Diana Michener les a fournies.

 

Dans une précédente exposition, Diana Michener était allée à la rencontre de l'anti-vie. Photographier la non-mort ? C’est invoquer le démon de la naissance, le mystère de l’émergence de l’humain, exorciser la bête qui pourrait jaillir au lieu et place de l’enfant d’humain, miraculeusement survivant d’une alchimie cachée, rampante et inspirée, celle de l’enfantement. Photographier la non-mort ? Quel sens donner à ces mots ? Qu’est-ce que non-mourir ? Diana Michener le montre, nous dit « forcez-vous à vous regarder, vous autres qui auraient un jour la chance de mourir, parce que vous avez passé le cap, si peu certain, de la venue à la vie ».

 

Regardez, vous, qui pourrez mourir, tous ceux-là qui n’ont pas atteint la rive des vivants, courants trop forts, erreurs de direction, boussoles folles, étoupe fuyante. Enfants qui ne sont jamais nés, qui n’étaient pas des enfants, qui n’étaient pas des humains, qui n’étaient pas admissibles à l’ordre de l’espèce. Fœtus, non viables, sur lesquels une nature en veine de créativité a bidouillé des transformations. Ces photos devaient-elles être prises ? Un fœtus n’est-il pas un enfant promis ? Peut-on éprouver de la compassion pour eux, faut-il plaindre ceux-là, terriblement difformes, des bras en plus, des yeux à la place des oreilles, des bourgeonnements en forme de main et des duplications aberrantes de têtes, de pieds, comme on plaint et on éprouve de la compassion pour le futur enfant qui ne parvient pas à finir le voyage. Comme l’enfant, qui à peine le rivage atteint, a cessé tout effort ? Ces photos terribles de Diana Michener ne le sont que pour autant que la norme nous ait figés. Elles ne le sont pas si elles viennent nous rappeler que la gestation est un miracle en train de se faire, que le diable peut tout bouleverser. Le diable ? C’est cette nature à qui nous devons le miracle !

 

Diana Michener parle des corps qui appellent et qui se lisent : où les corps sont marqués, griffés de messages, d’appels au regard, de provocation à l’acte. «  Silence me » dit un corps.

Silence Me ? Ce n’est en tout cas pas ce qui ressort du travail de Diana Michener.

 

 

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