Garry Winogrand: regarder et voir

Version Française parue sur le Site                

Garry Winogrand au Jeu de Paume

« Le fait de photographier une chose change cette chose... Je photographie pour découvrir à quoi ressemble une chose quand elle est photographiée »

 

« Parfois c'est comme si... le monde entier était une scène pour laquelle j'ai acheté un ticket. Un grand spectacle mais où rien ne se produirait si je n'étais pas sur place avec mon appareil ».

Garry Winogrand est ce qu’on qualifie aujourd’hui de « street photographer ». Cela consiste à avancer dans la rue et à shooter ce qui se présente. Il faut pour réussir dans ce genre-là être totalement ouvert, disponible, présent au monde, aux événements. Il faut aussi savoir forcer le passage mais, dans le même temps, être capable de recueillir l’adhésion des sujets, des modèles ou des victimes comme on voudra les nommer.

Car l’essentiel de ses photos ne passe par un bon pour accord des personnes filmées, photographiées, ce sont des photos arrachées à la vie de tous les jours, des portraits sans apprêts, des visages sans retouches ni angle valorisant. Si les gens ont l’air affairés, ridicules (fréquents), ravagés, euphoriques (plus rares) ce n’est pas la faute du photographe, ils se sont laissés aller et ont laissé leurs visages parler à haute voix, sans s’imaginer qu’il y aurait quelqu’un avec un appareil photographique pour saisir, enregistrer et bien cadrer ces dialogues entre amis, ces discours intimes qu’on se fait à soi-même, dans la rue, au volant ou sur le quai d’une gare. Outre les visages de la foule, les visages de la ville, multiples et changeants, même si, pendant des années le photographe se sera cantonné à un morceau de ville, un quartier, quelques immeubles. C’est cela la « street photography » : le monde tient dans une coquille de noix, point n’est besoin d’abattre les kilomètres par milliers et de s’attacher aux grands espaces ou aux scénographies naturelles montagneuses, désertiques, forestières.


Garry Winogrand est un photographe pour une époque qui avait faim d’images, qu’il s’agisse de s’étonner, d’apprendre ou de s’effrayer. Il travaillait pour fournir les magazines et les journaux et donner du grain à penser ou à s’émerveiller à leurs lecteurs. Aux yeux américains, il a apporté des vues de New York, des images de ses habitants, des traces de leurs préoccupations. Plus tard, il a élargi son champ de vision à Paris, à Dallas, à Londres etc. et toujours dans ce même esprit qui consiste à saisir quelque chose qui se passe pour le reporter, le raconter, sans autre idée que de montrer ce qui a surgi devant lui et qui, une fois la pellicule développée, s’est révélé.


L’acte de photographier est essentiel dans son activité, via le geste du photographe, la recherche d’un surgissement, d’une réalité qui n’est pas immédiatement dite ou avérée. Ses remarques (voir en exergue, deux citations emblématiques de sa façon d’appréhender son art) sont très claires sur le positionnement qu’il confère à l’acteur volontariste de la photographie, le photographe, et à l’artiste, celui dont la présence sur la scène donne au monde sa réalité et sa visibilité.


Garry Winogrand a connu une époque où techniquement il était devenu possible et pas encore « illégal » de se « promener » et de photographier dans le même temps, sans s’arrêter, en shootant à l’instinct, en attrapant les visages dans la rue, en collectionnant les inconnus croisés par hasard, les expressions, les pleurs et les rires comme ils surgissent, à l’improviste, au détour d’une rencontre. L’exposition est intéressante en ce sens qu’elle livre un morceau d’un passé bien révolu. La « street photography » n’est pas morte, heureusement, mais, ses données ont été considérablement modifiées.

Version anglaise parue dans le French Quarter Magazine

Garry Winogrand at Jeu de Paume


« Le fait de photographier une chose change cette chose… Je photographie pour découvrir à quoi ressemble une chose quand elle est photographiée. »


« Parfois c’est comme si… le monde entier était une scène pour laquelle j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle mais où rien ne se produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil. »


Garry Winogrand, who was born in New York City in 1928 and died in Tijuana in 1984, is one of the most famous American photographers. Winogrand, together with photographers Robert Frank, Walker Evans, William Eggleston, is a corner stone of a new style that spread away from the States and still remains one of the most interesting movements in the history of art photography.


The « Musée du jeu de Paume » in Paris offered a « rétropective » exhibition showcasing a large number of works from the very beginning of his career to the end. Garry Winogrand is a « street photographer, » an expression that has been stretched out to identify photographers who have embrace the streets, shooting people, business men walking out of their offices, the homeless on the pavement who wait for spare change, and so on. Being a street photographer is different from being a landscape or portraits photographer. No time is spent to prepare for the shooting. The key to success is to remain open to people, and conscious of what is going around you. Winogrand is one of these exceptionnal artists who, in the blink of an eye, is capable of perceiving what matters, to look at what is meaningful and start shooting – hilarious faces, brooding people, lovers and friends walking here and there.

It is not just pushing the « on » button of a camera. It can be daring. One must sometimes « steal » a behavior or a laugh, the tears that from faces.


Why insist on these basic characteristics of « street photography ? » This art is about capturing moments in a snapshot ; it is not playing randomly with a camera as if it were just a matter of automaticity, technique and equipment. Street photographers are taking images of human faces. Should people be ridiculous or busy, brooding or euphoric, the photographer has no responsability. It is not the photographer’s fault if people he is shooting are unconsciously expressing emotions, fear or happiness, as clear as if they had been shouting out their state of mind. They didn’t think of a camera looking for subjects, for smiling faces, strange behaviour or casual hats and clothes. They didn’t imagine while driving, walking, talking to themselves that someone would break into this « open » intimacy.


For long periods of time, Winogrand would spend days taking views of a very small part of New York City. This is a cornerstone of understanding the motivation behind his art. Street photography is not about discovering a awe-inspiring scenery or culturally unique people in a remote part of the world. It emphasizes paying attention to the small pieces of things – parts of buildings, street pavers, shop windows, garbage tins or mailboxes. Winogrand conveys that he has captured the proof that the « world as a whole stands in a nutshell. »


Garry Winogrand was a photographer in a time where people were hungry for images, whether surprising, informative, or frightening. He was working for magazines and newspapers, inspiring readers to think and filling them with wonders. To American eyes he offered views of New York real life, images of the city inhabitants, with hints about their concerns and their feelings. Later on, he widened the geographical and thematic scope of his photos, with wiews of Paris, Dallas, and London. Although taking photos in places away from his beloved New York, he never abandoned the core principles of « street photography »: to show a true presentation of a street with people, buildings, cars, buses, laughters, tears, sadness and smiles.


Winogrand worked in a time before the selfie, before fear of retribution for taking another’s photo without the blessing to do so. This exhibition of Winogrand’s work is interesting in that it shows a world before the explosion of images credited to technological advances, a world when people were not suspicious toward free photographers nor did they think their images were sacrosanct. Today there are still artists the likes of Gary Winogrand for whom he paved the way. These artists who are eager and spontaneousness, acting instinctively with not only their eyes, but also with their heart and their intuition.


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