Florence Henri et l'invention de l'image

Florence Henri et l’invention des images


Florence Henri (New York, 1893-Compiègne, 1982), artiste protéiforme, est d’abord connue pour sa peinture, avant de se faire une place incontestable dans le domaine de la photographie des avant-gardes entre la fin des années 1920 et le début des années 1940. Après avoir vécu en Silésie, à Munich, Vienne, Rome et surtout Berlin, elle se fixe définitivement à Paris au milieu des années 1920, où elle se consacre pleinement à la photographie. Ce médium lui permet d’expérimenter de nouvelles relations à l’espace, notamment par l’introduction de miroirs et autres objets dans ses compositions.

 

Curieux personnage que cette Florence Henri. Fût-elle écartelée entre plusieurs cultures, l’allemande, l’américaine, la française, l’anglaise, et parce qu’écartelée elle aurait éprouvé le besoin de faire partir la photo en morceaux ? Fût-elle traversée par tant d’enthousiasmes artistiques, peintre, musicienne, photographe… qu’elle ne put se satisfaire des ambitions encore limitée de la photo, servante des arts majeurs, la peinture, la sculpture ou réduite à l’illustration de livres destinés à l’éducation des masses et des publics cultivés ?


C’est le mystère sans solution de la création artistique quand on recherche la généalogie de l’invention, les sources de l’inspiration, les secrets intimes, les briques non pas de la vie mais de l’art, celles qui sont censées être l’édifice, le soutien de l’édifice, sa façade et sa structure interne.


Ici, on sera bien pauvre en origines, en pensées venues de la petite enfance ou en espérance devant l’éternel futur, car Florence Henri, photographe, quand y regarde de près, a inventé une bonne part des choses qu’elle a produites, des techniques qu’elle a utilisées, des cadrages et des thèmes qui se déploient dans ses photographies. Elle a été la première, une des premières en tout cas, à projeter la photographie dans le XXème siècle et les siècles d’après. Si référence il doit y avoir, comme toujours lorsqu’il s’agit de création artistique, il vaut mieux la rechercher dans la musique de son temps, en rupture, totale, buissonnante entre traditions françaises et révolutions austro-hongroises.


L’exposition proposées par le Jeu de Paume est particulièrement intéressante parce qu’évitant les fioritures habituelles qui accompagnent trop souvent les photographes connus ou qui ont su habilement se faire connaître. Elle commence par des commencements pas très passionnants, des photos où l’image est fruste, banale peut-être. Il en émane pourtant, une impression de nouveauté, de recherche, de travail sur ce que doit être la photo par opposition aux évidences du pictorialisme. Cela semble laborieux comme sont laborieux les premiers essais, les retours sur les premières erreurs, les tâtonnements. Dés les premiers stades du travail de photographie de Florence Henri, la question du sens photographique est posée, la fameuse question du sujet. L’usage de miroirs dans la composition photographique indique très tôt que l’image du photographe à plus de rapports avec les ruptures illusionnistes reflétées en abîmes par des miroirs posés en quinconce qu’avec le vaste monde qui s’offrait aux pictorialistes pareil au paysage des travailleurs artistes peignant sur le motif. La technique « au miroir » sera pour Florence Henri à la fois une référence permanente dans la construction de ses images et le paradigme de sa conception du champ photographique, du cadrage et du positionnement du sujet de la photo. Elle y reviendra sans cesse, pour se découvrir dédoublée dans un cadre en contradiction complète avec le cadre véritable dans lequel elle pose.


Il faut à ce stade de la rencontre avec l’artiste rappeler que ces « inventions » se placent à un moment où la photo se trouve à la croisée des chemins. Si Florence Henri ne renonce jamais à la photo au sens traditionnel qui consiste à représenter personnes et paysages, elle étend le domaine de l’image photographique à des champs ou des préoccupations nouvelles pour l’époque et que peu de photographes avaient encore tentés. L’objet de la photo, on l’a dit en évoquant l’usage du miroir, étant recomposé, la photo devient le moyen de trouver une image, une représentation du monde en soi, abstrait.


En ce sens, elle est novatrice : une bonne part de la photo moderne de son temps rompant plus avec les cadrages et l’usage de la lumière qu’avec l’objet de la photographie. La photo est longtemps restée avec cette idée que la représentation picturale n’est pas discutable comme on avait pu se pénétrer du sentiment que les peintres impressionnistes n’abolissaient pas le paysage mais, au contraire, le renouvelaient. La photo moderne de l’entre-deux guerres changeait la façon de voir les choses et les gens, elle ne changeait pas les choses et les gens en objets de contruction d’une image. Florence Henri, quant à elle, très tôt manie la photo pour en tirer des effets pareils à ceux que les cubistes finissaient par obtenir de la peinture.


C’est ainsi qu’elle a cherché tous les moyens de faire émerger les images malgré tout, malgré la présence forte de sujets ou de perspectives : elle a usé de collages ou travaillé ses prises de vue pour transposer l’art du collage dans l’art de la photographie. Elle a développé des techniques de superposition pour donner de l’ampleur ou un sens différent aux images qu’elle arrachait de leur cadre naturel. Elle a inventé une photographie obsédée de cadrage, de composition, de recherches sur la présence et l’anti-présence, sur l’apparence et les confusions.


C’est ainsi que les paysages de Florence Henri sont toujours des prétextes à images : ils sont bien là, bretons ou romains, ils ne sont pas dans la photo en tant que tels, mais plutôt comme partie d’une image, comme fond de celle-ci, voire comme décor. Ce qui est photographié est une composition où le paysage est convoqué comme un acteur, parfois secondaire, car au premier plan, ce sont cordages, fenêtres, et autres objets qui, à la fois, forment cadre et constituent le premier plan orientant la photo et structurant l’image. C’est ainsi que le sujet de la photographie s’ouvre au non-sujet, à l’abstraction, aux constructions d’images, c’est aussi de la sorte qu’elle donne à la photographie publicitaire un élan bien particulier, lui apportant dans ses compositions d’objets les avancées réalisées dans le domaine de la photo abstraite.

C’est ainsi aussi que ses portraits prennent une densité forte et originale : le cadrage y est pour beaucoup et son goût pour les contrastes forts de lumière et d’ombre, des noirs et des blancs parfois agressifs. Les cadrages ? Elle n’hésite pas à les « rater » ! Il faut l’entendre au sens où les visages ne sont pas impeccablement compris dans le cadre de la photo mais, pour rendre l’impression que recherche l’artiste, le dépasse, comme si la photo avait été prise trop près. Ou bien, le visage n’est pas centré comme on doit le faire quand on fait un portrait sérieux. Pour Florence Henri, un portrait comme un paysage sont les éléments de la photographie, ils en constituent une matière, ils ne sont pas la photographie.


La photographe avait créé un studio de photographies à Paris dont on dit qu’il était directement concurrent de celui de Man Ray. Elle enseignait aussi et a eu comme élèves des figures marquantes de la photographie, Gisèle Freund, Lisette Model. Elle a frappé ses contemporains par ses audaces : dans la présentation du Jeu de Paume, on peut lire ce commentaire de László Moholy-Nagy qui illustre très clairement la position de Florence Henri : « avec les photographies de Florence Henri, la pratique de la photographie aborde une nouvelle phase d’une toute autre ampleur que ce qu’il aurait été possible d’imaginer jusque ici…».

 

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