Giovanni Boldini au Petit Palais

A voir, plusieurs fois si nécessaire

 

 

Boldini

Petit palais

 

Boldini ou le virtuose… ce pourrait être le titre d’un livre ou d’un essai. On comparerait Boldini à tous ceux qui ont eu le talent d’aller vite, de jouer vite, à grands coups de pinceaux, traçant des envolées de couleurs, les faisant berceaux, nids, ailes ou robes plus simplement. Ce faisant, c’est peut-être, prendre le peintre par la fin, lorsqu’il est devenu « peintre mondain » et, grâce à ce titre de noblesse, s’est vu autorisé à poser son regard et déployer son pinceau comme il le voulait et selon le rythme qui lui plaisait.

Quelqu’un, dans une revue dite d’art, a lâché qu’il avait influencé un barbouilleur nomme Domergue, portraitiste des nez retroussés et des trottins déguisées en demi-mondaines. Pauvre Boldini. On a essayé de piller ta manière et on a fini dans la carte-postale coquine ! En vérité, c’est bien de ta faute !

 

Les portraits en pieds de mondaines, femmes, épouses, maitresses d’aristocrates de la finance, du commerce et des vieilles familles étaient-ils simplement des portraits ou dans des genres variés des exercices de style avec pour thèmes sous-jacent mais essentiel : l’envol des pinceaux et l’enchantement des couleurs. Vu de notre temps d’aujourd’hui qui se désagrège en épidémies et déferlements de moujiks, Boldini brandissait la gaieté et posait la légèreté.

 

Très tôt, la peinture, n’est pas pour Boldini une image figée qui s’efforce à l’immobilité pour que le peintre puisse travailler tranquillement. « En traversant la rue » est une œuvre qui vibre de tous les mouvements et les bruits de la rue. Etonnante technique par laquelle, moyennant des coups de pinceaux posés ici et là, la vie, les pas prudents et mesurés de la jeune femme au bouquet sont si présents. Et petite scène parisienne, à cette jeune femme toute à la retenue de sa jupe et au maintien de son bouquet, répond, dans un cabriolet le regard intéressé d’un homme, gandin ou dandy. Cette capacité à animer une scène nous vaut aussi « jours tranquilles d’une femme au crochet », tout y est paisible et rien n’y est figé. Tout vibre.

Ainsi à partir de traces infimes, la vie d’une famille ou « une belle sur un banc au bois », sont animées et semblent saisies dans une seconde de frémissement. Arrêt sur image sera-t-on tenté dire ? En fait, le travail de Boldini « sur l’image » est ainsi fait que le temps ne s’arrête pas !

 

Et, dans le même temps, il y a ces œuvres fortement structurées et construite comme un cas d’école : « la cantatrice mondaine ». Il faut aussi citer ces oeuvres où le pinceau est un instrument de travail et de découverte : « nocturne de Montmartre » n’est pas seulement une représentation de Montmartre la nuit, mais un travail de recherche sur la possibilité de la représentation, comme il en est de même par exemple de « Marine à Venise ».

 

 

Boldini ou le virtuose ? mais au moment où il devient célèbre ne lui manque-t-il pas quelque chose ?  Oui, il fait partie de cette classe de peintre qui agissent vite et qui donnent à leurs œuvres cette qualité de la vitesse et du mouvement par le moyen de coups de pinceau « follement risqués ». On pense parfois, au pur spectacle de ces grandes traces, à des peintres comme Fragonard, aux portraits comme le célèbre abbé de Saint Nom. Comme Fragonard, Boldini peint pour le plaisir, et s’il n’a pas osé « l’escarpolette », il a osé des déferlements de vigueur dans un déferlement de traits, de traces et de longs coups de pinceaux qui semblent s’entrecroiser en une bataille de couleurs. Virtuosité ou romantisme, les chevaux blancs s’échappent du cadre du tableau, la princesse Bibesco émerge d’un flot de voiles, d’or et de bijoux, comme la marquise Luisa Casati d’un bouquet de plumes de paon.

 

 

Virtuosité et plaisir ! Toutes les femmes qu’il portraiture sont belles, tellement également belles qu’on ne peut pas ne pas penser qu’elles sont issues de son idéal de la femme ! Mais, il en ressort surtout un exceptionnel talent de portraitiste : la vivacité et la somptueuse élégance de madame Speranza a pour réplique, la distance et la réserve de Cecilia de Madrazon Fortuny. On le dira sensible aux appréciations de ses modèles et de son public. On rappellera qu’il facturait ses clients assez lourdement. Boldini n’était pas une mode, c’était le maitre des élégances aussi implacable qu’un grand couturier, créant la beauté et l’offrant à voir.  

 

Un débat ne cessera de poursuivre ce peintre de la vitesse et de l’élégance : s’agit-il d’une « œuvre décorative » ou d’une « œuvre d’art » sachant que l’une s’oppose à l’autre comme la vue au regard. Décorative ? une œuvre est décorative lorsqu’elle fait partie intégrante, physiquement, intellectuellement de ses regardeurs. Ils s’y sentent à l’aise, elle leur est intrinsèque, elle fait partie de leur environnement, elle apporte à « l’installation » que constitue l’aménagement de leur appartement ou de leur hôtel particulier, une marque particulière. Comme tant d’autres, le portrait de la princesse Bibesco, signe l’œuvre de cette dernière.

 

Il est distinction et reconnaissance, signature de son installation et point d’orgue. Certains auteurs ont parlé de « peinture digestible ». Par nature, ce portrait rentre dans cette catégorie : voulu, choisi, accepté par la « victime » tout en étant offerte sans discussion possible aux élus qui l’approchent et qui la regardent. Miroir qui aurait figé un moment pour l’éternité. La peinture de Boldini offre à s’interroger sur le statut de l’œuvre d’art tant il est vrai que ses portraits sont à la fois des œuvres du grand peintre en tant que sa création du monde. Les femmes qu’il faut émerger de bouquets de fleurs et de plumes, n’existaient pas, il les fait apparaître et leur confère une existence éblouissante. Montesquiou à nos regards restera une création de Boldini pour tous les temps.

 

Pour être complet, il faudrait commenter ses autres portraits : celui de Montesquiou restera pour des dizaines d’années encore la révélation par excellence de l’univers proustien, mais aussi le portrait de son ami Sem, le caricaturiste en vogue de la Belle Epoque, l’extraordinaire portrait de Rochefort cynique, ironique et distant…

 

 

Il faudrait aussi commenter ce tableau, frais, simple et extraordinairement osé : celui de madame Charles Max et de sa robe toute de légèreté soyeuse, couleur perle, dont une bretelle s’est échappée.

 

 

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