Per Kirkeby un peintre du Nord à découvrir

 

 

Kirkeby est un peintre important. Sa cote commence à le montrer. Le marché français commence à le découvrir. En retard ! C’est dommage, mais il est encore temps et l’exposition de la collection Werner, à Paris, fournit une excellente occasion de combler ce manque de notoriété.

 

Artiste danois, Per Kirkeby est né à Copenhague le 1er septembre 1938. Peintre, sculpteur, il est aussi réalisateur de films et écrivain.

 

La collection Werner donne l’occasion d’une exceptionnelle vue sur l’oeuvre d’un artiste très peu connu en France à l’instar de bon nombre d’artistes de l’Europe du Nord, d’Allemagne, Autriche, etc. Considéré outre-Rhin comme un des représentants majeurs de la peinture “allemande“, il est représenté et défendu par Werner, qui est justement un des marchands les plus importants en Allemagne. Il est aussi régulièrement représenté par des galeries parisiennes. La cote de ses oeuvres est bien soutenue.

 

En début d’exposition, une magnifique collection d’aquarelles et de techniques mixtes sur papier constitue une bonne introduction à la méthode et aux enjeux du travail de Kirkeby, entre structures, formes et matières. Ce sont autant de travaux sur le tellurique, sur la couleur au service d’une géologie des formes. Géologie, c’est un mot qui reviendra souvent dans les lignes qui suivent. Quoi d’étonnant, Per Kirkeby n’est pas un peintre ordinaire ! Il est géologue de formation et de métier.

 

Quatre ou cinq oeuvres des années 70-80, des sur-peintures ou des paysages, ont un format “peinture de chevalet” classique. Elles surprennent, car les tableaux sont lumineux, ensoleillés, quand les tonalités qu’affectionne l’artiste sont terreuses. On devrait dire terriennes, tant elles renvoient à la matière dont sont constituées les couches géologiques. Première oeuvres ? Elles sont bien différentes de celles qui suivent et couvrent une vingtaine d’années de travail. Celles-ci sont le plus souvent de tableaux de grande taille.

 

La peinture de Kirkeby a parfois été qualifiée d’abstraite. On l’a rapprochée de Pollock. Indiquons d’emblée qu’elle est tout sauf déconnectée de la réalité, tout sauf un tissage aléatoire de filets de couleurs. Elle est réaliste. Si on en voulait une démonstration, il faudrait revenir à ce qu’on a dit des couleurs qu’il affectionne, couleurs de terre, de roches, de plis de terrains. Marrons, couleur des sillons d’une terre retournée. Orangés d’automne en tapis de feuilles mortes. Bleus aussi, eaux sombres d’une rivière ou d’une mare dans la forêt. Rouges forts et puissants. Ils deviennent lumineux dans certaines oeuvres et équilibrent les masses sombres et terriennes.

 

Abstrait peut-être, mais tangible malgré tout

Kirkeby, peintre et sculpteur n’est cependant pas un créateur vivant enfermé dans son oeuvre et les techniques qui lui sont attachées. “Sa” nature, n’est pas celles des prairies où on folâtre, ni celles des forêts aux frondaisons percées de charmants rais lumineux. Elle est constituée de la terre, des couches qu’elle forme et des roches et de la nature sur laquelle on marche, qu’on ausculte, marteau et pioche à la main. Sa “nature” est une matière qu’on sent vivre. Qu’on ressent forte et puissante. En ce sens, la peinture de Kirkeby, a-t-on suggéré, est romantique !

 

C’est dire que, même si les oeuvres de Kirkeby ne sont pas réalistes , si elles sont le plus souvent “sans titre” avec numérotation ou non, l’artiste n’interdit pas de voir quelques choses réellement tangibles, solides, opposables à l’esprit et aux sens. “Sans titre 2009″, tableau d’accueil de l’exposition, montre un cheval dans une forêt… mais ce cheval est absorbé par les arbres et les taillis, mais la forêt se dissout en lanières colorées de verts, de marron et de bleu sombre.

 

Lanières et bandes de peintures sont les éléments constitutifs de ces tableaux, comme si l’artiste avait voulu, usant de grandes brosses, donner un rendu de tisserand à son oeuvre. Cette impression, sensible lorsqu’on regarde un tableau, est amplifiée en s’approchant pour comprendre “la machine“, la “technique” du peintre : effet des formes qui se juxtaposent les unes aux autres en coups de pinceaux larges et vigoureux. La comparaison avec Pollock n’est pas sans raison, parce qu’elle se situe autour du thème du tissage dont Pollock était devenu un des grand-prêtres. Mais Pollock usait de fils sans autre but que leur assemblage aléatoire. Kirkeby bâtit ses tableaux sur des trames comme des sillons et assemble des couleurs larges comme des bandes, des câbles, de cordages.

 

Faut-il absolument trouver des comparaisons ou des maîtres ? C’est le Monet des Nymphéas qu’il faudrait convoquer. Le peintre de la dissolution des formes et du tissage des couleurs, celui qui abolit le temps et donne toute intensité à l’instant. Kirkeby comme Monet n’est pas irréaliste lorsqu’il explore la matière. Comme Monet l’affirme en lumière qui se meut et s’efface et renaît, Kirkeby l’affirme en pesanteur, en force et en vigueur tellurique.

 

Les sculptures qui sont exposées renforcent encore le sentiment de cette vigueur et de cette force. Formes qui émergent des profondeurs, lourdes et noires, elles sont magnifiquement et subtilement présentées en contre-point de pastels (1983) sur papier, noirs et gris, sombres et légers entrelacs, subtiles études de formes.

 

Kirkeby n’est pas encore très connu du marché français. Bonne nouvelle si vous êtes amateur car ce peintre est encore abordable, mais probablement plus pour très longtemps !

 

 

Paru dans Protection Rendements, Publications Agora. 

 

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