Gisèle Freund, l'Oeil Frontière

Gisèle Freund : L'Œil frontière

Paris 1933-1940


Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent, du 14 octobre 2011 au 29 janvier 2012.


Exposition intelligente, sensible et généreuse. Avec, comme toujours, lorsque l’artiste exposé n’est pas un des VIP de la création, très peu de visiteurs pour gêner ! C’est dommage pour l’Artiste, même lorsqu’il n’est plus là pour le regretter. C’est vexant aussi pour l’organisateur de l’exposition. Voire ! Peut-être le plaisir de montrer beaucoup à peu est-il plus vrai que la jouissance de montrer peu à beaucoup !


L’exposition de la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent, va bientôt s’achever. Il est encore temps de se réveiller et de se rendre compte, peut-être, qu’à laisser les choses aller on va rater quelque chose: une bonne centaine de photos exceptionnelles et la mise en situation qui en est faite avec la reconstitution des lieux principaux où les crimes ont été pensés et les complices rassemblés : la fameuse librairie d’Adrienne Monnier et Sylvia Beach, piège dans lequel Gisèle Freund trouvait des victimes consentantes.


Le crime, en série, c’est un vol de personnalités et de psychologies par une photographe à la recherche d’une vraie photo trois D. La troisième dimension, c’est la vie même des victimes : Gisèle Freund ne photographie pas des sujets en projetant sur un plan leur réalité, écrasant en apparences la matière dont ils sont faits, réduisant en apparitions aplaties leur participation à l’espace. Elle exprime ses sujets des profondeurs de leur vie. Elle les « fait venir hors » de leur enveloppe humaine, de leurs chairs, rides, vêtements, cache-nez, lunettes, loupes, masques, cigarettes, un monde d'êtres fragiles . Gisèle Freund ne cherche la facilité! Montrer des personnalités aussi fortes et diverses, rebelles ou excessivement poseuses comme l’étaient Montherlant, Gide, Cocteau, c’est nécessairement prendre des risques. Les montrer en trois dimensions, çà l’est encore davantage ! Et pourtant, c’est bien cela que trahissent tous ses tirages : la vie à fleur de peau, la vie qui illumine ou assombrit les regards, la vie qui bouge dans une main qui se tend. Et la vie en couleur. Gisèle Freund a été une des premières à jouer de cette nouveauté technologique et à réussir.


Peut-on photographier la fragilité pensive, un être qui semble planer au-dessus de son âme? Oui, puisque Gisèle Freud a su photographier Virginia Woolf. Gide, est-il un masque sous un masque ou démasqué par le contrepoint d’un masque? Damoclès d’un genre nouveau ! Cocteau, pareil à un poète hésitant, est il bien là ? A moins que Gisèle Freund ait réussi à saisir un instant entre le doute et l’inquiétude. Et peut-on donner à voir une sensibilité massive? Oui aussi puisqu’un de ses sujets favoris est James Joyce.


Par hasard, j’ai vu cette exposition, après celle qui montre de très belles photos de Diane Arbus. Le contraste entre les deux artistes est bouleversant. Photos de Diane qui se heurtent sans cesse au vide qu’elle pressent et qu’enferment et trahissent les formes, les surfaces, les  peaux, le néant des regards et des attitudes, la laideur du rien qui est partout. Photos de Gisèle, qui font venir du plus profond des êtres, leurs richesses, leurs forces et leur volonté de créer, qui montrent sans les subvertir, fragilités, béances et fissures, sources et nourritures de la création.


Incroyable dialogue entre Espoir et Désespoir.

Si présent encore que je n'ai pas pu écrire au passé.


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