Pierre et Gilles chez Templon, décembre 2022

 

 

Ces quelques lignes sont empruntés à un texte que j'avais écrit lors d'une exposition intitulée "Héros". Les quelques images ci-dessus, sont extraites de prises de vue trop rapides.

On pourra voir autres photos, celle de l'exposition "Héros" en suivant ce lien.

D’où viennent Pierre et Gilles ? De la Lune, de Mars ou de la planète Lithion, celle-là même où atterrit par mégarde la Barbarella de Fourest et de Vadim ? Ou bien, gardant raison, comme font les journalistes qui évitent de travailler sur le « motif », sont-ils les produits compliqués d’un échange de chromosomes entre Caravagesques, Sulpiciens et illustrateurs du « Signe de Piste » ?

Sont-ils venus pour nous dire que le beau, franchement, ça ne se trouve pas comme ça ! Ni dans la nature, sous la forme du « prét à cueillir » genre pâquerettes dans les prés (ou colchiques si on aime la chanson française) ! Ni dans la rue, éphèbes ou Vénus, en imper par jours de grands vents !  Chacune de leurs photographies  nous le rappellent et nous font souvenir de cette remarque (dont je crois qu’elle vient tout droit du « Nu » de Kenneth Clarke) : les Grecs ont fait preuve de l’audace la plus extrême en incarnant la beauté dans des corps dénudés car la nature n’offre rien qui puisse conduire à pareille proposition. En d’autres termes, la beauté ne se donne pas, elle se construit, comme tout projet de société.  Pierre et Gilles œuvrent à montrer qu’avec du travail, de la volonté et un excellent contrôle de tous les moyens de la création artistique, on parvient à faire du beau, là où naturellement on n’a que chairs flasques et silhouettes bouffies et bedonnantes.

Pierre et Gilles sont les     artistes du beau en tant qu’il est construit, grain de peau à grain de peau, paillette à paillette, couleurs à couleurs. En tant qu’il est voulu et choisi. Enfants du Caravage qui savait qu’on trouve le beau n’importe où pourvu qu’on le désire, dans la fange ou dans les palais; enfants du « beau Sulpicien », qui énonce que si on sait faire émerger le beau, on fait aussi du bon et peut-être du bien et que le beau visage embelli de rayons et de pierreries de la Vierge donne à rêver à l’incroyant et à s’exalter au fidèle ; mais aussi du beau poétique quand la beauté n’est pas qu’un rêve entre surprise : « Twas briblig the slithy toves did gyre and grimble in the wabe » et sentiments : la belle Barbarella, après une belle nuit d’amour, rendra ses ailes à l’ange Aveugle si beau.

Pourquoi pense-t-on « Kitsch » devant une œuvre de Pierre et Gilles ? Je crois que c’est le fruit d’une culpabilité qui « creeps et crawls ». La peur de la Richesse a saisi les regardeurs depuis que Picasso, Braque et Gris ont posé les règles de la nouvelle peinture. « Les couleurs du renieras ; les sujets tu aplatiras ;  les courbes tu redresseras ; le motif tu pourfendras ». Il y en a d’autres (10 en fait, qui sont tous des commandements). Les ors et les pierreries ont fui les palettes et les canvas. Clinquer n’est pas luire, époustoufler n’est pas séduire, tout ce qui brille ne peut-être que paillette et l’or dont on se pare n’est qu’une déclaration de richesse ou une extension subliminale de Fort Knox.

Regardeur ! Quand tu passeras devant les photographies de Pierre et Gilles, souviens-toi de laisser, sur le pas de la porte, les idées austères et les pensées économes : tu rentres dans l’univers des étoiles, de la joyeuse réinvention du beau et des belles histoires qu’on savait autrefois raconter en peinture. Léda revient parmi nous se faire culbuter par son cygne, à nouveau Danaé disparait sous la pluie d’or, le pauvre Oreste ne cesse de gémir, Prométhée tient à conserver ses chaînes et Arielle Dombasle souriante, comme un beau mystère, nous promet que demain, menacée sûrement par un Laconique anonyme, elle lèvera les mains.

On proteste en soutenant que les photos de Pierre et Gilles sont d’un réalisme à surface de peau, ce qui dans le monde de la critique veut dire sans profondeur.  Et pourtant que de louanges n’entend-on pas sur les plastiques toutes formelles et assumées comme telles d’un Mapplethorpe ? On vient dire que ces « machines » à base de héros grecs à l’œuvre ou au repos sont « trop » : mais on trouve merveilleux Zurbaran et ses saintes qui se promènent qui, avec une paire de seins sur plateau doré, qui, une paire d’yeux, ou de fesses ou des bras ou n’importe quoi absolument répugnant.

Chassons ces hypocrisies et revenons au travail de Pierre et Gilles, et avant même que d’aborder le contenu, traitons un instant du contenant. Les cadres. Car toutes les photos sont encadrées. Pas le cadre « américain » noir ou blanc selon l’absence d’imagination de l’encadreur ou de la galerie. Elles sont encadrées au sens profond du terme : les cadres ne sont pas ici pour délimiter la photo ou l’empêcher d’aller ailleurs, pour dire que là, dans un espace strictement délimité, un enclos artistique, il y a quelque chose à voir, une photo en la circonstance. Les cadres de Pierre et Gilles font partie de l’œuvre et sont à regarder en tant qu’œuvre. Leur mission n’est pas de canaliser les regards comme la plupart des cadres, ni de parquer l’œuvre comme on enferme le pur-sang (ou le vieux cheval de retour) ou d’éviter qu’ils aillent vagabonder de gauche ou de droite, ils sont là pour porter l’œuvre, pour en magnifier le thème ou les couleurs. Comme les draps de satin, comme la dentelle légère, comme la fourrure profonde sont au corps de la femme ce que coupes, aiguières et cristaux sont à un vin capiteux. Regarder les photos des deux artistes sans penser à regarder le cadre est à double sens : ou bien il faut comprendre que le regardeur est resté en surface, a survolé la photo et s’en est allé un peu plus loin, comme au Mac-do on hésite entre trois hamburgers, ou bien il n’a pas voulu voir et a nourri une pensée réprobatrice : « ces ors, ces couleurs et ces pierreries sont la preuve qu’il n’y a pas d’art ici mais rien que débauche et tape-à-l’œil ».  Regarder le cadre, le considérer dans son rapport avec la photo, fait découvrir une chose qui n’est pas surprenante, sans lui, sans ce complément visuel, complexe, en matière, en dessins, en couleurs, la photo perdrait une partie de son âme.

Que dire des héros photographiés ? Beaux comme des héros de la mythologie, si beaux que la beauté des héros mythologiques s’est aussi emparée des héros bibliques. Les déesses sont présentes et belles comme toutes les déesses grecques? Faut-il considérer qu’Arielle Dombasle en fait partie ? Cela ne me gênerait pas : elle est extraordinaire cette photo de la diva, menacée par des fraises géantes d’un rouge si vif qu’elles en paraissent menaçantes. Heureusement, l’héroïne est protégée par un lit de délicates fleurs roses.

Pierre et Gilles savent raconter les histoires modernes en partant du vieux fond de notre littérature occidentale : Isabelle Huppert en Ophélie va sombrer sur fond de derricks sombres et noirs, un petit robot, gambadant à côté d’elle (et voilà qu’Hamlet prend un petit coup de jeune). Tout n’est pas uniformément réussi : Narcisse est bien traité, mais je lui trouve avec un air de « déjà vu », sûrement un souvenir de quelques œuvres du XIXème siècle. Seule note qui rompt l’harmonie très classique du tableau, le hiératisme étrange qui fige le héros et donne un accent magrittien au tableau, renforcé il est vrai par le beau ciel bleu, pur et sans nuage tel que le Belge aimait à en mettre dans ses propres œuvres. Pour les regardeurs attentifs, on dira que Narcisse est la seule photographie où peut se voir un beau ciel, bleu clair et pur. Dans toutes les autres photos, ou bien le ciel n’est pas « mentionné », ou bien il s’agit de cieux enflammés, passionnés et furieux. Qu’il s’agisse des « Achille », qu’on pense à Salomé, à Leonidas, à Prométhée, chaque œuvre est placée sous le signe de la fureur divine et celui du courroux des cieux. Les flèches percent, ou vont le faire, des corps parfaits, les épées sont brandies par des combattants à la musculature de bronze ou de marbre. Pas de petite pudeur ou de cachotteries pudibondes, les hommes sont des hommes et on le voit.

Faut-il critiquer un peu : on a beaucoup glosé sur la beauté d’Oreste. Elle est dans l’esprit, et la forme, très « Canova », on a envie de dire « Canovagesque » et ne convainc pas, trop sculpturale et trop peu animée. A l’instar de nombreux Kouré grecs, Oreste se lamentant et Achille blessé ont tous deux la lippe boudeuse. Cette expression ou de l’effort ou de la souffrance que les Grecs comprenaient est par trop datée et a perdu de sa solennité : dans la Grèce antique, le kouros ne boudait pas.  Dommage.  Quant à Léonidas, il me paraît tout droit sorti de « Gladiateur » !!!

Un dernier mot sur l’art de Pierre et Gilles : on le trouve entier dans la photo « Orphée et Eurydice », sombre et maléfique, éclairée comme par une lumière d’aquarium et la luminescence méphitique d’un bouillonnement d’eau inquiétant ; on le trouve dans la luxuriance d’Icare, fantastique entrelacs de couleurs en tous sens, mais aussi dans cette mise en scène klimtienne du Roi Salomon et de la Reine de Saba. Paillettes en pluie, torrents de fleurs, chutes de couleurs douces ou criardes, sont des éléments, j’allais dire des personnages-clefs de toute leur production. La photo n’est pas un instrument à reproduire un réel qui serait extérieur à l’objectif, qui serait objet pour un sujet regardeur, muni de sa camera obscura portative personnelle. La photo ne dit rien du beau par elle-même : on l’a dit plus haut, c’est le photographe qui dicte sa loi. Si, pour le besoin de la cause « Beauté », il faut des cascades de lumière, des éclairages impossibles ou des couleurs venues des chimies les plus imaginatives, alors, Pierre et Gilles en useront. Et ils en usent. Et si cela ne suffit pas, ils peindront les photos, ce qui suffira à les renvoyer à leur statut premier : des outils au service de l’exercice de l’art.  

Pierre et Gilles sont des artistes de talents, étonnants, somptueux, baroques. On peut leur reprocher leur dimension « kitsch », on peut les rapprocher de l’art baroque dans ses côtés extrêmes qu’on trouve en Italie comme en Allemagne, ils ont des points communs très forts avec l’extravagance du Visconti de Louis II et des lueurs ténébreuses des Damnés. Ils font partie d’un courant très original de la création photographique, celui qui voit des artistes « conteurs » se transformer en metteurs en scène et en réalisateurs. L’exposition est à voir absolument. Pas d’hésitations.

 

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