Lewis Baltz
Le BAL, jusqu’au 24 août.
Lewis Baltz fait l’objet d’une rétrospective au BAL dont on dit au regardeur que c’est une des plus importantes depuis …. Pour moi, une rétrospective sur un photographe qui a près de 70 ans (il est né en 1945) doit comporter des centaines d’images avec d’autant plus de raison que Lewis Baltz est de ces photographes qui n’ont pas encore cédé aux grands formats. Ses photos sont de taille modeste, pas loin du format A4, aussi imaginerait-on facilement des dizaines de mètres de linéaire d’exposition. L’espace du BAL n’est pas bien grand pour pareille ambition !!! La rétrospective qui est donnée s’appuie plus sur des extraits que sur une présentation directe de cette œuvre.
Cela ne l’empêche cependant pas cette exposition d’être passionnante.
Elle permet d’avoir une bonne idée d’un travail qui date maintenant de près d’un demi-siècle : la série « Nevada » date de 1977. (L’épaisseur de l’histoire se dissout avec le temps : 1863, salon des Refusés, naissance de l’impressionnisme; 1906, auto portrait de Picasso, annonciateur du cubisme). Il se passe beaucoup de choses en 40 ou 50 ans : l’exposition permet ainsi de débattre de ce que devient une œuvre quand les intentions sont « datées ». L’exposition est précédée ou accompagnée de placards qui ne sont pas mal venus et posent le photographe dans son époque. Ce qui pour nous est « classique » était pour Baltz novateur et relevait de la « recherche-développement » en photo. Il vient au photographe à ce moment-là, que la photo n’a pas nécessairement pour objectif de produire du beau ou de l’intéressant, de la contemplation ou du voyage, mais peut et doit montrer l’envers du décor, ses façades, ses ordures, l’absence de vie, le vide de l’homme.
- Lewis Baltz a aussi beaucoup commenté ses œuvres, pourquoi il les faisait et à qui il devait inspiration, règles et procédures. Mon opinion est que ce n’est pas parce qu’un artiste explique son art que celui-ci en devient plus compréhensible. J’ai même souvent le sentiment que l’artiste « surjoue » son art lorsqu’il le commente, le place « dans son contexte » et le pose au milieu de la communauté des fabricants d’art. Allons-y d’un bon coup : au fond ce que l’artiste pense de son œuvre ne m’intéresse pas beaucoup. En ce sens, je suis en harmonie avec cette formule d’Heidegger qui, parlant d’un poème réussi, proposait : « La grande réussite supporte même que puissent être reniés personne et nom du poète ». Quand Lewis Baltz indique qu’il s’est engagé dans une démarche qui devrait beaucoup au cinéma à Antonioni, à Hitchcock, à Godard, on le croit sur parole. Cela montre à quel point il participe de l’expression de ces années 70 finissantes. Pour autant, cela montre-t-il quelque chose de ce qu’il annonce : les procédures et processus d’un monde nouveau, entre destruction, consommation, résidus, ordures et dégradations ? Curieusement, les photos de Baltz sont surtout vides de toute humanité au sens strict du terme : il n’y a personne dans ses photos par opposition au travail de ses maîtres ! même si les héros d’Antonioni errent dans l’absurde et le vide, ils sont là, tout autant que les usines pour montrer le monde désenchanté qui nous entraîne. Baltz montre un monde déshumanisé au sens strict du terme : il n’y a personne.
- C’est une œuvre passionnante, justement en ce qu’elle se contredit non pas dans l’instant de l’intention, dans ce moment où le photographe décide que c’est le moment d’appuyer sur le bouton, mais dans le temps. Une fois passé le temps des intentions, de la volonté de communiquer, de dire le monde tel qu’on le trouve si on veut ouvrir les yeux, la photo prise est prise dans la dérive du temps, dans un flot qui l’éloigne des intentions premières, qui la dépose sur la rive d’aujourd’hui, de demain, dépourvue de son sens premier. Alors, il faut lire les commentaires, les placards, les « ce qu’il voulait dire », les « sa recherche sur le monde comment-on-le-fait et non pas sur le monde tel-qu’il-apparait ». Mais voilà, on lit et puis on regarde et on voit autre chose. Le regardeur a bien le droit de regarder avec son cœur et sa tête qui déjà contiennent tout ce qu’il a regardé depuis tout le temps où il regarde. Il ne regarde pas un guide du « bon regard » à la main.
Comment chroniquer le travail de Lewis Baltz après ce qui vient d’être dit ? Que dit le regardeur qui, lui aussi approche le travail du photographe avec quelques idées dans la tête ? Quel sens donner à toutes ces photos qui ne se revendiquent ni documentaires, ni artistiques, quand on sait que près d’un demi-siècle est passé, bousculant tout, spécialement le domaine de la photo. J’ai choisi une voie qui paraîtra un peu bizarre, subjective, pointilliste parfois. J’ai suivi les « séries » et leur intitulé. Je me suis plongé dedans et j’ai laissé aller mon stylo au gré du regard porté sur les photos de chacune des séries.
Cela donne ceci :
Prototype works
Espaces clos. Clôture. Clore. Cacher. Rien derrière? Façades, rien que du devant, devant l’objectif. Murs, espaces fermés, fenêtres noires, formes géométriques ou informes à plat. Photographier le vide, murs blancs, parfois un objet sur le plan du mur. Une ponctuation ? Pour dire plus fort les murs, blancs, plats. Sur les murs des fenêtres sont posées qui donnent « sur rien ». Il n’y a peut-être rien derrière les vitres noires et aveugles des fenêtres. Personne en tout cas, au dehors. Alors peut-être personne dedans ? Jamais eu personne ?
Informel, format, formaté, défini, structures, géomètres. Rien sur ce mur qu’une petite protubérance qui ne dit rien qui vaille, qui ne vaut rien, qui tache le mur, et lui donne vie ! Vie abstraite, géométrique, perfection, beauté pure, pure forme, pur silence, pure clôture. Pure photo. En toute plénitude, portes fermées, fenêtres obscures. Mondrian décoloré par un soleil noir. Mélancolie de l’apparence, les murs qui ne sont rien et cachent plus qu’ils ne portent. Murs comme des décors, fenêtres qui n’ouvriront jamais, maisons sans intérieurs, géométries en deux dimensions. A plat.
Beauté pure de l’absence humaine. Les choses, les façades, la violence de la lumière donnent de magnifiques compositions abstraites. Convocation de la peinture contemporaine. Cadrages impeccables. Elégances et sévérité. Qui a dit que les grandes œuvres sont sérieuses et ne sourient pas ?
Point Realty
« Point de rencontre pour l’immobilier ». À vendre ? Vendu ? A terminer ? Barreaux verticaux, lames, jalousie, stores à lamelle, horizontaux, tout est droit, angles, cadres, carrés, rectangles, Angles droits impeccables? Une petite trahison : la maison sur un pavement en pente à moins que la maison soit de travers sur un pavement droit.
Un rond survient dans cet univers où tout est angulaire. D’où vient-il ? Une critique lancée à la verticalité, à l’horizontalité, à la façade, au mur ? Le rond est-il accroché au plafond, pendu au mur ? Il peut être par terre tout aussi bien : il n’y a rien pour décider du sens, ni de l’orientation. Il est seul et ainsi a perdu tous ses repères. Absolument seul. Les objets peuvent-ils être solitaires, seuls, esseulés ? ou, quand on les photographie, le sont-ils pour dire au regardeur sa solitude, lui en faire prendre conscience ?
Recherche encore sur la forme, sur la rencontre inopinée d’un cadrage et d’une fenêtre. Arracher au réel ses apparences superflues. Concentrer la vision, l’objectif, sur l’essentiel, un pan de mur blanc. Un grand. Avec un carré noir. Un carré blanc avec des stries noires horizontales. Eviter l’ombre qui laisse planer le risque d’une histoire, d’un temps défini.
Continuous fire polar circle
Fin des géométries, l’art à l’état gazeux
New Reno 1986-1987
Transition de réalité entre le désert désertique et le désert des objets désertés. Le désert serait la nature réduite à l’état squelettique. Quand le désert se remplit d’objets, il devient désert des objets où les objets viennent mourir comme on peut voir des moutons morts qui pourrissent. Les restes squelettiques des objets montrent encore des objets, plus riches, plus troublants, plus beaux.
Candlestick point 1987-1989
Les villes abandonnées ou détruites par la guerre convoquent de puissants sentiments humains ; combien de ruines ont-elles été à la source de grande œuvres et de grandes inspirations ?
Ruines contemporaines : ne seraient-elles que les ordures, les objets démolis et les restes de la consommation, digestion, destruction. Les rats sont les compagnons de l’homme en tous temps, les déchets sont les compagnons de l’homme moderne. Le désert est plein d’ordure, il est vide d’hommes.
L’homme est partout absent dans cette exposition sauf qu’il est partout présent : faiseur de façades aveugles, artisan de fenêtres noires, fabricants d’objets qui finiront squelettiques, TV détruite qu’on reconnait Télé.
L’ordure permettrait de suivre l’homme dans ses œuvres comme on suit le gibier sur ses traces au sol et ses crottes et les branchages détruits ?
Mais n’y a-t-il pas quelques beautés dans cette ordure. Mais le photographe n’a-t-il pas merveilleusement cadré ? Mais aussi quelles recherches subtiles ! Qu’il est intéressant et beau peut-être ce soliveau esseulé, planté au beau milieu de la photo. Je suis resté devant lui pendant un petit moment. Très belle photo que cette photo de soliveau planté en premier plan dans un univers désertique. Belle composition. Bel effet. Si j’avais pu prendre quelque chose… le soliveau et quelques façades…. Aussi, il faut apprécier à leur juste titre ces branchesau feuillage alourdi qui pendent et penchent vers le sol. Ne sont-elles pas judicieusement mises au premier plan. Cette photo est bien faite. La Nature souffrante n’est pas encore souffreteuse et rend bien dans un beau contraste ombre premier plan, lumière second plan. Cadrage impeccable comme un peu plus haut la photo du téléviseur en ruine.
J’ai aimé les tas de pneus érigés en tertre. Pour les funérailles d’un chef local, dynaste régnant sur le royaume des ordures, sur les objets cassés et les restes d’une civilisation qui jette plus qu’elle ne pose ? Mais ne posaient-ils pas ces pneus, pour la photo, pour que la photo soit la plus réussie possible.
Nevada 1977
Ombre et lumière. Solitude des espaces obscurcis. Montagnes en forme de terrils. L’aube est charbonneuse, mais non, c’est la nuit ! Et dans la vallée, maisons jouets ou cubes minimalistes, les maisons en forme de petits objets cubiques ou bien, tout ceci n’est qu’illusion, ce sont des cailloux.
Belle exposition dans l’esprit du BAL. Belle exposition qui renvoie à d’autres œuvres, Marc Cohen, Taiyo Onorato et Nico Krebs et d’autres encore. Belle exposition qui conduit à interroger l’ambiguïté des expositions de photos, de la photo en général.
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