Henry Darger est devenu une icône de l’art brut. Déjà exposé en France à la Maison Rouge, lieu de toutes les audaces dans le domaine de l’art « border line », l’art des fous, l’art des gens que personne ne comprenait et dont on concluait qu’ils étaient donc nécessairement fous, Henry Darger doit maintenant sa consécration à l’exposition que lui consacre le Musée d’art moderne de la ville de Paris. Indiquons immédiatement que la dimension (m2, place dans le musée, et qualité des œuvres) n’est pas impressionnante si on a gardé en mémoire l’exposition de la Maison Rouge.
Une accumulation colossale fait-elle un grand artiste ?
Attention : ne pas comprendre que cette présentation de l’œuvre d’Henry Darger est pauvre au point qu’elle ne mérite pas qu’on se déplace ! Simplement, l’œuvre est tellement colossale, tellement énorme qu’on peut éprouver un malaise. Ce sont des morceaux d’œuvre, des parcelles de représentation, quelques gouttes d’eau prélevées dans l’eau d’un grand fleuve qui sont offerts au regard des regardeurs !
Tant pis ! Il est probable que le jour n’est pas encore venu de livrer davantage encore, si ce n’est tout, de cette œuvre colossale. Et ce jour-là, peut-être regrettera-t-on les résumés d’antan !
Henry Darger? Ce sont des milliers de pages écrites pour raconter l’histoire de gentilles petites filles pourchassées par un peuple de sadiques. Ce sont des milliers de signes accumulés dont on a dit que c’était probablement une des plus fortes et plus puissantes critiques de la guerre de 14-18. Et puis aussi, des récits divers et variés, dont l’histoire de sa vie. Toujours sous forme de pages par milliers.
Plus fou encore, ce sont les illustrations de cette guerre des gentils contre les méchants. Des centaines de mètres d’un papyrus incroyable. Des dizaines de rouleaux parfois illustrés recto et verso car Henry Darger était très pauvre et menait dans la vie de tous les jours une existence misérable. Des centaines de feuilles où le conteur a mis en couleur et en forme les histoires abracadabrantesques des petites filles, les malheurs, les atrocités, les terreurs et les fureurs qu’elles ont traversées durant cette guerre qui terminera bien et qui verra les petites filles triompher du mal.
Facteur Cheval de la littérature et de la peinture, Henry Darger a travaillé comme tous les fous d’architectures impossibles, qu’ils aient été artistes consommés et avérés comme Nicky de Saint-Phalle, qu’ils aient été autodidactes complets à l’instar de Simon Rodia, le constructeur des Watts Towers. Il est en revanche le seul à avoir couvert autant de feuilles en textes et en dessins, s’illustrant et se commentant les uns et les autres.
A-t-il été un artiste parce qu’il a produit des lignes de texte comme les grands fleuves charrient leurs millions de m3 d’eau, de limons et d’algues ? A-t-il fait œuvre d’art parce qu’il a illustré des milliers de lignes de texte au moyen de milliers de dessins se déroulant sur des milliers de pages ? Parce qu’il a été producteur massif, compulsif, a-t-il été un artiste ? Par ce qu’on comprend de sa vie, celle-ci se serait déroulée sous deux formes, celles d’un rêve un peu simplet poursuivi des années durant et celles d’un pauvre type allant de petits boulots en petits boulots, sans famille, sans enfants, sans parents, faut-il déduire qu’il a vécu une vie d’artiste la nuit et une vie banale, grise et sans intérêt le jour ? A-t-il été simplement le dessinateur un peu fou d’une bande dessinée allongée, diluée dans un temps long avec justement pour but de remplir une vie totalement vide ?
Henry Darger était-il un artiste fou ?
A-t-il été fou ? Au sens bien classique que l’on donne à ce mot : quelqu’un qui déraisonne dans sa vie et dans ses pensées ? Difficile à dire pour deux raisons : il est de plus en plus fréquent aujourd’hui que l’accumulation soit prise pour une œuvre. Il est des accumulations spirituelles où l’accumulation ne tient pas à l’empilement mais à la répétition d’un acte au prix d’infimes variations afin que la répétition soit imparfaite et ne soit pas un pur bégaiement, un dire ou un faire recommencés de la même façon, dans les mêmes conditions, sans cesse. L’exemple topique dans ce domaine est donné par Opalka et son travail d’accumulation de nombres et dont on peut lire « qu’il se consacre à l'œuvre de sa vie dont le but est d'inscrire une trace d'un temps irréversible ». Mais d’autres ne sont pas loin de ces répétitions qu’on qualifiera d’obsessionnelles et qui vont du collectionneur de boîtes de camembert jusqu’à l’artiste absolu qui, sans cesse, revient sur une forme en lui apportant de nouvelles couleurs ou qui en renouvelle les détails. Après tout l’œuvre d’un Rothko, celle d’un Poliakoff et de tant d’autres, Viallat, Antaï ne s’appuie-t-elle pas sur une forme d’expression qu’ils ont répétée sans cesse, l’ayant reconnue et légitimée. Ne dit-on pas d’eux qu’ils sont de grands artistes ?
Problématique complexe où entassements, répétitions, accumulations, installations, empilements, agglomérations, incrémentations, accrétions, agrégations, revendiquent une nature foncièrement, essentiellement, originellement artistique.
Forest Gump se crée « artiste icône » et agit en tant que tel … jusqu’au jour où ll cesse de courir ?
Alors, Darger accumulateur de mots et de dessins serait un artiste dans les deux sens du terme : il se serait construit artiste en faisant de sa vie une œuvre d’art et en tant qu’artiste, il aurait produit des œuvres d’art.
Au fait, j’y pense ! Dans ce long discours sur Darger, œuvre et artiste, on n’a pas évoqué les origines de son œuvre. C’est un biais douteux qui me fait sans cesse penser que l’œuvre n’est « d’art » que si, par elle-même, elle se fait ressentir comme telle. Le reste n’est que littérature, tentative souvent creuse de trouver des explications à des choses parfois totalement inexplicables. Mais comme tout le monde n’est pas obligé de suivre mes prédilections, on dira un mot des origines de l’œuvre. On dira qu’enfant blessé, il n’a eu de cesse de blesser (symboliquement) des enfants et de les sauver dans le même mouvement, du moins les héroïnes qu’il avait choisies, car pour les autres, il a jonché les champs de ses batailles imaginaires de centaines de cadavres d’enfants tronçonnés de différentes façons… On n’a pas évoqué son statut d’homme broyé par le capitalisme, dont l'abaissement est un retour à l’humanité pure, à l’homme essentiel, en soi : aussi a-t-il pu regarder les atrocités d’un monde et trouver dans ce monde des Vivians Girls la source d’un rebond vers l’Homme en soi. On sait qu’il était croyant, or on n’a pas dit un mot sur la théorie du salut et de la grâce selon Henry Darger, ne parlons pas de la rédemption. Était-il à ce point dérangé qu’il a poussé une passion fort trouble pour les petites filles à un point encore plus trouble: il a doté de pénis ses petites héroïnes sans pour autant leur donner des airs de garçons.
Problématique complexe en effet. Et passionnante tout à la fois. Mais, à la réflexion, si on conférait le statut d’artiste à tous ceux-là dont on vient de décrire les différentes sources ou manifestation de déséquilibres, le monde croulerait sous les œuvres d’art. Comme ce n’est pas le cas, on restera avec un Henry Darger exposé au MAM et dont les œuvres méritent chroniques!
Ce qui sera fait dans la deuxième partie de cette chronique.
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