24 mars 2012 – 17 juin 2012
Bien sûr on parlera de l’érotisme glacé et des femmes-sculptures qui, sans y penser, balayent de leurs regards indifférents un univers sans âme peuplé d’hommes sans intérêt. Bien sûr, on s’exclamera qu’il n’était pas simplement un photographe de mode. Qu’il n’était pas devenu un photographe à la mode et que son œuvre n’est pas qu’un effet de mode : sa photo, son style, l’admiration qu’ils suscitent, sont d’un artiste, un vrai, pas d’un illustrateur de fringue pour canard de luxe.
Helmut Newton est un grand photographe. Il a d’ailleurs fait de grandes photos, qu’il a nommées « grands nus ». Sa technique est parfaite. C’est toujours rassurant la technique. Voilà un photographe qui a su ne pas succomber aux facilités de la photo prise à la volée. Helmut Newton n’est pas un photographe de guerre. Ni un de ces photographes qui floutent ou bougent pour donner l’impression qu’il y a du mouvement. La technique parfaite d’Helmut Newton lui permet de concevoir un plan très longtemps à l’avance et de l’exécuter vite. D’où une photo magistrale. Pas un cil ne dépasse, pas un poil en trop, pas une hésitation dans le mouvement, ni pied qui tremble, ni vent qui décoiffe. Une expression pour qualifier sa façon de travailler d’un ou deux mots ? On la trouve dans la bande dessinée : ligne claire. Le mot est d’autant plus pertinent que la lumière est exploitée comme un matériau que le photographe utilise et réutilise sans cesse. Lorsque la nuit et le sombre s’insinuent, dans les rues, dans les appartements, dans les jardins, Helmut Newton n’est jamais pris au dépourvu. S’il veut faire une photographie nocturne, il allume les sunlights. La ligne claire, c’est de la lumière comme il en faut, où il faut. Et s’il faut éclairer le noir de la nuit pour qu’on voie mieux. Il n’hésitera pas.
Helmut Newton est un grand photographe. Il a aussi beaucoup réfléchi sur la photographie. Cela donne des phrases, fortes et définitives, que les organisateurs de l’exposition ont calligraphiées sur les murs. Il n’hésite pas à dire « Rien de plus dévoilant que la nudité, fut-elle la nudité vêtue » (1984). Prototype de la phrase qui fait réfléchir : « Qu’est-ce qu’il a bien voulu dire ? » se demande-t-on, appelant au secours tous ceux qui se sont essayés à « dévoiler ». Les sculpteurs grecs par exemple, qui dénudant les corps, inventaient la beauté et qui, laissant leurs concitoyens vêtir les sculptures et les peinturlurer, inventaient dans le même temps la beauté vêtue. C’est peut-être de cela qu’il est question dans les propos d’Helmut Newton ? Ils sont rares, les photographes qui savent théoriser leur travail et livrent le pourquoi de leurs œuvres et en déclinent le comment. Le propos tenu est souvent aux antipodes de ce qui est pratiqué. Helmut Newton n’énonce-t-il : « Je suis très attiré par le mauvais goût... Le prétendu bon goût n’est que la normalisation du regard ». Reconnaissons-là, le prototype de l’antiphrase. Helmut Newton, comme une des ses icônes, Saint-Laurent, n’est pas un instant capable de donner dans le mauvais goût. Résumons : les divas dénudées ou rhabillées, les modèles purement et simplement à poil, photographiées telles que la nature et quelques soins de beauté les ont faites, ne sont pas des manifestations de mauvais goût. Ou alors il faut flanquer à la poubelle toute la statuaire grecque, romaine, celle du quattrocento et celle des siècles qui suivent. Ses propos seraient liés à quelques photos de nus équivoques ? Là, c’est toute la peinture qui y passe. Degas et ses femmes au bain, Gustave Moreau et ses Salomé, sont-ils des pornographes, et Cranach lorsqu’il peint une Vierge? Où se niche donc le mauvais goût quand, Helmut photographie Catherine Deneuve ? Même en donnant dans l’équivoque, Catherine reste Deneuve !
On oubliera donc de se fier aux propos élégants et désinvoltes du grand photographe. Il n’a pas travaillé à choquer son monde. On ne voit pas gicler le sang comme dans les tableaux qui mettent en scène des Salomé, des têtes des Saint Jean Baptiste ou d’ Holopherne, des saint Sébastien transformés en pelote d’épingle etc.… mais non, rien ! Simplement, quelques fois, des types qui considèrent dans un état de semi-sidération des femmes qu’ils n’intéressent pas. Ça ne suffit pas pour obtenir un brevet de mauvais goût.
Helmut Newton est un grand photographe prudent. Il a, fait dériver son œuvre, en prenant des précautions, en bon gestionnaire de la marque Helmut Newton, vers l’érotisme glacé qui l’a rendu si célèbre. Il n’a pas bousculé les interdits. Franchement, rien à voir avec American Psycho ! Quand on dit glacé, avec Helmut Newton, c’est du « niveau congélation » qu’on parle. La preuve ? Dans le coffre de sa voiture trainaient toujours des chaines et des menottes… pas de scènes sado-maso sans ces accessoires prétend-il… S’il avait été un peu transgressif, il aurait passé un coup de fil à Robbe-Grillet pour compléter se constituer une panoplie un peu sérieuse! Heureusement, il a évité la casquette nazie. Preuve supplémentaire que le mauvais goût et Helmut Newton font deux.
Car, Helmut est un grand photographe, mais aussi un sculpteur. À tous moments. Quand il photographie des femmes nues, il l’est au sens le plus profond du terme. On dit qu’une « vraie » sculpture « tourne » dans l’espace et que « tournant » elle fait du temps lui-même, comme la lumière, un matériau partie intégrale de l’œuvre. Helmut Newton sait faire tourner les corps et les visages. C’est là que son intelligence de la lumière est la plus flagrante. Il sait saisir le mouvement dans l’instant d’un pas décidé ou d’un soulier levé, dans l’envol d’un mannequin de Saint-Laurent, dans les boutons d’un chemisier à moitié dégrafé. C’est un peintre aussi. On aimerait le comparer à ces artistes froids que sont certains flamands et absolument l’apparenter à Delvaux et à Magritte qui ont inventé l’érotisme glacé avant tout le monde, femmes sépulcrales et hommes à chapeau, transis et frappés de stupeur sous le regard congelé de Gorgones immobiles et pétrifiées.
Alors, Helmut Newton ne serait pas seulement un grand photographe, il serait un artiste ?
Ne pourrait-il pas être comparé? A des photographes ? Non ! La photographie est trop jeune. Admirant les « grands nus », c’est le souvenir de Canova qu’on convoque. Même technique flamboyante. Même vision glacée. De la sculpture. Classique bien sûr ! Où les larmes de marbre sont si véridiques. Et puis, quelques autres exemples se bousculent : David qui n’a jamais fait gémir de douleur et de souffrance partagée que les fanatiques de Tite-live, de Corneille et de Racine, dénudait quelques modèles de son temps glaçant l’érotisme avant que la technique fût banalisée. Ingres, même lui, Monsieur Ingres que faisait-il avec sa Source, ses Bains turcs et son Angélique menottée et couverte de chaînes, avant même que le sadomasochisme ait été reconnu ? Et Gérôme : sa Phryné devant l’aréopage, ne vaut-elle pas les femmes d’Helmut Newton, déshabillées parfois de force, offertes et abandonnées aux regardeurs. Tous ces auteurs sont des classiques « hyper », des néo-classiques, des sur-classiques. C’est en classique inconscient qu’ Helmut Newton a donné ces photos de nues en tous genres, convenues. C’est en classique qu’il modèle ses sujets et vide de toute personnalité les personnalités que sont Brassaï, Von Bülow, les Wildenstein, une princesse de Monaco, le prince du même pays. Seule Leni Riefenstahl reste elle-même, trop ridée, peut-être, hors de portée d’une « ligne claire » pure et dure ?
Etre un grand photographe, à bien y réfléchir, c’est quoi ? Est-ce prendre de grandes photos ? Ou est-ce renouveler un regard sur le monde, poser des questions, esquisser qu’il peut y avoir des réponses ? Canova donne lance les derniers chants du classicisme en sculpture, David et Ingres en peinture, Rossini en musique. Fin d’un monde ancien. Ils ont soufflé sur quelques braises, insufflant un reste de vie dans un dernier éclaboussement de lumières. Helmut Newton donne une grande leçon d’une photographie qui ne sera plus jamais. Sauf, lorsque pour décorer un penthouse à New-York, un décorateur hésitera entre ces photos et les grands traits trash et naïfs d’un suiveur de Basquiat.
Qu’aurait-il fallu pour qu’il devienne un grand artiste? Peut-être aurait-il du exploiter la veine exceptionnelle de gaité et de vivacité des photos pour Courrèges en 1968 ? Peut-être aurait-il dû s’arrêter de photographier après les deux photos de la rue Aubriot qui datent de 1975…ou le sombre et le trouble s’insinuent ? Ou encore, en 1981, après avoir frappé le grand coup des « nues rhabillées » ?
En 1998, une photo. « En quittant las Vegas ». Mal prise ? Floue, shootée au travers d’une vitre de voiture. Une très belle photo. Elle aurait pu être un début. Elle aurait pu être celle qui annonce un grand artiste.
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