Waiting,
Exposition de photographies et de vidéos d’Erwin Olaf
Galerie Rabouan-Moussion,
11 rue pastourelle 75003, Paris
Étranges, les photos d’Erwin Olaf ?
Il n’y a pas si longtemps, j’écrivais, au sujet d’une autre exposition d’Erwin Olaf à la galerie Rabouan-Moussion:
« Erwin Olaf vit dans un monde où les choses sont visibles. Rien de caché. Pas un détail qui ne parle. Et si les détails n’ont rien à dire, alors, ils sont boutés hors de l’image. La série « keyhole », la série de « Hôtel » disent qu’une douleur ou un sentiment se lisent à la surface des êtres pour autant qu’on veuille bien les voir. Une éthique du détail. Ou plus simplement l’idée que l’essentiel, à l’encontre de la célèbre formule, est visible pour les yeux ».
L’exposition nouvelle que donne la même galerie (mais elle s’est transportée rue Pastourelle, au numéro 11 dans de beaux locaux proposant une très belle surface d’exposition) va plus loin encore. La précision de la photo, le fini extraordinairement soigneux et exigeant des surfaces et des lumières répètent en gris et en clair la plainte élégante et maîtrisée des personnages en latex noir. La plus grande précision s’accompagne des détails les plus vrais. La plus grande exigence ne se fonde que sur des détails suffisants.
Le reste n’est rien.
Je n’aime pas les comparaisons. Elles consistent trop souvent à dire que tel artiste a quelque chose d’un autre, à extrapoler de l’œuvre d’un antique tout ce qu’il contiendrait de moderne ou à enrichir l’œuvre très riche d’un poète en la rapprochant d’une autre peut-être pas aussi « méritante».
Pourtant, (appuyez-vous sur les principes, ils finissent toujours par céder) en considérant les personnages d’Erwin Olaf, j’ai eu une forte impression de pensées transmises par-delà les siècles. Quelques jours auparavant, j’avais visité la magnifique exposition sur le « portrait à Florence pendant la Renaissance » donnée au musée Jacquemart André. Parmi les œuvres présentées, celles de Bronzino éclataient sur les cimaises. Claude Ageon m’avait invité à les découvrir à nouveau et surtout, avec talent, les dévoilait les unes après les autres. D’où elles venaient, dans quel esprit elles avaient été faites. Ce qu’elles représentaient vraiment. Claude décrivait l’art des mains dont les maniéristes ont fait leur marque de fabrique et qui vient adoucir la rigidité quasi-protocolaire des personnages dont ils fixent les traits, les poses et les tenues.
Les portraits de Bronzino en appellent à une perfection qu’on croit formelle, au triomphe de la surface, au lissé des carnations. A la douceur restituée des velours. Les regards paraissent aussi limpides que les perles des colliers et les couleurs éclatent, semble-t-il, pour enchâsser symboliquement les personnages, les abstraire du passage du temps, les extraire des pesanteurs du quotidien.
Et pourtant, au-delà de cette froideur toute de surface, perce le regard des personnages de Bronzino. Et Claude d’insister sur l’équilibre entre une représentation impeccable, entre l’apparence des personnages et la suggestion de la vie intérieure qui les anime. Leur regard, si on cherche à le soutenir, est tout l’inverse de la mise en distance du regardeur. Même si ce regard se perd parfois, il est là qui pèse sur le regard de l’observateur et l’appelle.
Rigidité ? Froideur ?
C’est exactement ce qu’on serait tenté de dire des personnages de « Waiting ». Installées dans un univers parfaitement aseptisé : un « club » dans un grand hôtel, un « bar lounge », elles sont là, assises ou debout. Femmes lisses, peaux noir ébène, yeux en amande, chevelure blonde. Trois femmes, en noir et blanc. Trois femmes qui attendent. Perchées sur de très hauts talons comme les chaises alentours paraissent, elles aussi, perchées. Impeccablement vêtues. Des icônes, dirait-on aujourd’hui. Immobiles à l’instar des portraits de Bronzino. Comme, dans des univers moins froids, on voit des personnages de Hopper.
Elles sont là, assises ou debout, regardant devant elles, plongées dans une pensée qui ne se dit pas. Elles s’imposent dans le silence du Noir et du Blanc. Dans un monde vide, sauf ici ou là, quelques traces humaines derrière un bar ou assises devant une table, sur une chaise banale. Suggérées et jamais montrées. Elles s’imposent en chair et en os. Rien de statufié. Rien en elles ne montre de rigidité. Elles ne sont pas figées, saisies par une absence ou une vacuité.
Le monde qui les entoure, froid, structuré, forme cadre et enferme ; la photo le restitue en angles droits. Impeccable démonstration de mise en page, rien n’est laissé au hasard. Les noirs et les blancs sont équilibrés sans fautes, sans écarts. La banalité des lieux est une mise en scène toute faite de chaises vaguement design et de signaux géométriques. Cela pourrait être tout autant qu’un hôtel, un restaurant ou un bar, un hôpital, le hall d’entrée d’une grande entreprise.
Elles attendent. Deux vidéos mettent en scène l’une des jeunes femmes. Elles restituent l’une et l’autre la même scène prise sous deux angles différents : l’un frontalement, l’autre dans le dos du personnage, légèrement tournée. Elle attend.
La vidéo donne un poids plus fort encore à cette attente. Gestes rares, visage qui s’anime, se détend et puis marque un retour au plus profond de soi.
Qu’attendent-elles ces trois femmes ? Cela n’a absolument aucun intérêt. Comme dans la série « la Honte » où le pourquoi de ce sentiment importait peu. Il était là sous différentes formes. Ici, l’attente est vécue par trois femmes, trois visages, des gestes rares, une tension incroyablement forte. Des gestes rares et précis.
Des détails aussi qui soulignent ce moment. Dans la vidéo, les ongles de la jeune femme sont presque armoriés, calligraphiés ou couverts d’un dessin en forme de carapace qu’on imagine dorée.
Comme les personnages de Bronzino à l’apparence impeccable, nette et claire, appellent le regard du spectateur et annoncent une vie cachée, une vie intense, les trois femmes d’Erwin Olaf, offrent dans une apparence impeccable une vie intérieure poignante.
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