Delphine Balley, Chez Suzanne Tarasieve
7 rue Pastourelle 75003 Paris
Exposition le pays d’en haut
Bernard Faucon à l’envers avec des chambres du désamour : papier peint banal, portes déglinguées, détritus divers, chiffons vieux draps, entassés, recouverts de poussière, téléviseurs au rebut. La photo de Delphine Balley est parente des œuvres d’Erwin Olaf et de tous ceux qui construisent une image, une pensée, une angoisse. S’agit-il d’un mouvement cathartique ? De la projection d’une pensée sur un support pour la mettre sur un mur, dans un livre, au fond d’un portefeuille et s’en débarrasser ?
Il faut dans ce travail, tout de mise en scène, construit, inventé de toutes pièces, admirer la perfection technique mais surtout l’élégance. Dire la peur ou l’épouvante peut passer par des moyens sanguinolents, des plaies béantes et des figures déformées. L’instant douloureux et trouble que Delphine Balley met en photographie s’instaure dans de très grandes images sans mobiliser des armées de détails, de sombres formes et d’allusions expressives.
Si le diable est dans les détails, justement, la photographe sait bien les installer pour qu’il ne puisse pas s’échapper. La photo est précise et ne laisse rien de côté, détritus, choses détruites et abandonnées, corps à la dérive, traces d’incendie et de destruction. Sens théâtral au service d’une photographie austère. Dit-on encore janséniste ? Ce mot trop ancien est pourtant si proche ! D’où est-elle absente cette jeune femme aux yeux bandés par des rubans adhésifs, au corps contraint par des bandes blanches. Qu’a-t-elle à attendre dans cette pièce, au côté du miroir qui ne reflète rien d’autre que ce qu’il a devant lui, le papier peint des murs qui lui font face, le papier peint qui recouvre les murs de la pièce. Le miroir existe-t-il vraiment ou est-ce un cadre denué de miroir, posé sur le papier peint, qui se prolonge de part et d’autre de la cheminée. Le miroir ne réfléchirait donc pas. A quoi pense alors la jeune femme, aux yeux bandés et aux bras entravé ?
Delphine Balley n’est pas une conteuse : ses photos sont un prétexte donné aux regardeurs. Elles portent le rêve et le cauchemar, le nourrissent et proposent un cheminement.
Pourquoi, sur cette cheminée, des fruits, des citrons desséchés et pourris ?
Image de destruction, d’abstraction ? Une photo est prenante parce qu’illustrant splendidement le passage du concret à l’abstrait, de la vie à la mort, des couleurs au noir absolu. Accumulation de fruits pétrifiés, cramés, noircis, brûlés. Ont-ils flambé ? Ont-ils été arrosés d’essence ou brûlés au lance-flamme ? Les traces d’incendies sur le mur contre lequel les fruits sont adossés forment l’appel à la mort. Le noir l’emporte ! La grande tache sombre sur le mur fait pendant à ce qu’était la vie d’avant, la vie de fruits qui ont cramé. La composition de cette photo, l’équilibre des formes, l’inscription dans le temps est un modèle. Derrière ce travail, la grande peinture française qui tire sa force d’un calme absolu et de couleurs de terre.
Chaque photo de cette exposition mérite qu’on s’arrête et qu’on commente. Chaque photo est un appel au regardeur. Que faire en regardant le corps allongé, d’un enfant ou d’une jeune fille sur qui des oiseaux reposent. Mais, les oiseaux ne dorment pas allongés, ailes déployées ! Des oiseaux morts déposés sur un corps ? D’où des fruits ont roulé, vains, secs et abandonnés. Où des chairs doucement roses parviennent à illuminer un lieu que le gris n’assombrit pas. Est-ce un sommeil abandonné ? Un corps abandonné par la vie ? Un rêve qui ne s’est pas encore achevé ?
Le corbeau noir sur un lit de glace blanche est-il mort ? Un fauteuil est-il un nid où attendent leur éclosion les œufs disposés sur les coussins ?
Le mystère, l’interrogation, l’appel au rêve sont là tous disposés, précisément, en tableaux impeccables et sévères. Très belle exposition.
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