Bernard Plossu, à la Maison Européenne de la Photographie
Jusqu’au 5 avril,
L’Italie de Bernard Plossu
Pour un amoureux de l’Italie, les images qui en viennent, les photographes, comme les peintres, comme les écrivains, qui la chantent, la mettent en valeur, la dévoile et vont rechercher ses recoins les plus secrets et les plus charmants ont un avantage « compétitif » très puissant.
Oublions un instant que les photographes italiens ont su rendre magnifiquement et parfois mystérieusement l’Italie des vignobles, celles de grands champs en colline ou en plaine, labourés comme on aurait dessiné. Ils ont montré à quel point l’Italie, c’est la nature domestiqué, organisée par l’Homme, remise en ordre.
Ici, c’est la passion de Bernard Plossu qui s’exprime. Quand on aime un pays, une femme, une histoire, il devient souvent difficile de se poser, de poser et de cadrer : ce serait figer, n’est-ce pas ? Ce serait congeler ce qui doit être brûlant. Le photographe, ici ne voulait pas transformer « son Italie » en prétexte à photo, pas de jolies photos au sens où l’Italie pousse souvent les preneurs d’images à la faute. Elle est traitresse. Elle a forgé les esprits, configuré les regards, structuré pendant cinq siècles l’espace de la représentation. Alors, elle sait bien, l’Italie, que le photographe amateur et même le photographe averti sont des proies faciles. Ils sont acquis sans qu’ils s’en rendent compte. Ils sont prisonniers sans chaînes, ni cellules. Ils sont prisonniers d’un regard qui a déjà tout cédé en une défaite délicieuse. Seuls quelques très grands photographes ont eu le courage d’affronter la séductrice, Giacomelli, est un des plus grands à qui elle a cédé et à qui elle a livré quelques secrets.
Donc, Bernard Plossu, n’a pas voulu faire de la « photo d’Italie ». Il a retranscrit, comme un carnet de notes, comme des poèmes qui vous viennent dans certains moments d’émotions intenses, moments de plaisirs et de sourires qui lui sont venus, ici et là, au hasard de ses promenades. Il n’a pas voulu de Photo-programme ni de photo-belles. Il n’a pas cherché « à renouveler le genre », ni à poser les pierres fondatrices d’un nouveau regard. Bernard Plossu a saisi de beaux moments, des instants de charmes.
Tout est en petit format dans cette exposition. Parfois en très petit format. Voire minuscule. Photo timbre-poste ! Tout est noir quand la couleur n’est pas mise. Ce double trait qui donne aux photos de Bernard Plossu leur dimension d’intimité, de récit pour soi-même. Les regardeurs n’ont qu’à se rapprocher et prendre le temps qu’il faut pour voir après que les yeux se soient adaptés au sombre et au format.
Le cadrage ? bien sûr tout photographe professionnel, expérimenté, ne peut pas ne pas cadrer, même si on lui tire dessus au moment où il shoote son sujet, même s’il n’est pas question de durer plus de cinq secondes. Bernard Plossu s’extrait de ces « contraintes de métier ». Un exemple : dans Ile de volcano 1988, il n’y a pas d’effets de perspectives. Parfois, la photo est « mal prise », penchée, de travers, rompant avec l’habitude traditionnelle du « montrer beau ».
Quelle que soit la taille des photos (timbre-poste ou format classique), la précision, la richesse, la netteté des détails laissent le regardeur comme devant un texte qu’il faudrait lire attentivement, dont il faudrait se rapprocher autant que nécessaire pour mener une lecture détaillée. Pourtant, certaines photos, sont légèrement floutée. Très belle image de « Françoise 1980 » entre un flouté de noir, comme si l’air avait, pareil à un voile, bougé au moment de la photo, et si le blanc des draps, socle, était un encadrement pour donner toute sa valeur au corps de la femme allongée.
Le noir et le blanc, s’associent en gris de toutes les nuances, qu’il s’agisse du gris sombre d’une fin de journée lumineuse dans la région de Bologne 2011 ou cette photo splendide de finesse et de douceur, d’un paysage de peupliers et de brumes (Piémont 2013). Bernard Plossu sait surprendre les objets les plus discrets qui viennent nourrir sa passion. Lucca 2009. Prise en contre-plongée, une silhouette noire, légère et fragile est au loin posée seule sur la plaque chauffée à blanc d’une place ou d’un parking. Le cadrage est fait de volets, ou de noir pur et simple, dont le seul but est de faire « apparaître » cette silhouette.
Rêverie. Ou, soudain, une image qui s’impose. Exigeante qu’il faut saisir en dépit de sa fragilité, vite. Col de la Maddelena 2002, la neige est blanche et abolit toute forme. Pourtant elle se montre aimable, douce et ouverte à l’écriture : Quelques traits, fils, traces d’arbres… des oiseaux, taches noires, s’envolent.
Rêverie ? Rêves en couleur. Pour le plaisir dit le photographe, sans ordre, ni intention particulière. Ou bien, faudrait-il admettre que certains moments des villes italiennes, ceux-là où elles se montrent comme des décors de théâtre, ne peuvent être saisis qu’au moyen de la couleur. La couleur n’est pas tout, le procédé de mise en couleur y est aussi pour beaucoup, le procédé Fresson, celui qu’affectionne particulièrement ce maître de la couleur qu’est Bernard Faucon. La couleur de Bernard Plossu a un charme très particulier : n’attendez pas des hurlements de jaune ou de rouge à la Martin Parr. Les couleurs de Bernard Plossu sont tranquilles et nuancent ses rêveries autour de l’Italie.
Ligurie 2008 et d’autres. Les villes italiennes, leurs places se montrent comme les décors des jeux de la société. Bernard Plossu ne réserve pas ses couleurs aux villes. L’image sur l’ile de Ventoteni 2010 oppose ou marie, les bleus du ciel et de la mer aux carreaux rouges et blancs d’une terrasse. A Livourne, c’est dans un escalier que le photographe saisit une palette de jaune et de verts, couleurs fondues dont l’harmonie efface la banalité du lieu. La couleur se fait aussi révélateur d’un palimpseste de pierre à Matera 2011. On disait de Boudin qu’il était le plus grand des peintres de ciels. Ceux de Bernard Plossu ne sont pas mal non plus !
Comment finir cette chronique manifestement sous le charme ! il y a dans l’exposition comme un cabinet de curiosité qui rassemble les très petits formats. Cabinet de curiosité n’est pas le mot adéquat quoiqu'il paraisse : cabinet de lecture sera le bon mot, où l’artiste veut nous donner à lire les volcans et les villes, les gris si variés et les ciels.
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