Michael Ackerman: voir enfin

 

 

A la Maison Européenne de la Photographie (MEP)

Jusqu’au 16 juin 2013

 

Je ne devrais pas dire « Michael Ackerman…à la MEP ». C’est, selon la programmation de la MEP, un abus de langage. Le vrai titre de l’exposition où se trouvent les photos d’Ackerman, est « Images et Musique ».

 

Une parenthèse. Pour le titre de l’exposition. L’idée « Images et Musiques » est le parfait exemple de la bonne idée. Associer des artistes de la vue (des photographes) à des artistes de l’oreille (des musiciens) est une idée « Editoriale » intéressante. Actes Sud, éditeur de l’ensemble, sous forme de petits livres comportant photos et CD d’accompagnement, fait œuvre sensible et intelligente. Au surplus, associer la musique de Berg et Schoenberg au travail d’Ackerman donne une bonne idée de ce que « correspondances » veulent toujours dire.

 

Fermons la parenthèse. Sur les murs de l’expo, trois photographes. Ici et maintenant, je parlerai des photos d’Ackerman.

 

L’acte de photographier est un des actes les plus faussement simples qu’on puisse imaginer : appuyer sur le bouton après que le sujet ait ou non souri ne résume évidemment rien. Parmi les mille façons de photographier retenons celle qui vient du fond de l’âme ou de l’esprit. Appuyer sur le bouton au moment où ce qui est devant l’objectif est justement ce moment, ce rêve, cette idée qui est là à attendre d’être exprimée, tout au fond du fond de l’artiste ? Est-ce alors une rencontre avec soi-même ? Rencontre avec quelque chose de soi qu’on ne connaissait pas ? Émergence à la vue d’une vérité qui se cachait ? Retrouvaille, pourquoi pas, avec un être cher qu’on n’avait jamais rencontré. « Je dis tu à ceux qui s’aiment, même si je ne les connais pas ».

 

L’acte de photographier serait alors celui qui permet de prendre des vues assez précises de choses qui n’ont jamais été vues ou de retrouver des vies qu’on n’a pas vécues et qui vous hantent tant elles sont familières.

 

Elles émergeraient du brouillard ? En tout cas, chez Ackermann, elles viennent droit du grain argentique, qui, saupoudré sur le papier, rend claire cette idée du rêve qui vient à votre rencontre.

Dans le vieux parc solitaire et glacé, ce ne sont pas des ombres mais des figures familières, des paysages qui ont été regardés durant « la nuit des temps » et qui, défilant à travers la fenêtre du wagon, en sortent, comme sortent de la brume, et ses contours se précisent, une silhouette qui mue en femme, une ombre qui révèle un arbre.

 

J’ai longtemps regardé ce visage sorti d’un glacis de givre, ou petite fille, ou jeune femme, ou … regard perdu, visage esquissé, qui laisse ouverte la question du « qui es-tu ? », « où va ton regard ? », « que suis-je, moi, que tu ne regardes pas ? ».

 

Regarde-t-elle, sans y penser, la maison noire qui la jouxte. Maison Usher plantée en haut de sa colline. Demeure qui repousse. Antre plus que maison. Inquiétante tant elle paraît installée sur un incendie ou un bûcher.

 

Les photos d’Ackerman sont des appels à accepter de voir. A se soumettre au non-vu que nous n’avons pas encore admis à notre vue et qui attend là, au fond, tapi en nous, pour s’incarner. Lumière noire en fait, comme celle de cette ampoule et de son abat-jour, l’une diffusant du sombre, l’autre dessinant un disque lumineux.

 

Le jour, issu d’un lit cotonneux, d’un nuage ou d’un banc de fumée blanche, au loin, planté droit, s’agit-il d’un arbre réduit à son tronc ou d’un poteau télégraphique voué au silence par la disparition de toutes les lignes qu’il portait ? S’agit-il d’invoquer des rencontres qu’on doit faire ou des destins qui, enfin, vous ont retrouvé.

 

 

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