Soliloques sur le Vaste Monde, mai 2023

 

Peut-on  interdire l'intelligence ? 

Combien de petites « Rose » sont menacées ?

Le charme vital des rétroviseurs

Soudain l’ordinateur de vigie s’émut et cria « Hommes » ce qui lança l’alerte.

Peut-on  interdire l'intelligence ? 

 

Le sujet à la mode depuis que l’intelligence artificielle a frappé, c’est le contrôle de ladite. Comment faire pour que cette puissance colossale demeure au service de l’homme et en respecte l’éthique et les vertus ? Voilà la question.

Elle avait été posée par Mary Shelley, l’épouse du poète, dans un livre prémonitoire : Frankenstein. Elle n’avait pas pu éviter l’anthropocentrisme philosophique : le génie humain ne savait pas encore s’incarner dans des successions de 0 et de 1, ce qu’il inventait devait ressembler à quelque chose, à un homme du vulgaire, par exemple, bien incapable de s’exprimer correctement et ne se déplaçant qu’en titubant de façon grotesque. Frankenstein, il faut le rappeler n’est pas le nom de la caricature humaine qui s’est mise à déambuler en semant la terreur. C’est celui de son inventeur, le docteur Frankenstein, ancêtre d’une nouvelle race d’hommes de sciences peu soucieux de conscience ni d’âme. Ils firent irruption dans un monde que la science avait commencé à coloniser. Ils remplaçaient les sorciers, les magiciens et même le diable sous toutes ses formes. Ils remplaçaient les puissances occultes de la nature et les monstres déchirant les cauchemars. 

Incontrôlables prêtres du progrès scientifique, ils se virent confier l’avenir de l’humanité et la maîtrise des forces de la nature. On dira qu’on est loin de ce monde pré-scientifique qu’illustrait Mary Shelley. On dira que la science se veut prudente. Qu’on ne balance plus des bombes nucléaires dans des atolls isolés et que, devenus prudents, les scientifiques se veulent conscience du monde…

Il faut peut-être questionner ce qu’ici conscience veut dire. Il est tentant de travailler sur des cellules souches, sur des brins d’ADN qu’on coupe et découpe. Le risque existe toujours d’une erreur de manip, d’un bout de virus qui s’échappe, d’une mauvaise appréciation qui aboutit en mixomatose*. Malgré les progrès de la prudence, les docteurs Frankenstein sont toujours tentés d’améliorer leurs congénères : peut-on vraiment barrer les initiatives scientifiques ? Tout ceci est bien connu, ce qui est nouveau : le docteur Frankenstein créant une nature améliorée se voit surpassé par son œuvre.

C’est à ce moment que, lorsqu’il s’agit de toucher à l’animal « homme », à sa structure, à son moi cellulaire intime, à son intelligence, à sa conscience finalement, il est urgent d’hésiter. Dans le langage sociétal, « hésiter » signifie « contrôler » car, on l’a montré plus haut, la tentation du scientifique est bien d’aller toujours plus loin. Il s’agirait donc, si on ne peut pas raisonner les hommes (et les femmes ) de savoir et de science, de tenir la bride serrée à leurs œuvres. Dans le cas précis, il s’agirait d’empêcher l’intelligence artificielle d’aller trop loin. D’obtenir de sa part qu’elle fasse un peu la bête. Ayant prononcé ce vœu, l’histoire et la mémoire nous font signe et nous disent de ne pas nous faire trop d’illusions.

On n’a pas besoin d’aller chercher des exemples sophistiqués pour montrer que pareils désirs de contrôle ont été illusoires. Considérons la question de l’arbalète : sa dangerosité conduisit à son interdiction (entre chrétiens). Il ne fallut pas moins que le concile de Latran en 1139 pour que l’interdiction soit prise au sérieux. En France, cette interdiction fut réitérée en 1995 !!! illusion des interdictions définitives….

Un autre exemple montrera que l’homme ne peut, même dans des pratiques infimes, se contrôler et réduire ses ambitions : Le boulingrin, cette sorte de pétanque à l’usage des anglo-saxons, fut interdite à partir du XIVème siècle. Cela ne suffit pas. Il fallut d’autres lois dont la dernière, votée en 1541 sous le règne de Henri VIII, ne fut abrogée qu’en 1845. Malgré l’interdiction, pendant trois siècles, le jeu ne cessa de se développer.
Alors, contrôler l’IA …

 

mixomatose: cette maladie virale du lapin fut introduite en France par un scientifique qui voulait se débarrasser de cet animal dans son domaine...Résultat :en deux ans, la maladie s'était répandue dans toute l'Europe. 

Le charme vital des rétroviseurs

On ne peut pas rester indifférent aux progrès incroyables de la connaissance du passé de l’humanité et du monde en général. Songez qu’on a retrouvé le compte de congés-maladie octroyés à des travailleurs égyptiens employés dans la construction des pyramides. Et aussi, un bulletin de salaire d’un légionnaire romain employé au siège de Massada bastion de la rébellion juive contre l’Empire. Passons sur les fouilles préventives qui ne cessent d’apporter des témoignages d’une France couverte de routes romaines, de sanctuaires païens ou chrétiens, sans parler des riches « villae » ou de villes oubliées. Du passé faisons table rase clamait la célèbre chanson. Tout faux. Nous passons le temps dans notre passé. Nous révons de faire revivre les mammouths laineux, les tigres des neiges (à dents de sabre). Nous tremblons délicieusement à l’idée qu’un virus congelé dans le sol russe pourrait revenir à la vie et nous nous interrogeons avec des frissons romantiques sur ce à quoi le monde pouvait ressembler il y a 2, 4 voire davantage milliards d’années.

 

Vivons-nous le regard rivé dans le rétroviseur ? Dépensons-nous autant d’énergie à comprendre l’avenir, à l’inventer et à le bâtir qu’à béer au passé ? En vérité, suivant les idées socialisantes en vigueur, si les choses, les organisations, les techniques pouvaient ne jamais changer alors on pourrait les organiser proprement. Hélas, les choses ne cessent de changer pareilles au sable fin qu’on ne peut saisir, aux secondes qui s’enfuient et même à l’univers dont on dit qu’il s’épand de plus en plus vite.

 

J’imaginais, il y a peu, lors d’un colloque sur la vie économique, l’exemple étonnant de l’abbaye de Cluny. Quasiment détruite comme on sait. Pas par la méchanceté ni la bêtise humaine. Par l’application sereine et paisible d’un raisonnement économique : ce gigantesque bâtiment, la plus grande église de la Chrétienté devant Saint Pierre de Rome, a été proprement démonté. Il ne servait plus à rien, personne ne trouvait d’intérêt à son maintien et encore moins à son entretien. C’est donc un tas de très belles pierres qui a été vendu à un carrier. Les pierres de Cluny ont été employées dans des maisons privées, des chateaux, d’autres églises, des caves pour protéger les barriques de vin, on a bâti des ponts avec ces pierres. Le matériau était bon, et franchement pour les ouvriers, c’était plus simple d’extraire des pierres déjà taillées que d’aller les arracher à flanc de côteaux ou dans des mines.

 

Oui, bien sûr, elle nous manque maintenant cette bonne vieille abbaye dont il ne reste qu’un morceau de transept.

A bien y réfléchir, cette histoire n’est-elle pas emblématique du rythme de la vie. Si on avait maintenu en état la fameuse abbaye, combien de villages, de routes ou d’ouvrages publics n’auraient du leur existence qu’à des dépenses considérables… et n’auraient pas vu le jour. L’avenir n’aurait-il pas été bouché pour de nombreuses activités ? A maintenir debout en activité, une entreprise qui n’intéresse plus personne, ne crée-t-on pas un obstacle pour les fameuses jeunes pousses. N’est-il pas frappant que nous entendions davantage de plaintes portant sur le lent effondrement d’entreprises autrefois glorieuses que d’applaudissements pour celles qui réussissent ? Il faut défendre l’emploi disent les uns qui, trop souvent, ne cherchent qu’à fixer sur place les troupes utiles à leurs manifestations. Il faut défendre l’ancien héros industriel, disent les autres. Il est trop dommage que soient démantelées ou vendues à l’encan les vieilles gloires du passé industriel. Où donc ont-elles démérité, les Usinor, les General électrique, les Bull ? pourquoi ne les a-t-on pas davantage protégées, elles qui faisaient notre admiration.

 

Quelque soit l’activité ou le thème, la vie regardée dans le rétroviseur, est plus ensoleillée, plus rieuse, plus collective. Il est vraiment plus sympathique que les gamins figés sur leurs smartphones, cet enfant au béret de retour à la maison avec son chargement de bouteilles de pinard. Rappelez-vous le regard joyeux des ouvrières à la chaine, elles avaient échappé aux travaux des champs.

 

Décidément ce n’est pas en fantasmant sur la bataille d’Austerlitz ni en s’attristant sur la chute de l’Empire romain qu’on trouvera les ressources nécessaires à l’invention du futur.

 

 

A tout réfléchir a-t-on vraiment le choix entre Mélenchon et Elon Musk ?

 

Combien de petites « Rose » sont menacées ?

 

 

On lit dans la presse : « Placé en garde à vue, l'adolescent (meurtrier de la petite Rose) a eu plusieurs évaluations psychiatriques. ... Le procureur de la République… a déclaré que le suspect souffrait d'une "altération du discernement". Mais également qu'il montrait une “dangerosité pour les autres”.

En d'autres termes : un pervers infantile donc irresponsable, inconscient de la portée de ses actes, insensible à son prochain et prenant plaisir à sa souffrance.

Les pouvoirs publics, ces dernières semaines, s’inquiètent des coupures de courant « ciblées » dont plusieurs compétitions sportives ont été victimes. La « procédure » suivie par la CGT, commanditaire de ces coupures, est très simple : l’objectif est de montrer la force des adhérents de la dite centrale qui peuvent décider de couper l’électricité à ceux qui la gênent ou plus massivement de telle sorte qu’un maximum de gens en soient victimes quoiqu’il en soit de leurs opinions sur les sujets qui font vibrer le syndicat.

Le match entre Agen et Nevers a été interrompu par une coupure d'électricité générale au stade Armandie par la CGT, qui a revendiqué l'action sur Twitter avec un message au ton ironique : « la CGT Énergies 47 revendique la mise en sobriété énergétique du Stade Armandie ». Par la même occasion, la CGT avait mis en sobriété énergétique des centaines d’habitations et d’immeubles dans la proximité du Stade, le ciblage « précis » de la CGT étant une des forfanteries dont ladite centrale syndicale est coutumière.

La CGT revendique « une quinzaine de villes » ciblées par des coupures de courant ces derniers jours. Elles n’ont pas été choisies au hasard par les militants de la CGT, elles ont été ciblées en raison de la « couleur politique » de leurs maires. C’est-à-dire en raison de leurs soutiens à la réforme des retraites.

L’électricité a bon dos. Le blocages des raffineries et dépôts de produits pétroliers, ciblés aussi, visant surtout l’ile de France participe de cette méthode. Et le blocage des routes ou des voies ferrées etc.

Résumons : un tout petit nombre de personnes peut déclarer la guerre aux institutions, par tous moyens, et provoquer des dégâts dont ils se jugent irresponsables. Ce n’est pas leur faute mais celle des gens qui n’ont pas la bonne opinion. Ou bien, quand le ciblage n’est pas directement politique, il s’agit de montrer aux bonnes gens que leurs spectacles et leurs loisirs pourront être ratatinés au titre de démonstration « civique ». Ils ne voulaient pas participer activement à la vie politique ? Les voilà corrigés, c’est à dire concernés.

L’irresponsabilité de ce petit monde se niche dans des situations inattendues : récemment, des conducteurs de métro ont fait valoir leur droit de retrait en protestation contre l’inculpation d’un de leurs collègues, conducteur d’une rame qui a provoqué la mort d’une passagère. Un conducteur de bus, un conducteur de métro, on l’aura compris, ne peuvent pas être tenus responsables des blessures mortelles provoqués par les engins qu’ils conduisent. Ils disent : « C’est pas ma faute », comme autrefois lorsqu’ils avaient envoyé à l’hôpital un petit camarade dans la cour de récréation. « C’est pas ma faute, c’est celle du prof ». « C’est pas ma faute, c’est la rame qu’est mal conçue », « C’est pas ma faute, elle se débattait alors j’y ai réglé son compte ».

La vraie question va devenir : comment peut-on faire vivre la démocratie dans un monde peuplé d’irresponsables, infantiles qui croient vivre leur vie sociale comme ils vivent leur vie de gamers où il suffit de faire « play again » pour échapper aux conséquences de mauvaises manœuvres. « C’est pas ma faute, c’est la manette qu’est pas bien faite ». Alors « return » et on efface les imbécilités et on revient au statu quo ante. On efface le temps des conséquences de ses actes. On retourne dans les bras de maman et des tartines de nutella et le « j’y peux rien, c’est les autres ».

Et puis, on est libre, quand même ! On a bien le droit de faire ce qu’on veut. C’est ça la liberté. Les autres ? Ce serait un comble que les autres s’en prennent à ma liberté et prétendent la limiter à la leur ! Et puis, s’ils sont moins nombreux que moi et mes copains, ils n’ont absolument aucun droit à entraver l’exercice de ma liberté et de toute façon, s’ils n’osent pas s’opposer, c’est qu’ils approuvent.

Et si l’adolescent tueur, du fait de son absence de discernement, s’était cru menacé ?

Soudain l’ordinateur de vigie s’émut et cria « Hommes » ce qui lança l’alerte.


« Guttenberg, en 1450, dans son atelier de Mayence, met au point le procédé de l’imprimerie : le premier livre imprimé, la Bible à quarante-deux lignes, dite Bible de Gutenberg, parait en 1454. En Europe, ce sont quinze à vingt millions de livres qui seront imprimés avant 1500. Deux cents millions pour le XVIe siècle, cinq cents millions au XVIIe siècle et un milliard au XVIIIe siècle ».

Ces extraits d’un article de Wikipédia disent presque tout de la révolution intellectuelle d’où a émergé le monde moderne.

Tout naturellement, cette révolution « intellectuelle » conduisit à des bouleversements phénoménaux dans l’ordre religieux, politique, culturel et économique. L’impact qu’a eu l’imprimerie sur la conscience et la psychologie humaine a été phénoménal, l’accès massif à la lecture ouvrant à chacun, l’accès individuel à la culture, à la science et même à la religion.

On pourrait utiliser une expression qu’affectionnent les fans de « crypto » : cette révolution a rendu obsolète les missions des « tiers de confiance »: les prêtres et tout le système de la hiérarchie catholique, les seigneurs et l’aristocratie rassemblés dans l’ordre féodal et ses hiérarchies de nobles d’épée ou de robes. Elle a provoqué le cantonnement progressif de leurs rôles sociaux et spirituels avant de les faire disparaître.

L’Intelligence artificielle telle qu’elle est annoncée par ses détracteurs comme par ses adulateurs est-elle la vraie réédition de la révolution de l’imprimerie ? On a longtemps pensé à l’informatique et surtout à sa manifestation médiatique via l’internet. En vérité, le véritable coup d’envoi d’une révolution globale nous vient de la fameuse IA.
« La fameuse IA » serait donc la descendante de la « fameuse imprimerie » ? Elle repose sur des textes anglais essentiellement. Cela ne fait-il pas penser à cette remarque concernant l’imprimerie : 75% des livres édités au XVème siècle était écrit en latin. Ne parle-t-on pas de la même chose ?

Cela fait partie des fameux « biais » qui invalident une efficacité à 100% ? Ne faudra-t-il pas que l’IA apprenne à penser en d’autres langues ? C’est alors qu’on pourrait dire qu’il y a vraiment intelligence et qu’on pourrait commencer à s’éloigner de « l’artificielle ». Le bon test ? Ce sera la bonne traduction de « Game of words » qui ne deviendra pas les « maux du je » au lieu des « jeux de mots ».

En vérité, cette affaire des « biais » est un « biais » en lui-même: à force de parler des défauts de l’IA ou d’une faiblesse congénitale on en viendrait à des critiques haineuses car faite par des Américains elle penserait comme eux: « garbage in, garbage out ». A force de corriger les biais, disent ses détracteurs, on finira pas se retrouver avec des IA de droite, des IA de gauche, des IA shootées au sexe, des IA musulmanes qui ne pourraient s’empêcher d’introduire « Allah est grand » tous les trois mots conduisant à des dépenses énergétiques colossales ; on aurait même un IA pour les Spartiates au fonctionnement fort peu coûteux en raison du laconisme caractéristique des habitants du Péloponnèse.

Admettons que nous poussons ici l’application de « biais » un peu trop loin. Quand on veut bien y réfléchir, quand on se saisit sérieusement de la comparaison avec l’imprimerie, ne voit-on pas que ces considérations sont « petit-bras ». La richesse, l’impact et la puissance de l’imprimerie lui sont venus des livres qu’elle a permis d’imprimer dans toutes les langues, sur tous les sujets, dans tous les domaines de l’activité humaine. Ce n’est pas l’imprimerie qui a érigé les bûchers où on brûlait des livres. Ce n’est pas elle non plus qui a provoqué l’émergence de ce genre intellectuel si particulier : le Roman. Et si les chrétiens se sont étripés, ils ne le doivent pas à l’imprimerie, même si la lecture de libelles agressifs imprimés à des milliers d’exemplaires y a été pour quelque chose.

L’intelligence artificielle ? On n’y trouvera que ce qu’on y mettra comme pour l'imprimerie.
Et le jour où les Chinois s’approprieront le système, on trouvera quelqu’un pour dire que l’intelligence artificielle c’est du chinois.

 

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