Soliloques sur le vaste Monde, juin 2015

Chroniques du mois de juin


- Pourquoi il ne faut pas avoir peur des "Euros Grecs"

- Une chimère monétaire: l'Euro grec

- La fin de l'inflation, l’appauvrissement des pauvres

- Connecter les seniors, un devoir pour les jeunes

- Les petits de l'argent

- Dîner Blanc


Pourquoi il ne faut pas avoir peur des «euros grecs» ?

Lu dans le Figaro

Par Jade Grandin de l'Eprevier

Mis à jour le 06/07/2015 à 16:14

Les billets imprimés par la Banque de Grèce sont acceptés dans toute la zone euro.

Quelques Européens s'alarment de détenir des billets en euros imprimés par la Banque de Grèce, craignant qu'ils perdent toute valeur. Autorités et spécialistes rassurent, mais la théorie se dote d'arguments conspirationnistes.

Préparez-vous à changer de regard sur les billets en euros. La perspective grandissante d'une sortie de la Grèce de la zone euro suite à la victoire du non au référendum a fait réémerger une abracadabrante théorie selon laquelle pour un même montant en euros, certains billets auraient moins de valeur que d'autres. Pour la majorité des spécialistes, c'est une légende urbaine. Mais un petit nombre d'individus, plutôt critique du système monétaire actuel, met en garde contre les «euros grecs», des billets en euros imprimés par la Banque de Grèce et qui circulent dans toute la zone euro. Déjà évoquée en 2012, lorsque la Grèce avait de justesse échappé à la faillite, cette rumeur s'appuie sur un fait peu connu du grand public: chaque billet en euros dispose d'un numéro de série permettant de savoir où il a été imprimé.

Encore faut-il être au courant, mais on peut savoir facilement d'où viennent tous les billets de son porte-monnaie: il suffit de regarder au verso le numéro composé de deux lettres et dix chiffres. Si la première lettre est un U, il a été imprimé par la Banque de France. Si c'est un X, par la Banque centrale allemande, la Bundesbank. Si c'est un Y... par la Banque de Grèce. Chaque fabricant d'euros est représenté par une lettre (symbolisant l'imprimerie ou le pays, selon la date de création du billet), qui est consultable en ligne.

Ce billet de la «série Europe» (depuis 2013) a un numéro de série qui commence par un S, il a donc été imprimé par la Banque d'Italie. Crédits Photo: BCE/ Creative Commons

«Ils veulent vous faire croire que tous les billets en euros se valent entre eux»

Antal Fekete, économiste partison de l'étalon-or

Une distinction méconnue, et c'est justement cette discrétion qui a donné lieu à des théories presque conspirationnistes. «[Les autorités de la zone euro] essaient de cacher que le X signifie que le billet a été émis par l'Allemagne et le [Y] par la Grèce», déclare dans une interview de 2011 l'économiste Antal Fekete, partisan de l'étalon-or. «Ils veulent vous faire croire que tous les billets en euros se valent entre eux. Mais ce n'est pas le cas légalement. Car certains sont au passif de l'Allemagne et d'autres de la Grèce ou d'un autre pays». Une référence à la définition du billet: c'est une créance que l'on détient contre une banque déterminée. Or, comme l'explique au Figaro Pascal Ordonneau, ancien PDG d'HSBC Invoice Finance, «si un billet est émis par une banque qui n'a pas bonne réputation, quelqu'un peut ne pas vouloir l'accepter, ou ne vouloir l'échanger contre seulement une partie de sa valeur, de peur que la banque d'origine n'honore pas ce billet».

Ceux qui trient leurs euros

Du coup, une étonnante pratique s'est développée. «Beaucoup de gens trient les billets d'euros», assure Antal Fekete. «Ils gardent ceux avec un X et rendent les autres à la banque. Je sais que ça se passe en ce moment mais je ne sais pas quelle envergure cela prend. Mais je peux prédire que de plus en plus de gens vont trier les billets et garder ceux avec le X parce qu'on leur fait davantage confiance». La pratique pourrait se répandre dans le cas d'une nouvelle crise grecque, confirme Pascal Ordonneau: «en situation d'incertitude, on recherche la sécurité par tous les moyens, quelque soit le prix. Or dans l'imaginaire populaire c'est mieux d'avoir des billets allemands que des billets grecs.»

En effet, en 2012, une agence de voyages britannique a conseillé à ses clients de «se débarrasser» des euros grecs , les avertissant que les billets pourraient perdre toute leur valeur si la Grèce sortait de l'euro et que les billets «Y» faisaient office de monnaie de transition. Elle a aussi suggéré de se débarrasser des euros espagnols «au cas où». L'article, publié sur son site internet, a rapidement été supprimé. En septembre 2014, des Ecossais se sont demandé, dans le cas d'un Oui à l'indépendance, ce qu'il adviendrait des billets en livres sterling émis par les banques écossaises. Si quelques rumeurs se propagent depuis sur Internet, leur audience reste limitée. Le bloggueur «Z», fondateur du «Blog de la résistance», a déjà alerté les internautes à plusieurs reprises. D'après lui, «ce mouvement va s'amplifier, c'est une certitude. Par effet de troupeau , et surtout chez les partisans de l'or».

Cours légal

Pourtant, beaucoup d'arguments rationnels déconstruisent la théorie des euros grecs. D'abord, les banques nationales n'impriment pas les euros pour un Etat donné mais pour toute la zone euro. Ce qu'elles ont choisi de se répartir, ce sont les coupures. Ainsi la Banque de France, premier fabricant de la zone euro, imprime surtout les coupures de 5, 10 et 20 euros - depuis 2002, elle a émis 39 % de l'ensemble des billets de 10 euros de toute la zone euro ; alors que l'Allemagne imprime surtout celles de 100, 200 et 500. Un billet de 10 euros dans le porte-monnaie d'un Grec a donc de grandes chances d'avoir été imprimé en France, et un de 100 euros, en Allemagne. La Grèce étant par ailleurs une économie de tourisme, on peut gager de la diversité des euros qui y circulent. Si la Grèce sort de l'euro et doit utiliser une monnaie de transition, ce ne sera donc probablement pas les billets «Y», et même dans ce cas, le «Y» à lui seul ne suffirait pas à différencier le billet d'un vrai euro; il faudrait le transformer, le tamponner.

«Les billets en euros où qu'ils sont produits ont le même pouvoir libératoire»

La Banque de France

A la Banque de France, on rappelle que «les billets en euros où qu'ils sont produits ont la même valeur faciale et le même pouvoir libératoire». Un commerçant, une banque ou tout acteur économique qui refuse d'accepter des «euros grecs» est passible de poursuites: tant que la monnaie a cours légal, il est obligé d'accepter l'appoint. «Ou bien la Grèce est dans l'euro où elle ne l'est pas», insiste Pascal Ordonneau. «Il est absurde qu'une monnaie faisant partie de l'euro ait une valeur différente pour certains citoyens européens, que certaines banques créeraient un bon euro et d'autres un mauvais euro».

Spéculation

Ce qui pourrait se passer, en revanche, c'est que les billets en euros deviennent objet de spéculation en Grèce. Les épargnants craignent que leurs dépôts bancaires soient dévalorisés, ont retiré leur argent aux guichets dans des montants records avant que les retraits ne soient bloqués. La monnaie fiduciaire (les billets) étant plus recherchée que la monnaie scripturale (les dépôts bancaires), on pourrait imaginer, dans l'hypothèse d'une pénurie de billets, qu'une coupure de 100 euros s'échange contre 150 euros sur un compte en banque.

Quant aux euros grecs, si la Grèce sort de l'euro, elle n'aura tout simplement plus le droit d'en imprimer. La production de billets estampillés d'un «Y» prendrait fin. Et qui sait, ceux-ci devenant rares, ils pourraient gagner de la valeur aux yeux des collectionneurs et valoir... plus?


Humeur 105. La fin de l’inflation: l’appauvrissement des pauvres


La fin de l’inflation est souvent citée parmi les évènements économiques les plus marquants des 25 dernières années. Elle serait morte ou mourante ou frappée d’une anémie pareille à un encéphalogramme plat. La BCE qui, dans ses objectifs voire ses statuts, avait pour mission de protéger le monde européen contre le retour du vieux monstre, de la bête immonde dévoreuse d’épargne, tueuse de retraités et faucheuse de petits fonctionnaires, s’est surprise à chercher tout l'inverse. Elle ne se bat plus contre l’inflation mais au nom de son retour. On dit même que Mario Draghi, se souvenant de la Rome antique et de ses ancêtres, ausculte les entrailles des animaux sacrifiés pour trouver des signes. Mais la déesse, dit-on, est retirée au plus lointain de l’Olympe dans des contrées innommables restées inconnues à Dante et à Virgile.


Jens Weidmann, le concurrent de Mario, aurait-il manié l’anathème trop fort, hurlant sans cesse mais hors de propos : «Herraus Hyperinflation» alors que les prix de toutes les choses n’ont cessé de baisser. Les téléphones portables sont de moins en moins coûteux. Pareil pour les voyages en avion, en train et en voiture. La hi-fi, les ordinateurs tendent vers le prix des commodities. Les produits surgelés dégringolent. Le «Big Mac» est de moins en moins cher pour tout le monde : son prix ne cesse de baisser là où on peut en consommer.


«Là où on peut en consommer…». Il faut s’arrêter à cette phrase anodine car elle ne l’est pas. Peut-on consommer du «Big-Mac partout»? La baisse du prix du Big Mac n’est-elle pas finalement locale? La baisse relative du prix du Big Mac dans certains pays ne serait-elle pas compensée par sa hausse dans d’autres pays au sein desquels les consommateurs seraient écartés des marchés par centaines de milliers. Ils seraient «exclus de consommation». La baisse de l’inflation, si frappante, doit-elle être corrélée avec d’autres indicateurs?


A-t-elle un rapport avec la montée du «no hope» générateur des désespérances de masse. La baisse de l’inflation a-t-elle comme contrepartie la hausse de la pauvreté des enfants, de la malnutrition, de l’accroissement des inégalités? Les consommateurs des pays développés peuvent se gorger de  «Big Macs» et d’ordinateurs et de jeux vidéo et de peer-to-peer. Ils peuvent voyager dans des zones qui ont su rester merveilleusement authentiques et proches de leurs origines. Belles origines, en effet, qui se nomment aujourd’hui famine, malnutrition, retard économique, analphabétisme et migrations massives.


La baisse des prix aurait enfanté un monstre, une fille indigne: la hausse des guerres civiles et des massacres, des Somalie, des Soudan, des cartels de la drogue, des mafias et des djihads en tous genres. Ce serait la victoire d’une conception de l’Homme: une comptabilité en partie simple! Les prix qui baissent offriraient de la consommation en plus, ici, et de la mort en plus, là. La baisse tendancielle du taux de l’inflation serait alors la conséquence d’un transfert cynique de vitalité d’une partie de la planète à l’autre.

Humeur 104: Connecter les Seniors, un devoir pour les plus jeunes !

On rêve de seniors pris en charge par des robots dans la vie de tous les jours. Ils ressembleraient, ces robots, à des japonaises accortes, à des chiens de compagnie, à des R2D2 pour les vieux fans de la célèbre série, à toutes sortes de choses ou de gens choisis dans le but de rassurer la victime, pardon, le bénéficiaire de la prestation robotisée.


On n’a plus besoin de rêver. Ces performances multiples, elles sont là, en général dérivées des machines militaires. Ainsi de la mule électronique qui porterait le cabas, venue directement de ces engins destinés à délester le soldat qui crapahute du paquetage qui l’encombre. Ainsi du robot exosquelette qui vous enferme délicatement le senior dans un réseau de muscles et d’os artificiels branché sur le cerveau via une puce implantée directement dans le crâne : on sait que l’armée française mettra en place des compagnies de «soldats augmentés» dans les vingt prochaines années. Et aussi, les petits-enfants électroniques sautillant de gentillesse qu’on pourra mettre sur «pause».

  

Pour nos chères têtes blanches, nous aurons aussi des robots communautaires. Un souci de santé ? Le robot médecin sera là. Il diagnostiquerait  un problème d’organe? Une imprimante trois-D multi-fonctions (qui imprimera aussi un expresso de qualité) procédera à la construction d’un estomac de remplacement. Pour les plus atteints, ceux dont la mémoire s’efface, des clouds connectés en permanence seront prêts à réinjecter du passé et des pensées «comme autrefois» dans le cerveau des seniors (à la condition d’avoir pris l’abonnement «memorycloud» depuis le plus jeune âge possible). Une prestation «spéciale» est en cours de développement : le passé injecté ne serait pas celui du sénior concerné mais, ou bien celui d’un autre, ou bien un passé totalement imaginaire.


Au moment où tous ces objets connectés seront mis en œuvre, la part des seniors dans la vie sociale et politique sera devenue déterminante. Seront alors bien utiles toutes les machines équipées d’algorithmes sociaux dans le but de fournir des directions mentales solides aux gens qui perdent le nord. Bien remplir sa déclaration numérique d’impôts, bien répondre aux enquêtes d’opinion, ne pas se tromper dans les dates d’anniversaires des petits et arrière-petits enfants, sont les services basiques qu’on pourra en attendre.


Et voter aussi. Dans une société dominée par les personnes âgées, peut-on les priver de l’honneur de participer aux grandes décisions politiques, régionales et locales ? Les recherches avancent à grand pas et s’orientent vers la mise en place de machines totalement personnalisées. Le «Big data», cette fantastique capacité dont les machines seront dotées de tout savoir, tout connaître, tout calculer sur les gens et leur comportement, sera couplé avec les machines à voter «sans contact». Grâce aux capacités prédictives du big data et sans avoir besoin de toucher quoi que ce soit, d’un battement de paupières, les seniors, quel que soit leur âge mental, prendront des décisions sages, en harmonie avec les prévisions des algorithmes fournis par les pouvoirs publics.

Humeur 103: Les petits de l’Argent...


L’argent va-t-il enfin faire des petits? Question lancinante, question millénaire, que dis-je, plus de deux fois millénaires : rappelez-vous les leçons du maître des maîtres en philosophie, Aristote. Rappelez-vous comme, dans ces formules ciselées dont il avait le secret, il énonçait : «l’argent ne fait pas de petits». Or, l’homme qui va ainsi forger une des ancres de la pensée économique, est aussi celui qui a défini pour les siècles à venir les trois fonctions de la monnaie. Aussi peut-on comprendre qu’avant d’insinuer cette insolence «Aristote se trompe!», il a fallu que des siècles s’écoulent et que la Réforme soit passée par là. Il a fallu aussi qu’on accepte l’idée que le soleil tourne autour du Soleil. Il a fallu des révolutions.


On sait que les idées d’Aristote sont encore vivaces sous de certains cieux : les disciples de Mahomet suivent encore ce précepte et toute une finance «charia compatible» se fraie un chemin dans l’univers de la finance internationale. L’argent ne fait pas de petits? Mais alors comment rémunérer l’homme qui fournit de l’argent à la société? Comment faire que l’accession à la propriété soit possible? La Finance islamique le sait et peut satisfaire vos aspirations aristotéliciennes.


Ces idées seraient marginales? Erreur! On entend, ici et là, craquer les croyances en une capacité de l’argent à faire des petits. N’avons-nous pas constaté que l’inverse était possible et que l’argent loin de faire des petits les dévorait : que sont les taux d’intérêts négatifs sinon une manière malsaine qui vient à l’argent perverti dans les moments de crise et qui le transforme en cannibale. Faire payer le détenteur de capitaux pour lui permettre de prêter, n’est-ce pas la même chose que de lier un bras à l’ouvrier qui voudrait se mettre à l’ouvrage?


Les taux d’intérêts négatifs a-t-on fait remarquer sont une perversion de l’idée qu’on peut se faire du temps (Le temps c’est de l’argent, et pendant ce temps l’argent fait des petits). Les taux d’intérêts négatifs reviendraient à faire l’inverse de ce que les tenants de l’économie moderne (c’est-à-dire antiaristotélicienne) pensaient avoir gravé sur les colonnes du temple.


Eh bien, ils avaient tort. Beaucoup d’acteurs et de penseurs du monde économique et social imaginent que cette conception de l’argent est la bonne, Aristote ou pas, Charia ou pas, et qu’il faut reconsidérer notre rapport à l’argent.


Le meilleur moyen pour que la monnaie soit totalement incapable de faire des petits, c’est-à-dire croisse en proportion du temps écoulé, c’est de lui interdire l’accumulation des intérêts sur les intérêts sur les intérêts. Il faut donc instaurer une monnaie qui ne peut grossir. Mieux encore, pour que les choses soient vraiment claires, il faut que sa valeur se contracte au fur et à mesure que le temps passe. C’est ce qu’on nomme la monnaie fondante. Alors, soit par l’effet des taux d’intérêts négatifs, soit par le moyen d’une nouvelle monnaie, les préceptes d’Aristote reprendront la place qui leur revient. Enfin les effets auront des causes. Enfin la terre redeviendra le centre de l’univers. 

 

Quand Libé, met en balance la Gare de Vintimille et la Cour carrée du Louvre

Ce commentaire est étrange. Il vient, quatre ans après la parution de mon "Et si...les dîners en blanc"... Il est vrai que le Blanc est le symbole de l'éternité et porte avec lui un peu de paradis. 


Il est vrai que le noir n'est pas tout l'inverse, il est lui aussi porteur d'éternité mais il est tout aussi vrai c'est de celle de l'enfer. 


En tout cas, aller dénicher un article écrit il y a quatre ans pour faire "honte" aux affreux participants à ce dîner "en blanc", soupant élégamment pendant que crèvent de faim des migrants bloqués à Vintimille (en fait, ils ne crèvent pas de faim), relève d'une curieuse mentalité. 


C'est cette mentalité nouvelle qui va rechercher dans le passé les signes d'une méchanceté aujourd'hui. C'est ce qui fait qu'un écrivain ne peut pas avoir écrit hier de bonnes choses si aujourd'hui ses textes sont hors contexte ou, pire, vont à l'encontre du contexte. 


Très dangereux tout ceci. Tant pis pour les écrivains: Scripta manent! Tant mieux pour Libé, le travail d' anathématisation en est facilité: il suffit de se plonger dans le passé pour y chercher les racines d'un mal dont on vient de découvrir l'existence.


Très dangereux, c'est un retour la "nov langue", à Torquemada et à tous les Vichynski que la terre ne se flatte pas d'avoir porté. 


Il devient donc très dangereux que d'écrire aujourd'hui: il faudra penser à ce qu'on pourra en penser demain. Le plus simple, pour avoir la paix, sera de ne pas écrire. Pas de vagues: on ne sait jamais, si gentilles pour les petits enfants qui jouent au bord de la mer, elles peuvent vite muter en vagues scélérates ou en Tsunami. 



PS: J'ai eu un moment, une idée: Libé s'en prenait à une chronique vieille de 4 ans pour cette seule et unique raison qu'elle est exceptionnelle et risque de continuer à porter un message délétère avec une puissance incomparable. Il fallait donc, face à la force et l'extrême pertinence de ce texte, contre-attaquer, nonobstant son ancienneté et, justement, à cause d'elle. 

Trop flatteuse cette idée! Ma modestie naturelle m'a poussé à l'éconduire avec douceur mais avec fermeté.  




de     "Jimdo Team" <no-reply@jimdo.fr>      

à       pascal.ordonneau473@orange.fr

date  14/06/15 16:17

objet Nouveau commentaire sur un article de blog de votre site Jimdo



Bonjour,

 

Libé a laissé un nouveau commentaire à votre article de blog http://www.pascalordonneau.com/2011/06/20/et-si-le-dîner-en-blanc-était-l-acte-artistique-le-plus-audacieux-depuis-carré-blanc-sur-fond-blanc/ sur votre site Jimdo http://www.pascalordonneau.com/.

 

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Le dîner en blanc, pas si propre que ça


Libération 12 juin 2015 à 10:35


Taches.


Hier soir à Paris, pendant que des migrants étaient encerclés par la police dans une ancienne caserne de pompiers, dix mille personnes habillées en blanc s'éclataient au jardin des Tuileries et dans ceux du Palais Royal, sans autorisation évidemment puisque le principe de ce «dîner en blanc», c'est qu'on reçoit un message indiquant le lieu de rendez-vous quelques minutes avant que ça

commence.


Bref, tout ce petit monde peut se la donner grave en plein cœur de Paris sans être considéré comme un danger pour l'ordre public, pendant que d'autres risquent les coups de matraques car ils ont le malheur de ne pas savoir où dormir. En plus, ce n'est pas parce qu'on est riche et habillé en blanc qu'on est propre, comme pouvaient le constater ce matin les premiers visiteurs du jardin des Tuileries. Et ce, alors que les organisateurs, qui prônent «l'élégance et l'art de vivre», s'engagent à laisser les sites absolument intacts, «comme si rien ne s'était passé».

Une chimère monétaire : l’Euro Grec 


 

Rappelons qu’on avait suggéré dans un des articles précédents d’introduire une distinction entre la monnaie de tous les jours et la monnaie des échanges financiers internationaux. Fantaisiste? On a vu plusieurs propositions fleurir sur le thème de la multiplication des Euros. Une solution «à la crise», entendait-on, serait qu’on distingue des euros faibles et des euros forts ; des Euros du Sud et des Euros du Nord ; ou bien on se contenterait de traiter le cas grec en inventant un euro grec qui permettrait à la Grèce de sortir de la zone euro tout en y restant !

 

La créativité dans le domaine monétaire conduit parfois à des curiosités et c’est ce qu’on veut  mettre en valeur dans les lignes qui suivent.

 

 

Euro fort et Euro grec

 

Donc, de nombreux commentateurs proposent qu’il y ait un Euro grec fonctionnant dans la sphère des échanges de tous les jours et un Euro de « plein exercice » qui, pour les Grecs, ne fonctionnera que dans la sphère financière. Dans cette hypothèse, un euro ne vaut plus un euro ! C’est l’application monétaire du célèbre dicton en vertu duquel: «En Démocratie, tout le monde est égal sauf qu’il y en a qui sont plus égaux que les autres». Cette idée a des effets auxquels on ne pouvait pas ne pas s’attendre, les Grecs cherchant à récupérer des billets : au moins ceux-là « vaudraient » dans toute la Zone Euro. Il n’y a pas de billets grecs ! Quand on a « inventé » la monnaie unique, on a pris soin d’émettre des billets qui ont tous la même apparence suivant les valeurs faciales. Il y a pas de dessins français pour les billets de 100 euros fabriqués en France, ni de dessins allemands etc… Donc, les Grecs, en toute sagesse, plutôt que de conserver de la monnaie scripturale grecque dans des banques en Grèce,  sont incités à l’arbitrer contre de la monnaie fiduciaire « Euro » ! Au risque d’une pénurie de billets!

 

 

D’après les observations de la Banque Centrale Grecque, la monnaie scripturale se transforme quotidiennement en monnaie fiduciaire à raison de 1 ou 2 milliards, bons jours, mauvais jours. Ici c’est de l’Euro des transactions courantes, au jour le jour qu’on discute, celui qui concerne le petit peuple. Les « gros », profitant de la continuité européenne de l’Euro financier, ont procédé depuis longtemps à des virements vers les banques des pays forts de la «zone euro fort» ou vers d’autres havres de sécurité.

 

Laissons courir un peu d’imagination et donnons du crédit à cette information insensée : «les imprimeries de la Banque Nationale de Grèce risquent de se trouver à court de papier fiduciaire». C’est avec ce genre d’histoire anodine qu’on déclenche des émeutes.

 

Lorsque les choses deviennent rares, elles deviennent chères. C’est un mécanisme économique que tout le monde comprend depuis la nuit des temps.


Or, on évoque ici la rareté des billets de banque et sa conséquence : selon pareille hypothèse, ceux qui ont des billets les stockent jalousement mettant ainsi une forte pression sur leurs concitoyens désireux de changer leur monnaie scripturale en monnaie fiduciaire. Affolés par la pénurie, certains détenteurs de monnaie scripturale en viendraient à accepter de payer les billets plus chers que leur valeur faciale: un billet de 50 euros sera acheté 55 euros en monnaie scripturale! Ainsi, assistera-t-on à un processus de dévalorisation des dépôts en Banque ! La monnaie scripturale sera dévaluée contre la monnaie fiduciaire!

 

La « bourde » de la Bundesbank

 

Pareille situation, absurde et parfaitement imaginaire, ne peut être laissée en l’état: il faudrait tout faire pour pallier la rupture d’approvisionnement en papier fiduciaire. Imaginons que les Allemands sollicités répondent positivement à l’appel des Grecs. L’hyperinflation des années 1920 leur a appris qu’il faut toujours avoir du papier en réserve pour imprimer des billets de banque. Imaginons que les Allemands, n’écoutant que leur bon cœur, envoient du papier en stocks, pré-imprimé, prêt à l’emploi en quelque sorte. On l’a déjà rappelé, à la différence des pièces de monnaies, les billets se ressemblent tous dans la zone euro.

 

Sur ces formulaires, il ne resterait plus qu’à apposer la signature des responsables grecs de l’émission monétaire. On ne peut pas faire plus accommodant. Sauf qu’ici, on va continuer à «imaginer» : on va «faire comme si» les Allemands prompts à la rescousse avaient commis une énorme bourde.

Tout vient du numéro ! Le numéro pré-imprimé des billets transmis à la Banque nationale de Grèce comporte le fameux «X» qui dit que le billet est émis par la Bundesbank. Pour la Grèce, c’est «Y».  Pour la France, «U». Chaque membre de la Zone euro est identifié par une lettre de l’alphabet. On imagine ici que personne ne s’est aperçu de cette notation. A priori, il n’y a là rien qui puisse déclencher des émeutes !

 

Sauf que, venant à découvrir leur erreur, les Allemands sont pris de panique. Leurs juristes préviennent que les billets marqués «X» étant des billets allemands, reconnus à la Bundesbank, ce sont autant de créances contre elle ! Les Grecs en convertissant toute leur monnaie scripturale, c'est-à-dire leurs créances contre les banques grecques, en monnaie fiduciaire allemande acquièrent des titres contre la Bundesbank ! Si on laisse faire, la dette grecque va se retrouver finalement entre les mains de la veuve de Düsseldorf davantage favorable au «grexit» qu’à l’entre-aide européenne.

 

Pire : en Grèce, les porteurs de Billets «Y» se précipitent pour s’en débarrasser contre des «U» (France), des «X» (Allemagne) etc. Du coup, le Billet grec, après la monnaie scripturale grecque, perd une bonne part de sa valeur et nous revoilà donc avec le fameux «Euro» grec. Celui qui n’a pas la même valeur que l’Euro commun aux autres membres de la Zone euro.

Bizarre, Bizarre…

 

De l’Euro Grec à l’Euro «Euro»

 

Continuons à "imaginer" (quoique cela tourne au cauchemar !). Puisque c’est fait, puisqu’il y a deux valeurs de l’Euro, l’une pour la Grèce, l’autre pour le reste de la Zone euro, alors le gouvernement grec, décide de ne plus se gêner et se lance dans une production sans frein d’Euros Grecs.

 

 

Les Allemands qui découvrent ce genre de choses entrent en transe et répètent en boucle : «hyperinflation, hyperinflation» ! Il est vrai que cette maladie de la monnaie peut faire des ravages. L’exemple récent du Zimbabwe est «topique»: «Si l'argent manque pour nos projets, nous l'imprimerons», avait scandé le président du Zimbabwe, Robert Mugabe. L’histoire est finie : la monnaie locale, le dollar zimbabwéen va disparaître. Le billet de 100.000 milliards qui ne vaut plus que 40 centimes de dollars américains ne se trouve plus que dans les échoppes pour touristes.

 

Les Zimbabwéens pourront retrouver les avantages de la monnaie scripturale… le taux de change en dollar US sera meilleur pour les détenteurs de comptes en banques que pour ceux qui avaient préféré faire confiance à leurs matelas. Puis, ils seront incités à ouvrir un compte en dollars US ou en Rand sud-africain lesquels deviendront les monnaies de transaction et d’épargne au Zimbabwe.

 

Pour le coup, ceci n’est pas sorti d’un rêve ou d’un cauchemar. Cela se déroule dans la vraie vie!!! Extrapolons…imaginons qu’une trop intense production d’Euro grec conduise à ce genre de situation. Alors, il faudrait le démonétiser et user pour les transactions et l’épargne, d’une autre monnaie: celle de la Zone euro, celle des pays forts.

 

Et on sera revenu au point de départ! Non! Décidément non ! La formule des valeurs multiples de l’Euro n’est pas la bonne idée pour sortir les grecs de l’ornière. 

 

Et si le Dîner en Blanc était l’acte artistique le plus audacieux depuis« Carré Blanc sur Fond Blanc » ?


Jeudi soir, le temps était beau et doux.  J’avais rejeté papiers, notes et crayons, repoussé les livres accumulés sur ma table de travail, muraille entre ce monde si noir et ma passion à noircir les feuilles de papier. Je fermais les yeux pour les ouvrir aussitôt sur une résolution paresseuse. La nuit était prometteuse. Ce serait bon de couper, ne serait-ce qu’un instant, le fil de mes idées et de leur offrir une dérive apaisée, leur donner l’aise d’une course sans contrainte, me laisser aller à les suivre par quelques chemins de traverse ou tout au long de grandes avenues.


Je partis donc.  Mes idées ainsi que quelques songes me conduisirent vers la Seine.


Et si la nuit n’était pour les choses et les êtres qu’une cachette de toute éternité.


Descendre sur les quais, au plus prés de l’eau, quitter l’univers bruyant et brillant des feux, des phares et des devantures éclairées, n’est ce pas renoncer aux formes, aux matières, à tout ce qu’on dit « tangible » qui a de la consistance et de la présence. Je suivis prudemment les marches de l’escalier vers le quai. Plongées dans une ombre de plus en plus profonde s’évanouissaient-elles ? Etaient-elles graduellement diluées dans le sombre et le noir?  Ne pouvant plus les voir, j’eus le pressentiment qu’elles se dérobaient. Pas elles seulement. Tout disparaissait lentement.

« La nuit, est donc ce lieu où les choses se cachent et disparaissent »…. Noir sur noir, sombre sur sombre, le crépuscule ne serait que brumes qui changent toutes choses et tous êtres en nuages et en rêves. Un dîner noir me revint en mémoire. Une expérience comme cette expérience de la nuit qui retire toute consistance à la réalité. Le repas était servi par des aveugles dans un lieu plongé dans la plus totale obscurité. Nous avions dîné avec quelques amis dans le noir absolu. Les choses, ni les gens, ni les mets, ni les assiettes, ni les verres, ni même la table sur laquelle étaient disposés les plats et les couverts n’avaient plus de réalité. Le noir avait tout confondu et tout avait fondu dans « une noire espèce ».

Tout en avançant vers la Passerelle des Arts, je suivais ainsi mes pensées, leur laissant le droit de m’emporter sans but et sans dessein. Il me vint que si la nuit était une cachette, le jour, grâce à la lumière, devait être destiné à l’exposition, la démonstration, l’incarnation. Si les corps se changent en rumeurs et en nuages dans l’obscurité, dans la lumière ils doivent se montrer tels qu’ils sont, lourds, pesants, massifs, là et bien là, matières et formes.


Et si « avec carré blanc sur fond blanc, il n’y avait plus de perspective. Et si c’était terminé ? »


Aussitôt pensé, aussitôt contredit. Je me souvins de cette phrase arrachée d’un livre de Daniel Arasse: « Avec carré blanc sur fond blanc ? C’est terminé, il n’y a plus de perspective » professait le grand critique.

« C’est terminé… ». Alors donc la lumière, le jour, le blanc, c’est la fin de quelque chose et non pas un dévoilement, un commencement ?  « Carré blanc sur fond blanc » ne jouait pas, il est vrai, dans la même cour que Carré noir sur fond blanc. Malevitch, jetant son carré noir sur le fond blanc du tableau avait pensé faire exploser la perspective. Puis, il s’était ravisé. Carré blanc sur fond blanc. Voilà l’estocade enfin donnée. « Dans le vaste espace cosmique, j’ai atteint le monde blanc de l’absence d’objets qui est la manifestation du rien dévoilé ». Kasimir Malevitch n’avait pas hésité un instant. Que la lumière soit ! Et pourtant, on n’y voyait rien ! Le blanc n’était pas ici lumière, il était linceul, il était expiation «  Après la plaine blanche, une autre plaine blanche ». Rien ne se dévoilait dans l’éclaircissement du blanc.


Laisser les idées gambader dans la lune comme dansaient les enfants du loup est poétique. Se sentir entraîner dans une morosité sirupeuse où le sombre et le clair, le jour et la nuit, le noir et le blanc ne savent rien dire du monde qui les entoure, n’est pas plaisant. Le noir serait contagieux et néfaste aux pensées. Maugréant, je décidai de retrouver les quais et la lumière d’un monde tout abruti de lumières et d’un trafic incessant.


Et si on regardait passer les grands Barbares blancs ?


A cet instant même où paraissaient confondues toutes couleurs, les noires et les blanches, liguées dans un projet hostile, en vue d’anéantir perspectives et matières, présence et réalité, hommes et choses, je découvris que j’étais sur le Ponts des arts, avec dans mon dos, ruisselant de lumière, le palais Mazarin et devant moi, le guichet donnant sur la Cour Carrée du Louvre.

« Trop de lumière tue la lumière », dit-on dans les salles de rédaction d’une presse en panne d’idées nouvelles ! Elle débordait de partout et recomposait les façades baroques de l’Académie en reliefs outranciers hésitant entre carton-pâte et monument pour parc d’attraction. Me retournant un instant sur la célèbre Coupole, je pensais aussitôt par un mauvais réflexe à Hohenschwangau recopié à la mode Disney. Voilà bien l’avantage de tout illuminer. Voilà vraiment que le blanc renvoie à l’hôpital (psychiatrique) et que la lumière ne dévoile rien du tout. Devenue maquillage et voulant tout montrer, elle ne laisse voir qu’une couche de crème appliquée sur une peau fatiguée.

C’est alors que je fus surpris par un mouvement de couleur ! Un mouvement de couleur Blanche. Il ne devait rien à la lumière. Il s’agissait vraiment d’une couleur blanche qui se déplaçait. Invitant mes pensées à cesser leurs cabrioles, j’observai l’événement.


C’était un curieux événement que ce déplacement de personnes, d’hommes, de femmes, vieux et jeunes, alertes ou claudiquant, minces et obèses, petits et grands. Une foule banale, si ce n’est qu’elle était blanche, absolument, intégralement blanche ! Ils me parurent tous cheminer dans la même direction. Ils avançaient très déterminés. En rangs serrés à ce point qu’il me fallut me renfoncer contre la balustrade de la passerelle. Je pensai aussitôt à ce vers de Verlaine où il se dépeignait regardant « passer les grands barbares blancs en composant des acrostiches indolents ». Ils passaient en troupe, en meute, en escouade, en compagnies, parfois en petites équipes, plus rarement à deux ou trois. Tous étaient vêtus d’une même, d’une seule couleur : Blanc.


Blancs les costumes des hommes, blanches les robes des femmes, blanches les chaussures, blancs les chapeaux, blanches les cravates, blancs les châles. Tout était blanc, uniformément blanc. J’étais suffisamment proche du déferlement, adossé à ma rambarde, que je pus sans doute possible découvrir en quelques minutes que tous étant habillés en blanc, ce blanc se déclinait en dizaines de nuances, blancs crémeux, blancs écrus, blanc albumine, blanc sucre, blanc finement jaunie de la farine, blanc cotonneux d’une perruque, blanc lumineux d’une étole en soie, blanc profond et chaleureux d’une écharpe en cashmere blanc, blanc vaporeux des résilles et des dentelles…


Qui a donc dit que blanc sur blanc, c’est la fin de la perspective ? Je pensais en souriant que Daniel Arasse s’était là, furieusement planté. La perspective ? Mais elle était là, partout. Défilant sur le pont, toutes ces personnes vêtues de blanc lui donnaient sa véritable dimension et lui conféraient justement la légèreté que ses concepteurs avaient voulu lui donner.


Les Barbares passaient-ils. ? J’aurai voulu leur poser la question. Au lieu de cela, je résolus de les suivre. Il y avait ici, à l’entrée de la cour carrée du Louvre, un mystère qu’il fallait percer.


Et si Carré blanc sur Fond blanc ce n’était pas rien ?


Je la répétais à nouveau cette fameuse déclaration du maître Russe : « j’ai atteint le monde blanc de l’absence d’objets qui est la manifestation du rien dévoilé » tout en marchant à la vitesse du flot blanc qui prenait, selon que l’obscurité était plus ou moins complète, une densité plus ou moins forte. Toute cette foule en blanc, diffusait sa propre lumière. Je me souvins des dits d’un vieux sage chinois « comme le lait fait du nourrisson l’homme conquérant le blanc, déversé à flot,  illumine ». L’entrée, le guichet de la cour Carrée, face à l’Académie Française, resplendissait dans l’obscurité maintenant complète. Une étrange cohue blanche garnissait cette porte monumentale et, silencieusement, passant sous les voutes, leur conférait, écrasant l’obscurité et la nuit, un volume et une dimension intemporels.


Je m’aperçus que le flot blanc ne suivait pas seulement la passerelle. D’autres flots de dimensions moindres s’en venaient à la rencontre du premier, ruisseaux courant vers la rivière, rivières courant se mêler pour former le fleuve, avec le même objectif : franchir l’accès conduisant à la Cour Carrée du Louvre. La cour n’allait-elle pas donner vie au carré blanc asséné par Malevitch et plaqué sans vie sur un fond blanc ? Je suivis toujours emporté par le mouvement de la foule blanche. Je n’étais pas le seul dans ce cas, sur ma droite, marchant avec prudence mais tenant le rythme de l’ensemble, un couple de jeunes japonais. Leurs visages exprimaient une extraordinaire hilarité et un bonheur extrême. Ils se regardaient l’un l’autre les yeux illuminés puis se retournaient vers la foule qui les entourait et ainsi de suite. Un homme en noir, tournait sans cesse la tête, de droite et de gauche, cherchant à comprendre, à décrypter, à découvrir un indice. Il y avait aussi des cyclistes un peu perdus qui essayaient de manœuvrer leurs vélos dans une masse compacte.


Et je débouchais dans la Cour Carrée. Devant moi, un spectacle tout simplement incroyable. Si tout ceci était du « rien dévoilé » je me trouvais en face d’une quantité sidérale, « cosmique » de « rien » car toute la Cour était … « blanche de monde » ! Sans bruit, si ce n’est le bruit d’une foule qui se déplace et s’installe. Sur les premiers moments, ce silence m’avait étonné. J’en avais laissé de coté l’analyse. Et là, à cet instant, devant cette foule, considérable, je n’entendais que la musique d’un orchestre de fête foraine animé par des musiciens vêtus de blanc.

Mais surtout, je découvris que cette foule s’affairait et s’attachait à une installation.


Et si la mariée décidait de revenir au blanc….


C’était une fête qui se montait ici avec ses tréteaux, ses paniers repas, ses chaises et l’élaboration méthodique de longues rangées parallèles qui striaient complètement l’espace. Carré blanc, sur fond blanc… le blanc de la foule était maintenant soutenu par le blanc des tables, des chaises, des nappes, des serviettes. Carré blanc sur fond blanc. Blanc du couvert sur blanc de nappes, découpées sur le blanc d’une table entourée de chaises blanches. Costumes blancs et dentelles blanches délivraient des paniers et des sacs, toute l’instrumentation blanche que requiert l’installation d’un dîner blanc. Je décidai de faire le tour de la Cour Carrée et me dirigeai d’abord vers la porte qui donne sur le Carrousel du Louvre. J’abandonnai vite, autant remonter le cours d’un torrent de montagne charriant entre des rives enneigées son lot de glaçons et de plaques de neige glacée.

Les autres portes étaient animées du même mouvement, arrivées massives de « personnages en blanc » portant tables, chaises, bouteilles, victuailles. Mus tous par le même mouvement, ils s’arrêtaient et se positionnaient avec sérieux, puis, avec application et de plus en plus chaleureux, installaient leur équipement et, parfois, déplaçaient tables et chaises sans mot dire pour que la ligne fut la plus droite possible, trait blanc sur fond blanc, formant, par adossements aux autres lignes blanches, le carré blanc inscrit dans le Carré du Louvre. Ils se découvraient mutuellement et se reconnaissaient.  Le bruit devint un peu plus fort, conversations qui s’installaient en même temps que les bouchons de champagne commençaient à pêter.


Quelques retardataires s’empressaient. Les observant, il me vint à l’esprit que cette installation avait tiré sa force et son éblouissement de la vitesse et de la simultanéité de ces flots blancs, convergeant vers le Carré blanc du Louvre.


Des étrangers, des hommes ou des femmes comme moi, gris et étrangers, tournaient au milieu des tables, regardaient les danses enlevées par les orchestres ici et là. Des ballons, lâchés, en grappe ou en masse, faisaient lever les têtes, le Carré du Louvre était devenu un cube blanc.  


La nuit était tombée mais le noir, le sombre, l’obscur avaient abandonné la partie. Le blanc triomphait et, pour couronner cette victoire, le Palais du Louvre s’illumina. Ici, plus de maquillage et de tricheries, façades, frontons et reliefs sculptés brillaient d’une lumière exaltée et, tout en même temps, apaisée par la clarté blanche émanant de la Blanche Cour Carrée. A cet instant même, l’extraordinaire construction de couleur et de lumière qui avait empli le volume enserré entre la cour et ses façades majestueuses, se mit à vibrer, animée de vagues lumineuses. De la foule blanche avaient jailli des briquets, étincelé de courtes flammes, points blancs sur blanc brillant, et s’étaient enflammées des bougies magiques.  Mille vibrations traversèrent la cour et s’élevèrent au faît des façades répandant le pétillement de centaines, de milliers de feux d’artifice de poche. Douceur du blanc, relevé de brillance blanche, diamant blanc pur, ouvrant sur l’éternité d’un instant.


Je convoquai alors Malevitch…. « J’ai atteint le monde blanc de l’absence d’objets qui est la manifestation du rien dévoilé » répétai-je… et si on inversait le propos ? Et si, le Dîner Blanc était « une présence aux êtres et aux objets, manifestation du tout dévoilé »…


Plus tard, la lumière reflua et, quittant à regret cette fête qui s’en allait, je me pris à rêver sur ce dîner qui, maintenant, se défaisait aussi vite qu’il s’était institué.


Comme le fruit « en délice change son absence …. »


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