Introduction aux deux amis

Les deux amis.

 

Dans ma dernière Humeur, je saluai la venue de deux personnages marquants de notre temps : deux amis portant des noms improbables quoique résolument français, Martanchon et Mélinez.

Sont-ils vraiment des amis ? Peu importe au fond la qualité de leurs relations. Je devrais peut-être dire que ce sont des compères tant ils sont proches dans leur façon de penser et de rechercher passionnément la vérité.

 

La vérité les a rapprochés. Pas celle dont on dit qu’elle est toute nue : si elle se promenait dans le plus simple appareil comme on le prétend, elle serait « approchée », « serrée », « harcelée ». Elle serait victime des désirs les moins honnêtes. On se l’arracherait. Elle devrait se défendre sans cesse contre les obsédés du vrai.

Reconnaissons que, toute nue, se promenant un peu partout, elle ne court pas grand risque. La vérité a un goût un peu amer. Beauté marmoréenne, elle serait plutôt froide. Plus Domina que fille, la vérité pourrait être statufiée, armée d’un fouet, pareille aux sombres déesses de la Grèce antique ! Casquée et armée, ce serait Athéna. Chasseuse et sans pitié, telle Artémis, elle n’a rien de la jolie starlette dénudée et soumise au pire, celui des approximations cachées, des expériences bidonnées et des sciences frelatées. Inconnue des plateaux-télé ? et pour cause : elle est capable de fureurs, terribles comme le sont celles des pacifiques.  

 

Martanchon et Mélinez en seraient amoureux ? Si belle et si lointaine, ils la vénéreraient tout en l’érigeant sur la ligne d’horizon, laquelle, on le sait, recule au fur et à mesure qu’on avance.

On ne parlera d’amour ici, que sous cette forme noble et exigeante, qui a pris le nom simple et sans détour « d’amour de la vérité ». Martanchon et Mélinez, aiment la vérité, veulent la porter au plus haut et la faire rayonner sur l’humanité. C’est tout. Ça ne va plus loin et ce n’en est pas moins une passion noble et généreuse, faite d’oubli de soi et d’opiniâtreté dans l’effort.

 

Arrivés à ce point dans la présentation de nos deux compères, il faut dire quelque chose des circonstances et du contexte. On devrait toujours oublier devant les grandes œuvres, leurs auteurs. Mais il faut bien qu’on aille à la rencontre de ceux qui illustrent la vérité et la font briller, quitte à les rejeter dans l’oubli, comme on se débarrasse d’un noyau de cerise.

On va me reprocher d’avoir cherché un peu trop d’inspiration du côté des célébrissimes Bouvard et Pécuchet. J’aurais, ce n’est pas totalement faux, calqués mes deux personnages sur les héros découverts et décrits par Gustave Flaubert

Pourtant, ils ne se sont pas rencontrés au hasard de bibliothèques, ils ne se sont pas découverts à l’occasion de dîners fins organisés par un bel esprit. Martanchon et Mélinez n’ont pas eu de ces environnements intelligents et cultivés qui protègent les grands évènements en germe et les font prospérer.

 

L’un était Gilet jaune de profession temporaire, retraité d’une ONG opérant dans le domaine de la faim, de la maladie (tropicale) et du désespoir. Il en avait tiré une vision optimiste de la vie : « Il y a pire » ne cessait-il d’affirmer face aux professionnels du malheur.

L’autre était gendarme mobile. Il avait choisi ce métier sur une méprise, comprenant que « mobile » serait pour lui le sésame de tous les voyages et que gendarme, lui permettrait de porter les couleurs de la liberté menacée partout.

 

C’est justement à l’occasion d’une évacuation de rond-point qu’ils se rencontrèrent. Le second avait balancé un coup assez bien pensé sur la tête de l’autre qui ne voulait pas lâcher la machette au moyen de laquelle il pensait pouvoir couper la tête de l’un.

Le gilet jaune s’exclama à l’ancienne : « le fascisme ne passera pas ».

Le gendarme répondit : « ce n’est pas la lutte finale ».

Stupéfait d’avoir, en si peu de temps dans un moment aussi tourmenté, proféré des paroles intemporelles, ils s’assirent l’un à côté de l’autre, en silence.

 

« Demain sera le genre humain tenta l’un »,

« c’est une esclave qui m’accueillit sur le rivage de la liberté essaya l’autre.

Ils conçurent qu’ils étaient loin d’en avoir fini et qu’il fallait se revoir pour comprendre de quoi il en retournait.

 

Ils ne se quittèrent plus.

Ils avaient conçu un grand dessein : réveiller le monde endormi et lui donner à voir la Vérité.

Dans le but de mener des recherches qui seraient de longue haleine, ils le savaient, ils décidèrent de louer une villa confortable dans une banlieue parisienne. Il ne leur fallait plus que se doter d’instruments qui auraient fait frémir les personnages de Flaubert : ordinateurs, couplés en réseaux et animant plusieurs écrans chacun pour que rien ne se perde, imprimantes de course capables de rendre des centaines de milliers de couleurs et des les imprimer, mémoires sous toutes les formes techniques, connections ultra-rapides etc.

 

Le reste des l’installation relève du domestique banal qu’on ne décrira pas si ce n’est pour dire qu’ils disposaient de trois chambres, l’une, superflue, permettant d’accueillir des sachants de passage. Elle ne fut pas très souvent attribuée et sentit vite le renfermé.

Pour leurs aménités, ils avaient fait installer une cuisine américaine, juste à proximité de leur salle de travail, afin de ne pas perdre de temps entre pensées et ripailles.

 

Un vaste salon, doté de fauteuils en tapisseries à l’anglaise, se chargeait de leur procurer détente et confort conversationnel. En hiver, un feu chantonnait dans l’âtre. En été, des fleurs illuminaient la table basse. Sur une petite table roulante, des boissons et des verres en cristaux. « Qu’importe le nécessaire » aimait plaisanter Martanchon, « pourvu qu’on ait le superflu !» Complétait Mélinez sur le même ton. 

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