Analyse et psychanalyse du Bitcoin

articles parus dans le Huffington post ou les Echos

- Bitcoin est-il une secte?

- Pourquoi il faut prendre le Bitcoin pour ce qu’il est….

- Bitcoin : les jeux de la politique et de l’argent

- La rage « Bitcoin » entre rêveurs et arnaqueurs

Relevant les propos des défenseurs du Bitcoin en réponse à mes chroniques, notant leur violence et leur vulgarité, marques très courantes des commentaires et rapports interpersonnels sur le net où le pseudonymat autorise à peu près tous les excès, je me suis rendu compte que personne, à ma connaissance, n'avait esquissé des études psycho-sociales ou même socio-économiques sur l'univers du Bitcoin. 

c'est un phénomène humain, il est donc régi par tout ce qui est humain, individus, groupes, communautés, collectivités, institutions, pouvoirs etc. Qui plus est, il se revendique "libertarien", ce qui renforce davantage encore la nécessité de l'étudier sous d'autres aspects que les crypto machineries, le minage et les hash, les blocks et les chaines.

Ce sont une série d'articles qui vont suivre pour essayer de comprendre certains des modes opératoires de la communauté bitcoin. On traitera aussi de l'idéologie monétariste qui la sous-tend. 

Vaste travail dans lequel, j'espère bien entendu recevoir les conseils, remarques et critiques avisés de mes lecteurs. 

La rage « Bitcoin » entre rêveurs et arnaqueurs

 

Les débats n’ont de charmes que si les débateurs ont des opinions radicalement opposées et solidement fondées. A défaut de raisonnement, les prises à partie personnelles et même les injures seront dégainées comme dans OK corral.

 

Donc attaquons et fort : je considère que le bitcoin n’est qu’une madofferie comme tant d’autres sur le plan économique. C’est une des nombreuses manifestations de l’esprit américain dans le domaine des libertés individuelles et de l’anti-étatisme pourvu qu’on laisse la police faire son boulot et que les anciens esclaves aient la politesse de rester à leurs places, enfin, aujourd’hui, c’est l’expression la plus accomplie du retour de l’Amérique à la domination du monde « par d’autres moyens ».

 

On va dire que je n’ai rien compris au monde dans lequel nous vivons et que les jeunes, ont le droit de vouloir le meilleur pour leur avenir (je ne fais plus partie des jeunes depuis un certain temps) et que mes craintes sont celles justement de ceux qui ont profité de cette sinistre rigolade qu’étaient les trente glorieuses, que la monnaie des souverains, c’est clair, est dévalorisée et que ses agents ont plongé le monde dans un gouffre économique hideux. On m’objectera mon américanophobie et mon européanisme bêlant, qu’en fait je jalouse une civilisation qui émerge (ailleurs qu’en Europe) et que je cherche à m’opposer au nouveau bonheur.

 

On m’objectera ce qu’on voudra, mais, tristement, dans les trois-quarts des cas, les objections sont mal fondées (quand on essaye de les fonder), ridiculement prétentieuses (à base de grands principes qui réjouiraient les moralistes Anglo-saxons, idéalement les transcendantalistes) et révèlent de nombreuses confusions entre attentes de fric (personnelles) et prospectives macro-économiques (pour la galerie).

 

Faisons un sort aux tentatives, louables, de raisonnement économique

 

« tant que vous ne verrez pas que le sous-jacent est la qualité révolutionnaire du protocole Bitcoin… ». C’est la première fois que je lis qu’un sous-jacent est le sous-jacent. Les logiciens diront que c’est tautologique. Les autres diront que cela ressemble à un plat de spaghetti.  

 

En général, pour montrer qu’on devrait faire attention avant d’attaquer le bitcoin, on montre avec force d’exemples que le mal règne dans le monde à commencer dans l’univers financier. C’est une méthode classique de détournement des raisonnements. Je me souviens encore de la sortie de mon livre sur « l’Allemagne, modèle imaginaire ». Un critique n’a pas manqué de me ressortir « et la France, tu crois que c’est mieux ». Il m’a fallu passer un peu de temps pour expliquer que sujet n’était pas la France. A celui qui critique les régimes totalitaires, on dira « regardez donc comme elle est belle la démocratie suisse avec ses comptes à numéro ».

 

Dans le cas du bitcoin, on m’interpelle en déclarant « les produits dérivés (qui) représentent 15 fois le PIB (et) « l’hélicopter money » (preuve que le commentateur avait lu une pensée de Ben Bernanke) menace de s’écraser, mais vous tenez à démontrer que c’est bitcoin qui est virtuel... alors que votre finance traditionnelle est elle bien réelle ».

 

Revenons sur terre, les statistiques sont la science des erreurs : comparer un PIB à un des flux monétaires et financiers c’est comme comparer des carottes et des lapins.

 

Je persiste à dire que le bitcoin n’a pas de sous-jacent, il aussi peu réel que les dragons et super-mario des gamers. Il est très vide de contenu économique (réel) bien plein des espoirs de fric facile et amusant (virtuel). Quant aux monnaies dites souveraines (et non pas fiat qui ressort de la terminologie anglo-saxonne) elles sont produites en contrepartie de crédits à l’économie, financer des investissements, des achats immobiliers, la consommation et autres choses très « concrètes » (et même des recherches sur la blockchain par exemple). Mais comme chacun sait, les banques ne prêtent pas assez, c’est-à-dire ne produisent pas assez de monnaie.

 

Il est savoureux que l’argument vienne du défenseur d’une monnaie qui a annoncé d’emblée qu’elle ne serait pas produite à plus de 21 millions : le bitcoin c’est comme les Zil de l’industrie automobile soviétique, production réservée aux happy few.

 

Plus surprenant, nous voilà confrontés aux étranges espoirs des fans du bitcoin : jouer les ETF à Chicago, tout en dénonçant la folie ETF… incohérences.

Pour se résumer : le bitcoin c’est du rêve à fric et tout naturellement, les rêveurs sont servis : un bon arnaqueur ne peut pas laisser passer pareilles opportunités de profit.

 

Le commentateur conclut en faisant « ROO » (j’ai de la chance, en général, ils disent WAHOO). Je me demande si ce sera audible quand il tournera autour de la terre.

Donc, j’assume et poursuit.

 

Le bitcoin c’est du vent pour la simple raison qu’il ne repose sur rien

 

Au pire, il repose sur de la destruction économique (nommons cela consommation) d’électricité sans rien produire autre chose que des illusions de richesses.

 

Il ne vaudrait donc rien ? Il vaut pour les margoulins qui veulent plumer des épargnants pleins de paillettes dans les yeuxl. Peut-être les « gamers » pourraient-ils en faire quelque chose et s’acheter mutuellement des choses amusantes, des pouvoirs et des tours de magie, une fois que le bitcoin sera revenu à quelques centimes de dollars. Il aura aussi toujours de la valeur pour les voleurs ou les vendeurs de drogues. Pour les hackers aussi qui le dérobent par centaines millions de dollars dans la poche de braves gens qui croyaient que les monnaies cryptées c’était du hash de bonne qualité (mais comme le hasch, leur argent part en fumée).

 

J’ai, il y a peu, exposé la théorie du « greater fool ». Celle-ci me parait bien expliquer ce qu’il y a d’absurde dans les valorisations du bitcoin et de 95% des monnaies cryptées. Objection, m’assène-t-on, vous citez l’analyse de type « greater fool » faite par Keynes. Or, Keynes (les gens sont moins ignares qu’il n’y parait) vivait bien avant le bitcoin. Donc le bitcoin ne peut être accusé des absurdités que Keynes et ses émules dénonçaient. Argument dont on ne peut pas esquiver la pauvreté : la bitcoin-mania n’est qu’une des nombreuses manifestations de la folie spéculatrice sur les (soi-disant) marchés. On ne redira pas l’exemple des tulipes, des assignats, des titres de la compagnie des indes occidentales. Toutes, l’histoire l’apprend même à ceux qui se prennent pour des historiens, ont précédé de longue date le bitcoin et ses variantes. Le bitcoin est un cas particulier d’une déviance économique qui perdure depuis la nuit des temps. Keynes en a fait une brillante synthèse.

 

Pour donner un peu de poids à des arguments parfaitement insuffisants, leurs auteurs n’hésitent pas à les soutenir au moyen de ricanements de ce type « cette théorie s'appliquerait plutôt mieux à l'autre monde, qui est un peu le vôtre ».

 

Le monde qui n’est pas le mien, c’est le monde des bitcoiners avec lesquels je n’ai pas « d’intimité suffisante » : « ce qui amoindrit considérablement votre perspicacité pour décrire le fonctionnement de gens que vous ne connaissez pas ». Je dois dire qu’il me faut beaucoup de stabilité mentale pour ne pas tomber (intellectuellement) à la renverse devant pareille fake thinking (je le dis en Anglais, qui est la langue du nouveau monde). C’est vrai, je ne suis pas intime avec les drogués, les voleurs et les violeurs. Je n’ai pas d’intimité avec les fans de gaming et les crypto-hackers. Pas davantage qu’avec les éleveurs de bovins et les désastreuses migrations trans-méditerranéennes. Au fond, le citoyen de base qui lit pareilles monstruosités n’a plus beaucoup de choix. Ou bien il se rebelle devant des « sachants arrogants ». Ou bien, il subit passivement les « sachants intimes entre eux ». Il ne peut qu’avoir honte de voter n’ayant aucune « intimité » avec la plupart des questions qu’une démocratie soumet à ses membres. Le nouveau monde ce serait celui des « corporations ».

 

 

Comme l’argument n’en est pas un, il faut bien qu’on en vienne à ce qu’il est vraiment, une invective, qui clôt un amoncellement de morceaux de pensée ou de débris d’idées. Son auteur qui s’amuse de mes passions parisiennes aurait du savoir que j’ai aussi écrit, et je m’en félicite chaque jour un peu plus, « un manuel pour survivre dans un monde de cons ». 

Bitcoin est-il une secte?

 

Jusqu’ici, la plupart des analystes et des commentateurs qui s’intéressent au bitcoin lui ont fait la politesse de le penser comme un événement autant économique que technologique.

 

Personne ne s’est trop étendu sur la conception erronée de la monnaie qu’il met en jeu : les charmes des « hash », des « arbres de Merkel », des « généraux byzantins » et plus généralement la science « cryptographique » ont très largement détourné l’attention.

 

Les clefs privés et publiques, les « blocks », « les chaînes », les « mineurs », les « developers », les « nœuds » toute cette cohorte d’acteurs et d’outils plus ou moins sophistiqués a permis de s’affranchir de toute explication claire.

 

On a montré que le bitcoin « c’est du vent » ! Une sentence biblique (Livre d’Osée 8,7) a donné que « celui qui sème le vent rapporte la tempête ». Avant que la tempête « Ponzi » n’éclate, faisons un tour du côté des mécanismes sociologiques et psychologiques qui font du bitcoin un moment assez étonnant de la vie des sociétés modernes.

 

« Croyez-vous en le bitcoin ? »

 

Si on examine de près les discours sur la fameuse monnaie cryptée, hormis ceux qui se cumulent injures et invectives, on remarque vite que le bitcoin côtoie le mode religieux de la pensée. S’il faut une preuve par le ridicule, la voilà dans la formule « croyez-vous en le bitcoin ? » trouvée sur un site de promotion du « bitcoin trading ».

 

C’est une caractéristique de notre langue que le verbe croire n’est suivi de « en » que lorsqu’il exprime une absolue adhésion, un acte de foi. Foi civile avec, par exemple, « je crois en Emmanuel Macron », foi religieuse, « je crois en Dieu ».

 

On objectera que ce n’est pas parce qu’un site de trading se laisse aller qu’il faut en déduire que le fondement du bitcoin réside dans un acte de foi.

Mais c’est un indice. D’autres complètent cette symbolique. Ce qui va suivre ne ressort pas simplement de questions de vocabulaire.

 

Le bitcoin est né aux Etats-Unis où la liberté individuelle est au cœur de la culture américaine: la lutte (idéalisée) contre le Moloch étatique est une donnée fondamentale de la vie politique et culturelle américaine. Le combat contre les puissants et spécialement les puissances d’argent en est une dérivée naturelle. Ce qui explique que les Etats-Unis n’ont pas eu de banque centrale durant le XIXème siècle en raison de l’hostilité du Président Andrew Jackson à l’égard des banques.

 

Aux Etats-Unis, le bitcoin fait donc partie du paysage sociologique voire ethnique. S’il y a là une appartenance aux traditions libertariennes qui ont traversé les Etats-unis depuis les guerres d’indépendance, il ne faut pas oublier qu’elles sont doublées des traditions religieuses multiples, dont celles que professent les diverses communautés confessionnelles protestantes. Le rôle des communautés, civiles ou religieuses, est très puissant ainsi que le caractère électif de la mission des conducteurs de pensée.

 

Les idées et les discours à teneur et esprit religieux sont donc très prégnants dans la société américaine. (in God we trust). En témoigne ce commentaire sur les « fourches » (forks): « Bitcoin, c’est Bitcoin et le reste ne sont que des altcoins ». Ce propos est de l’ordre de la prédication. « L’Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel. … ». Le même commentateur continue en affirmant qu’il « n’existe qu’un seul Bitcoin correspondant à la vision de Satoshi Nakamoto, et c’est très logiquement celui que ce dernier a mis au point ».

 

Ces propos sont de l’ordre de l’extase qui saisit le défenseur du « vrai bitcoin » contre « les faux » (les démons et les faux dieux de la bible) ? On est frappé par la parenté du propos avec ceux qui dénonçaient les faux évangiles. Jamais on n’a assisté à pareilles postures religieuses à l’égard d’une quelconque monnaie !

 

Communauté, confrérie ou église ?

 

Ce n’est que tout récemment, avec les « forks », que la vérité a éclaté. Jusque-là, mineurs, développeurs et utilisateurs vivaient en bonne intelligence (le paradis). Ils participaient d’une même conviction : se réapproprier la monnaie, mettre en place un système monétaire indépendant de toutes les puissances, instaurer une démocratie économique essentielle puisque touchant à la monnaie et, couronnement de tout ceci, anonymat et irréversibilité des opérations.

 

Tout baignait donc et le calme régnait. Malheureusement, on découvrit l’église trop petite face au succès des nouvelles idées : on vit même que des opérations ne pouvaient être traitées, sauf paiements de grosses commissions. Il traînait des monceaux d’or numérique dans les tuyaux. La machine crachotait. On vit même les modes concurrents de paiements entre les mains des banques faire beaucoup mieux, plus vite et parfois avec les mêmes exigences d’anonymat que le bitcoin.

 

Si on voulait que la foi « en le bitcoin » ne se fissure pas, il fallait « réformer » la chaîne bitcoin. On sait ce que les mots veulent dire. Ou bien, le terme est platement civil : la « chaîne » aurait été réformée comme les chevaux usés qu’on envoie à l’abattoir, soit la chaîne aurait été transformée comme il en fut autrefois des grandes religions. En langage blockchain on nomme cela « a fork ».

 

Les changements dans la formule originale, la vraie, celle de Satoshi, menés par la « communauté bitcoin » auraient dû aller de source (open). Au contraire : des opposants ont surgi qui se prétendaient les vrais descendants du prophète portant en eux et sur la toile la vraie foi.

 

C’est ainsi qu’est né le Bitcash. Dénonçant les croyants version « mouton de panurge », les inventeurs de cette nouvelle monnaie se sont voulus pareils aux « vieux orthodoxes » ou aux « traditionnalistes catholiques », défenseurs des protocoles initiaux et s’opposant aux nouveautés d’une Bitcoin-blockchain où les blocks deviennent des entrepôts énormes et où les mineurs gagnent en productivité.

 

Autant dire que les défenseurs de la vraie foi n’ont pas attendu pour réagir : «…la communauté renseignée, elle, n’a pas laissé passer cet affront. Ainsi, le site BadBitcoin.org les a désormais listés, ce qui équivaut plus ou moins à une condamnation officieuse de la part de la communauté »

 

Les vrais défenseurs du bitcoin pur et dur, ennemi de toutes les déviations, dont celle de l’hérétique bitcoincash, ont mobilisé la communauté. Celle qui produit les meilleurs consensus. La communauté, c’est « l’ecclesia ». Chez les Grecs, elle rassemblait les citoyens. Il était dans ses pouvoirs de prononcer l’ostracisme : exclure le(s) méchant(s)-(es).

 

Ce consensus à l’intérieur de « l’ecclesia bitcoin » permet de clamer que « Bch n’est pas bitcoin, B2x n’est pas bitcoin, seul bitcoin est bitcoin ». Depuis : « Dieu est Dieu » on n’avait rien entendu d’aussi beau, d’aussi pur.

 

En d’autres termes, Bitcoin cash qui se prétend bitcoin est tout aussi truqueur que le marrane espagnol qui se faisait catholique à l’extérieur mais qui pratiquait tout autre chose en son fors intérieur. L’inquisition naquit du douloureux combat contre les idées non conformes pour assister la communauté, rendre la pureté au « consensus » (je crois en toi, bitcoin) et expédier les hérésies dans les poubelles des 0 et des 1. (delete). On n’insistera pas ici sur le Bitcoin Gold. Les partisans du vrai bitcoin ne tarderont pas à écraser son protocole avec leurs tables de code.

 

Tout est donc à peu près clair. Le phénomène « bitcoin » est marqué par une très forte connotation religieuse.

 

Ceci explique les conceptions très approximatives que les défenseurs du bitcoin entretiennent avec l’économie. Ceci explique aussi les luttes de pouvoir qui se nomment "Hérésies et Réformes": la communauté bitcoin, comme tout organe social, est traversée par des courants politiques de grande ampleur.

 

 

Pourquoi il faut prendre le Bitcoin pour ce qu’il est….

 

Dans un bel article, Guillaume Maujean a lancé un appel à la lucidité et à l’ouverture d’esprit : bien sûr, nous dit-il, les frasques du bitcoin sont nombreuses, bien sûr on n’y comprend pas grand-chose, bien sûr, les banques centrales sont mal venues de critiquer cette production de monnaie originale quand on voit de quelle façon elles s’y sont prises pour inonder la planète entière de leurs monnaies respectives.

 

Cette affaire ne doit pas être prise à la légère. Ce n’est pas simplement une affaire de monnaie. Elle est politique, philosophique. Elle nous appelle à rentrer dans un nouveau monde et à franchir de nouvelles frontières.

 

Ce serait beau si le bitcoin l’incarnait. On en doutera dans les lignes qui suivent.

 

De la beauté des idées et des références idéologiques …

 

Un exposé sur les caractéristiques éthiques et philosophiques du Bitcoin se conclut en en appelant au fameux livre américain « La grève », écrit par Ayn Rand et publié en 1957. D’après les statistiques américaines, cet ouvrage arrive deuxième aux Etats-Unis après la Bible ! En français, on compte un peu plus de 1000 pages de grand format (16/24 cm).

 

Ce livre passionnant porte un message anti-étatique où l’entrepreneur, héros socio-économique, ne peut créer richesses collectives et individuelles que si on le laisse faire. Quand les « héros » entrepreneurs font grève, c’est la fin du monde.

 

Le Bitcoin viendrait donc, création de tous et indépendant de tout, dans la droite ligne de cette pensée pour qui les intermédiaires sont des voleurs, les banques au premier chef qui prétendent accaparer la production de monnaie et la manipuler selon leurs intérêts et non selon les besoins de l’humanité.

 

Le système bancaire, ce fameux « tiers de confiance » qui a confisqué la création et la supervision de la monnaie est néantisé. Avec le Bitcoin, le tiers de confiance devient le produit d’un enchaînement de calculs dont le degré d’abstraction et l’impassibilité mathématiques garantissent que plus jamais la main de l’homme ne mettra la main sur l’argent.

 

Parmi les paradigmes du bitcoin : une démocratie participative où chacun est égal à l’autre, où l’argent n’est plus qu’un produit miné, comme l’or, où chacun vérifie ce que les autres font, où tout est « open ». Les barrières tombent, administratives, nationales, transnationales et avec elles, puisque le bitcoin est une monnaie, les fameuses « fiat moneys » qui ne valent que par le pouvoir de coercition des souverains.

 

Le bitcoin serait une des premières pierres posées pour une autre société, de justice, d’égalité où seul le talent distingue.

 

À la réalité triste et sournoise….

 

On trouvera étrange cette référence à « la Grève », pour fonder l’existence du bitcoin. Les idées de Ayn Rand, si populaires, ne sont-elles pas justement celles qui animent la frange extrémiste des Républicains américains et du Président Donald Trump ? Cette haine pour l’Etat et ses œuvres n’inspirent-elles pas le Tea-party ?

 

Essayons d’oublier que le Bitcoin est un hymne au libéralisme à l’américaine. Regardons simplement comment il fonctionne. Il est né démocratiquement sur un thème sympathique : l’argent circulera vite quelles que soient les distances, quelles que soient les sommes. Jim le canadien pourra rembourser Jalila l’algérienne des cent dollars qu’elle lui avait prêtés. Il n’aura pas besoin de passer par des contrôles des changes misérables ; il n’aura pas à chercher la contrepartie de ses dollars en monnaie algérienne ; Jalila n’aura pas besoin d’expliquer à sa banque le pourquoi de cet argent venu d’un pays « Satan ». Tout sera anonyme et planera au-dessus des Etats, des régulations et des contraintes inventées pour soumettre la liberté et enrichir une clique financière et bancaire inutile. Liberté, anonymat et « évacuation » des tiers de confiance font du bitcoin l’outil de la société de demain.

 

Ce serait beau, sauf que les techniques ne parviennent plus à « délivrer ». Les transactions de petits montants sont très coûteuses. La vitesse de traitement est insuffisante. Les transactions bancaires internationales ou via les systèmes de paiement de type visa, traitent, pour moins cher et plus vite, des milliers d’opérations par seconde quand les ordinateurs « décentralisés » avancent poussivement. Le bitcoin est une monnaie qui prend son temps !

 

L’idée de la démocratie bitcoin est malmenée. La monnaie devait revenir au peuple « informatique » et à ses milliers d’ordinateurs individuels. Le minage, c’est-à-dire à la fois la production de bitcoin, la certification des opérations et la constitution des blocs sont passés entre les mains d’une poignée de « firmes » et « d’entrepreneurs ». La Chine domine. Les bourses asiatiques ont tendance à donner le « la ». Dans un récent débat autour d’une vraie question technologique : augmenter la capacité de traitement de la chaine bitcoin, le consensus obtenu en Juillet à New-York fut vite contesté, puis invalidé et refusé par les puissantes plates-formes de Singapour, Hong-kong et de Corée du Sud. Où sont les hommes libres et indépendants de l’idéologie bitcoin ? Quant aux mineurs et aux développeurs, le montant de leurs commissions est devenu un enjeu pareil aux bons vieux conflits salariaux. Feraient-ils grève un jour… ?

 

Finalement, ne tenant pas la comparaison par rapport aux systèmes de paiements classiques le bitcoin, est-il une monnaie ? Quelle importance puisque de l’aveu même des utilisateurs, le bitcoin, plus qu’une monnaie, est un actif : son seul intérêt réside dans sa capitalisation. Comme le disait un anonyme de tweeter « l’essentiel est que, grâce au bitcoin, je gagne beaucoup d’argent ». Ce n’est pas l’utilité du bitcoin qui en fait le prix, c’est le prix du bitcoin qui en fait l’utilité ! Vision réaliste ou surréaliste ? La vérité est que les masses de bitcoin produites ne sont plus depuis longtemps entre les mains de petits porteurs progressivement évincés du marché dans une ambiance de volatilité « exubérante ».

 

Ce n’est plus un jeu démocratique. La supervision n’est plus le fait de tous les mineurs ou nœuds à parts égales. Et l’anonymat des opérations est en train de subir ses derniers coups. La bourse de Chicago n’a-t-elle pas déclaré qu’elle entendait connaître tous les intervenants dans ses opérations bitcoin ? La justice américaine se fait fort d’identifier opérations et agents ! Le ministère des finances indien a prévenu que les gains sur Bitcoin devraient être très officiellement taxés : les utilisateurs indiens seront tracés.

 

Devenue un des ressorts essentiels de l’économie « bitcoin » la fameuse « greed » expliquerait-elle l’arrivée de certaines banques sur le marché du bitcoin. Il devient un des jouets des marchés à terme de marchandises de Chicago. Il deviendra un morceau de produits structurés et synthétiques. Et ceux-ci seront sûrement notés à l’instar de ceux qui ont fini « actif pourris » en 2008.

Que sont devenus les principes initiaux ? Où sont les grandes idées libertariennes ? La vraie question est maintenant : « quand, ce qui est devenu une chaîne de Ponzi mondiale, va-t-elle casser ? ». Aujourd’hui, le bitcoin est une trop petite capitalisation pour que d’autres que ses spéculateurs supportent les pertes. Demain, si on n’agit pas rapidement, diffusé sans contrainte, il pourrait déclencher des crises plus graves.

 

 

Bitcoin : les jeux de la politique et de l’argent

 

L’instrument financier qu’est devenu le bitcoin et, dans son sillage bon nombre de cryptomonnaies, s’éloigne irrésistiblement du caractère utopique et candide de l’idéologie des premiers temps.  C’est une sorte de loi universelle que les idées de cité idéale, de communauté pure et de comportements altruistes cèdent très vite sous le choc de réalités qui se nomment : recherche du pouvoir, soif d’argent et impérium des idées.

 

La montée actuelle des cours du bitcoin montre que la soif d’argent est devenue le moteur numéro 1 de l’esprit bitcoin. Mais, il faut aller au-delà : derrière le rideau de fumée du fric. Le « bitcoiner de base » suit un chemin dont il ne perçoit pas tous les enjeux.

 

Les récentes tragi-comédie sur les fourches « forks » qui ont alimenté la chronique de l’univers bitcoin jointes à l’explosion des cours sont des indices forts d’une véritable révolution : le bitcoin n’est plus la technologie disruptive rêvée par quelques geeks rêveurs et idéalistes.

 

Quand la démocratie est totale et mathématique

 

Reprenons la « mantra » bitcoin : supprimer le détournement de la production monétaire par les banques en la confiant dans des conditions très strictes à des processus mathématiques collaboratifs. Grâce à ces procédés et à des méthodes cryptographiques donner à tous ceux qui adhérent au projet bitcoin les moyens de compenser leurs dettes et leurs créances anonymement, indépendamment des frontières et des zones monétaires. Confier à une « communauté » d’adhérents, de mineurs, utilisateurs, la mise en œuvre, la pérennité et l’évolution des systèmes fondés sur un mode sécurisé de tenue de fichier. Comme le dit un fan dans un langage crypté : « il s’agit de code open source et de communauté de codeurs ». 

 

Tout ceci s’oppose donc aux processus antérieurs où les banques sont à la fois les compensateurs, les tiers de confiance sur qui reposent les éléments clefs du fonctionnement des monnaies, et qui contrôlent tout des opérations, des utilisateurs et de leurs comptes.

 

On a beaucoup dit que, dans le système bitcoin, règne une démocratie fondée sur l’adhésion et le calcul. Plus il y a d’utilisateurs et de mineurs, plus il y a d’opérations et plus la monnaie cryptée devient inattaquable et indépendante.

Le système n’est pas un tabou même si la blockchain et son environnement de règles, protocoles et algorithmes a des airs de « tables de la loi » ! Le logiciel peut être adapté, mis au goût du jour, amélioré pour gagner en sécurité et en productivité. Et là aussi, c’est un processus démocratique.

 

Quand la « communauté » bitcoin se déchire

 

On a commenté le côté sectaire de l’entreprise bitcoin qui oppose prophètes, garants de l’inspiration d’origine et « évolutionnistes » prêts à transiger avec les principes pour accroître les conversions et aux « traders » ne se soucient que de s’enrichir paisiblement.

 

Les difficultés du bitcoin viennent de son succès. Imaginez un système ferroviaire fraîchement installé : il est si apprécié qu’il sature avec ce que cela comporte de ratés, de retards, d’incidents voire d’accidents. Il faut le repenser…. Et voilà que les ennuis commencent.

 

Nombreux sont ceux qui trouvent que le système a donné satisfaction : il suffit d’augmenter les prix des billets, la saturation diminuera et les bénéfices augmenteront…. Il faut penser aussi à certaines villes, portions de l’infrastructure qui ne génèrent pas un trafic important. Pourquoi tout changer ? Des ajustements à la marge suffiront. On trouve les tenants du transport pur, le vrai celui des débuts, celui qui doit permettre de changer le monde : le transport total pour tout le monde, tous les besoins, toutes les facultés contributives, à la demande ou sur horaires.  Ceux-là, veulent un vrai changement global dans le but de maintenir les idéaux du début.

 

Descendons d’un cran. Aux combats sur les objectifs et sur les principes, il faut ajouter les attentes économiques ou idéelles des différents membres de la « communauté ». Elle s’est fractionnée comme on l’a vu, mais d’autres considérations sont à prendre en compte : les « mineurs », par exemple, au début, cohorte des « premiers adeptes », il leur suffisait d’un ordinateur un peu puissant. Mais, la compétition fait rage. Des « sous-communautés de mineurs » mettent leurs moyens en commun. Ils luttent contre des industriels qui ont créé de véritables « fermes à bitcoins ». Ils se battent pour leur gagne-pain !

 

L’Argent et la politique contre les purs « bitcoiners »

 

Voulez-vous simplifier le mode de production des bitcoins et leur intégration dans la fameuse « chaine de blocs ». C’est simple :  changez l’algorithme qui sous-tend la « proof of work ». Simple ? Vous plaisantez à double titre : vous ruinez tout ce qui fait la force de ce nouveau tiers de confiance via les formules de jeux et puzzles informatiques et vous contrariez le business model des mineurs : ils n’existent que s’il y a de l’algorithme à mouliner ! Pas ou moins d’algorithme signifie, moins, beaucoup moins de commissions.

 

Ils n’ont pas vraiment envie de changer de protocole ou d’algorithme tous les ans sous prétexte que le réseau bitcoin est un succès : le vrai succès ce sont les cours du bitcoin c’est-à-dire leurs marges bénéficiaires et les commissions fondées sur de solides « POW » qu’on calcule longuement. Les « nœuds » craignent aussi que les rémunérations ne couvrent correctement leurs besoins en électricité. Les développeurs-codeurs ont des exigences…Le bitcoin a ses ouvriers, ses petites-mains qui s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat.

 

L’argent divise, les ambitions politiques creusent encore davantage les divisions : le système qui se voulait universel est au centre de préoccupations de plus en plus locales, de plus en plus géopolitiques.

 

Lors d’une réunion à New-york, en juillet 2017, un consensus s’était forgé, pour apporter les changements utiles, mais si peu solide, qu’il a été aussitôt remis en cause, bloquant le vieux système dans un statu-quo. Doit-on y voir l’émergence de conflits « nationaux » ?

 

La majeure partie des bitcoins est produite par la Chine. Le Chinois Bitmain contrôle plus de 30 % de la puissance informatique du réseau Bitcoin. On ne peut pas faire comme si on ne savait pas que le gouvernement chinois est intervenu à plusieurs reprises pour limiter les frais pris par les grands intervenants locaux sur les consommateurs et pour empêcher que le système bitcoin soit un moyen de contourner des restrictions à l’exportations de capitaux.

 

Parmi les opposants les plus déterminés au consensus de New-York, on doit compter justement sur toute une série de places financières asiatiques dont Singapour, Hong Kong… (au fait, où est l’Europe dans cette histoire ?). Or, le board de la fondation Bitcoin est essentiellement anglo-saxon, voire majoritairement américain.

 

Les jeux troubles, les double-jeux, les trahisons commencent à faire partie du jeu politique « Bitcoin » et « monnaies cryptées ». Ajoutons à cela, une illusion collective : comment peut-on simplement imaginer que des Etats souverains vont accepter et de perdre leur pouvoir fiscal et leur pouvoir monétaire dont l’histoire a montré qu’ils étaient étroitement, si ce n’est totalement, liés.

 

 

La politique est sur le point de faire une entrée remarquée dans l’univers bitcoin.


 Comprendre le Métavers en 20 questions

 

 

 

 

Il vous suffira de tendre la main, vers les librairies du net,

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La Désillusion, le retour de l'Empire allemand, le Bunker et "Survivre dans un monde de Cons".

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En collaboration: Institut de l'Iconomie

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