Soliloques sur l'Art, chercher l'art de demain

L’art en train de se faire : entre artistes qui viennent et collectionneurs qui vont.

Cet article vient après des visites et des visites à des galeries, des foires « d’art contemporain », des salons… des dizaines d’artistes, des milliers d’œuvres, dans tous les genres, les matières, les dimensions… Une fois de plus m’est venue cette pensée que ce n’est pas une vie que la vie d’artiste. Une fois de plus aussi, j’ai pu constater combien il était difficile de débusquer l’art en train de se faire. Le collectionneur doit avoir de bonnes jambes, une grande patience, l’œil aguerri et une sorte de méfiance via à vis des chausse-trappes habituels. Voici, quelques mots d’humeurs mêlés à un peu d’humour. En deux parties. La première pour l’artiste. La seconde pour le collectionneur. En deux livraisons. Jeudi et Samedi. 

 

 

Première partie : Je veux être un artiste.

 

 

La vie des artistes n’est franchement pas très simple !

 

Le temps disponible que chacun peut distraire pour se consacrer à l’art n’est qu’une fraction du temps libre. Notre vie éveillée, vous le savez, se décompose en un temps serf et en un temps libre. Le premier, tout le monde le comprend, c’est le temps du travail. Il est serf parce qu’il n’est pas libre. Le second c’est le temps qu’on a le droit de passer à faire n’importe quoi. C’est pourquoi on le nomme temps libre.

 

Je passe sur le temps familial, dont je n’esquisserai pas une définition,  temps qui s’insinue partout, temps qui déborde, qui rompt toute organisation un peu rationnelle du temps,  y  compris du temps serf. On ne s’occupera donc pas du temps familial.  

 

Le temps libre donc. On peut faire du sport, on peut s’adonner aux plaisirs les plus innocents comme les plus étranges, depuis la marche à pied jusqu’à la visite des expositions de jeunes artistes au talent encore méconnu. Le temps libre n’est pas extensible. On considère habituellement qu’il est composé de sous-temps. On s’aperçoit qu’une fois épuisés les temps consacrés au sport, (devant la télé), au cinoche (devant la télé), au spectacle vivant, chanson, cirque, cabaret, (devant la télé), il ne reste pas grand-chose pour l’Art avec un grand A, sauf à regarder Arte.

 

Dans ces conditions, on ne sera pas étonné de constater que le jeune artiste n’a en moyenne que quelques poignées de secondes pour parvenir à se faire connaître.

 

Dans la vie artistique de tous les jours, le jeune artiste ne dispose que de quatre moyens principaux pour se faire connaître:

 

-La famille ! La famille de l’artiste, face à l’artiste, est divisée en deux clans. Ceux qui, émerveillés par le génie qui point, se demandent d’où cela peut venir sur le plan génétique. Dépensant des fortunes pour trouver l’arbre généalogique explicatif, ils n’ont plus un rond à affecter à l’achat des œuvres de l’artiste. Et puis, dans la réalité, les œuvres… « Elles sont vachement bien. Très bô ! mais… collent pas avec la déco de l’appart. C’est dommage. Trop bête, passeque cé top ». Donc, pas de risque de trouver un soutien chez ceux qui sont perdus en admiration. Ceux qui sont franchement « contre ». Ils ont de multiples raisons. En général, dans la vie, on s’aperçoit qu’on peut trouver beaucoup plus de raisons d’être «  contre » que de raisons d’être « pour ». Parmi les raisons « contre » retenons les grands classiques: « j’lai toujours dit ! un cossard ce gamin ! artisse y dit ? Tu parles ! Sauter les filles et se faire une fumette, c’est ça, artisse ! ». Autre version : « l’a fait l’école des bô zarts ? Tu parles, Charles ! tous des branquignoles ! Les impressionnistes y z’avaient pas des diplômes et Picasso, l’était pas bac+5 ». « le fils/la fille de ta sœur ? graphiste-installateur ? Y sait même pas passer l’aspirateur : un raté, je te dis, comme ta sœur d’ailleurs et son connard de prétentieux de mari ». La conclusion, c’est l’abstention, de toute évidence on n’achètera pas, sauf. .. lorsque les « contre » sont vraiment tordus :  « eh ! on rigole ? on lui en achète un (ou une) ? Et on met ça au-dessus de la machine à laver ! (version délicate et donc improbable) !». Il faut éviter la famille.

 

-Créer un groupe : c’est le concept de l’effet de taille, très étudié par les économistes. Le jeune artiste s’assemble avec d’autres jeunes artistes. Plus nombreux, ils pensent que leur visibilité s’accroit. Pour autant, si, sur le papier, le concept de groupe n’est pas inepte, en pratique, il suffit de voir comment la Zone euro fonctionne ! C’est très incertain. Un groupe ce n’est pas agile. Les frais sont plus importants en volume, une solidarité s’impose donc et artistiquement (ce n’est pas facile) , et financièrement (c’est là que le bât blesse, voyez comment Angela Merkel a répondu à la proposition française d’introduire un peu plus de solidarité en Europe). Le plus dur pour un groupe : un des membres réussit ! Alors le groupe explose. Pas en terme de réussite. Il explose tout court. Il se débande. Les raisons peuvent être futiles : « (au sujet du membre qui réussit) Franchement, quand on voit (écoute-touche-sent) ce qu’il fait (peint-sculpte-joue) on est effaré du côté gogo de nos contemporains ». Ou bien « t’as vu sa nouvelle grognasse ? Bourrée de fric et de relations ». Ou bien « l’est pas franc-mac ? » (Nombreuses autres versions que je tiens à votre disposition). Il faut éviter les groupes.

 

-Les réseaux : pas mal, pas cher, pas (encore) ringard… notez que les réseaux, les réseaux c’est vite dit ! Il ne faut pas se tromper. Il y a réseau et réseau. Les bons et les mauvais. Ceux qui regardent vers l’avenir et ceux qui mobilisent essentiellement les maisons de retraite et les associations pour l’éveil du quatrième âge.  Donc les réseaux, ce n’est pas si simple. Surtout les réseaux rewarding qui présentent quelques ambiguïtés. Ainsi des « like » qui se multiplient : « tu le croiras pas, c’est ouf ! j’ai eu 3261 like sur ma photo de momo quand son parapente s’est mis en torche » et un peu plus tard : « dingue ! 15729 like sur ma photo de momo, après l’atterrissage. Là, il bougeait plus, alors j’ai pu chouette cadrer.  Je te dis pas la couleur ! Rouge partout, pas besoin de photoshopiser ! On aurait dit comme une tache de Rose Char. Tu sais la fille qui duchampisait les gogos en leur faisant faire des éclaboussures et des pliures». Il y a pourtant un hic… un « like », c’est zéro euro. Et comme chacun sait : «  ce qui n’a pas de prix, ou bien c’est sans prix parce que ça vaut des fortunes, ou bien c’est que personne n’en veut et donc, ça ne vaut pas un clou. ». Il faut éviter les réseaux.

 

-Les galeristes : là c’est simple. Si t’es pas pris par Gagosian ou Thadeus, t’oublies.

Entre Artiste méconnu et artiste vivant

Bon… sauf que, si on oublie la famille, les groupes, les réseaux et les galeristes, il vaut mieux oublier d’être artiste. A moins que… Allez ! Des artistes qui n’ont pas eu besoin de remuer, de s’agiter, de se presser, de parler à la famille, d’avoir des copains avec qui monter un groupe, de chercher à communiquer par les réseaux, ou même de prendre contact avec des galeristes pour être exposés, montrés, étalés, accrochés, il y en a eu ! Evidemment que c’est possible, c’est même rassurant que le talent un jour, tranquillement soit révélé à qui ne s’y attendait pas, genre Annonciation. Regardez Vivian Maier «  une photographe de rue américaine dont le travail est demeuré inconnu jusqu'à sa mort et sa découverte fortuite » comme dit Wikipédia. Et Henry Darger ? Il aura passé l’essentiel de sa vie à écrire et à illustrer sans que personne ne s’en aperçoive ! On pourrait multiplier les exemples. Dans l’avenir, on multipliera les découvertes de ce genre en raison de l’explosion des ventes d’appareils de fabrication d’image en tous genres et de la multiplication des techniques de prises de vue, de son et de mouvement et de tout. Ne dit-on pas qu’il est, dans certaines villes des Etats-Unis, des caméras de vidéo-surveillance dont la production est en train de renvoyer le « street art » américain au rang de la dentelle au crochet en Bretagne profonde !

 

 

Conclusion : ce n’est décidément pas facile que d’être un artiste. 

1 Collectionner l’art de demain !

2 Découvrir un artiste ?

3 Trouver une aiguille dans une botte de foin !

4 Chercher une clairière où viendrait à la vue ce qui n’est pas visible? 

 

 

 

 

 

L’art en marche, l’art en marchant, collectionner l’avenir. 1/2

 

Qu’il est difficile de débusquer l’art en train de se faire ! Le collectionneur doit avoir de bonnes jambes, une grande patience, l’œil aguerri et une sorte de méfiance via à vis des chausse-trappes habituels. Voici quelques mots d’humeurs mêlés à un peu d’humour sur la quête du collectionneur. Et pour se retrouver dans un univers foisonnant et en manque de chemin, voici un plan :

 

1 Collectionner l’art de demain !

2 Découvrir un artiste ?

3 Trouver une aiguille dans une botte de foin !

4 Chercher une clairière où viendrait à la vue ce qui n’est pas visible

 

1 Collectionner l’art de demain !

 

Le collectionneur est un individu protéiforme : il prend l’aspect d’une boîte de camembert, d’incunables, de peintres italiens nés et morts à San Giminiano ou de hochets en ivoire. Collectionner ne suppose pas nécessairement une spécialisation absolue ! On peut, bien sûr, concentrer son attention sur les timbres-poste émis en Guyane française entre 1848 et 1871 mais on peut aussi bien porter sa passion sur deux ou trois supports en même temps ou successivement. Un mien parent collectionnait en même temps, les livres sur les uniformes de l’armée napoléonienne, les figurines en plomb de cette même époque, les gravures du XVIIIème siècle, les timbres-poste…. A la réflexion, il s’agissait de collections « évidentes », le stock existait, la production s’était parfois complétement arrêtée, les images ou objets n’étaient pas inconnus de la majorité des gens, y compris de ceux que cela n’intéressait absolument pas. Ce n’est justement pas de ce type de collectionneur qu’on veut « traiter » dans cette chronique, on s’attachera aux collectionneurs qui collectent l’art en train de se faire, l’art qui n’existe pas, l’art de demain.

Admettons qu’il y a là une gageure ! Pourquoi pas collectionner les nuages, les rêves, le vent dans le désert et l’eau des torrents ? Comment collectionner les œuvres qui se font et se défont ? Comment se saisir de recherches qui aboutissent sans s’encombrer des œuvres sans issue ? Comment trouver le chemin qui mène à demain dont on sait pertinemment qu’on ne le connaîtra qu’une fois tracé, c’est-à-dire quand demain sera passé, sera un passé ? Comment pouvait-on savoir dans les années 1860 que l’avenir n’était pas dans les Walter-scotteries mais dans les meules de foin, dans les champs de coquelicot, peints à petites touches hésitantes. Entre les préraphaélites et les impressionnistes, n’était-ce que choisir entre bravoures et labours !!!

 

Cet article vient après des visites et des visites à des galeries, des foires «d’art contemporain», des salons… des dizaines d’artistes, des milliers d’œuvres, dans tous les genres, les matières, les dimensions… Une fois de plus m’est venue cette pensée que ce n’est pas une vie que la vie d’artiste. Une fois de plus aussi, j’ai pu constater combien il était difficile de débusquer l’art en train de se faire. Le débusquer ?… C’est le côté « chasseur » qui se manifeste avec plus ou moins de bonheur en chacun d’entre nous. Mais faire lever le gibier n’est pas le capturer et savoir le faire régulièrement, sans de trop grandes erreurs n’est rien justement à côté de la décision à prendre : c’est cette œuvre-là, je le sais, je la veux. Puis, un peu plus tard, une autre. Rien à voir avec la première ? Peu importe, c’est aussi celle-là, qui bâtit l’avenir et ainsi de suite. Le collectionneur doit avoir de bonnes jambes, une grande patience, l’œil aguerri et une sorte de méfiance via à vis des chausse-trappes habituels.

 

Voici, quelques mots d’humeurs mêlés à un peu d’humour : entre artistes qui viennent et collectionneurs qui vont.

 

2 Découvrir un artiste ?

 

La vie de collectionneur n’est vraiment pas facile. Dans l’univers économique, on raconte que la demande, si elle veut bien se promener en dehors des bois, peut rencontrer l’offre. Dans la plaine du marché, les petites robes rouges n’ont plus cours quand même demeureraient ici et là, quelques loups solitaires (surnommés traders) et des requins confits (par Hirst).  Chaque fois qu’offre et demande, sur cette plaine, veulent se croiser, se reconnaître et consommer une union, les fruits qui en viennent se nomment : les prix! Ceux-ci, ayant forci dans des échanges nombreux et fructueux, nommés « séries statistiques»,  n’hésitent pas à quitter le marché local pour s’en aller par le vaste monde afin de dire ce qui vaut et ce qui ne vaut pas et à quel niveau. S’il n’y a pas de prix, l’union ayant été infertile, il n’y a pas d’échange, le marché n’existe pas, Vivian Maier demeure inconnue. (Ce n’est plus le cas aujourd’hui comme chacun peut le remarquer, Vivian Maier est connue, la preuve est fournie par les prix : ils sont élevés et ne manqueront pas de grandir, comme tous les prix dont on prend soin et qu’on arrose comme il faut). Pour des raisons scientifiques sur lesquelles on ne s’étendra pas les prix élevés ne concernent qu’un petit nombre et les prix bas, à l’inverse, un grand nombre.

 

Ce qui paraît simple dans un contexte conceptuel ne l’est plus du tout quand on passe à la pratique. C’est là que le collectionneur découvre qu’il s’est engagé dans une sorte de sacerdoce.

 

Prenons votre cas : vous êtes « une demande d’œuvre d’art ». On va dire pour simplifier que vous êtes « une demande de photographie ». Vous êtes une «demande d’art en mouvement », une « demande d’avenir » : vous voulez découvrir le Brassaï, le Cartier-Bresson de demain. Acheter de l’Helmut Newton à New York ? Vous éclatez d’un rire sinistre et vous vous écriez : « Jamais !». Vous avez raison, le porno glacé, est-ce de l’art? Alors, vous vous reporteriez sur du Depardon à Paris ? Sûrement pas: la photographie politique floutée, ce n’est pas votre tasse de thé ! Vous voulez  «découvrir» comme le fît Apollinaire pour le cubisme et Duchamp pour les urinoirs. Vous allez vers l’art qui se fait et non pas seulement vers l’art qui se vend. Vous rêvez du tableau par lequel l’artiste, Courbet, par exemple, découvert par vos soins racontera la rencontre de deux âmes éprises de beauté, c’est à dire de vérité. Hélas, hélas, vous n’avez pas le temps de courir les marchands, d’arpenter les salles de vente, de fric-fraquer dans les décharges, de démonter nuitamment les caméras de surveillance ou d’errer par les chemins en espérant que l’artiste va surgir à un tournant ou, si vous êtes amerloque, de l’ombre bienfaisante d’une pompe à essence au beau milieu du désert du Nevada!

 

La question devient angoissante : comment faut-il procéder afin de satisfaire une soif étrange : la soif de l’art qui vient, de l’art qui, demain, gouvernera le monde, les modes et les dîners en ville? Vous errez donc, comme à la recherche de l’or natif. Vous courrez dans les galeries. Vous allez de l’une à l’autre. Vous laissez votre adresse e-mail. Vous êtes invités aux vernissages. Parmi les happy few ? Peu importe, avec un peu de sagacité et un certain sens de l’observation vous ne vous découvrirez pas seul. Les têtes vous deviendront familières. Votre quête n’est pas solitaire ! Et vous découvrirez l’âme sœur, le galeriste qui sait ce que vous cherchez ou celui qui détient les clefs pour accéder à ce qu’il faut savoir, connaître et acquérir… vous tisserez des liens, ils seront toujours fructueux, pour l’un parce que vous serez parmi la cohorte des gens qui le suivent, qui valorisent ses poulains, les jeunes et les moins jeunes, pour l’autre parce que si le galeriste est de qualité, vous en suivrez les recherches, la « ligne », les passions et aussi les erreurs !!! Mais personne ne garantit rien dans l’art en train de se faire, vous le savez bien !!!

 

3 Trouver une aiguille dans une botte de foin !

 

Imaginons que par extraordinaire vous ne trouviez pas le « galeriste-âme sœur ».

Ne désespérez pas. Il existe d’autres possibilités: les foires d’art contemporain, les salons des refusés modernes, les expositions convergence, compilation, congruence etc… il y en a partout. C’est l’endroit idéal. Car, d’un coup, sous un même toit, abrités des vents et des frimas, bien éclairés, sont rassemblés jusqu’à, parfois, des centaines d’œuvres. D’un seul coup. Plus besoin de traîner dans les ateliers où on ne boit même plus un p’tit coup. Plus besoin de fréquenter les galeristes au regard lourd et soupçonneux qui vivent au fond d’échoppes sombres et inquiétantes (ce n’est pas vrai, c’est pour le style, il y a beau temps que les galeries sont lumineuses et blanches sous l’influence des cathédrales probablement). Plus besoin de rechercher des familles d’artistes (qui ont encore un beau portefeuille ! Sous-entendu, l’artiste est mort incompris et a laissé des palanquées de toiles géniales, de fusains qui sidèrent et d’objets fondus, tordus, sculptés à couper le souffle). Mieux encore, vous évitez, et les enthousiasmes niais des « pour », et les sarcasmes au vitriol des «contre». D’un seul coup, la Foire, le Rassemblement, le « Bâle pour l’avenir» (le vrai « Bâle » ne concerne que les œuvres du passé, ceux qui sont rentrés dans les séries statistiques, qui ont des cotes, des produits balisés, identifiés, avec pedigree, genre pur-sang à Deauville) sont ouverts et vous offrent comme un havre où, tel le gibier qui repose sur l’étang, les artistes sont là à votre disposition, avec leurs œuvres. L’idéal.

 

Idéal ? C’est vite dit ! Il faut raisonner mathématiquement : supposons que dans un lot d’artistes jeunes, non connus, contemporains, seuls 1% peuvent revendiquer d’appartenir à la petite cohorte des artistes qui auront le droit d’entrer dans la compétition de l’art national puis mondial. Si votre exposition rassemble moins de 100 artistes, pas de chance, vous ne trouverez pas la perle rare. Au-dessus de 100 vous en trouverez 1 tous les cents (évidemment puisqu’on a dit 1% !) sachant qu’il ne peut pas y avoir de rompu (0.5 artiste n’existe pas  sauf à se laisser aller à un humour de mauvais goût ce qui n’est pas votre genre). A cette aune, une gigantesque réunion de 300 artistes donne…. 3 bons potentiels…

 

Ou des paillettes d’or dans une battée ? Non ! Ce n’est pas aussi difficile mais ce n’est pas facile pour autant. Si vous disposez d’une heure de temps pour faire votre choix parmi 300 œuvres ou artistes, ils défileront au rythme d’un toutes les 12 secondes ! Si chaque artiste a installé 3 œuvres, vous pouvez consacrer 4 secondes pour chacune d’entre elles. Mettons que vous avez davantage de temps, 3 heures par exemple : vous aurez donc 36 secondes pour faire vos choix. Il est probable qu’avant deux heures de cet exercice, vos pas auront ralenti, votre attention se sera réduite, que vous en aurez par-dessus la tête, toutes les œuvres passées en revue ressembleront à un bon demi sans faux-col ou à une demi-bouteille de chardonnay. Vous considérerez moins les œuvres que la chaise sur laquelle est affalée quelqu’un dont vous ne saurez jamais si c’est un artiste, un ami de la famille, un gardien de musée en activité ou un SDF qui a trouvé le moyen de s’installer dans un endroit calme et au chaud. Ils sont tous habillés pareils.

 

Vous pensez que tout ceci est n’est que plaisanterie ? En aucun cas, c’est ce que j’ai fait lors d’un salon qui s’est tenue récemment au Grand Palais dont le nom devait être «Comparaison et salons x, y, z réunis». Un salon qui n’était pas que Français. Il y avait des artistes étrangers. Il y avait de la photo, de la sculpture, de la peinture. En fait, il y avait un peu de tout et un peu tout le monde. Un constat : beaucoup d’artistes ! Un deuxième : largement figuratif. Le reste ? Avancer parmi les œuvres, les couleurs qui flashent, le rouge vermillon qui défie le bleu pétrole, toutes les nuances de l’arc en ciel, toutes les formes pour dire l’humanité, ses rêves, ses phantasmes et ses douleurs. Ce qu’il faut éviter de faire : se plaindre mentalement de toutes ces peintures qui paraissent déjà vues, de toutes ces couleurs qui ont perdu leur raison d’être, ces formes qui se tordent mal ou s’envolent lourdement. Avancer, comme on fait dans le sous-bois d’une forêt. Il y a des ronciers, des arbres affalés sont en travers du chemin, des tas de petites bêtes ne cherchent qu’à vous pomper le sang. Vous y allez quand même si vous être le chasseur qu’on a décrit plus haut. C’est à cet instant que vous retrouvez, sans vous en rendre vraiment compte, les réflexes antiques du chasseur et de sa proie. C’est le syndrome archaïque de la demande à la recherche de l’offre, avec ou sans petite robe rouge, selon la nature de vos fantasmes et selon que vous vous prenez pour un loup ou non. Avant que les marchés surgissent pour happer l’œuvre prometteuse, l’œuvre qui annonce l’avenir. Avant qu’ils lui aient collé un prix dans le dos.

 

4 Chercher une clairière où viendrait à la vue ce qui n’est pas visible? 

 

(Certains philosophes allemands pensent qu’on trouve de l’Etre dans les clairières, c’est-à-dire de la vérité, donc, in fine, de l’Art). Vous cherchez l’impossible : une fleur qui serait dans cette clairière, dont vous ne connaissez ni l’emplacement, ni les nuances, ni le dessin, ni l’odeur ? Un arbre qui, parmi tous ceux de cette forêt, dirait cette forêt et toutes les forêts, ses arbres et tout de l’arbre, ici et maintenant, mais aussi depuis le temps des origines et peut-être vers le temps de la fin, et les forêts et les arbres  à venir dont on ne sait ni quelles feuilles ils auront, ni s’ils en auront…

Que trouvez-vous ? A de certains moments vous sursautez ! C’est ça ! C’est bien. Vous vous arrêtez. Et puis, non ! Non ! NON ! Ce qui vous a arrêté ? Une ombre que vous connaissez bien et qui vous a fait signe. Le style qui vous ravit depuis tant de temps… Colère ! Cette œuvre-là,  qui vous a fait de l’œil, comportement douteux, compromission, elle a pris le masque et le costume d’un grand ancêtre. Elle squatte le passé. Elle s’est grimée en impressionniste, en cubiste, en fauve, en Picasso, en n’importe qui. Fureur contre vous-mêmes : vous n’êtes pas venu au-devant de connaissances mais au-devant d’inconnus ! Alors vous vous détournez et vous continuez, méfiant, car vous ne tenez pas à rencontrer des souvenirs précis, des charmes d’autrefois, des enthousiasmes alourdis ni des ardeurs un peu refroidies.

 

Et puis, discrètement, une œuvre vous fait signe. Elle est différente, elle n’est pas si éloignée, elle vous est parente. Pouvez-vous vous abandonner vous-mêmes ? Faire table rase de votre pensée, de vos goûts, de vos idées sur l’art, son sens, son rôle, son avenir? Bien sûr que non ! Peut-être irez-vous un peu plus loin que d’habitude ? Peut-être pousserez-vous l’audace au-delà de quelque chose que vous ne connaissez pas ? Ce qui est sûr c’est que, le temps d’un instant qui s’allongera et changera les secondes en minutes, vous resterez en face d’une œuvre qui veut tisser des liens, qui vous parle ou qui vous hurle, qui pulvérise quelques convictions et tire la trame des nouvelles, qui fait venir des souvenirs enfouis ou qui propose des visions sur des souvenirs à venir.

 

Au bout des trois heures, un peu moins peut-être, vous compterez. Et vous serez contents de votre pêche. Cinq, six artistes, photos, peintures, sculptures. Sont-ils les «artistes millionnaires» de demain ? Aucune importance ! Ce sont des gens avec qui il vous semble possible de parler. Des œuvres qui vous ouvrent des portes. Des questions que vous aimeriez installer parmi les autres questions… pardon, parmi les autres œuvres,  pour changer votre monde.

 

 

Vous pensez que je dis des choses au hasard. Que tout ceci n’existe que dans une tête exaltée. Vous exigez des preuves. Vous ne vous contenterez pas de quelques mots jetés à la va-vite. Il vous faut des noms. On aurait trouvé des artistes nouveaux, de ces gens qui fabriquent des questions nouvelles à coup de pinceau, de ciseau, de crayon, avec des couleurs, du bois, du papier, du bronze, avec du vent… Lors de cette exposition dont je ne me souviens plus le nom, j’ai relevé des noms, pour le plaisir d’aller ensuite rechercher ce qu’ils avaient déjà fait, où ils avaient exposé, pour le plaisir d’une prise de contact peut-être, et les mieux connaître et …. souhaiter les voir parmi toutes ces œuvres amies, œuvres que j’ai installées et qui se sont installées, confortablement et maintenant,  œuvres qui se passent de moi, œuvres aussi qui  guident mes pas aussi. Nommément : Maria Chillon, Brigitte Kernaleguen, Gisèle Lacroix, Martine Demal, Cécile Gély, Chardiny, Véronique Duplan….

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