Soliloques sur l'Art, Mars 2019

Yoonkyung, une artiste coréenne à la MEP

Katrin Bremmermann, à l'Institut Goethe

REN HANG à la MEP, LOVE

Yoonkyung, une artiste coréenne à la MEP

L’artiste coréenne Yoonkyung Jang n’a pas réinventé la photo et fait émerger à la vue des regardeurs des mondes nouveaux, des couleurs inconnues, des formes inventées. Les prises de vue sont classiques. Les sujets tout autant, des portraits, en pieds ou en buste. Pas de grimaces. Pas nécessairement de sourires. Des regards qui portent vers le lointain, absents à l’image, présents aux couleurs et à la lumière.

 

Ne dit-on pas que le beau surgit quand les sens et l’esprit se sont accoutumées aux nouvelles formes, d’un nouveau regard, des émergences innommées ? C’est en ce sens que les photos de  Yoonkyung Jang sont belles. Elle reprend des thèmes esthétiques, elle maîtrise les codes de la couleur et les restitue aux regardeurs sans les pousser « au-delà ». Elle sait que la prise de vue procure un équilibre garant de la permanence du beau et d’un rapport naturel avec les œuvres de ses prédécesseurs.

 

Les photos des jeunes femmes mises en scène sont élégantes et transparentes (pour ne pas utiliser le trop fameux mot « éthéré »). Les modèles ne sont pas censés apporter des sentiments profonds, les couleurs retenues ne sont chargées d’aucune symbolique, il n’y a pas de message, si ce n’est que l’acte de photographier est un acte artistique au plus haut point.

 

En ce sens, la classique pose où les mains enserrent totalement la tête du modèle, qui laisse  à penser à un fruit, très jaune, trop jaune, est un bel exemple de la « poétique » de l’artiste. Elle apporte un plaisir du regard. Pas de fautes de goût, des coordinations cadres-couleurs-lumière qui sont impeccables. Le beau naît simplement de couleurs simples.

 

 

Belle exposition à voir et à revoir, d’autant plus qu’elle vient avec deux autres expositions d’artistes chinois dans une proposition artistique très intéressante. 

Katrin Bremmermann, à l'Institut Goethe

 

C’est une peinture austère. On ne verra pas de charmantes figures ou des images délicates. Il n’a y a pas non plus dans le travail de Katrin Bremmermann de déchirements, de personnalités en morceaux ou de cris au nom de la liberté et contre l’inconscience écologique.

 

C’est une peinture, et une sculpture aussi, très austère. Elle est faite de couleurs pures qui se découpent sur des papiers blancs presqu’aussi purs. Pas autant que les couleurs, pour dire peut-être que leur pureté, la netteté des traits, l’austérité des images, n’excluent aucune dimension temporelle. Les salissures ou traces de construction annoncent que le projet est de notre monde et que la recherche de la perfection des formes se déroule dans un monde imparfait.

 

L’austérité qu’on vient d’énoncer se trouve vraiment dans la finesse de tracés impeccables et dans la netteté de couleurs pures comme s’il s’agissait de surfaces polies, de laques posées en multitudes de couches transparentes. Pourtant, il faut remarquer que la taille des œuvres les fait chavirer.

 

En général, les œuvres présentées, mais aussi et très souvent les œuvres que réalise l’artiste sont de petite taille, celle d’une feuille « A4 » ou un peu plus grande. Œuvres par définition intime, où le regardeur est davantage lecteur, emporté dans une rêverie, une méditation personnelle. Or, sont exposés aussi de grands, voire très grands formats. C’est en ce sens que les œuvres chavirent.

 

Elles quittent ce statut de « proposition intime » et viennent s’installer dans ce que j’aime nommer, un statut de portes ou de passages. Les tracés, les couleurs, l’austérité de la représentation demeurent, mais la mise des peintures au grand, très grand format, les fait sculptures, autant que peinture. L’épaisseur du support, l’irrégularité de sa forme, la combinaison de deux ou trois « morceaux » d’œuvres pour en faire une seule qui impliquent nécessairement un aboutement et donc une fissure, conduisent à renverser, faire chavirer les œuvres de Karin Bremmermann.

 

Il faut aussi ajouter aux peintures, les projets de sculptures qu’elle expose et qui s’inscrivent dans la mouvance de Calder .

 

Pour moi, ces œuvres, dans ces formats, très grands, passent du statut de support intime à celui de porte vers un au-delà, un moyen d’aller « beyond », au-delà de nous-mêmes.

 

Encore faut-il que l’artiste accepte d’être le passeur… et quitte l’intimité des feuilles de papier pour aller vers un discours public. 

 

REN HANG à la MEP, LOVE

 

 

Mort en 2017, l’artiste chinois est exposé à la Maison Européenne de la Photographie pour la première fois en France.

 

Au premier regard, c’est le fantastique sens de l’humour de l’artiste qui vous submerge. Magrittien consommé, faisant dire aux corps ce qu’ils ne disent que rarement, les assemblant pour les disloquer, les prenant par morceaux pour en reconstituer l’érotisme, Ren Hang fait preuve d’une remarquable habileté, dextérité et …. Désinvolture.

 

Quelqu’un a dit que l’habileté en art est de laisser penser que l’œuvre n’est ni le fruit d’un effort, ni l’expression d’une idée, mais qu’elle doit paraître simple, comme venant naturellement, quelque complexe elle soit réellement, quelque profonde l’idée qui fut le fil conducteur de l’artiste. L’art de Ren Hang est là justement : malgré des mises en scène complexes, donner l’image de l’évidence.

 

Y a-t-il du Mapplethorpe chez cet homme, goût de la précision, ligne très claire qui traverse son œuvre, attitude qui paraît distante, concentrée sur une scénographie dont les variantes se succèdent comme à la parade ? la couleur en plus. Et aussi une distance, qu’on trouve chez les modèles eux-mêmes dont le regard reste étranger aux prises de vue.

 

Le jeu des corps n’est-il pas un jeu avec les corps et la transformation de leur image. Le jeu du rouge, des ongles, des bouches, des cerises, des fleurs vient s’imposer sur la nacre des peaux, pour jouer, pour imager, pour transfigurer.

 

Jeu poétique aussi, qui fait du sexe d’une femme la source et le terreau d’une tulipe. Jeu poétique que cette reprise de la triste et froide image célèbre de Ophélie par John Everett Millais. « Dans l’onde calme et noire où révent les étoiles …. » 

 

Jeu poétique des corps qui forment paysage, avec monts, collines et vallées. 

 

Une magnifique exposition


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