GIANNI MIGLIETTA est peintre (Académie des Beaux-Arts de Venise). Son
parcours artistique est extrêmement varié, allant du monde du théâtre - scénographie, danse et chorégraphie - à celui du cinéma d’animation et de la céramique. Depuis de nombreuses années, il
travaille, en collaboration avec Stella Battaglia, sur la perspective et ses distorsions du point de vue de la recherche théorique et créative, avec notamment la réalisation d’anamorphoses avec
miroirs sphériques
STELLA BATTAGLIA est sculptrice (Académie des Beaux-Arts de Florence). Suite à son parcours dans les domaines de la danse et du théâtre, elle se tourne vers les arts figuratifs, se concentrant sur le thème de la distorsion de la perspective, en collaboration avec Gianni Miglietta.
Philippe Charles Ageon a lancé sa « saison ». Passé les douloureux deux premiers mois de l’année, le printemps s’annonce et les cimaises reprennent des couleurs. Chez BOA, on est allé plus loin que les couleurs, plus loin que les formes, on est allé à la recherche du temps qui forme et déforme, qui construit et vaporise, qui attire et délaisse.
Comment pourrait-on parler autrement du travail remarquable de deux Italiens, Stella Battaglia et Gianni Miglietta ? Faut-il évoquer un talent de sculpteur sans prévenir que les sculptures sont trompeuses et montrent non pas tant ce qu’on croyait y voir mais ce qu’elles veulent bien déceler. La sculpture plus encore que la peinture est un art illusionniste et les plus grands sculpteurs sont ceux qui ont su faire passer pour vérité ce qui était vraisemblance ou, mieux encore, qui ont su faire émerger le vrai et donc le beau par des jeux de l’esprit et quelques trahisons au détriment de la réalité? Ils savaient ce qu’ils faisaient : la géométrie n’avait pas de secret pour eux et loin de s’y asservir au nom de la vérité scientifique, ils s’en sont servis au nom de la vérité artistique !
Reprenons, les deux artistes sont passionnés par les jeux du regard et les trahisons de la perspective. Parmi leurs jeux préférés, l’anamorphose. Tout le monde connait cette figure qui n’a aucun sens, si ce n’est en tant que couleurs juxtaposées en dessins incertains. Et voici que placée sous un certain angle de vue ou confrontée à une forme en miroir, cône, cylindre ou sphère, couleurs et dessins se remettent d’aplomb et viennent à montrer une image, un portrait ou un bâtiment, en fait tout ce qui sera venu à l’esprit de l’artiste et dont il aura voulu jouer en les cachant … tout en les montrant ! Puisque aucun spectateur averti n’était dupe de leur supercherie. Il est de célèbres anamorphoses, l’une d’elle frappe, tant elle est symbolique d’un certain sens de la peinture. Elle se trouve au pied du portrait des ambassadeurs peints par Holbein : ceux-ci, splendides, dominent les regardeurs en les regardant bien droit, mais si ces derniers prennent la tangente, si le regard se fait oblique, si les ambassadeurs sont rejetés dans un coin de vision, alors, ce curieux dessin qui paraissait orner un bouclier ou un plat se révèle et montre ce qu’il représentait : une tête de mort.
Technique prisée de tous temps, message crypté dont les clefs de déchiffrement étaient dans tous les regards, anamorphose peut prendre des aspects, user de supports et s’appuyer sur des perspectives très variées. Veut-on penser à des exemples anciens ? Le Parthénon en offre un des exemples les plus clairs et les plus simples : pour contrebalancer l’effet de fuite résultant de la hauteur impressionnante des colonnes, les architectes du temple ont « compensé » en redessinant leur galbe. Ainsi, le spectateur, l’adorateur n’avaient pas l’impression de voir une pyramide tronquée mais un temple dont la construction était toute faite de verticales et d’horizontales.
Les deux italiens savent aller du plus simple au plus compliqué et passer de jeux de sociétés amusants à des formes complexes inspirées des univers impossibles d’Escher. Leur art ajoute à la technique de l’anamorphose celle de la sculpture ou du modelage pur. C’est alors du temps qu’il faut parler, du mouvement qui s’impose dans des formes fixes, de la fragilité de l’instant et de la recomposition sans cesse recommencée des formes. C’est aussi d’une réalité qui passe sans cesse du vu, au « cru voir », du voir une fresque en perception d’un relief, qui la continue ou la justifie…
Un exemple topique est proposé par les deux artistes : une figure de Poséidon qui offre au spectateur immobile une belle tête antique dans une matière qui serait comme un bronze verdi. Si, par hasard, il vient au spectateur de « tourner » autour de cette sculpture, Poséidon surgit sous une autre forme, vague qui éclate, dieu en furie ou tempête et écumes. La sculpture, qui parait plus que tout autre art frappée de fixité voire d’immutabilité, qui est par définition, pétrifiée, s’anime et une histoire se déroule! Qu’est-ce donc en effet qu’une image qui change au fur et à mesure du déploiement du temps si ce n’est une histoire montrée, racontée ou jouée.
Pourtant, si face à cette sculpture le regardeur ne bouge pas, la forme créée aura perdu toute sa puissance d’expression. Il est tant à dire sur ces procédés où l’illusion est mise au service du véridique, où la vérité du regard est subverti par la fugacité d’une illusion, où le temps du regardeur est déconnecté du temps du créateur, il est tant à dire…
Un dernier mot, cependant : l’art des deux artistes se trouve aussi dans le fait que les œuvres qu’ils proposent au regard ne sont pas simplement de belles « machines » et des démonstrations de géométrie appliquée mais de belles œuvres par elles-mêmes. Le magnifique miroir qui fait jaillir un dieu furieux si on choisit le bon angle de vue est une très belle pièce indépendamment du jeu de regard très fin et précis qu’il propose. Mais aussi, le travail d’anamorphose sur des thèmes « escheriens » donne des sculptures riches du mystère des perspectives qu’elles déploient, de leur construction élégante et surtout par ce mystère qui n’appartient qu’aux architectures impossibles. Très beaux objets qui apportent des questions et laissent le spectateur avec leur résolution !
Exposition à voir pour réapprendre à voir et pour avoir le plaisir aussi le plaisir des œuvres.
Ce n’est pas par snobisme ou par mépris que je ne dirai que quelques mots sur Art Paris. C’est simplement que je n’y ai pas été étonné par grand-chose. Pas d’artistes qui vous bluffent, pas de techniques impressionnantes, rien qui choque ou blesse… Moins de sexe, moins de pénis en érection, moins de chattes ou d’entre-jambes largement ouvertes. C’est déjà ça. En revanche, de beaux artistes et pas seulement de grands noms. Des œuvres intéressantes, rarement ratées et souvent de premier ordre. Pas de tonitruance et de tableaux dont les prix s’expriment en centaines d’années-Smic. Tout tranquille finalement. Du bon travail de galeristes efficaces.
Quand même, quelques noms, pour des œuvres que j’ai trouvées sympathiques ou belles ou intéressantes : Sam Szafran qui joue de la perspective, des cadrages impossibles, un peu escherien, un peu anamorphose, c’est à la galerie Claude Bernard. Mohamed Lekleti, chez Galerie D.X, dessine plus qu’il ne peint des situations surréalistes, étonnantes, frappantes, dans l’esprit d’artistes comme Velickovic. On peut être un peintre du noir sans singer Soulages ou Marfaing : François Calvat en est un bel exemple. La galerie Pascal Vanhoecke présente son travail qui donne largement place aux techniques mixtes, métal, pierre, ciment etc. Et puis, mais ce n’est pas la fin, Katrin Kostaru. Ce n’est pas de la peinture, ce n’est pas de la sculpture, c’est aérien, fragile et très beau. A voir chez Pascaline Mulliez.
Bien sûr, on pouvait voir Dubuffet, Hartung, Jan Voss, Alechinsky.
Et même Pincemin, dont j’ai trouvé qu’au fond il avait un air de Rothko triste…
Passons à Drawing Now.
On y trouve toutes les mêmes grandes galeries qu’à Art Paris, preuve s’il en était que le Dessin a retrouvé grâce aux yeux des marchands. Surtout, ce qui est le plus marquant dans cette exposition de dessin réside dans le fait que le dessin n’y est pas un sous-produit dans l’œuvre d’un artiste, le prélude à un tableau, les tentatives avant un «vrai travail», les gammes qu’on fait avant de passer aux choses sérieuses. Le regardeur est confronté à des actes de création valant par eux-mêmes. La technique du dessin est ici appelée à jouer sa partition dans l’acte créateur d’un artiste tout autant que le pinceau ou la bombe acrylique.
Et, en même temps, la conception du dessin s’est amplifiée et élargie : à un galeriste à qui je faisais remarquer qu’entre le travail qu’il présentait et une peinture, on pouvait hésiter, il me fut répondu qu’on doit considérer le travail du dessin comme avant tout un travail sur papier, avec le papier et pourquoi pas contre lui.
Ainsi le dessin à l’exposition duquel on est convoqué n’est pas tout à fait du dessin et parfois ressortit à la technique mixte qui le rend très voisin de la peinture !!!
Peu importe, le dessin qu’on nous montre couvre tout le champ possible de cette technique, depuis le dessin au sens le plus essentiel, paradigme du geste même du dessinateur, le trait, le trait pur et en soi, mais aussi, le trait comme il est traité par l’enfant, par le fou ou par l’illuminé. Le trait c’est ce mystère qui fait naître l’espace et le temps, ce mystère qui nous saisit toujours lorsqu’on nous met entre les mains, un crayon, un morceau de charbon, ou n’importe quoi qui permet d’inscrire, de prendre possession de l’espace, de le diviser et par là de lui donner ses dimensions.
Mais le dessin c’est aussi une appropriation du vivant, de l’obscur et dans cet esprit une incantation ou un discours. C’est enfin une matière : le papier, le carton, puis tout support sur lequel on peut laisser une trace, une griffe, un écrit. C’est aussi un support qu’on déchire ou découpe, qu’on superpose et qu’on colle, on peut aussi le brûler, les froisser… le support torturé donne à la trace sa violence ou au contraire sa fragilité.
Après quelques idées générales, il faut venir aux faits et aux noms.
Des dessins très Luperziens, sombres et noirs, charbonneux, aux couleurs dures chez Claudine Papillon, avec Erik Dietman, dans une mouvance très allemande. Et … Lupertz, lui-même, chez Suzanne Tarasieve. A la galerie Metropolis, Johann Rivat, dessine comme on photographie. Bien sûr ce n’est pas comme ça qu’il faut dire les choses. Il ne dessine pas selon photo, mais, on voit que l’esprit de la photo n’est pas loin, comme il est présent dans bon nombre de bandes dessinées.
J’ai aimé les formes tourmentées de Gidéon Kiefer, un jeune artiste belge présenté par Geukens et de Vil. Il raconte toute une histoire, la sienne, mais cela n’a pas grande importance, l’important c’est l’esprit de récit qui anime son dessin. L’écriture est aussi présente, discrètement et beaucoup de surréalistes du nord sont bien là à veiller sur le travail de Gidéon. La Galerie Baraudou, Karine Rougier couvre ses feuilles de personnages et de dessins entre enfance, obsessions et comptines à faire peur.
Les dessinateurs sont des conteurs, qu’il s’agisse des plus grands, de ceux qu’on aime placer dans un carton et ne sortir que pour les lire, ou les montrer, amicalement, à des amateurs triés sur le volet. Les dessinateurs sont aussi des gens du trait, de la ligne, de la coupure.
J’ai beaucoup aimé les dessins, crayons, encre, fusain de Thomas Müller, que j’avais déjà chroniqué (suivre ce lien). Abstraits, pas d’histoires qu’on raconte, mais le geste primordial, la trace qui se propose et qu’on suit, en suivant l’artiste.
C’est ainsi pour un dessinateur abstrait, Piu Fox où des couleurs pastels viennent adoucir des traits rares et austères. Le dessin fondamental on le trouvera avec Tomoatsu Takase qui laisse des traces discrètes sur des feuilles de la taille d’un timbre-poste, mais aussi Naoyo Fukushima qui laisse sur un fond pâle des traces, ailes minuscules sur ciel sans nuage, vols d’oiseaux dans le lointain qui rejoignent dans un esprit d’épure totale, une folie de dessin, à la lisière de l’art brut, le travail de Karoly Weseru.
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