Le bliaud de la Reine
Galerie Berthet-Attouarès
14 et 29 rue de Seine
Ce sont les derniers jours, il faut aller vite ! Car il faut y aller. On peut aussi aller à Dreux, à l’Ar(t)senal. Une rétrospective des 10 dernières années. Jusqu’au 31 mars 2015.
Le bliaud était un vêtement, une robe longue, portée dans le courant du XIIIème siècle aussi bien par les hommes que par les femmes. Les plus fameux exemples se trouvent dans la statuaire de Chartres. Jean-Pierre Schneider fasciné par les « Bliauds » portés par les reines de Judée du portail Sud de la Cathédrale, en un fait un thème de peinture.
L’exposition proposée par la galerie Berthet-Aithouarès, rue de Seine, présente aussi quelques œuvres sur d’autres thèmes.
Impressionnante exposition qui montre une peinture de la mesure, de la tension et de l’austérité. Point de couleurs qui hurlent, ni de monstres hideux, pas de sang, ni de décapitation. Jean-Pierre Schneider à l’opposé des peintres contemporains sous influences allemande ou danoise propose un regard sur la sérénité aux confins de l’abstraction et de la représentation figurative.
Quand il livre les fameuses statues colonnes aux regardeurs, ce ne sont pas des représentations mais des apparitions qui sont posées, là, et qui imposent le silence. L’une est littéralement creusée dans la toile, dans la masse de peinture et de matière, poudre de marbre, la recouvrant. Un long fût de colonne striée émerge en une forme de bas-relief, sur un fonds blanc comme plâtre ou comme du lait. Grand tableau où les formes s’esquissent, il trouve son répondant dans une autre « Reine et son Bliaud » plus explicite, mais tout aussi discrète : apparition en traces moins furtives.
J’ai un temps pensé à Pizzi Cannella, un peintre de l’apparition qui, aux formes dessinées ou hurlées sur la toile préfère la légèreté de formes indiscernables, à peine esquissées, sur des fonds noirs ou d’un blanc crémeux, ou bruns toujours unis. Mais d’autres œuvres plus proches de l’abstraction au sens où le sujet se dissout en coup de pinceaux, pareils à des traits ou en couleurs qui suggèrent des formes, font penser à certains travaux de Tal Coat.
Rapports entre la surface du tableau et ce qu’il va contenir, rapport entre une couleur qui subsiste seule et seule dit l’objet de l’œuvre, rapport entre des formes dont on ne sait si elles sont suggérées ou si elles viennent à la vue, issues de brouillards ou d’univers parallèles, le travail de Jean-Pierre Schneider est ennemi de la facilité, exigeant beaucoup de lui au premier chef mais aussi des regardeurs.
Je me suis pris à penser que comme beaucoup de peintres de la sérénité et du silence, il doit contribuer aux atmosphères rêveuses, aux pensées qui se déroulent et au dialogue subtil qui se crée entre les œuvres d’un amoureux de la peinture et ce dernier.
Jacques-André Boiffard, « la Parenthése surréaliste » au Centre Pompidou. L’exposition est terminée.
Ces commentaires viennent là pour le plaisir de contribuer à l’histoire de la photographie et à titre d’avertissement pour le cas où l’exposition quitterait Paris et deviendrait « hors les murs », se promenant de villes de provinces en villes de province. Cette exposition doit-elle être mise entre « parenthèse » au sens strict du terme comme, étrangement, y invite son titre ? Au lecteur d’en juger.
On commencera cette chronique par une note à part sur les lieux de l’accrochage.
La photographie n’avait pas de « locaux » pour elle au Centre Pompidou. C’est chose faite. Les collections du Centre dans ce domaine auront donc un lieu à elles. Les donateurs ne seront plus frustrés et les visiteurs sauront qu’à un moment ou à un autre les trésors, si trésors il y a, seront exposés dans des lieux appropriés.
C’est l’idée en tout cas.
La mise en œuvre de l’idée est autre chose. Encore l’éternelle histoire des bonnes intentions qui conduisent en enfer : se diriger vers le « lieu » en question suppose de plonger en sous-sol et de se retrouver dans un univers sans fenêtre, sans lumière, clos absolument. En bas de l’escalier, il faut tracer son chemin dans un corridor vaste et sombre où se trouvent étalés des « regardeurs » épuisés, des amoureux de l’art venus se remettre des atteintes du syndrome de Stendhal, regards hagards et à postures effondrées ou des types qui ont pensé prolonger leurs émotions avec un p’tit gorgeon ou un truc un plus intense. Quand j’y suis allé, ils n’étaient pas nombreux. Pas de quoi être inquiet. Les regards n’étaient pas nécessairement hostiles. Simplement énervés. Déranger les gens qui ne font rien d’autre que d’être étalés avec des écouteurs dans les oreilles, ça ne peut pas être indifférent et neutre. Quand les gens sont dérangés, ils le signifient d’un regard pesant du type « et alors, chus là et jten merde ».
N’en rajoutons pas trop : quand on crée des lieux d’expositions dans des lieux qui ressemblent à l’entrée d’un parking de banlieue, il ne faut pas être exigeant sur les habitués du lieu ! Au contraire faut-il peut-être remercier le Seigneur (dans toutes les langues, on ne sait jamais) que les lieux ne soient pas plus glauques.
Donc, Beaubourg a décidé d’ouvrir ses cimaises (ça c’est pour faire chroniqueur d’art) à ses collections de photos et à inviter les « regardeurs » à les regarder. Ne chipotons pas davantage. C’est une belle initiative.
Mais pourquoi diable avoir bousillé la belle idée avec une exposition qui n’avait rien à voir avec la photo ? Beaubourg nous montre pour cette première exposition les photos prises par un monsieur Jacques-André Boiffard. Un surréaliste. Distinguo : un fils de famille qui, destiné à faire médecin, décida un jour de faire l’artiste. Il avait surement une famille compréhensive car, on le devine au travers de son parcours artistique, il n’a pas eu trop de soucis financiers ; au moins jusqu’à la mort de son père.
Et il a pu faire artiste sans retenue en adhérent corps et âme à l’idéologie surréaliste. Il s’est fait aimer (artistiquement) d’André Breton dont il a suivi le parcours des années durant. Il a pris des photos dans ce contexte surréaliste. On ne peut pas dire que les photos en questions soient marquantes. Rien à voir avec Bellmer ou tant d’autres, Man Ray, Bellmer ou Claude Cahun.
Comment concevoir cet accrochage chez Beaubourg ? S’agissait-il de montrer de la photographie ou d’utiliser de la photographie pour parler d’autre chose ? Pour illustrer une période de l’histoire de l’art, le surréalisme et ses combats, ses enthousiasmes et ses anathèmes ? Était-il question de parler de livres illustrés par un photographe enthousiaste mais somme toute assez classique ? De montrer quelques selfies (autrefois on disait autoportraits) et des vues de Paris (Ah, ce Paris de l’Entre-Deux guerres, avec son Montmartre, ses montparno et ses maisons de passe rigolotes !) et aussi des photos-montages entre copains et des doigts de pieds dont l’intrication nous parle de la complexité des relations diplomatiques à l’époque de la SDN.
Pourquoi avoir nommé cette exposition « Jacques-André Boiffard, la parenthèse surréaliste ». Est-ce parce que le surréalisme est une parenthèse dans l’histoire de la photographie ? On laissera au Centre Pompidou la responsabilité de pareille audace critique. Ou bien est-ce parce que le surréalisme a été pour Boiffard une parenthèse dans sa vie ?
Il est vrai que notre homme s’est trouvé à un moment de son existence obligé de la gagner et a fini par terminer les études de médecine qu’il avait entamées. Sans quitter la photo pour autant : il a fait une belle carrière de Radiologue.
La galerie Christian Brest, 3-5 passage des Gravilliers, présente essentiellement les œuvres qu’on qualifie d’ « Art brut » à la suite de Dubuffet ; d’autres diront, l’art des fous, l’art des anormaux. Depuis longtemps, cet art a trouvé sa place, soutenu, on le sait par Jean Dubuffet qui en avait fait collection, soutenu aussi à Paris par des lieux comme la Maison Rouge.
Jusqu’au 28 février, la galerie expose le travail de deux artistes « Art Brut », Beverly Baker et Jill Gallièni, deux femmes dont l’anormalité, la folie, le dérèglement viennent pour l’une d’un mauvais coup de dé de la nature, pour l’autre d’un mauvais sort comme la société de tous les jours en réserve à des êtres trop sensibles ou simplement blessés.
"Lorsque Beverly Baker s’assied à sa table de travail, le rituel est immuable : autour de la feuille vierge qu’elle s’apprête à recouvrir de signes, elle commence par poser des livres ou des magazines ouverts aux pages de son choix. Cet ensemble forme alors comme une ceinture infranchissable qui paraît la protéger de son environnement. En même temps qu’elle lui offre un point de départ, voire un alphabet formel qu’elle s’appliquera par la suite à transgresser avec détermination et fougue. Beverly Baker est née dans le Kentucky, en 1961. Elle est trisomique ".
Beverly Baker peint le noir. « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » a dit Soulage, le peintre du noir. Beverly Baker aligne les traces comme des coups de griffes données au papier ou comme des lettres écrites à personne, à elle-même peut-être. Et, au fil du remplissage, le papier se couvre des champs obscurs qui donnent sous certains angles des noirs colorés, des bleutés ou des rouges. On sait que le noir est fait d’autres couleurs. On sait qu’il « prend la lumière » de façon très variable et la restitue somptueuse en drapés colorés.
Quel discours tient Beverly Baker ? Cherche-t-elle à représenter la porte, celle qu’elle voudrait ouverte ? Ou dit-elle dans un langage simple et répétitif que la porte est fermée et que derrière, elle se trouve, elle, Beverly, dans un monde obscur dont elle veut montrer le visage.
Jill Galliéni est une sculpteure ou sculpteuse (sculptrice ?) qui fabrique des personnages en tissus, étranges, violents mais pas nécessairement, intrigants et multiples. « Vers l'âge de 30 ans, les prières l'aident à se reconstruire, à chercher comment se sortir d'inextricables situations mentales qui l'empêchaient de vivre. Elle aurait d'abord voulu « dire » par des mots, mais voir une phrase écrite par elle lui était absolument insupportable. Alors, elle a inventé les phrases de prières, toujours les mêmes, des centaines de fois répétées ».
Ces cahiers de prière sont installés dans le « cabinet de curiosité de la galerie » : par ces prières, l’artiste vit et se répare. Prières à Marie, à Sainte Rita, curieuses prières faites de minuscules guirlandes, des entrelacs de traces de stylobille, des formules illisibles aussi étranges et étonnantes que les séries de chiffres d’Opalka.
Mais les prières de Jill Galliéni ne sont pas même des lettres identifiables qui s’enchaîneraient, les unes aux autres évoquant un langage perdu ou le cryptage d’un langage présent. Ce sont des boucles qui bouclent et rebouclent sur elles-mêmes et qui s’étirent en longues lignes. Sur des feuilles A4, elles se superposent, bien séparées les unes des autres et dessinent comme des coupes de terrains sédimentaires ou des tissus brillants de quelques couleurs douces et harmonieuses. Dans ce déploiement des lignes jamais on ne verra de couleurs qui heurtent, de lignes qui dévient et viennent pulvériser un ensemble construit autour des linéaments de l’écriture. Ce sont des prières. On ne joue pas avec ce qu’elles disent quand même leur sens serait caché.
Ces accumulations de lignes prennent une autre dimension, une fois le regard accoutumé, en s’éloignant de la graphie et des lignes qui s’additionnent les unes aux autres, pour considérer l’ensemble faits de masses colorées, gaies et régulières. Elles sont parentes de l’œuvre de ces peintres qui ont cherché à ouvrir les portes pour aller « au-delà », de soi-même, du monde, de la société, vers un lieu autre, vers soi-même aussi qu’on redécouvre. Je pense à Rothko et ses toiles peintes absolument, recouvertes totalement, appelant à écouter un discours non-dit, comme Jill Galliéni appelle à lire une écriture tracée sans lettres.
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