Duchamp, la FIAC, le Pérugin, c'est un mois riche en exposition que ce mois d'octobre....
Duchamp fait partie de cette catégorie d’artistes qui n’ont pas encombré le PAF (paysage artistique français) par des milliers de dessins, notes, esquisses, griffonnages, tentatives, morceaux inachevés, œuvres de poches, œuvres de chevalet, œuvres gigantesques etc. Ses œuvres, peu nombreuses, peuvent être classées en trois catégories.
- Les œuvres qu’il a faites
- Les œuvres qu’il n’a pas faites mais qu’il a assumées en tant qu’œuvres
- Les œuvres qu’il n’a pas faites parce qu’il ne les a pas terminées ou parce qu’il ne voulait pas les faire.
Cet ensemble peut être divisé en deux sous-ensembles : les œuvres qui sont perdues et les œuvres qui ne sont cassées que partiellement.
La recherche des œuvres de Marcel Duchamp au sens des «œuvres qu’il a faites» n’est pas compliquée par le nombre car il n’a peint que pendant 6 ou 7 ans. Puis, il laisse tomber la peinture et passe alors aux deux autres projets.
Tout d’abord, les œuvres qu’il n’a pas faites mais qu’il a assumées comme œuvres. Ce sont celles dont on parle le plus. Ce sont aussi celles qui ont été le plus perdues ou cassées. Ces œuvres ayant été faites par d’autres, Duchamp put s’en procurer de nouvelles et ainsi faire renaître ce que quelques maladroits avaient laissé traîner ou avaient mis au rebut, comme l’urinoir, l’égouttoir à bouteilles et quelques machines de ce genre.
Enfin, on doit mentionner les œuvres que Marcel Duchamp n’a pas faites parce qu’il ne les a pas terminées et dont on peut se demander, si le fait de ne pas les terminer n’était pas inclus dans le projet initial. En d’autres termes, ces œuvres n’existaient en tant qu’«œuvres proclamées» que parce qu’elles ne seraient jamais des œuvres, faute d’avoir vu leur fabrication lancée (qui a dit que «Les plus beaux vers sont ceux qu'on n'écrira jamais? ») ou faute, une fois lancée, de l’avoir continuée. Nommément, ce sont les fameux « étant donné », « la mariée et ses célibataires même.. », « le grand verre ». Ces œuvres dites « majeures » de Duchamp sont toutes de cette catégorie, leur aspect le plus intéressant après leur non-achèvement étant la multiplicité des notes, explications, modes d’emploi ou de non-emploi.
Tout ceci dit en exergue de l’exposition qui a été organisée en forme de rétrospective et de mise en situation de « l’œuvre du maître ». Elle est bien cette exposition. D’abord on ne se marche pas sur les pieds. Duchamp, est un artiste pour une élite (ou bien c’est un artiste incompris). Quand on voit la différence avec l’exposition Hopper où les foules s’entassaient, billets à prendre à l’avance, comme à la SNCF les jours de départ en vacances, on ne peut qu’être surpris : Duchamp pour bon nombre de commentateurs, c’est le grand artiste essentiel du XXéme siècle, celui « qui a rendu au regardeur son vrai statut, celui de l’artiste authentique, puisque sans le regard du regardeur il n’y aurait pas d’œuvre ». je simplifie mais c’est ce qu’on entend d’habitude. Alors, Duchamp essentiel qui ne reçoit pas les foules de regardeurs admiratifs cela peut paraître un peu vexant pour les Duchampiens, (ou les duchampistes ! je ne sais pas comment on dit).
Peu importe, je voulais rencontrer l’œuvre de celui que quelques-uns adulent encore. «Rien de ce qui est humain ne m’est étranger» était mon motif. Je n’ai pas été déçu. C’est très pédagogique. On voit beaucoup d’œuvres de contemporains de Duchamp ou bien venant de la génération qui l’a précédé. Redon, Matisse, Picabia, la manufacture des armes et cycles de Saint Etienne, Man Ray… j’en oublie certainement dans le genre dadaïste, futuriste, suprématiste etc.
Et on découvre progressivement que l’exposition sur Duchamp est en fait un retour sur une époque, ses hésitations, ses défis, ses racines et ses déracinés. Ne serait-ce que pour cela elle mérite le détour. Et puis, cerise sur « les célibataires mêmes », c’est au dernier étage du musée et la vue sur Paris est imprenable.
Voudriez-vous pencher davantage sur Duchamp pour comprendre pourquoi cet homme qui a si peu fait et de façon si anecdotique a réussi à se faire introniser par une petite équipe d’esthètes, «le plus grand artiste du XXème siècle», je vous recommande de lire la petite étude que je lui ai consacré. Texte à venir bientôt.
C’était aujourd’hui le jour de la FIAC. Et le jour des autres « foires », « expositions », exhibitions en tous genres qui font de Paris, la Capitale de l’Art. C’était aujourd’hui le jour des queues qui s’étirent sur des centaines de mêtres, le jour des tentatives de resquille, le jour où les VIP munis de leurs « pass » peuvent d’un pas pressé, l’air affairé, rentrer avant tout le monde, sous le regard hargneux de tout le monde.
Je passai par le Grand-Palais revenant d’un rendez-vous sur la rive Gauche. Je m’étais juré que s’il y avait une queue, je m’abstiendrais de toute visite. On pourrait me supplier. Je n’irais pas: traîner lamentablement des heures pour se faire octroyer le billet d’entrée c’est contraire à mon éthique.
De loin, une queue s’étirait manifestement. Tout était donc joué. Puis en avançant davantage, surprise, la queue concernait l’exposition Hokusai. Pas la FIAC. Je me renseigne, j’avise un membre de « l’organisation », je l’interroge, il me montre les caisses installées sous le porche du Grand Palais, deux ou trois amateurs sont là pour payer leurs billets. Il n’y a pas de queue. Pas ces deux cents mètres de queue traditionnels qui mêlent, hommes, femmes et même enfants. Rien.
Donc, j’y vais ! Je commets une erreur, je prends le catalogue en même temps que mon billet. Deux kilos que je vais trimballer deux heures durant !!! Et j’avance. Je suis méthodique dans ce genre d’exposition. Je commence par la droite et j’avance en sorte que les allers et retours m’assurent un balayage complet, intégral.
J’ai donc balayé. J’ai avancé l’esprit ouvert et les yeux aussi. J’ai attendu le choc, la rencontre avec l’artiste qui devait bouleverser ma vision du monde. Rare comme un coup de foudre mais aussi dévastateur. J’ai espéré pendant deux heures, le tableau, la sculpture qui secouerait mes habitudes de penser et de voir. Rien.
Je n’ai rien vu à la FIAC. Je me suis ennuyé. C’était ennuyeux. Bien sûr, ici et là, quelques ustensiles en appelait à la mémoire de l’urinoir et à son écoulement borborygmeux. Il y avait aussi du conceptuel : les grandes toiles monocolores marchent toujours. Les germaniques et les américains étaient présents en masse. Baselitz sera toujours Baselitz. Un peu d’art lumineux aussi et quelques vidéos. Pardon Bill Viola !
Je pense que je n’étais pas le seul à m’ennuyer. Dans les stands (pardon les espaces d’exposition) une sorte de morosité élégante et condescendante régnait.
Donc, finalement à quelque chose malheur est bon, en dehors du billet et du catalogue, je n’ai pas dépensé un rond.
En revanche, allez vous promener à deux encablures de la FIAC le long des Champs Elysées. C’est sympathique. Plein de galeries dont on disait autrefois qu’elles étaient les « refusées ».
Les œuvres exposées sont diversifiées et assez classiques. Quelques Galeries m’ont frappé. Ce qu’elles exposaient était homogène, ce que je nomme « une ligne éditoriale » et intéressant. Je pense nommément à la Galerie Françoise Livinec. A la galerie Linz. A la galerie Gilles Naudin, dont j’ai déjà chroniqué plusieurs expositions. Parmi les œuvres exposées, je signalerais une belle série de tableaux, dessins, gouaches de Léonor Fini.
Bonnes promenade,
Le Pérugin. Niki de Saint Phalle. Tout les oppose ou tout les unit.
J’ai pris un curieux parti : discuter sur le Pérugin tout en évoquant Niki de Saint Phalle ! J’ai une raison, à moitié bonne de rassembler sur une même chronique deux artistes que tout sépare, dont un demi-millénaire. La partie bonne de cette raison : ce sont deux artistes immenses, incontournables pour avoir poursuivi et amplifié un élan essentiel. La partie moins bonne : tant a été écrit sur l’un et l’autre qu’une chronique sur l’un puis l’autre ne ferait qu’ajouter des mots aux mots. (mais ce n’est même pas vrai, je finirai bien par écrire quelques mots de plus sur ces deux artistes exceptionnels). Dans tous les cas, deux expositions qui sont très belles et qu’il faut absolument aller les voir.
nota: sur le Pérugin, voir la chronique en suivant ce lien.
En quoi se ressemblent-ils pour vouloir les assembler ?
Pourquoi, alors, à défaut de chroniquer chacun d’entre eux séparément, les rassembler dans une même chronique ? Rassembler suppose des points communs, des idées partagées, des « dire » et des « faire » qui se joignent, dans un même but, dans un même mouvement artistique, dans un même but « idéel ». Les rassembler ce serait encore une provocation ? le goût du paradoxe ? Reprendre ces vieilles lunes « les contraires s’attirent et les extrêmes se touchent ? » Le Pérugin, tout pétri de religion catholique, peintre renommé, adulé des papes et des religieux en tous genres, par les fidèles aussi, qui a « inventé » une façon apaisée et humaine de peindre la « madone » a-t-il quelque chose en commun avec Niki de Saint Phalle, femme, jusqu’au bout des ongles et des haines, peintre dont la violence s’exprime à coup de fusils, au moyen de machines aveugles et de sexes béants, qui a inventé la femme totale, dévoreuse et démolie ?
La question qu’il faut se poser est ailleurs ! Reprenons-nous, oublions les paradoxes et les provocations et considérons cette situation simple, donnée sans conteste, bien là et présente sous nos yeux: au même moment, dans la même ville, pour la même durée, deux expositions qui déclenchent des mouvements de foule présentent deux artistes dont on a montré plus haut que tous les oppose. Comment peut-on constater cette simultanéité d’un côté et protester au paradoxe et à la provocation quand il s’agit de les rassembler dans le même espace d’écriture !!!
Créer est-il un point commun ?
J’ai eu envie de les rassembler sur un thème : « l’art qu’on voit » qui se formule aussi dans la question suivante, comment se fait-il qu’on peut « voir » deux formes artistiques, deux « manières » aussi opposées, sans manifester de troubles intellectuels ou de dérèglements de santé mentale ? Ou bien ne faut-il pas admettre qu’au-delà des formes, des manières et des thèmes, le Pérugin et Niki de Saint Phalle, parlent d’une seule voix d’une seule chose : la création artistique. Si nous pouvons les regarder sans trouble alors qu’ils sont manifestement opposés c’est bien parce que nous les voyons « un » quelque part dans notre conscience et dans nos pensées. On pourrait résoudre le problème simplement en disant que nous ne faisons que passer devant des objets et non pas vraiment devant des « œuvres » et que notre regard porte sur des exemples de la production artistique historiquement datés, pour le plaisir des retrouvailles avec les temps anciens. Nous irions à la rencontre de productions historiques, comme nous aimons voire un jour l’Eglise Saint Pierre de Rome et le lendemain les architectures « allumées » de Frank Gehry, avec le même détachement que ceux qui aiment à lire quelque chose sur les habitudes alimentaires des néanderthaliens et les comportements amoureux des Inuits en plein hiver. L’aptitude à considérer des œuvres quasiment opposées serait à attribuer à un relativisme de la pensée, compris comme une preuve de libéralisme intellectuel, d’ouverture spirituelle et d’esprit de curiosité! Il faut admettre que cela doit être vrai pour beaucoup de regardeurs, sans compter les mondains qui cherchent de quoi nourrir leurs futures conversations de dîners en ville (« comment, vous n’avez pas encore vu Niky », «Pérugin, mais c’est la simplicité qui a pris les accents du divin »).
Si on veut bien aller au-delà de ces remarques désabusées, il faut reconnaître qu’il y a quand même autre chose pour faire courir les foules, leur faire admirer un tableau de tournesols, ou les entasser devant Vermeer. Cette « autre chose » donnons-lui le nom de « recherche » et constatons que si des attroupements se forment devant une madone du Pérugin ou une mariée de Niki de Saint Phalle, c’est parce que l’un et l’autre artiste parlent de la même chose qui se nomme « créer », « voir », « faire venir à la vue, au monde, à la conscience ». peut-on ajouter : « Faire venir le beau ? »
Il est un peu trop tôt sur le plan du raisonnement d’avancer dans cette voie un peu dangereuse, car du « beau » il a été question durant les trois derniers millénaires. Des milliers de pages ont été noircies pour en définir les termes et le placer au bon endroit dans l’édifice humain et religieux. Il faudrait commencer à un niveau plus modeste. Je proposerai celui-ci : ces deux artistes ont une réputation, ils sont tous deux, dans leur originalité et leur apparente opposition réciproque, porteurs d’une haute conscience artistique. Ils ont été des artistes vivant leur art totalement, s’y dévouant, le portant le plus loin et le plus haut possible. C’est la partie humaine, très humaine de la création artistique. Les exposer, c’est montrer comment la création se fraye un chemin, comment une vision s’impose aux yeux même de celui qui regarde, comment aussi cette vision parle d’un monde qui se fait, est en train de se faire.
Avant que le beau soit…
Ce serait un bon début car on en vient à ce que découvrent et attendent d’une certaine façon les regardeurs d’œuvres aussi contraires : il n’y a pas de création pure et en soi. Un Pérugin, une Niki de Saint Phalle offrent l’un et l’autre des visions du monde dans lequel ils sont plongés. Ils en sont les acteurs, les inventeurs et les témoins. Pérugin, suivant l’élan de ses prédécesseurs impose définitivement une nouvelle image : la mère de Dieu est un personnage essentiel, lien humain entre le monde qui passe et le monde éternel, entre rouge et bleu et non plus une dolorosa au vêtement noir du deuil de son fils. Niki, hurle son mépris pour la représentation d’une femme complaisante, objet des désirs et outil du plaisir et réinvente la femme matrice, matrone et marâtre, meurtrière et dévoreuse dans un monde anthropophage et meurtrier.
Je suis allé voir l’exposition du Pérugin, comme on retourne sur des lieux aimés. Ce ne sont pourtant pas les doux sourires et les visages si lisses qui font le charme de sa peinture que je venais revoir mais l’invention du monde dans lequel, finalement nous vivons toujours : je suis allé revoir l’idée de perspective, la finesse de ses vedute, les verts d’eau de ses paysages, les constructions de ses annonciations. Je suis allé revoir le monde qu’il construisait, à la fois en tant que partie à cette réinvention, acteur à part entière et visionnaire exceptionnel.
Je suis allé voir l’exposition de Niki de Saint Phalle, parce que j’avais besoin de secouer tous les « on-dit », les « évidences » sur la créatrice exubérante des « nanas » et j’ai découvert une artiste totale, à la fois torrent et torrentielle, déferlant et emportant un vieux monde dans la rage de ses sculptures idéales, déchirant les apparences d’un monde de concert avec d’autres destructeurs-réinventeurs du monde, Dubuffet, Tinguely …
Et « le Beau », où est-il dans cette affaire ? Ne devrait-on pas reconnaître ici que Pérugin, c’est le beau qui annonce le Beau en soi celui de Léonard, celui de Raphaël ? Ne voyez-vous pas que Niki, c’est le contraire du Beau, celui du Pérugin… comment donc peut-on oser les rassembler ?
C’est bien parce que le Beau n’est pas ce qu’on croit ! Il faudra y revenir et dire que le Beau ne réside ni dans les coquelicots dans les champs de blé, ni dans la gracilité des visages botticelliens.
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