Quantitative easing

 

- Quelques généralités

- Le QE à l'Européenne entre inflation zéro et taux négatifs. Paru dans le Huffington post

- La BCE ou le paradoxe du coureur sur place. Paru dans le Huffington post

- Oublier le QE et revenir au volontarisme économique. Paru dans le Huffington post

Quelques généralités


Le charme de la science économique réside dans le fait que c’est une science humaine : l’incertitude, l’erreur et les changements d’opinion à 180 degrés sont donc dans l’ordre naturel des choses…. Encore faut-il avoir la délicatesse d’user de quelques rideaux de fumées pour laisser aux économistes et à leurs commentateurs le temps de changer d’idées comme les acteurs au théâtre trouvent le temps nécessaire à leurs transformations à l’occasion de la tombée opportune du rideau de scène.

S’il y a bien une expression qu’on n’utilise plus, tant elle est chargée de vibrations négatives, c’est « la planche à billets ». Que n’a-t-on pas entendu sur la politique de la planche à billets, celle de la Révolution Française avec les assignats, celle de l’Allemagne de Weimar et celle que les gouvernements français de la IVème république affectionnaient. Plus jamais ça ! La planche à billets, non seulement ce n’est plus possible, mais en plus, pour celui qui prétendrait en user, c’est signer sa condamnation politique.

Hélas ! Lorsque les temps sont durs, les responsables politiques et financiers se doivent de mettre de coté les principes et les vieilles lunes. « des mesures désespérées pour des temps désespérés » a-t-on lu récemment dans la plupart des journaux commentant les décisions récentes du bon Ben (Bernanke), patron de la FED. La situation économique américaine, selon lui, imposait une intervention massive de la Banque Centrale Américaine. L’arme des taux d’intérêts n’étant plus d’aucun secours en raison de leur niveau proche de zéro, il fallait en utiliser une autre : le « quantitative easing ».

Ouf ! On a pu utiliser un terme anglo-saxon ! quantitative easing cela veut dire, que la FED apportera de l’argent frais au marché. 700 milliards de dollars selon les uns, 600 seulement selon les autres. Une banque centrale qui apporte de l’argent au marché ? Répétez ça lentement. Quantitative easing… mais, dites-moi, ne serait-ce pas la planche à billets qui resservirait ?

Vous avez gagné : la FED, a décidé d’y revenir à cette bonne vieille planche à billet. Honnêtement on ne pourra pas le reprocher à Ben. N’avait-il pas recommandé aux autorités japonaises, pour régler le problème d’une déflation endémique, de larguer des yen en billets au-dessus des principales villes japonaises, par hélicoptère. Le patron de la FED est un de ces esprits libres qui ne s’embarrasse pas des vieux principes et qui sait du passé faire table rase (si nous pouvons nous exprimer ainsi au sujet d’un américain).

Pour être honnête, il est loin d’être le seul sur la planète en ce moment. Les anglais, dont on sait qu’ils aimaient à donner des leçons sur la gestion des monnaies et des taux de change, les anglais à qui on doit des formules gravées dans le marbre de la science économique « la monnaie est un voile », les anglais eux-mêmes y vont franchement, la banque d’Angleterre s’est mise aussi au quantitative easing : elle achète à tour de bras des obligations émises par l’Etat et fournit ainsi des masses de livres au marché.

Et la BCE…. Elle aussi y est allée de son quantitative easing : elle est devenue un des plus impressionnants porteurs d’obligations d’Etat, Irlandais, Grec, Espagnol et Portugais au monde. Au grand déplaisir des Allemands.  Résumons-nous : Les Américains font marcher la planche à billets ! On appelle ça, quand on est poli, le quantitative easing !


Le QE à l'Européenne 2ème partie : La BCE ou le paradoxe du coureur sur place

Deuxième partie

La BCE ou le paradoxe du coureur sur place


Paradoxe ou contradiction : l’action de la BCE, qui a pour objectif de stimuler la production de crédits à l’économie par les banques se télescope avec l’action de la Commission européenne qui veut obtenir des Etats qu’ils n’empruntent plus et réduisent leur endettement !!! On dira que formuler le problème de cette façon conduit à une confusion des genres : n’a-t-on pas posé depuis quelques décennies qu’un Etat qui s’endette trop est nécessairement malsain à l’inverse des acteurs privés de l’économie dont l’endettement ne peut pas être mauvais. L’un finit dans les hausses d’impôts et les mesures à conséquence déflationniste (la trappe à monnaie n’est pas loin), l’autre dans le multiplicateur d’investissement et même dans l’accélérateur (l’expansion est à deux pas).

On le sait depuis que les Allemands tiennent le manche de la règle d’or : trop de dettes publiques tue l’économie. Par conséquent, tout ce qui favorise la dette publique est condamnable. Pire aucune banque centrale qui prétendrait soutenir la création monétaire des Etats (la progression de l’endettement) ne pourrait se prétendre indépendante, puisque son équilibre dépendrait in fine de la capacité de remboursement de ces mêmes Etats, puissances publiques envahissantes et toujours prêtes à mettre la main sur le tiroir-caisse.

Le résultat de ces débats passionnants ? La croissance n’est toujours pas revenue en Europe. Alors qu’on la voyait poindre en 2015 pour prendre vraiment son élan en 2016 et aboutir enfin au bout du tunnel en 2017, elle semble prendre son temps et reporter d’un an ou deux l’heureux évènement.

Que faut-il rechercher : croissance ou inflation ?

Alors, on cherche les causes et on inverse les raisonnements. On veut de l’inflation, comme si l’inflation était le moyen de faire revenir la croissance. On découvre, comme en France, qu’il y a de la bonne inflation, celle qui fait plaisir aux statisticiens européens et à la BCE, une inflation généralisée où tous les prix montent, et une mauvaise inflation : celle qui fait que le prix des autoroutes va peser sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes.

On arrive ainsi tranquillement vers des débats byzantins : si l’inflation se définit vraiment par la hausse des prix et si les prix concernent les biens et services acquis in fine par les ménages, n’est-il pas évident que l’inflation est une ponction sur les revenus de ces derniers ? Comment comprendre le fait qu’un gouvernement soutienne les mesures de la BCE pour déclencher une inflation qui traîne à près de 0% alors qu’il ne peut accepter que l’inflation pèse sur le pouvoirs d’achat des ménages et surtout des masses populaires ?

En fait, si on suit bien les raisonnements « à la française », on comprendra qu’il n’y a pas « confusion », ni « contradiction ». L’objectif de la hausse des prix n’est pas compris comme l’entend la BCE, ni les économistes européens. Avec une grosse dose de bon sens, il paraît que l’inflation décrite par les eurocrates est un non-sens. Pour un Français, traditionnellement, la bonne inflation c’est celle qui vient par les coûts salariaux. La vraie inflation, celle qui est à la fois la plus difficile à quitter et qui est aussi la plus efficace en terme de croissance, c’est celle qui s’appuie sur la revalorisation régulière du pouvoir d’achat des « masses laborieuses » d’abord, des fonctionnaires ensuite et des autres, éventuellement, enfin !

On peut comprendre pourquoi dans le contexte actuel d’une Europe à la recherche désespérée d’une bonne petite inflation, la position française, très maladroitement exprimée, présente une certaine solidité : dans une situation de non-croissance et donc de non-surchauffe et par conséquent de non-inflation, toute hausse des prix n’est possible que de la part des oligopoles tolérés ou sournois qui contrôlent une partie de la production des produits et de la fourniture des services.

Quel rapport avec la BCE, son QE qui patauge et les errements de l’Union Européenne, de la Zone euro au premier chef, en ce qui concerne la croissance et son « sourcing » ?

Il est très fort, car, l’échec actuel du QE, n’est pas le fruit de son insuffisance mais la conséquence d’une erreur conceptuelle profonde.

Insuffisance ? Quelques observateurs estiment que la BCE joue petits bras. Elle n’y va pas assez fort. Son programme de 600 milliards d’euro est bien en retrait, rapporté au PIB de l’Europe ou de la Zone euro, quand on le compare aux efforts de la Banque d’Angleterre et évidemment à ceux de la FED (plus de 3000 milliards d’euros sous différentes formes dont le rachat de dettes publiques et hypothécaires).

Ce ne serait qu’une question de dimension, cela pourrait se corriger, mais c’est aussi une question de principes.

La BCE ou comment faire patiner la reprise

Le QE de la BCE ne peut pas porter sur la souscription de titres d’Etat, sinon la Cour Constitutionnelle allemande viendrait rapidement condamner ces actions et désolidariser la Bundesbank de la BCE. Donc, la BCE se contente d’acquérir des titres privés, c’est-à-dire des créances de banques européennes contre des agents non-publics. Or, la croissance étant inexistante, les agents non-publics, c’est-à-dire les entreprises et les ménages hésitent et préfèrent attendre avant de consommer ou d’investir. La BCE se trouve donc dans une situation de pénurie relative de titres.

Troisième erreur, les interventions de la BCE ne peuvent pas ne pas respecter un principe de proportionnalité : elle intervient non pas vis-à-vis des zones économiques qui se montrent les plus dynamiques où les banques sont prêtes à s’engager fort et vite. Elle intervient à raison des parts des pays dans son capital : les Allemands seraient choqués que la BCE achète plus de crédits destinés à des espagnols qu’elle n’en achèterait à l’Allemagne dont le poids est plus important. Cela reviendrait à ce que les Allemands ou les Français soutiennent l’économie de l’Espagne, plutôt que de voir la BCE soutenir leurs propres économies !!! Allons plus loin : il est des pays qui sont trop dans le besoin, Chypre par exemple, et qui sont donc exclus : ils présentent trop de risques.

Erreur de conception sur toute la ligne : pour fabriquer de l’inflation, la BCE rachète des créances à des pays qui n’en ont pas besoin et où les entreprises empruntent peu ; elle doit leur en acheter beaucoup en raison de leur poids économique (l’Allemagne). Conséquence : les taux d’intérêts dans ces pays qui n’ont pas de problème baissent davantage encore et ceux des pays qui ont de vrais besoins demeurent nettement plus élevés, les pénalisant une fois de plus !!!

Et évidemment, la croissance n’étant pas stimulée, elle ne bouge pas.

Dernier argument, la BCE, a décidé de pratiquer des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts des banques sur ses livres. Cela revient à retourner les bras des banquiers disposant de liquidités en excès et qui les déposent sans risque à la BCE. Punition ou cautère sur jambe de bois ? En somme, le vrai paradoxe est là : la BCE achète des créances aux banques et leur fournit ainsi des liquidités qui se retrouvent sur ses livres…et les punit pour ne pas les utiliser à faire des prêts que la BCE rachèterait…

Non, décidément, la BCE ne joue pas simplement petit bras, elle fait de plus en plus penser à un sprinter installé sur une plaque de glace pour spot de départ et qui reste sur place, patinant sans pouvoir démarrer, malgré tous ses efforts.

La question de l’inflation revient alors pour ce qu’elle est : trop faible, elle mesure la stagnation économique d’une Europe enfermée sur elle-même et pratiquant une politique économique de petit rentier.

Dans la troisième partie de cette analyse, il faudra revenir sur cette étrange situation : 25 ans après avoir gagné la guerre froide, l’Occident, parait avoir perdu la Paix retrouvée.


Le QE à l’Européenne entre inflation zéro et taux négatifs


Les réflexions sur la croissance européenne et l’inflation sont en train de battre les records de ridicule ou d’inconséquence. D’un côté des économistes, au pouvoir ou non, qui s’affolent à l’idée que l’inflation ne vienne pas irriguer les économies de la vieille Europe, de l’autre des ministres français qui poussent des cris de bêtes blessés parce que les péages d’autoroute vont augmenter de 1%.

L’inflation ne repart pas de l’avant se plaignent les uns et les autres. Mais l’Allemagne persiste et signe qui, sans désemparer s’est donné pour mission de barrer la route à l’inflation. Nos voisins nous resservent sans relâche le brouet plus très frais (90 ans) de leur hyperinflation. A force de remonter dans le passé, ils vont restituer un peu de proximité brûlante à la ponction de 30% sur le PIB que la France subit en 1870 sous la forme d’une rançon versée à l’Allemagne !

Et pendant ce temps-là, l’inflation ne revient toujours pas : la déflation s’inscrit au contraire dans les taux, à commencer par ceux de la BCE qui sont passés « en territoire négatif » comme disent les commentateurs, quand au même moment, elle peine à acheter des titres de créances privées ou publiques. Va-t-on en venir à ce double constat : tout le monde se trompe ou d’analyse ou de combats et finit par se focaliser sur une conséquence et non pas sur les causes ?

Retour sur l’année 2015.

Malgré l’opposition farouche du Jeune Weidmann et du vieux Schäuble, la BCE emportée par son patron Mario Draghi est passée à l’attaque et s’est lancée dans le très anglo-saxon « Quantitative easing » (QE). Gardons en tête qu’il ne s’agit pas d’imprimer des billets de banques comme beaucoup de journalistes finissent pas penser. Les Etats-Unis et l’Angleterre injectent des liquidités dans leur économie par le moyen d’un rachat massif de créances publiques et privées aux banques et aux institutions qui les portent. L’idée est d’alléger leurs bilans afin de ne pas entraver leur dynamisme de préteurs.

Cette action menée avec constance aurait donné des résultats : les deux économies seraient reparties et, cerise sur le gâteau, l’inflation avec la croissance. Enfin des choses vertueuses ! Ce qui avait fait du bien aux uns ne pouvait pas faire de mal aux autres : les premiers achats de titres par la BCE furent salués par des envolées lyriques et par des appels à « raison garder ». A peine Mario Draghi était-il entré dans le tunnel que tout un chacun en voyait le bout : les commentaires portaient sur la remarquable efficacité du QE à l’Européenne et sur la réduction très probable des achats de créances dans les mois et même dans les semaines à venir.

En Mars 2015, Stanley Fischer, vice-président de la Réserve fédérale américaine, estimait que déjà, à peine lancé, le programme de la BCE "a un impact plus important sur les marchés de capitaux et …sur les anticipations d'activité économique en Europe que ce que beaucoup attendaient". Et à la fin de ce mois de mars, Reuters relayait les observations suivantes : «Une reprise de la croissance et de l'inflation, l'envolée du prix de certains actifs comme les actions, la forte chute de l'euro et une pénurie de titres obligataires sont autant de facteurs cités par les analystes pour justifier une réduction de ses achats par la BCE» !

9 mois après, reconnaissons qu’il ne reste plus rien de ce bel optimisme et tous les facteurs énoncés comme des raisons de ne pas poursuivre la voie ouverte pour un QE à l’Européenne sont controuvées ! Mauvaise nouvelle pour la capacité des économistes à prévoir, mais surtout mauvaise nouvelle pour l’économie européenne qui continue à patiner.

Le QE doit donc être maintenu tant qu’on n’y verra  pas plus clair dans les taux, la croissance et l’évolution des grands indicateurs économiques et financiers.

Heurs et malheurs du QE

Ce que les Américains et les Anglais ont fait, sans hésitation, sans questionnement sur la légitimité des banques centrales à le faire, les Européens n’ont pas cessé d’hésiter, clamant sur tous les toits, les uns qu’il fallait y aller, les autres qu’ils se pourvoiraient en justice (allemande) pour qu’on faire cesser ces pratiques détournées et illégales. On dit souvent que l’essentiel en économie réside dans la conviction des acteurs qui emporte la conviction de l’ensemble des agents. Dans l’Europe de l’Euro, on ne peut qu’être convaincu que le désordre, la discorde et les conflits dominent. Les acteurs de l’économie doivent avoir l’âme chevillée au corps pour ne pas partir en courant et s’abstenir de toute décision de crédit !

Et il faut tenir compte de quelques curiosités locales ! Un des grands débats préalables au QE à l’européenne a tourné autour de « quelles créances acheter ? ». De fait la BCE ne peut pas se permettre d’acheter des créances pourries pour soulager telle ou telle banque en mauvais état… Et les Allemands aussitôt de déclarer que dans ce cas-là, la BCE ne pourrait pas acheter des titres de créances sur les agents économiques grecs, portugais ou espagnols (elle s’était retenue à temps : on avait vu le moment où elle allait inclure les créances françaises dans son oukase !!!).

En sens inverse des spécialistes se livrèrent à de petits calculs pour savoir si la BCE trouverait assez de créances allemandes à racheter, sachant que ses interventions ne pouvaient pas favoriser tel ou tel Etat, mais au contraire suivre les règles byzantines de répartition des pouvoirs, du capital, de l’activité entre membres actionnaires de la Banque Centrale Européenne. Ils en vinrent à cette conclusion : il n’y aurait pas assez de créances allemandes. L’Etat et les collectivités publiques allemands n’empruntent plus (l’endettement public est en phase de régression à l’inverse de la France.)

Fausse inquiétude ? Retour par la fenêtre du couple Weidmann-Schäuble qui avait vu la porte de la BCE se fermer à leurs objections ? En définitive, la BCE a réussi à convaincre les détenteurs de « Bund » de lui céder des créances quitte à payer les prix fort… or, faire monter le prix d’une obligation à taux fixe c’est faire dégringoler son taux de rendement. L’Allemagne, qui n’avait aucun besoin d’un coup de main particulier sur le plan économique, s’est ainsi, toute l’année 2015, retrouvée à bénéficier de taux d’emprunts incroyablement bas, voire négatifs sur certaines échéances.

En mai, le chœur des prévisionnistes poussait un soupir de soulagement : des signes inflationnistes semblaient planer sur l’économie allemande. En Avril, l’inflation avait atteint le rythme endiablé de 1,3%. Comiquement, Destatis office fédéral des statistiques nuançait le résultat en attribuant cette performance aux … vacances de Pâques ! Cela n’empêchait les produits financiers fondés sur les prévisions d’inflation de montrer que l’inflation « à 5 ans dans 5 ans » venait de gagner 0,1%.

En décembre, douche froide : bien sûr l’inflation n’est plus négative comme on dit maintenant (imaginez un ballon pour enfants que vous remplissez d’air sous pression négative). L'inflation est positive à 0,1% sur le mois de novembre. Ça ce n’est pas une vraie inflation. Le taux de l’inflation que vise la BCE, une inflation solide, c’est 2%.

Et la croissance ? L’OCDE qui avait manifesté quelque optimiste la ramène maintenant à des chiffres qui font douter de son existence. N’est-on pas ici de mettre en valeur que le débat ne porte pas sur « comment faire revenir la croissance » mais « pourquoi agir pour qu’elle revienne alors qu’il est plus simple d’attendre ».

Ce débat sera l’objet de la deuxième partie : le Quantitative easing à l’européenne est-il une action « petit bras » ?


Oublier le QE pour retrouver le volontarisme économique

Les masses de monnaie qui ont été déversées aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Europe, ne font bouger ni l'inflation, ni la croissance. L'inflation a disparu à ce point qu'on vide les mots de leur sens en inventant "l'inflation négative". Il faut tordre le cou à la déflation? On ne trouve rien de mieux à faire que de chanter les mérites des taux d'intérêts négatifs.

 

La croissance des pays occidentaux est-elle encalminée dans une révolution schumpétérienne qui prendra nécessairement des années pour faire ses effets ou parce qu'ils font la grève du volontarisme politique et économique?

 

Et si on revenait un quart de siècle en arrière?

 

Il faudra un jour s'interroger sur la portée réelle de l'effondrement du mur de Berlin. La liberté a vu sa cause triompher. Les manifestations de la pensée n'ont plus été brimée. Très vite, la liberté d'aller et venir s'est revenue. Le commerce et les flux de capitaux ont été stimulés partout dans le monde, à commencer par l'Europe. Puis, le monde emporté dans l'exaltation de la libéralisation du commerce mondial, a permis aux produits bon marché des pays en cours de développement de venir transformer la vie des citoyens des pays développés.

Un mental de rentier s'est installé tout doucement: le PIB des pays développés ne progressait plus que de quelques misérables 1 ou 2% mais la baisse des prix des smartphones, des T-shirts, des Télé, des ordinateurs... de presque tout permettait de compenser. Puisque la guerre était finie, les armées n'étaient plus nécessaires! Que d'économies ont été faites! Tous les ans, économisant plus de 30 milliards ensemble, France et Allemagne transformaient leurs dépenses militaires en consommation courante.

 

Tout était donc bien dans le meilleur des mondes. Si ce n'est que dans le même mouvement puisque tout n'était que liberté, libération, libéralisation, le triomphe des principes de l'économie de marché tuait toute autre méthode de financement; par exemple, les subventions, les aides à la production, à la consommation, à l'investissement dans les pays "à développer" ou "en retard". Seul pays libéral parmi les pays dits libéraux, l'Allemagne s'est abstenu d'appliquer les méthodes et règles de l'économie libérale et a su trouver 1500 milliards d'euros de subventions diverses pour sa réunification.

 

En adhérant à l'idée que toute reprise de la croissance ne peut s'appuyer que sur l'initiative privée, l'Europe est allée vers le tout libéralisme et s'est coupée du volontarisme Etatique.

Le plan d'injection de monnaie banque centrale de la BCE qui porte sur 600 milliards d'euros peut donner le sentiment que quelque chose d'important va se passer: cela représente environ 6% du PIB des pays de la Zone Euro. Pourtant s'agissant de créances détenues par le système bancaire sur les agents privés de l'économie, ce n'est ni plus, ni moins qu'un gros pourcentage de l'augmentation des investissements directs et de portefeuille à l'étranger sur la période août 2014-août 2015: 828 milliards d'euros!

 

Les Plans "Marshall" ou "de Constantine"

 

Imaginons le pire: des rachats de créances portant sur des crédits ouverts à des entreprises européennes investissant à l'étranger! L'action de la BCE constituerait une aide indirecte et un soutien aux économies étrangères, dont celle des Etats-Unis! Ce ne serait que justice puisqu'il y a aussi un QE aussi aux Etats-Unis? Erreur! Le QE américain porte sur des créances hypothécaires ou des créances publiques! Les unes et les autres sont des créances "nationales". Le QE de la FED ne peut avoir d'effets stimulants que sur le PIB américain. Les autres pays devront attendre pour en tirer quelques bénéfices, le temps que, par le biais de la propension à importer des Etats-Unis, les importations américaines progressent. La BCE est donc dans une situation très inconfortable sur ce point.

 

Enfin, et comme on l'a souligné dans les chroniques et les lignes qui précédent: les banques dont on souhaite stimuler l'activité de prêteur aux agents privés de l'économie, ne peuvent se conformer à ce stimulus qu'à la condition que ces agents aient une vision positive de l'économie...

 

Ces 600 milliards qui semblent peser beaucoup sont-ils vraiment "lourds" si on prend l'exemple des plans "multiformes" qu'étaient les plans "Marshall" ou de "Constantine". Ce dernier est moins connu. De la part de la France, il s'agissait de mettre à niveau l'économie de l'Algérie, encore Française. Il portait sur des investissements d'infrastructures, d'urbanisation, d'assainissement, de routes etc. Lancé en 1958, il prévoyait des dépenses de 4700 milliards d'anciens francs sur 12 ans, équivalent à 7% du budget annuel de la France dont la moitié supporté par l'Etat et des organismes publics et parapublics. Si aujourd'hui pareil plan devait être lancé en France, il s'agirait d'investir près de 350 milliards d'euros et au niveau de l'Europe, plus de 1800 milliards d'euros. A la différence des interventions de la BCE, le plan de Constantine était "national", l'ensemble des investissements ne pouvant que très marginalement être fournis par des entreprises étrangères.

 

Le plan Marshall, de son côté, avait pour objectif de fournir un soutien à l'économie américaine via la remise à niveau les économies d'Europe occidentale. Il prévoyait que les fonds débloqués seraient destinés à financer des fournitures américaines. L'argent sorti pour les institutions financières américaines devait revenir à l'industrie américaine.

On est bien loin de l'idéal libéral incarné par la BCE dont les actions, pour judicieuses et bien pensées qu'elles soient, pourraient bien se diluer dans l'économie mondialisée d'aujourd'hui.

 

Un plan pour l'Europe, un plan pour le monde

 

Quand on se répète que l'Allemagne a su trouver 1500 (2000 selon certains observateurs) milliards d'euros pour remettre d'aplomb une économie comportant 17 millions d'habitants, on a du mal à comprendre comment l'Europe ne peut pas se lancer dans une autre procédure que celle du QE!

Deux opportunités se présentent qui devraient nous renvoyer au-delà des convictions primairement et scolairement libérales qui animent encore une partie des responsables économiques européens.

La première est celle qui est connue sous le nom de Plan Junker. Il s'agirait d'investir 300 milliards sur 3 ans, 100 milliards par an, soit 1% du PNB de la Zone euro. Impressionnant? Pas trop. On sait qu'une bonne partie des fonds ne correspondront pas à de l'argent frais et que, pour nombre de projets, il s'agira d'amorcer l'investissement privé. Un autre plan européen, soutenu par Oli Rehn, misait sur 700 milliards! Un autre chiffre est plus dur: c'est celui de l'insuffisance des investissements européens cumulée depuis 2009: 1000 milliards.

 

La seconde opportunité vient de s'ouvrir avec le succès de la conférence COP21. L'aide des "pays du nord" au profit des "pays du sud" devrait s'élever à 100 milliards par an. C'est notoirement insuffisant. Pire, ces 100 milliards ne sont pas de l'argent "frais" mais une réallocation de fonds déjà existants sur différentes institutions.

 

Or, il est évident que l'Europe, ne peut pas se désintéresser de cette question dans ses aspects les plus généraux: infrastructures, urbanisation, énergie, adduction d'eau et assainissement. Participer à la mise en place de ces investissements selon les techniques à la Plan Marshall ou plan de Constantine, c'est-à-dire avec préférence européenne, serait un moyen très puissant d'enrichir le Plan Juncker.

Plutôt qu'un parachutage de l'argent, au hasard des preneurs d'intérêts, il s'agirait de relancer des coopérations que les égoïsmes des pays occidentaux ont laissé tomber depuis un quart de siècle entre les mains d'un marché aveugle et courtermiste.

Il s'agirait de réinventer le volontarisme d'Etat.


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