Monnaies sans banque

Le thème de la "monnaie sans banque" est traité au long d'une série d'articles, la plupart publiés dans le Huffington Post. La liste des parutions est présentée en suivant ce lien. (une partie est reprise par le Huffington post Canada. Suivre ce lien)

 

On a rassemblé un certain nombre d'articles sur le Bitcoin à la lettre B de cet "Abécédaire".

Noter que les rubriques Billets de Banque et Monnaie contiennent des informations utiles à une compréhension large de la question des monnaies et de leur évolution.

Noter que le Huffington Post France et le Huffington Post Canada, ont préféré substituer "Monnaies cryptées" à "Monnaie sans banque". Cette modification du titre n'altère pas le propos dans les articles concernés.

 

 

Liste des articles:

 

- les monnaies cryptées à l'épreuve des utilisateurs (paru dans le Huffington post)

 

00. La mort des billets de Banque,

parution: numéro 1 de la revue, la Clarté des réverbères.

01. Une monnaie pour Noël

 

- Monnaie sans banque:

 

1. Une révolution qui pointe.

2. Les monnaies cryptées et les trois fonctions de la monnaie

3. Monnaie sans banque: Or numérique, or métallique

4. Monnaie cryptées : les heurs et les malheurs du bitcoin

5. Monnaies Cryptées : les « Cent Fleurs de la monnaie cryptée ».

6. Monnaies cryptées : les prémisses d’une révolution

7. Monnaies cryptées et monnaies complémentaires : révolution globale ou révolte locale ?

8. La technologie change-t-elle la monnaie ?

9. Emissions monétaires: une diversité méconnue

10. Emettre des monnaies morales ou moraliser l'émission de monnaie?

11. Qu'Est-ce que payer?

 

 

Les monnaies cryptées à l'épreuve de l'utilisateur

 

Les monnaies cryptées ne sont pas (encore) des challengers très dangereux pour les monnaies traditionnelles. Néanmoins, les mois passent et les idées se multiplient pour rendre les monnaies cryptées moins fantasmatiques et plus proches des utilisateurs.

 

Banalisation des monnaies cryptées ?

 

Nous n’évoquerons pas les fraudes qui ont fait les choux gras des commentateurs. Les monnaies cryptées n’en sont pas les seuls supports ni les seules victimes ! Citons la célèbre fraude « au Président » qui a frappé quelques établissements. Les ententes entre traders, les fraudes à la carte bancaire mais aussi les diverses techniques mises au point par des « hackers » pour contourner les moyens de sécurisation des supports et des utilisateurs montrent que là où se trouve l’argent, là on trouve voleurs, escrocs, faussaires et trafiquants.

 

Quid des craintes relatives au financement du terrorisme et à celui de la drogue ? Un commentateur faisait remarquer que les monnaies cryptées ne représentaient qu’une part mineure de ces opérations par comparaison avec les billets de banque ! Preuve par l’absurde : les bombardements des coffre-forts de Daesh par l’aviation américaine avec pour objectif et résultat la destruction des stocks de billets de banques qui y étaient conservés !

 

Une fois ces objections ou critiques passées, peut-on dire que l’usage des monnaies virtuelles est si simple et convivial qu’elles le prétendent ? Entre convivialité et publicité douteuse, l’accès à ces monnaies, encore encombré de sophistication technologique concerne surtout des initiés. Il s’ensuit que les monnaies cryptées sont aussi victimes des avantages dont elles se targuent. Vitesse, couverture mondiale, universalité, indépendance par rapport sont de beaux slogans.

 

Les exigences en matière de sécurité informatique deviennent néanmoins de plus en plus lourdes. Pesant sur l’ensemble des acteurs de la circulation monétaire, banques, sites de paiements, institutions spécialisées dans la circulation monétaire etc. les plateformes de monnaies cryptées n’y échappent pas, pas davantage qu’elles n’ont échappé aux piratages sur les dépôts et sur les faux ordres de transferts.

 

On retrouve-là, la dure loi des « derniers mètres ». C’est bien le « délivrable » qui crée l’opinion.

 

KYC et coûts opérationnels

 

Les petites transactions très nombreuses pèsent sur les coûts des intervenants qui les répercutent refroidissant par là même les ardeurs des néophytes. On sait que le réseau «bitcoin» souffre de lenteurs, que la validation des échanges ne se fait pas dans l’instant et que le paiement en bitcoin pourrait bien être victime de son propre succès. Ajoutons, paradoxe des paradoxes que les lenteurs des systèmes bancaires, transferts pour acheter des bitcoins ou inversement, viennent s’y ajouter.

 

Dans le même temps, les différents sites intervenant sur le marché des monnaies cryptées, qu’il s’agisse de fournir des services personnels de type Wallet ou des transactions de change euro/monnaies cryptées, ou des transactions commerciales, acheminant les bitcoins de l’acheteur vers le vendeur sont de plus en plus concernés par les questions dites KYC (know your customer). Cette formule en trois lettres est le B-A, BA de la compliance vis-à-vis des normes de sécurisation et d’identification qui s’imposent maintenant à tous les membres de la chaîne des paiements qu’elle soit bancaire ou financière ou qu’elle mette en jeu les institutions non bancaires de paiement.

 

Pour les monnaies cryptées et les opérateurs qui les concernent, les exigences en matière de compliance ne constituent pas des atouts ! Le recours à ces monnaies est supporté par un discours toujours très optimiste sur la discrétion (à défaut d’anonymat) sur la rapidité de leur fourniture et la vitesse de transaction. Les questions de coûts ne sont que rarement évoquées. Or, toutes ces opérations de vérifications et d’authentifications coûtent de plus en plus cher. Pour s’assurer que telle ou telle personne douteuse ne se faufile pas dans les mailles du filet, il faut acquérir des listes codées, cryptées, retraitées destinées à resserrer les-dites mailles et éviter intrusions malveillantes et mauvais payeurs.

 

Le petit utilisateur : un marché à développer ?

 

La question devient vite celle du rapport entre le bouclier et l’intensité des menaces. Or, s’il est évident qu’on ne protège pas un système en ne pensant qu’aux plus gros risques, il est tout aussi évident que le « petit utilisateur » risque de se trouver laissé pour compte. D’une part, les processus technologiques derrière les monnaies cryptées peuvent paraître rebutants à ceux qui n’ont qu’un usage frustre et limité de l’ordinateur. D’autre part, les « avantages marketing » dont sont parées les monnaies cryptées fondent bien vite quand on confronte une « petite opération » à la somme des contraintes légales et techniques qui l’entourent. Ajoutons que certaines plateformes n’acceptent que des virements SEPA et que les utilisateurs devront donc accepter les contraintes bancaires en la matière. Le nombre et la variété des sites (ne sont mentionnés ici que les 5 premiers d’une ample liste : kraken.com, bitcoin.de, btc-e.co, bitstamp.net, localbitcoins.com) peuvent engendrer un sentiment de confusion chez le néophyte.

 

Certains opérateurs y voient un marché à développer. De nouveaux intervenants se proposent de servir cette masse indifférenciée de petits demandeurs. On retrouve ici le raisonnement des fondateurs d’un mode plus classique d’accès aux moyens de paiement : le compte Nickel. C’est bien à cette masse de petits consommateurs de services financiers qu’ils s’adressent, ceux-là qui, soit par méfiance, soit par sentiment d’infériorité ne veulent pas entrer en relation avec les « grands établissements ». La révolution internet a induit une révolution des comportements. « Vite » et même « tout de suite » en sont les fils directeurs. Il s’agit donc de supprimer les barrières ou les freins à l’accès de services devenus souvent des « commodities » ; de rendre les procédures d’inscription ou de reconnaissance rapides et simples ; de désintermédier les prestations et les rapprocher au plus près du consommateur. A tel parent ou grand-parent désirant faire un cadeau « in » à ses petits-enfants ; à tel consommateur qui voudra passer par une monnaie cryptée pour acheter les vidéos ou les bandes dessinées aux Etats-Unis, ces nouveaux venus fournissent un moyen d’accélérer les petites opérations tout en garantissant le respect des exigences légales et réglementaires.

 

Certaines de ces sociétés comme Bitit, une start-up par exemple, proposent des cartes-cadeaux ouvrant ainsi accès à l’offre de bitcoin dans des conditions de simplicité qui font un sort à ces freins psychologiques. Pour plus de simplicité encore, elles rejoignent les  propositions de sociétés spécialisées dans le prépaiement. C’est le cas de Bitit et des liens qu’elle noue avec Neosurf, société qui est présente dans de très nombreux réseaux de détaillants à l’étranger et en France (dont les buralistes en France). Son service de « vouchers » ou « bordereaux » payables en cash simplifiera l’accès aux Bitcoins.  

 

La technique des cartes prépayées ou des vouchers se développe très vite. On sait qu’Apple et Amazon ont lancé des expériences dans ce domaine. Le montant monétaire impliqué dans ces opérations serait selon un des animateurs de Bitit, de l’ordre de 125 milliards de dollars, rien de considérable aujourd’hui, mais l’importance des acteurs laisse à penser à de très forts développements.

 

Ce dont il s’agit ici, pour les nouveaux venus sur le marché des monnaies cryptées, c’est bien tout à la fois une pédagogie vis-à-vis d’innovations dans des domaines très sensibles et la réduction du « bruit technologique » qui peut détourner des consommateurs de base. Un dirigeant de Bitit évoquait l’émergence d’une nouvelle démocratie économique. Ce qui est certain : la multiplication des réseaux et des modes d’accès aux monnaies cryptées crée un foisonnement stimulant pour ce marché.

 

 

Créer une monnaie de Noël

C’est Noël (bientôt !). Des dépenses pour des cadeaux… de l’argent cash, de l’argent billet de banque ou carte bancaire, ou paypal, ou vite, ou …. L’argent-or peut-être, en lingots ou en pièces.

Trop d’argent tuerait-il l’argent ?

Au contraire, apparemment, l’argent continue à se multiplier comme pousse le chiendent. Vous adhérez sûrement  à des monnaies virtuelles, à des monnaies alternatives, des monnaies citoyennes et d’autres qui seraient solidaires…de la micro-monnaie, de la pico-monnaie ! Vous soutenez un mouvement de monnaie pour les pauvres. Vous militez contre la monnaie des riches.

Sans parler des monnaies pour enfants, avec des caramels mous, des carambars, des malabars ou des cartes Pokémon. Je sais qu’on utilise encore les vieilles monnaies dans les cours de récréation et les préaux d’école, les trombones et des billes par exemple ou des photos cochonnes! Ou des perles en plastiques ou en verre ! ( Si  vous avez une/des une fille/s et si vous n’avez pas encore compris la théorie du genre).

Et si vous émettiez vous-mêmes votre propre argent ? Pour participer à l’euphorie créatrice de monnaie !

Ce serait une monnaie solidaire d’un autre genre : une façon comme une autre d’inciter vos voisins, vos créanciers, vos commerçants à faire œuvre d’amitié, d’alternative, de cœur et de compassion. L’argent aurait alors l’odeur du myrte et de l’encens, des roses et du cœur. Comment faire ? Simple : vous prenez vos cartes de visites et vous marquez dessus une somme ronde en chiffres et en lettres pour faire sérieux, en braille si vous voulez pour que la vie des commerçants aveugles soit plus facile. Ensuite, rien n’est plus simple : vous payez avec vos cartes de visites. Et voilà, vous aussi vous avez créé de la monnaie. Selon vos besoins. Enfin de la monnaie qui ne sera plus rare. Enfin de la monnaie pas chère à obtenir (rappelez-vous « tout ce qui est rare est cher et inversement). Mais surtout, surtout, vous vous êtes passé des banques. Bien fait pour elles ! Engeance insupportable qui profite de l’argent qu’on laisse en dépôts chez elle pour se lancer dans des turpitudes condamnables. Engeance atroce qui est capable de vous faire payer ses dettes lorsqu’elles foirent leurs combines douteuses.

C’est ainsi que, sans vous en rendre compte, vous participeriez à la troisième révolution monétaire mondiale. Après l’invention de Crésus, l’or frappé, après l’invention de Palmstruch, la monnaie de banque, il y aurait vous, et votre monnaie à vous, personnellement. Vous n’avez pas de cartes de visites ? Pas de souci ! Vous utiliserez votre smartphone et vous enverrai une carte de visite virtuelle avec le montant de votre choix. Mais vous pourrez tout aussi bien, acheter des lunettes google et payer en trois battements de cils (et une œillade pour les chiffres après la virgule).

Vous pensez que je m’évade, que je me lance dans un délire économique entre clownerie et mauvais goût ? Peut-on jouer avec quelque chose qui a valu des mots forts et censés d’Aristote, si forts et si censés qu’on continue à les rappeler à n’importe quelle occasion 2500 ans après? Peut-on se moquer des belles et émouvantes « initiatives » de monnaies alternatives ? Ne peut-on pas sérieusement viser une écologie sociale qui, mise en vigueur dans le domaine économique, nous débarrasserait des intermédiaires crapoteux et des monnaies qui n’ont pas d’odeur parce qu’elles n’ont pas de cœur.

Je ne joue pas : la Banque de France non plus, ni la Banque de Chine qui sont en train de s’intéresser à un animal étrange au nom franchement nul : le Bitcoin. Je suis sûr que vous en avez entendu parler. Peut-être même avez-vous franchi le pas : vous avez acheté des bitcoins. Vous avez aussi lu cette histoire désopilante du type qui a jeté son ordinateur sans se souvenir qu’il avait des bitcoins dans un repli de la mémoire centrale : 1 million d’euros fichus à la décharge.

Jetez un coup d’œil sur une chronique que j’ai écrite sur le « fameux » Bitcoin. Par la même occasion évitez-le… pour perdre de l’argent, la Bourse suffit amplement.

Un mot aussi pour vous mettre au parfum en matière de monnaies alternatives, ces monnaies dont on dit qu’elles respirent l’amitié et la convivialité, tout à l’inverse des monnaies traditionnelles et surtout des monnaies de banques. La monnaie unique n'est-elle pas inique?  

Et pour la bonne bouche, lisez donc ce petit article qui traite des monnaies « obsidionales » : vous y verrez que tous les thuriféraires de la monnaie alternative sont le plus souvent des réinventeurs de la roue. Ici, la question est : lorsqu’une ville est en état de siège doit-on battre monnaie et comment ?


2. les monnaies cryptées et les trois fonctions de la monnaie 


Le bitcoin est-il une monnaie bidonnée ou une opération marketing qui a réussi ? Résumons en disant que c’est la seule monnaie dite cryptée dont le public entend parler depuis deux ou trois ans. Il n’est pourtant pas le seul dans son genre ! On décompterait un peu plus de 500 monnaies cryptées… Paradoxe ? Au moment où les zones monétaires réduisent le nombre des monnaies traditionnelles se multiplient les monnaies « internet ».


Les monnaies se multiplient

On ne rappellera jamais assez qu’il est plusieurs types de monnaie : monnaies de jeton,  monnaies obsidionales, monnaie marchandise, monnaie électronique, e-monnaie etc. Dans ce foisonnement monétaire, trois monnaies « générales » : l’une qui correspond à l’antique « pièce de monnaie », aussi nommée monnaie métallique ou divisionnaire, l’autre qui fut une révolution conceptuelle, le Billet de banque, aussi nommée monnaie fiduciaire, et la dernière, la monnaie de banque qu’on connaît aussi sous les noms de monnaie de compte ou monnaie scripturale. Parmi toutes les différences qui les distinguent, l’une est essentielle : la production des billets de banque et de la monnaie scripturale n’étaient pas limitée sauf « règles contraires » posés par une puissance publique ou économique, à l’inverse des monnaies métalliques dont la production dépendait du… stock de métal disponible et de son coût de production.

Libéralisation des marchés financiers et bancaires aidant, la monnaie dite de banque, créée par les banques sur la base des crédits qu’elles consentaient, fut en quelque sorte privatisée, devenant la chose des banquiers sous le regard, soupçonneux disent les uns, endormis disent les autres, des banques centrales

Les monnaies cryptées s’inscrivent dans un courant un peu curieux de liberté économique et de monnaie raréfiée. Elles ont toutes en commun d’être fabriquées par des ordinateurs selon des algorithmes plus ou moins sophistiqués. Comme les monnaies métalliques, elles sont produites en dehors des systèmes bancaires. Pour cette raison et parce qu’elles sont par principe limitées dans leurs productions, elles sont souvent qualifiées d’or numérique. Comme les orpailleurs du Klondike ou les mineurs de Californie travaillaient dur pour récolter l’or-métal, l’or numérique apparait après un travail que les supporters des diverses monnaies cryptées nomment « le minage ». Il est opéré par des propriétaires d’ordinateurs qualifiés de «mineurs» parce qu’ils font tourner des programmes spécialement conçus pour « miner » la monnaie cryptée. Ils sont récompensés par l’attribution d’une partie de leur production. Dans le cas du Bitcoin, plus nombreux sont les éléments « calculés », plus long et lourd, et donc de plus en plus coûteux, le temps du calcul. Les monnaies cryptées sont souvent limitées dans leur volume : ainsi pour le Bitcoin est-il prévu qu’une fois atteint 21 millions d’unités (mais on trouve aussi le chiffre de 25 millions), la fabrication sera interrompue. Une société Ethéreum entend lancer une monnaie cryptée « l’Ether » dont la production serait limitée à 15 millions d’unités par an. Mais, on notera que d’autres monnaies cryptées n’ont pas prévu de limitations.

Crypté ou protégée, l’enjeu de la sécurité

Le caractère crypté de ces monnaies tient aux conditions de sécurité qui entourent leurs échanges. En ce sens on pourrait juger que les monnaies cryptées ne sont pas seulement le produit de calculs, elles « sont » ces calculs.  Plus complexe est le processus de création, plus difficile la production de fausse monnaie, c’est le pendant des papiers monnaies de plus en plus sophistiqués ; le cryptage, qui concerne principalement la régulation des échanges électroniques relatifs aux transactions et aux compensations, est pour ces monnaies le pendant des sophistications technologiques qui entourent les échanges internes au systèmes bancaire classique.

Mais surtout, ces monnaies ne dépendent plus d’autorités qui en réguleraient la fabrication, comme c’est le cas pour les monnaies traditionnelles. Les processus de calculs sont donc essentiels pour la légitimité de la monnaie cryptée. Ils doivent être inattaquables : le faux monnayage est possible dans cet univers comme dans les autres, pirates et hackers en tous genres ne doivent pas pouvoir « entrer  dans la  « mine ». Ils ne doivent pas pouvoir se tenir « à la sortie de la mine » pour détourner la monnaie cryptée produite, et enfin ils ne doivent pas pouvoir créer des leurres se substituant virtuellement à la vraie et bonne monnaie et détournant sa fonction de paiement. On est ici dans un domaine fondamental commun à toute monnaie. La sophistication des « algorithmes » est la pierre angulaire sur laquelle repose la confiance des partenaires dans les transactions compensées via une monnaie cryptée, elle est essentielle pour attester de sa « réalité » d’instrument monétaire, d’elle enfin dépend la croyance (au sens fiduciaire, c’est-à-dire au sens de la « foi ») qu’en l’utilisant les partenaires à une transaction apurerons effectivement et sans conteste leurs dettes et leurs créances réciproques.

Anonymat et liberté

En revanche, les monnaies cryptées, divergent sur un point par rapport à l’or ainsi que par rapport à toutes les monnaies de banque qu’elles soient scripturales ou fiduciaires. Le génie « monétaire » a longtemps reposé sur ce principe : la remise de la valeur sous forme monétaire assure, par elle-même et par le seul fait de la remise, la compensation des dettes et des créances. L’or, comme les billets de banque « oublient » les transactions, les partenaires, les valeurs compensées. La remise d’une pièce d’or vaut paiement d’un cheval, sans que plus tard, il puisse y avoir un argument tiré du fait que cette pièce a été incluse ou part entière dans la vente de ce cheval. Il en est de même pour le billet de banque qui « oublie » les raisons de son changement de mains comme il ne se souvient plus des personnes qui s’y sont livrées. En reprenant une expression contemporaine, on ne peut pas « tracer » une transaction dont la compensation a été réalisée via une remise d’or ou de billets. C’est d’ailleurs, on le sait, une des raisons pour lesquelles tous les fiscs de la terre recherchent à substituer la monnaie scripturale à l’or ou aux billets.

Pourquoi se soucier de tracer l’usage d’une monnaie et de celle-ci en particulier ? C’était justement un des points qui fit le caractère novateur de la monnaie de banque que de ne plus se soucier de ce que devenait le moyen de paiement une fois la compensation réalisée. C’est le dernier maillon des constituants de la confiance et de la croyance dont la validité de la monnaie dépend. Ou bien la monnaie repose sur la conviction des parties aux transactions économiques que le respect des éléments constitutifs de sa valeur est assurée par les dieux ou par les princes, ou bien, chaque élément constitutif de la masse monétaire, doit être identifiée en tant qu’ayant été créée mais aussi en tant qu’ayant été échangée ou non-échangée : chaque unité de monnaie contient tout le passé des transactions à la compensation desquelles elle a participé. De cela on peut tirer que plus une unité de monnaie a circulé, plus son identification en tant que composante de la masse de monnaie cryptée est forte.

Curieusement, c’est le point qui rapproche le plus monnaie scripturale et monnaie cryptée, puisque les opérations de compte, dès lors qu’il n’y a pas de fuite dans le système bancaire, sont traçables… via la trace comptable qu’elles laissent sur les comptes en banques. Une différence, de taille, la monnaie bancaire est traçable au sens où ses utilisateurs sont identifiables (sauf le cas atypique des comptes « à numéro ») alors que la monnaie cryptée ne l’est pas, l’identité des parties aux transactions qui l’utilisent n’étant pas révélée. Tout le monde n’est pas convaincu par cette dernière « intraçabilité ». Elle est cependant revendiquée par les défenseurs des crypto-monnaies.

Ainsi, les crypto-monnaies apparaissent-elles comme des trublions dans le monde autrefois serein de la banque. Les systèmes bancaires s’étaient vu reconnaître un pouvoir éminent sur la création monétaire. Leur recherche d’une globalisation la plus mondiale possible s’expliquait par la nécessité de réduire les « fuites » le plus strictement possible pour que la création monétaire fonctionne impeccablement. La fonction monétaire des banques leur apportait un droit de seigneuriage très puissant et des gains considérables perçus sur l’ensemble des mouvements monétaires de l’ensemble des agents économiques. Il comportait aussi une fonction indirecte mais très réelle de contrôle des activités et des acteurs de l’économie.

Les propagandistes des monnaies cryptées prétendent assurer les fonctions bancaires de compensation et de conservation de la valeur dans des conditions beaucoup moins onéreuses pour les utilisateurs. Ils veulent « libérer » la création monétaire et les transactions et substituer les réseaux « peer to peer » aux réseaux intermédiés des grandes institutions bancaires mondiales. Et ainsi rendre la production de monnaie à ceux qui en ont besoin : les acteurs de la vie économique et sociale.


 4.Monnaie cryptées : les heurs et les malheurs du bitcoin


Voulez-vous la preuve que le bitcoin est une monnaie ? Reportez-vous vers les déclarations des banques centrales ou des ministères des finances, d’Allemagne, du Canada, ou d’autres lieux, et vous verrez bien qu’ils prennent les choses au sérieux. Voulez-vous la preuve que le bitcoin, n’est rien d’autre qu’une nouvelle escroquerie, une madofferie d’un genre différent, reportez-vous vers les déclarations de la Banque de France, vers les sanctions américaines ….

Non décidément tout n’est pas rose dans la vie de la nouvelle monnaie, celle à laquelle, dit-on, personne ne pourra échapper, tout au moins ceux qui n’auront pas décidé de fuir la révolution internet. C’est dit, il y aura dans l’avenir d’un côté ceux qui ont accepté l’électricité, les adeptes d’un bitcoin ou d’une monnaie numérique quelconque, et ceux qui en sont resté à la lampe à huile, les fondus de la monnaie de banque sous forme de billets ou sous forme de comptes.

La vie tourmentée du Bitcoin

Tout n’est pas rose en effet. Les circonstances de la mort de la dirigeante de First Meta, bourse d’échange de Bitcoins à Singapour, ne sont pas claires. Pas davantage que la faillite d’une des principales plates-formes d’échange, la japonaise, MtGox qui a connu plusieurs semaines de rebondissement : tout d’abord service interrompu, puis annonce d’une intrusion dans ses systèmes informatiques, puis d’un piratage en règles qui s’est traduit par la perte de près de 750.000 bitcoins de clients et 100.000 détenus par la société. Près de 400 millions de dollars (selon le cours du bitcoin de l’époque) auraient été volés ou perdus ou vaporisés. Des « failles dans le système» informatique de la plateforme aurait permis intrusion et malveillance à répétition et conduit le dirigeant français de cette start-up à déposer son bilan. La justice japonaise est sceptique. Le ministère des finances japonais l’est moins ! Pour lui, le bitcoin n’est pas une monnaie, mais un bien immatériel qu’on peut vendre et acheter, et à partir duquel on peut réaliser de substantielles plus-values. Au fait ! La plupart des autorités financières ou monétaires dont on dit qu’elles acceptent de considérer le bitcoin et son rôle dans les échanges ont surtout un souci, éviter les fraudes à la TVA, et aussi, éviter les opérations de fausse-monnaie et de blanchiment.

Décidément, cette monnaie ne sent pas la rose !!! En France, la Banque de France est allée de son couplet de puissance tutélaire et protectrice de la veuve de Carpentras et de ses petits-enfants (ses enfants sont des geeks qui ne veulent pas entendre les conseils de leur ainée. C’est très banal). Elle a lancé des avertissements sur l’insécurité qui règne autour du bitcoin : variation de valeurs extraordinaires pour ne pas dire exceptionnelles, en cas tout fort peu habituelles dans l’univers des monnaies sérieuses. Quant à la police française, elle a fait des découvertes sur l’utilisation des bitcoins et sa profonde complémentarité avec les réseaux internet. Elle a en effet procédé à l’arrestation d’un acheteur de faux billets en ligne. Le prévenu est accusé d’avoir acheté des faux billets de 50 euros via son compte bitcoin. Monnaie virtuelle, le bitcoin permettait à cette personne de se fournir en monnaie bien réelle, quoique fausse, expédiée via la poste, en provenance des Pays-Bas.

Il est intéressant ce cas d’une monnaie virtuelle qui sert de support à une opération d’achat de monnaie réelle !!!

Une monnaie très fluctuante

Les Américains, pour leur part, ont poursuivi et arrêté les dirigeants d’un site d’échanges de bitcoin du beau nom de « Silk Road »: il semblerait que la monnaie virtuelle ici, servait à se procurer des pilules de rêve, et toutes sortes de produits permettant de se promener dans les paradis artificiels. Le bitcoin n’est pas une monnaie ? La police américaine a d’autres soucis que de valider les dénominations des valeurs qu’elle saisit durant les procédures qu’elle lance. Le tout pour elle est que les bitcoins saisis contre Ross Ulbricht, le fondateur et dirigeant de « Silk road », trouvent preneurs.  Qu’elle soit monnaie ou pas, virtuelle ou pas, cela ne l’empêchera pas de vendre sous enchères publiques de l’ordre de 50.000 bitcoins pour commencer.  Il en resterait alors encore 100 000 à liquider. Au risque de déstabiliser le marché du bitcoin. 

Justement, parlons-en du marché du Bitcoin et des risques qui, indépendamment de techniques qui sévissent sur les réseaux internet, piratage, intrusion, vol de données, du phishing, détournement de profils etc, qu’il fait courir à la valeur même du bitcoin. Si on veut gagner de l’argent, disaient les défenseurs du bitcoin, cette monnaie est un support idéal. Les cours du Bitcoin avaient en effet explosé et transformé de jeunes étudiants à l’affût de nouveautés amusantes en propriétaires immobiliers. Comme, le story telling est devenu un mode de communication de première importance dans la vie économique et entrepreneuriale contemporaine, on aimait à raconter cette histoire triste de ce jeune homme jetant aux ordures un ordinateur dont il a avait oublié qu’il en avait fait son porte-monnaie virtuel en bitcoin : malgré des recherches frénétiques, il avait perdu plus de 7 millions de dollars.

Quittons le domaine sympathique des gains par millions et des voitures et appartements acquis grâce à eux et rentrons dans une réalité un peu différente. On a vu plus haut comment on pouvait perdre des bitcoins (et leur valeurs en devises), on doit signaler qu’il est une autre méthode de ne pas bien vivre le bitcoin : les pertes de change.

La bitcoin, à ses débuts, ne valait rien. Fin 2013, il avait frôlé les 1000 dollars et avait marqué un temps d’arrêt à 800 dollars l’unité. Vous avez bien entendu, 800 dollars pour chaque bitcoin. Quand les autorités américaines entendaient mettre 50 000 bitcoin sur le marché, on parlait donc de 40 millions de dollars et d’un total saisi de 120 millions !!! Hélas ! La monnaie virtuelle aurait-elle connu une valeur irréelle ? Les marchés auraient-ils décidé de la faire descendre d’un petit nuage rose et de la confronter à la dure réalité : la valeur du bitcoin, descendait dans un premier temps à 300 euros sur des sites d’échange français, lâchant près de 70% de sa valeur pour, un peu plus tard, reperdre 20% et atterrir à 240 euros.

Défense et illustration du bitcoin

Les raisons de cette baisse sont obscures selon de nombreux commentateurs. Elle est bien injuste « …alors que le Bitcoin commence à devenir une monnaie respectable implémentée par de grands acteurs du Net, son cours de change ne cesse de plonger ».

Mais quand même, le bitcoin y aura mis du sien : peut-on se fier sans restriction à une monnaie dont on ne sait pas très bien qui l’a imaginée ? Il y a le légendaire Satoshi Nakatomo, mais on a aussi pensé à un finlandais, un irlandais, un mathématicien japonais et un « économiste finlandais ancien programmateur de jeux vidéo ».

Les monétaristes résolument modernes vous diront que si le billet de banque tel que nous le connaissons vient d’une idée d’un certain Palmstruch, ce dernier tâtonna un peu avant d’aller vers la gloire et fut emprisonné au tout début de sa vie professionnelle pour insolvabilité !

La force d’une monnaie tient à la pertinence socio-morale de la proposition et à son adéquation par rapport au contexte technico-économique. Ce n’est que dans ces conditions que naissent « sa crédibilité et sa fiabilité » (voir l’article antérieur), pierres angulaires de l’existence d’une monnaie et du système qui la soutient. Or justement, on s’aperçoit que, de proche en proche, le bitcoin acquiert « crédibilité et fiabilité ». Le traitement, l’échange et la conservation des bitcoins sont fragiles, attaquables et détournables ? N’est-ce pas le cas des billets de banque que tous les Banquiers centraux de la terre cherchent sans cesse à protéger contre les contrefaçons? Les lieux d’échange de bitcoin, ces fameuses « plateformes » auraient montré leur vulnérabilité face aux attaques des pirates de l’informatique ? Mais, combien de films américains retraçant la naissance de l’Ouest mettent en scène des pilleurs de banque ? Les banques américaines sont de nos jours les plus puissantes du monde !

Les pro-bitcoins multiplient les exemples et les contacts et finalement la constitution d’un réseau : un distributeur de bitcoin n’a-t-il pas été installé au Canada, le 29 octobre 2013 à Vancouver ? En insérant des dollars canadiens, l’utilisateur de cette borne d’un nouveau genre récupère leur contrepartie en Bitcoin. Sous forme virtuelle évidemment, via son portefeuille électronique installé dans une « app »de son smartphone. De la sorte, il pourra régler les commerçants qui acceptent les paiements en bitcoin. Bien entendu, l’inverse est possible : obtenir des dollars canadiens en contrepartie de la vente de quelques bitcoins.

A Vancouver, à Berlin, ou aux Etats-unis, le bitcoin commence à être accepté par des magasins qui vont du café au paysagiste. Indirectement, l'Allemagne a reconnu le bitcoin comme monnaie dans un but purement fiscal : prélever une taxe sur toutes les transactions marchandes réalisée à partir de cette devise virtuelle. De tous côtés, des preuves, des avancées, des ralliements laisseraient à penser que le processus d’acceptation est en marche : la presse se faisait échos début 2014 d’une initiative de Monoprix (groupe Casino) pour se préparer  au paiement par bitcoins.

Et que dire de ce « papier » de la Banque d’Angleterre qui évalue l’intérêt des monnaies numériques (telles que Bitcoin) : « il est possible de transférer de la valeur en toute sécurité sans un tiers de confiance ».

Décidément, le cheminement du bitcoin n’est pas simple, d’un côté, on voit un émetteur de Cartes bancaires lancer une carte utilisable sur des comptes « bitcoin », de l’autre, on entend la Suisse, lancer des avertissements, estimant que le bitcoin, comme toutes les autres monnaies numériques présentent des ouvertures et des moyens commodes aux transactions illicites et au blanchiment de capitaux illégaux.

Prochain article : un bitcoin ou des monnaies numériques 


6.Monnaies cryptées : les prémisses d’une révolution


La monnaie à la pointe de la technologie : envoyez de l’argent avec votre smartphone ! La publicité est partout. On voit bien le petit dessin. L’argent qui quitte le smartphone, avec une flèche rouge qui se dirige directement vers un autre smartphone. En un clic. C’est fait. Une nouvelle app. En Afrique, l’argent circule par téléphone. Pas assez de banques et surtout pas assez de guichets. Mais aussi : pas assez d’internet ! Dans le supermarché, ne passez pas à la caisse, prenez votre smartphone et payez vos produits.

L’argent une espèce en voie de multiplication ?

Autrefois, c’était simple : l’argent n’était que monnaies métalliques et billets de banques. Ensuite sont venus les cartes bancaires et la monnaie électronique. Et puis les portemonnaies électroniques et quelques histoires de « monnaie virtuelle » à partir de banques à distance ou en ligne.  Pour l’essentiel, tout ceci était (et est encore) constitué de monnaies de banque.

L’imagination humaine n’est pas arrivée au bout de ses capacités d’invention dans le domaine de la monnaie ! Aujourd’hui, on trouve des monnaies alternatives, des monnaies citoyennes, des  solidaires, des monnaies régionales ou locales, de la micro-monnaie, de la pico-monnaie !

Au fond, en réfléchissant à cette étonnante variété de monnaie vient la question : où se trouve la limite à la création monétaire ? Produire l’or nécessaire à la production de pièces d’or coûte beaucoup d’argent ! Dans ces conditions, la limite à la création monétaire est toute trouvée ! Mais la monnaie-papier dite aussi, « papier-monnaie », le fameux billet de banque, quelles sont les limites à sa fabrication ? Ce n’est pas cher à fabriquer. Du papier, de l’encre, un peu de couleur, tout ceci un peu technique pour qu’on ne l’imite pas trop facilement…  et la monnaie sur votre compte, plus besoin de billets, des carnets de chèques suffisent ou des cartes de paiement?

Alors pourquoi pas vous, cher lecteur ? Pourquoi n’émettriez-vous pas de la monnaie pour régler vos dettes et payer vos achats ? Votre monnaie à vous, avec votre photo ou celles de vos enfants si cela vous amuse ou vous flatte? Vous participeriez à l’euphorie créatrice de monnaie !

Participez à la Révolution monétaire !

Ce serait une monnaie solidaire d’un autre genre: habituellement, les monnaies alternatives sont fabriquées par une collectivité locale, une ville, un canton, la plus proche humainement des uns et des autres, de tous les gens. Par opposition aux monnaies de banques qui viennent d’institutions inhumaines et distantes de tous et de tout. Votre monnaie serait une façon comme une autre d’appeler à un peu plus d’humanité et de proximité. L’argent aurait alors l’odeur du myrte et de l’encens, des roses et du cœur.

Une fois les principes posés, il faut rentrer dans les questions pratiques : comment faire de l’argent soi-même? La procédure de fabrication est tout ce qu’il y a de plus aisé . Prenez une feuille de papier de la dimension la plus commode, un bristol ou une carte de visite. Puis lorsque vous achetez quelque chose ou un service, payez avec votre papier-monnaie, le vôtre avec votre photo dessus ou vos armoiries. Et voilà ! Vous aussi avez créé de la monnaie. Selon vos besoins. Enfin de la monnaie qui ne sera plus rare.

Vous n’avez ni papier ni carte de visite, ni bristol, sous la main pour fabriquer votre monnaie (on dit émettre) ? Pour transmettre l’argent, préférez donc  un lien télématique, ou mieux encore, des lunettes google. En trois clins d’œil (et des battements de cils pour les chiffres après la virgule) vous aurez déclenché un paiement quantique. Après l’invention de Crésus, l’or frappé en pièces, après l’invention de Palmstruch, la monnaie de banque, il y aurait cette monnaie singulière et personnelle.

Ne faites pas vos jeux, rien ne va plus !

Les banques centrales, la Commission Européenne ont règlementé la monnaie électronique et maintenant,  la Banque de France et…  la Banque de Chine mais aussi la Bundesbank et bien d’autres  s’intéressent à un animal étrange : le Bitcoin, dont ses laudateurs, disent qu’il annonce la fin de la banque et de sa monnaie. Est-ce la fin des comptes en banque et des dépôts dans les banques ? En est-ce fini du risque qu’elles tombent en faillite et que l’argent de leurs clients disparaisse. Si ce n’est pas le bitcoin, sera-ce une autre de ces 500 monnaies cryptées ? Il est vrai que certains amateurs de la fameuse monnaie cryptée ont déjà beaucoup perdu, soit à cause des variations de sa valeur, soit à cause des brigandages informatiques.

Avant de décider quelle monnaie est révolutionnaire, réfléchissons à une autre révolution : celle-là qui ferait que chacun émet sa monnaie et paye avec ses propres instruments de paiement. Vous, lecteur, avec votre bristol ou votre smartphone, vos voisins aussi, bien sûr, et chacun dans le monde. Une utopie ?

Au fait, pourquoi la monnaie ? Pour payer évidemment ! Qu’est-ce que payer ? Usons de termes un peu juridiques : payer c’est se libérer d’une dette. L’achat d’un bien fait de l’acheteur le débiteur du vendeur : il lui est lié. Le paiement consiste donc à dénouer ce lien. Le plus simple est de remettre à son créancier, une ou plusieurs créances que l’on détient soi-même contre d’autres agents et qui correspondent au montant  de l’achat. Habituellement, on use de monnaie de banque, en billets ou en compte laquelle, justement, est une créance détenue par leurs clients sur les banques privées ou publiques, primaires ou secondaires. La dette vis-à-vis du vendeur est compensée par la remise d’une créance sur des banques. Et l’or ? En pièces de monnaies, ce ne sont pas des créances, ce sont des choses !… Pas tout à fait. Les pièces n’ont de valeur que si vous croyez que leur fabricant, le monnayeur est digne de confiance et qu’il n’a pas « monnayé » du cuivre doré. Elle est là votre créance (même origine étymologique que croyance… et que crédit): vous faites crédit au monnayeur qu’il soit souverain ou non. C’est ainsi que chaque paiement, quel qu’en soit la forme résulte de la remise d’une créance (croyance) au vendeur (créancier) détenue par l’acheteur (le débiteur) sur un tiers (ou plusieurs).

Tu ne paieras plus en monnaie de banque !

Pourquoi use-t-on de la monnaie de banque ? L’acheteur qu’on a présenté plus haut n’est-il pas lui aussi créancier ? Il a vendu des marchandises, il a donc des débiteurs… Il a vendu ses services et sa compétence : il est créancier de salaires et d’honoraires. On a évoqué cette idée que le débiteur pourrait se « délier » par la remise de diverses créances. En vérité, ce qui parait évident est affreusement difficile : il faudrait que chacun de ses propres débiteurs soit crédible et qu’il soit en bonne santé financière. L’avantage du billet ou du compte réside dans le fait qu’on reporte sur quelques-uns, les banquiers, la question de confiance : « pourra-t-il faire face à ses obligations ? ».

Tout ceci était vrai dans l’univers ancien, celui où tout est (était) traité à la main, ou à la machine, au téléphone etc… Univers où vérifier la valeur d’une créance suppose un travail de recherches compliqué et lourd. Mais quand l’informatique règne en maîtresse, quand les transactions peuvent se faire sur des ordinateurs et les informations se traitent à la vitesse de la lumière, que devient cette hésitation ? Imaginons que tous les achats et toutes les ventes de tous les agents économiques sur toute la terre soient traités par un réseau gigantesque de gigantesques ordinateurs, pouvant passer en revue des milliards de créances grandes et petites et capable de les apparier en sorte que les dettes soient compensées par les créances sans même avoir le temps de respirer… Imaginez ce réseau gigantesque qui, instantanément, va rechercher toutes les créances dont un agent économique dispose pour les affecter à ses dettes et le délier de son créancier automatiquement, sans passer par aucune banque.

A-t-on ici créé de la monnaie ou, au contraire, l’a-t-on supprimée? Réponse : chaque fois qu’un agent économique se reconnait débiteur vis-à-vis d’une contrepartie commerciale, privée ou publique de la monnaie a été créée. Comme la banque qui, chaque fois qu’elle crée des billets se reconnait débitrice à l’encontre de celui qui en sera porteur. En fait, il y a ici une différence de taille : ici, le créateur de monnaie n’est plus une banque. Or, c’est véritablement le « cœur de métier » des banques. 

Prochain article : monnaies cryptées : révolution globale ou révolte locale ?


8. La technologie change-t-elle la monnaie ?


Lorsqu’on s’intéresse aux monnaies « cryptées » il faut pénétrer dans un saint des saints : celui des algorithmes, celui du cryptage dont on sait qu’ils gouvernent maintenant l’ensemble du monde connecté. Il faut aussi se pénétrer des questions qui concernent la vitesse de transmission des données. Enfin, il faut faire une incursion en direction de la façon dont les réseaux de données sont connectés ou interconnectés, en toile ou en étoile… On terminera par ce qui commence à devenir l’essentiel : le Big Data. Autant dire que très vite, l’amateur se sont un peu poussé vers la porte de sortie. Les débats sérieux se font entre spécialistes de domaines planant largement au-dessus du niveau de compréhension moyen du public cultivé.


C’est que trop souvent on mêle dans le même débat la question des moyens et celle des fins. Parce que certaines opérations financières sont fondées sur la rapidité des transactions et parce que cette rapidité a conduit à des raffinements technologiques de plus en plus poussés, on a pu entendre quelques commentateurs fantasmer sur une monnaie quantique ! Il faut se pénétrer de l’idée qu’il n’existe pas plus de monnaie quantique que de monnaie-papier au sens où celle-ci serait un sous-produit technique de l’industrie papetière. Il n’y a pas de monnaies dont la naissance, la reconnaissance et la légitimité sont venues de technologies particulières et de leurs progrès. On l’a montré dans les articles qui précèdent : la monnaie est une affaire de croyance et de confiance et c’est dans cette limite qu’on doit juger des rapports entre technologie et monnaie.


Progrès technologiques contre billets et chèques


Les révolutions monétaires et bancaires sont relativement rares. Ces derniers temps voient pourtant la chose monétaire, et donc la chose bancaire, secouées vigoureusement.

On ne reviendra pas sur l’essor du chèque, sa cohabitation de longue haleine avec le billet de banque. On ne débattra pas ici des récentes mesures prises par les Danois qui ont décidé de proscrire le paiement en cash, en billet de banques pour dire le mot précis, dans pratiquement toutes les situations de paiement pour l’ensemble des agents économiques. Il est certain qu’une décision de ce genre, qui consiste ni plus ni moins à passer d’une technologie de paiement à une autre, repose sur l’accès banalisé à des processus de traitement opérationnels totalement informatisés. L’ensemble des moyens disponibles développés sur les 30 dernières années ont rendu le billet de banque obsolète sur un plan purement industriel, celui des processus de compensation des dettes et des créances.


Cela signifie-t-il que le chèque va enfin monopoliser les paiements? Sur le plan «industriel» le chèque tout autant, presque davantage que le billet de banque, est devenu une plaie pour les usines à compensation que sont les banques. En langage « organisationnel », on dira qu’il est la source de très nombreuses ruptures de charges physiques et techniques.


Le traitement des chèques et des billets de banque correspondaient à un stade technologique de l’industrie bancaire où la mécanographie avait permis la mise en place « d’atelier » voire « d’usines », à une époque où la main d’œuvre n’était pas coûteuse et où des compétences de base avaient été rendues disponibles grâce au développement du niveau de formation scolaire. L’irruption de l’informatique dans les traitements comptables puis opérationnels des banques en a changé la dimension. Les progrès dans le traitement des données et la circulation de l’information ont eu pour conséquence la mise en place de processus industriels économisant ces ruptures de charges. En conséquences : Haro sur le chèque aussi et pour des raisons similaires, il est dépassé sur le plan des technologies de circulation de la monnaie.


Aux Français, grands utilisateurs de chèques, n’opposons pas les Allemands qui ont toujours préféré le virement (Giro). Sur le plan technique cela ne change pas grand-chose: le Giro, tant que l’informatique à distance ne s’y est pas mise, c’est du papier qu’on envoie à sa banque au lieu de papier qu’on envoie à son créancier ! Par quoi ces bonnes vieilles techniques, les billets, les chèques, les virements seront-ils remplacés ? La question est mal formulée. Il vaut mieux proposer celle-ci : si les changements technologiques condamnent certains modes de paiement, conduisent-ils vers de nouvelles formes de monnaies ?


Les «Innovations» bancaires et non bancaires sont-elles innovantes ?


Les évolutions technologiques qui se succèdent depuis plus de trente ans n’ont pas changé mais conforté et étendu la conception traditionnelle de la banque et de la production de monnaie. La banque à distance, qui a remplacé le guichet de banque par le téléphone, n’a rien changé aux principes fondamentaux de la production monétaire.

Il en est de même, contrairement aux apparences, des techniques de cartes de paiement qu’elles se soient vues ou non augmentées de propositions de crédit ou d’autres services. L’essor du système des cartes de paiement a laissé à penser qu’une monnaie nouvelle était née : la monnaie électronique. Dans les faits, il s’agissait d’un nouveau mode d’automatisation des opérations bancaires de paiements. Elles demeuraient les mêmes, seul changeait le medium.


Quand on reprend la définition de la monnaie électronique selon la loi de 2013, la monnaie électronique est une monnaie classique : « une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement définies… » et un peu plus loin précise : « Chacune des unités de monnaie électronique ne peut être émise que pour une valeur nominale égale à celle des fonds collectés en contrepartie ». En d’autres termes, si vous apportez des billets de banque pour « reconstituer » votre « portefeuille électronique », vous ne transformez pas les premiers en une nouvelle monnaie qui pourra avoir une autre valeur…. Ainsi définie, la monnaie électronique est un avatar de la monnaie de banque et même des billets de banque : seule la « façon» change. Elle ne ressemble surtout pas aux monnaies cryptées de type bitcoin, dont la valeur peut varier par rapport à leur prix d’achat et qui ne représentent pas de créances… sur qui que ce soit (apparemment).


Arrêtons-nous un instant sur ces fameuses monnaies électroniques… A leur aune, que sont les paypal et autres intermédiaires en financement ? Que seraient des monnaies google, apple ou  amazon ? Paypal pour prendre cet exemple, parce qu’il est partout, interpelle au sens où la formule proposée repose sur un démembrement subreptice de la fonction monétaire. Pas un gros démembrement et, somme toute, sur une partie encore limitée de la circulation monétaire, mais un démembrement quand même important sur le plan conceptuel : la proposition de paypal réside dans la sécurité, problème éternel du paiement à distance qu’il s’agisse du transport de pièces d’or ou de la transmission d’instruction de paiement à distance. Le démembrement dont on parle ici résulte du découplement entre le support monétaire et sa fonction de transaction. Or, c’est une des pierres angulaire de la théorie traditionnelle des trois missions de la monnaie.


Le rôle des intermédiaires « en sécurité » que veulent assumer de grands prestataires « informatiques » est peu ou prou un coup de canif donné aux banques et à leur métier traditionnel : émettre la monnaie de banque, en garantir le rôle de compensation des dettes et des créances, la sécuriser. Ce serait secondaire pour quelques commentateurs. C’est à mon avis essentiel, car c’est aussi par ce biais que les monnaies cryptées viennent rudoyer le monopole bancaire.


Les technologies qui se sont empilées depuis près d’un demi-siècle n’ont pas changé grand-chose à la conception traditionnelle de la monnaie, celle qui émane de l’offre, la révolution monétaire pourrait venir des utilisateurs, c’est-à-dire de la demande.


Prochain article : des monnaies différentes selon les métiers ?

10. Emettre des monnaies morales ou moraliser l’émission de monnaie?

Publié dans Huffington france et

quebec.

Faut-il «rendre la monnaie aux citoyens» ou à ses utilisateurs? Faut-il que la monnaie soit «disciplinée» ou «bridée» en sorte qu’elle ne puisse plus jamais véhiculer les crises économiques?

Lorsque les théoriciens de l’économie libérale posèrent les fondements de l’économie moderne, ils s’attachèrent à l’économie dite réelle. Non pas parce qu’ils voulaient clairement la démarquer d’une économie bancaire ou monétaire, mais parce qu’ils ne pensaient pas que dans les processus de création de richesse, la monnaie puisse jouer un rôle.

Ils n’écartaient pas l’idée qu’elle ait une utilité. Celle-ci était seconde en quelque sorte. D’où la fameuse image du «Voile». La monnaie est nécessaire pour assurer l’échange. Voilà sa véritable utilité. Elle peut être une unité de compte à ce titre seulement. Elle est un moyen de conserver la valeur lorsque les revenus sont supérieurs à la consommation et que se constitue une épargne. Ces propos reconnaissons-le sonnent curieusement archaïques. Plus personne ne croit que la monnaie ne joue pas de rôle dans les économies, même si ce rôle paraît excessivement important et s’il conviendrait de le limiter.

Comment s’y prendre? Deux types de propositions se présentent sur le marché des idées et très concrètement sur le marché bancaire et financier : les unes sont «classiques», elles conduisent à contraindre les producteurs traditionnels de monnaie que sont les banques, en leur imposant des règles d’émission variant selon la nature de leurs activités. Les autres sont «idéologiques» au sens où elles s’appuient sur une conception morale ou même religieuse de la monnaie.

La monnaie, produit régulé des banques

Puisque les banques sont mauvaises, on ne peut donc pas leur faire confiance pour produire la monnaie et surtout la bonne monnaie.

Mais d’abord, qu’est-ce que produire de la bonne monnaie dans l’univers bancaire, c’est-à-dire dans un univers où on ne « mine » pas ni dans les galeries obscures d’une mine d’or, ni dans les replis électroniques du cerveau d’un processeur d’ordinateur en réseau?

On dira de façon expéditive que c’est le fait pour les banques de produire des crédits à l’économie en ne retenant dans leur raisonnement d’octroi de crédit que des critères « réellement » positifs. C’est ainsi que les crédits à la construction d’usines, à l’achat d’équipements, à la recherche et au développement seront gratifiés d’une bonne opinion.

Généralisons : le fait pour un ensemble de banques de s’employer à des opérations de prêts de ce type, va se traduire, comme on le sait, par des dépôts dans le système bancaire, donc de la monnaie. Cette monnaie sera dite « bonne » puisqu’elle a été produite à l’occasion d’opérations utiles à l’économie. Elle a d’autant plus de valeur qu’elle en a créée. Les pouvoirs publics seront donc enclins à faciliter la fabrication de cette bonne monnaie.

Par opposition, ils seront enclins à contrôler sévèrement les autres activités des banques qui aboutissent à la création d’une «monnaie financière». Les régulations qui sont progressivement mises en place pour encadrer les activités de Banque d’investissement conduisent à tracer une frontière entre deux activités monétaires. Le curseur en est l’obligation de couverture des opérations de crédit relatives aux activités «réelles» par opposition à celles qui sont relatives aux activités «financières».

Contraindre les banques à appuyer leurs activités de crédit sur la détention de fonds propres, c’est-à-dire durcir les conditions de rentabilité des opérations de crédit est un moyen parmi d’autres (quotas, ratios, obligations réglementaires) pour pousser les banques à être très sélectives ou, en cas d’assouplissement, à l’être moins. La mauvaise qualité de la monnaie «financière» est contrebalancée par les fonds propres qu’il faut afficher. Dans l’autre sens, la monnaie issue des crédits à l’économie réelle sera présumée bonne et subira moins d’obligations en fonds propres.

C’est ainsi que deux monnaies sont ainsi légitimées et distinguées selon un label moral!

D’autres méthodes sont possibles pour rendre «son âme» à la monnaie.

La monnaie, soumise aux impératifs moraux

«L’argent ne fait pas de petits». On a tout dit ou presque au moyen de cette formule dont on attribue la paternité à Aristote. Autoriser le prêt à intérêt est la fin d’un débat sur près de deux millénaires et qui s’est achevé avec la Réforme protestante. A cette occasion, le temps est devenu «de l’argent».

Ce serait donc du passé que cette idée aristotélicienne? Si les catholiques ont abandonné leurs convictions, pour les musulmans la formule est toujours vivace : le prêt à intérêt n’est pas «chari’a» compatible. Est-ce à dire que la vie économique, celle qu’on a qualifiée plus haut de «réelle» se verra privée des bienfaits de toute activité de crédit.

La réponse est négative: la «Finance Islamique» est là pour y parer. Tout en imposant fermement que personne, ni le déposant, ni le banquier ne peuvent recevoir d’intérêts sur l’argent déposé ou prêté quelle que soit la durée du placement ou son objet, la Finance Islamique remet le temps à sa place. La notion de location s’y substitue. Ainsi la monnaie produite sera-t-elle irréprochable.

Autre moyen de rendre à la monnaie, la moralité qu’elle a perdue : empêcher toute accumulation de capital résultant de l’application de la règle de l’anatocisme, celle-là même qui fut anathémisée par Aristote. L’anatocisme est la technique selon laquelle l’argent prêté donne des intérêts qui s’ils ne sont pas payés, se transforment en capital et viennent accroître la base de calcul … des intérêts. Et ainsi de suite. Cette règle est d’autant plus redoutable que les intérêts sont élevés et payables selon des périodicités très rapprochées.

Comment éviter cette dérive d’autant plus condamnable pour ses accusateurs, qu’elle frappe le pauvre, le démuni, et le nécessiteux et le conduit directement à l’aliénation de son indépendance? Autrefois, le débiteur écrasé sous le poids de sa dette tombait en esclavage.

L’invention de la monnaie «fondante» vient rompre ce cycle infernal! Les détenteurs de réserves monétaires ne peuvent pas s’enrichir en les prêtant soit aux banques soit aux autres agents de l’économie car la durée de détention d’un actif monétaire se traduit par une déperdition de sa valeur! En somme, plus longtemps on détient un actif monétaire et moins il  a de la valeur. Tout l’inverse du mécanisme de l’anatocisme. La monnaie ne peut pas être thésaurisée, ni prêtée puisqu’il en coûte à son propriétaire. Plutôt que de la «stocker», il a intérêt à la dépenser le plus vite possible.

Si plusieurs monnaies alternatives ou complémentaires dites «fondantes» ont vu le jour suivant des méthodologies variables et avec des horizons de temps différents, la formule est encore confidentielle.

On pourrait penser que cette dévalorisation de la monnaie n’est que le produit d’esprit originaux, mais peu pratiques. Ce serait alors oublier que pendant un certain temps, quelques Etats, dont la France et l’Allemagne se virent dans la situation originale où leurs dettes étaient affectées d’intérêts négatifs : les intérêts étaient dus par les préteurs et non les emprunteurs. Le capital prêté était ainsi diminué de l’équivalent capitalisé des intérêts dus ! Le monde à l’envers! On peut penser à un moment original où l’économie montre que rien, ni aucune loi, ne peut lui interdire de drôles d’aventures. Curieuse monnaie que celle-là qui met le créancier au pied de l’emprunteur en raison du fonctionnement étrange des «lois du marché»!

On avait montré dans les articles précédents que l’émission monétaire était variée, on voit que la monnaie produite est aussi susceptible de variations tant dans sa qualité intrinsèque que dans les modalités de son traitement par les agents économiques.

Monnaie sans banque : une révolution qui pointe ?


Depuis l’Islande jusqu’à Chypre, depuis Los Angeles jusqu’à Vienne, les banques ont été violemment secouées : cause de la crise la plus grave depuis celle de 1929, elles ont ruiné des Etats et leurs propres clients. Elles se trouvent aujourd’hui mises en accusation, qu’elles aient été prudentes ou non. Celles qui avaient bien géré leurs situations se sont vues rattrapées par des compromissions dangereuses. Celles qui se sont effondrées ont coûté de fortunes à leurs concitoyens. Elles sont toutes mises en cause, psychologiquement, socialement, économiquement. Quant à leurs dirigeants on les accuse de s’être servis abondamment, d’avoir couvert des politiques scandaleuses de bonus mirifiques et de n’avoir montré qu’éthique vasouillarde ou fausse ingénuité : « ils ne savaient pas » ou « découvraient, mais un peu tard » que leurs subordonnés étaient de vrais sales types soucieux de leurs propres intérêts, peu concernés par le sort réservé à leurs clients.

Rendez l’argent !

Dans ce contexte, étonnez-vous que le monopole des banques en matière monétaire soit contesté voire radicalement mis en cause. De tous côtés déferlent des propositions tendant à rendre la monnaie au peuple, aux nations, aux organisations financières internationales. On ne veut plus des banques et de la vision édénique d’un certain libéralisme qui prétendait que de leurs activités de crédit autorégulées par le marché ne pouvait sortir que de la bonne monnaie. Aussi, entend-on de plus en plus haut et fort ce cri un peu étonnant, adressé aux banques et aux pouvoirs publics : « rendez l’argent ! ». Traduit dans la langue des économistes cela signifie que le pouvoir monétaire, lorsqu’il est placé entre de mauvaises mains, ne donne que de la mauvaise monnaie.

Rendez l’argent ? Mais à qui s’interrogent les économistes effarouchés. Au peuple, s’entendent-ils répondre comme si on avait rétropédalé vers les diverses révolutions du XIXème siècle. Vieille revendication depuis que la monnaie n’est plus uniquement frappée dans du bon or, loyal et franc et depuis que le billet de banque a rapproché les citoyens de sa fabrication. Revendication réinventée et qui prend des formes très diverses, depuis les formulations les plus « sociétales » où l’humain domine jusqu’aux formules qui renverraient les algorithmes du speed trading au niveau du fameux jeu de Pong, ancêtre de tous les jeux vidéo.

Les trois ambitions de la monnaie sans banque

Trois ambitions se croisent et, pour le moment, ne se rencontrent pas vraiment. La première est celle qui veut en finir avec toutes les intermédiations. L’Homme doit pouvoir parler avec qui il veut, commercer, participer, projeter sans qu’une autorité se prétende habilitée à réguler, organiser, permettre, interdire, surveiller et donc fliquer. Elle est célébrée sous le vocable : « peer to peer », « pair à pair » où « pair » prend son sens le plus noble. On entend ici et là que les mânes de Thoreau et d’Emerson sont convoquées sur le berceau d’une monnaie qui ne devra rien à personne, si ce n’est à ses utilisateurs et aux membres du réseau auquel elle appartient. On comprend qu’il s’agit de la monnaie qui fait trembler les colonnes du temple : le Bitcoin. Celle-là et ses émules ou ses concurrentes, d’autres monnaies « cryptées » comme on les nomme, sont sur les rangs pour se partager un marché qui devrait croître à la même incroyable vitesse qu’internet.

Seconde ambition, qui est presqu’à l’opposé de la première tant elle insiste sur l’humain, le proche et le compassionnel, c’est celle des monnaies alternatives. Ici les enjeux ne sont plus ceux d’une technologie « quantique » à base d’ordinateurs ultra puissants ou mis en réseau par milliers pour fournir les capacités de calculs monstres, ni de miner de l’or numérique, comme on le verra plus tard. Il s’agit de faire ré-émerger de plus belles ressources, celles qui sont le produit du travail humain et de sa dignité. « L’expression ré-émerger » est ici employée à dessein : le mineur d’or numérique fait émerger du monde binaire des 0 et des 1 quelque chose qui, instantanément, indépendamment de toute activité humaine, acquerra de la valeur et enrichira son détenteur. Le monde des monnaies alternatives se fonde sur cette idée que les crises dépouillent l’homme de son travail et des valeurs qu’il peut créer (morales, humaines ou économiques). Or, cette faculté de créer n’est qu’occultée, oblitérée par la crise et le chômage, il faut la faire revenir dans la société qui s’en enrichira et rendra à ceux qui étaient poussés à l’écart, dignité et participation sociale. La valeur créée sera reconnue par des monnaies solidaires émises pour la circonstance et pour répondre aux besoins de crédit, c’est-à-dire de confiance, des offreurs de travail. Les monnaies alternatives ont toutes pour caractéristiques de se déployer, on en verra les raisons plus loin, dans des univers restreints géographiquement et socialement. Il s’ensuit qu’elles sont nombreuses bien que fonctionnant souvent selon les mêmes modalités.

Troisième ambition qu’on pourrait qualifier « d’ambition africaine » : des zones géographiques entières, voire des continents, le continent africain en est l’exemple le plus caricatural, sont mal desservis par les réseaux bancaires et monétaires. Comme on peut aussi le dire des réseaux routiers, électriques, d’eaux potables, de voies navigables. Pas de réseau bancaire, pas de possibilité d’user des moyens classiques, virements et chèques, instruments dits « monnaie de banque » pour compenser les millions de dettes et de créances nées du commerce entre l’ensemble des agents économiques. Comment, faute de banques, s’arracher du commerce de proximité insuffisant pour assurer l’écoulement des très grandes quantités et l’approvisionnement de centaines de milliers d’acteurs économiques ? Comment garantir la liquidité des parties à un contrat et comment procéder au transfert des créances destinées à apurer les dettes ? C’est alors qu’apparaissent les acteurs d’un nouveau mécanisme de paiement et de compensation : les sociétés de téléphone combinant la technique du smartphone et celle de l’e-monnaie.

Perplexité des Etats et des Banques centrales

Ainsi, de nouveaux acteurs, de nouvelles ambitions, les moyens qui les caractérisent se mettent-ils en place sous le regard interloqué, inquiet ou courroucé des acteurs traditionnels de la vie bancaire et monétaire. Il est clair que les banques qui tentent depuis plusieurs années d’investir l’univers « électronique » voient avec peu de tendresse s’interposer les émetteurs de monnaies cryptées. Leurs projets ne sont ni plus ni moins qu’une sorte de déclaration de guerre lancée à l’encontre des anciens pouvoirs « techniques ». Les pouvoirs publics sont concernés : on le conçoit d’autant plus naturellement que la monnaie, sa valeur, sa sécurité et son aptitude à assurer l’apurement des dettes et des créances, sont des enjeux essentiels dans la vie d’une nation ou d’un groupe de nation. Les débats sur l’Euro en sont un témoignage difficilement réfutable.

Les enjeux pour les institutions « étatiques » sont ceux de la sécurité dans les processus de transaction et dans les rapports qu’entretiennent les agents économiques entre eux. D’autres enjeux, parfaitement étatiques, au sens même où les pourfendeurs du « détournement de la monnaie » le pensent, tiennent aux risques systémiques que comporte le « peer to peer ». Comment contrôler que l’ordre et les bonnes mœurs sont respectés puisque par définition ce « peer to peer » écarte toute surveillance des parties à une transaction ? Comment s’assurer que les taxes seront payées ? Où que les interdits concernant des transactions ou des acteurs ne seront pas contournés ?

On ne s’étonnera pas que ces questions se posent de façon presque identique dans les trois cas exposés plus haut. On ne s’étonnera pas non plus de relever que l’émergence de ces modes de paiement et des ambitions qu’ils ont pour objectif de satisfaire provoque des tensions de plus en plus vives. Reconnaissons aussi que les plâtres essuyés par les nouveaux venus ont de drôles de consistances et ne sentent pas toujours très bon ! Mais souvenons-nous que les deux modes de paiement révolutionnaires que furent en leurs temps le billet de banque et la monnaie scripturale ne sont pas nés dans des draps de soie embaumant la rose. Escroqueries, faillites, épargnants spoliés, commerçants ruinés jonchent la vieille route suivie pour la constitution des systèmes bancaires et monétaires dominants. C’est donc presque logiquement que les belles idées qui sous-tendent le « bitcoin », pour prendre cet exemple, n’ont pas résisté à quelques tentatives douteuses et mafieuses bien ciblées.

Il n’en est pas moins vrai qu’un mouvement se développe qui voit naître des « monnaies sans banques » véritable menace pour ces dernières, possible révolutions pour les modes de paiement et les sociétés dans lesquelles ils s’inscrivent.

Prochain article : les frasques d’une jeune monnaie

Monnaies sans banque : Or numérique, or métallique


La volonté des promoteurs du Bitcoin de limiter la production, le minage, de cette monnaie à un nombre de 21 millions selon les uns et de 25 millions d’unités selon les autres relève, en matière monétaire, d’un comportement très original ; En général, les « inventeurs » de monnaie se gardent bien d’en limiter la production. Il faut reconnaître que dans les temps passés, les bricoleurs ou les révolutionnaires économiques ne souhaitaient que libérer le commerce du carcan de l’or-métal, rare, cher et insoucieux des réalités économiques.

Que n’a-t-on pas dit sur la merveilleuse monnaie que les révolutionnaires français découvrirent dans l’Assignat ! On doit à Talleyrand, encore évêque et pas encore duc de Bénévent, une des envolées lyriques les plus enflammées en faveur du monnaie-papier. Selon lui, l’assignat serait à l’économie rien moins qu’un Nil dont les limons fertiliseraient la belle terre de France… Doit-on en déduire que, par un bizarre tour de pensée, les défenseurs du bitcoin soucieux d’exorciser le malheur inflationniste qui pèse sur les monnaies « créatives » se sont attachés à faire de leur crypto-monnaie une sorte de chryso-monnaie, lui attribuant, pour rassurer, toutes les vertus de l’or, tournant donc le dos « au Nil ». 

La rareté fait-elle la valeur de l’or ?

Ont-ils dans l’esprit que l’or étant rare, justement, une monnaie en or assure une fonction d’unité de compte imperturbable, sans qu’on puisse tricher, sans que les valeurs s’effondrent face « au trop de monnaie » ? Si la monnaie allemande avait été rigoureusement appuyée sur l’or à l’époque terrible de la fameuse « Grande Inflation », celle qui fait encore trembler le Président de la Bundesbank, l’horreur de la valse des prix n’aurait pas eu lieu ?

Donc, peu d’or, c’est-à-dire une faible liquidité de l’économie, c’est gênant, mais c’est beaucoup moins ennuyeux que « trop de monnaie », tout le monde le répète. On peut imaginer que les inventeurs du bitcoin ont eu cette idée derrière la tête. Rare la monnaie, plus désirable elle est, plus sérieuse elle parait et plus convaincante puisqu’elle se tient à l’écart de la folie des banquiers et de l’ambition des politiques. C’est une vision. De nombreux signes laissent penser à pareille similitude : le coût de production par exemple. Au début, lorsque l’or était découvert aux Etats-Unis, au Canada, ou ailleurs, les filons étaient presque visibles, les paillettes nombreuses. Puis le minage devint de plus en plus long, de plus en plus coûteux. Les coûts dans la ruée vers l’or, version Charlie Chaplin s’exprime en vies humaines, en sacrifices, en famines, en maladie de tous les pauvres types qui se tuent à la tâche ; dans la version bitcoin, au début, même chose, on mine facilement, puis au fur et à mesure que les unités sont déterrées des tréfonds des unités de calculs des ordinateurs, cela devient plus long, il faut calculer plus longtemps afin de doter chaque unité d’une personnalité numérique incontournable, infracturable. Cela ne se compte pas en vies humaines mais en électricité (une consommation qui prend la dimension des besoins d’une ville entière), en chaleur à dissiper, celle qui vient des ordinateurs eux-mêmes moulinant les fameux algorithmes. On peut dans les deux cas comprendre pourquoi il y a rareté : des lois naturelles viennent contrarier le désir de richesse des mineurs : pour l’or métallique, c’est la rareté que la nature impose, pour l’or numérique, c’est le coût astronomique des derniers bitcoin produits.

La monnaie-or n’était-ce vraiment que de l’or ?

Ces calculs, ces ordinateurs mis en batterie pour calculer ces algorithmes plus ou moins sophistiqués créent-ils une monnaie aux caractères si originaux par rapport à l’or métallique ? On a vu que par certaines caractéristiques on peut rapprocher les deux « ors » par-delà les millénaires. Mais on se tient alors trop près des apparences. Les monnaies d’or ne tenaient pas leur statut monétaire de cette fameuse rareté doublée d’un coût de production élevé. Il leur avait fallu beaucoup de transformations avant de se poser en tant qu’instrument monétaire et d’acquérir les caractères qu’Aristote attribuait à la monnaie: instrument pour échanger, conserver la valeur et fixer les parités entre les biens et les services. Lorsqu’on parle de monnaie « or » on ne cesse de revenir en Lydie et aux bonnes affaires du Roi Crésus. On ne parle pas assez d’une révolution monétaire : sous la signature des rois lydiens, la monnaie d’or, valait vraiment …son pesant d’or, personne n’en contestait sa réalité de monnaie et, par conséquent, son pouvoir libératoire.

Le monnayage de l’or, c’est-à-dire sa transformation en monnaie n’a donc pas seulement été l’aboutissement d’un processus technologiquement complexe. L’or devait être chimiquement homogène, les poids devaient être identiques, il fallait un solide instrument de mesure poids/densité. Les scientifiques les plus fameux furent mobilisés au service de la monnaie-or: selon la légende, le fameux «Euréka» d’Archimède lui vint de la découverte qu’il fit du moyen de déterminer la teneur réelle d’un objet en or et de débusquer sa part illicite d’argent! Les rois de Lydie n’apposaient pas leur sceau parce que c’était des bouts de métal sophistiqués, mais parce qu’ils étaient Rois : c’est en apposant leur sceau sur un morceau d’or que celui-ci devenait monnaie et pouvait assumer les trois fonctions d’Aristote.

L’or monétaire était, en définitive, une technologie sophistiquée qui avait recueilli l’adhésion sociale et reposait sur un réseau de confiance. Les commerçants disposaient avec la monnaie de  Crésus d’un étalon monétaire au sens le plus strict du terme. On a trop distingué entre monnaies métalliques et monnaies fiduciaires : La monnaie lydienne n’était pas devenue, parce qu’elle était en or « métallique », la monnaie des échanges internationaux dans l’ensemble économique formé par les empires mésopotamiens et la Grèce, elle l’était devenue, en tant qu’instrument de transaction et de compensation crédible et fiable : dans ces deux mots, il faut lire croyance et foi, concepts qui n’ont rien de métalliques. Crésus en était la métaphore. Plus tard, on lira sur du papier-monnaie : « in God we trust ».

A 3000 ans de distance, au-delà des technologies, les conditions de confiance et de croyance conférant leurs forces fiduciaires aux monnaies qui font qu’une monnaie est « crédible et fiable » sont de même nature.

L’or numérique vaut-il son « content » d’or ?

On a vu que ce n’est pas l’or, pas seulement, qui a fait la valeur de la monnaie-or, mais la conviction que la monnaie utilisée dans les échanges était franche et loyale et que ces qualités tenaient autant au prince qu’à la chimie des métaux.

Comment dire cela du bitcoin ? En fait, dans le cas précis de cette monnaie qui se réfléchit elle-même comme une rareté, il faudrait voir dans le minage et ses contraintes, en particulier la limitation en quantité, comme une sorte de mimétisme « tentatif ». Or, pour que le bitcoin devienne une monnaie, on voit  qu’il lui faut surtout rassembler deux éminentes qualités que les « monnaies-or » avaient jointes : la crédibilité et la fiabilité.

Concrètement cela veut dire que tout acteur économique, partie à une opération de compensation - décaissement d’une dette ou encaissement d’une créance -doit être convaincu que l’actif dans lequel il va transformer la dette ou la créance est équivalent à la valeur de cette dernière. C’est l’exigence de fiabilité. On n’imagine pas recevoir en contrepartie d’une créance, un actif dont l’existence est fragile, dont la valeur est volatile et dont le statut est contestable. Et si un filou peut rêver d’apurer ces dettes par ce moyen, un honnête homme craindra pour sa réputation, pour les opérations à venir, voire pour son statut d’homme libre !!!

Pour autant la fiabilité de la monnaie ne se soutient pas elle-même, on peut l’éprouver au sens de preuve et d’expérience. Elle ne prend de forme concrète qu’en tant qu’on y croie. C’est bien ce qu’on a voulu dire lorsqu’on a évoqué le fait que la monnaie-or ne tenait pas sa force d’un argument chimique et de celui-là seulement mais d’arguments qu’on pourrait qualifier d’humains et dont on a dit qu’il était de l’ordre de la foi et de la croyance…

Dans ces conditions, on voit bien que singer l’or n’est pas la garantie du succès d’une monnaie numérique… le bitcoin donne bien l’impression qu’il a jusqu’ici voulu jouer des similitudes, en fait, jusqu’ici, il a surjoué une posture d’or numérique. D’où il ressort des résultats mitigés.

Prochain article : le bitcoin : les hauts et les bas d’une monnaie


5.Monnaies Cryptées : les « Cent Fleurs de la monnaie cryptée ».


Le Bitcoin on l’a souligné dans les précédents articles est presque autant une réussite marketing qu’une innovation technologique ! A se faire remarquer dans des situations peu reluisantes et à gagner l’intérêt des Geeks grâce à son apparente sophistication, cette monnaie cryptée est devenue « la » référence, l’objet monétaire qu’on croit avoir identifié et dont on doit parler. Ce serait une sorte de « Monnaie people ». Il est incontournable d’avoir écrit quelques lignes dessus quitte à l’oublier vite pour des choses plus sérieuses.

Quitte surtout à s’intéresser à ce qui paraît de plus en plus comme une floraison: il y aurait une sorte de printemps des monnaies, comme on a cru à un printemps des peuples. Comme ce dernier, les monnaies nouvelles naissent d’un désir de liberté. Comme tous les désirs de liberté, toutes les idées sont recevables. Dans le domaine bancaire, financier et monétaire, c’est pain béni car ce sont de purs domaines abstraits dominés par les purs rapports humains que sont « croyance et confiance ». 

Au nom de la liberté des échanges et des transactions, les monnaies cryptées ont fleuri sur ces dix dernières années. Les connaisseurs le disent, ce sont plus de 500 monnaies nouvelles relevant de la catégorie des monnaies cryptées qui ont vu le jour et parmi elles, les Scam-moneys.

D’une monnaie cryptée à l’autre

Donc, il y a le bitcoin. On ne reviendra pas là-dessus. Le Lite coin qui serait second dans la hiérarchie des monnaies cryptées est un bel exemple de ce que veut dire « compétition entre les monnaies ». De fait, le Litecoin est fondée sur les mêmes principes et processus de fonctionnement que le bitcoin, le minage et les preuves de travail, en d’autres termes les mécanismes informatiques qui assurent que le propriétaire d’une unité monétaire est attestable et que la monnaie elle-même n’est pas contestable. On a indiqué dans les précédents articles que les processus en question minage compris étaient de plus en plus longs et de plus en plus coûteux au fur et à mesure de la création des bitcoins et du développement de leurs échanges.  

Le Litecoin, lancé en 2011, challenge le Bitcoin dans les deux domaines du «minage» et du traitement des opérations. Le réseau du Litecoin est prévu pour «miner» 84 millions Litecoins soit 4 fois plus que le Bitcoin. C’est un réseau rapide. Là où le réseau Bitcoin demande 10 minutes pour traiter une transaction, celui du Litecoin en demande quatre fois moins. Quand on sait que la production des Bitcoins demande des temps de plus en plus longs et s’accompagne de dépenses d’énergie de plus en plus élevées, on comprend que sur le papier le Litecoin dispose d’un avantage compétitif fort.

Ce n’est pas le seul compétiteur ! Il faut signaler le Dogecoin, dont le lancement ressemble à une plaisanterie.  Deux ingénieurs à la fois intrigués et amusés par le développement des monnaies cryptées en ont créé une : le Dogecoin.  On sait (voir les articles qui précèdent) que les monnaies ne valent que par les effets de la croyance et de la foi. Mais on sait aussi que dans le monde de la monnaie il n’y a pas loin de la crédibilité à la crédulité : le désir de s’enrichir fait tomber beaucoup de barrières mentales et de capacité de réflexion. Les inventeurs du Dogecoin ont été sidérés de constater que leur monnaie « blagueuse », marchait et ce alors qu’il était annoncé que le «minage» porterait sur 100 milliards d’unités !!! Incrémentés de 5 milliards de Dogecoins par an au-delà.  (à comparer aux 21 ou 25 millions de Bitcoins au maximum). Un autre avantage doit être relevé : les blocs de transactions qui sont un des éléments clefs de la sécurisation sont traités en moins d’une minute contre 10 minutes avec Bitcoin!

Pour continuer cette série, citons le Darkcoin que la littérature sur les monnaies cryptées classe au 9ème rang. Initialement, il était conçu pour renforcer le Bitcoin dans le domaine de l’anonymat. Lui aussi est «miné» : un maximum de 22 millions de Darkcoins, créés au rythme de 2800 par jour, seront à disposition en 2050. Le temps de confirmation par transaction est assez rapide et se situe en dessous de 2,5 minutes.

La place manque pour évoquer l’Ether, une invention canadienne, ou l’Amazon coin au lancement duquel le géant de la distribution s’intéresse ou encore, l’Aurora coins…

Cette dernière monnaie ressort davantage du principe des monnaies alternatives que des Crypto-monnaies, on ne la cite ici que parce qu’en Islande où le projet est né, les autorités officielles la juge comme une Scam-money.  

Les mauvaises mines des monnaies

On a dit dans des articles antérieurs que la monnaie n’est plus depuis longtemps un bien individualisable comme une pièce de monnaie. La fabriquer, qu’il s’agisse de monnaie de compte ou de monnaie virtuelle, relève d’une activité de service. La virtualité s’y ajoutant, les barrières à l’entrée sont faibles quoiqu’on en dise. Les conditions d’accession à une monnaie sont donc des clefs incontournables de sa validité. Les monnaies cryptées « d’accès facile » celles qui se lancent sans «minage» ou qui offrent d’entrée de jeu la facilité d’un «préminage» à leurs utilisateurs, présentent des risques sérieux pour les communautés qui les utilisent. Ces monnaies qui ont fait quelques victimes (voir notre remarque sur la crédulité) sont dénommées Scamcoins (monnaies-arnaque).  

Elles sont aux monnaies cryptées, les vraies, les sérieuses, ce que sont les billets de Monopoly à la bonne et vraie monnaie fiduciaire. Certaines sont bâties sur le principe des monnaies alternatives. Au lieu de demander un effort à leurs adhérents : le «minage», elles décrètent qu’il y aura un «préminage» dont elles définissent à l’avance le niveau : les unes, c’est un million d’unités, les autres… c’est caché, on ne le sera qu’au bout d’un certain temps ; il en est qui en font une espèce de loterie, votre «minage» vous donnera le droit à un ticket «chance» : vous serez riche aléatoirement alors que le mineur de bitcoin doit faire des investissements et des efforts.

Pour obtenir ces monnaies, puisqu’on ne mine pas, il faut se délester de quelques bons euros ou dollars ou bien être payé de ses créances dans la monnaie cryptée concernée. Ce qui est peu probable au départ. Elles admettent en général l’usage des autres monnaies et créent des plateformes de changes. La plupart se définissent par rapport au bitcoin : pour les unes, la valeur de leur «coins» est de l’ordre 10 bitcoins, pour les autres mille ou toute autre valeur sachant que tout ceci fluctue avec la valeur du bitcoin en toutes devises dont l’euro et le dollar. Elles sont accusées de viser l’enrichissement rapide de quelques malins dont leurs inventeurs. Qui sont-elles ? Une liste sur une encyclopédie en ligne est savoureuse de tous les noms les plus évocateurs possibles. 

« Miner » apparait donc comme le processus le plus solide par lequel est conférée une valeur à la monnaie cryptée.

Mais le monde de la monnaie est plus compliqué que cela. Les crypto-monnaies lancent un défi aux systèmes institutionnalisés, les banques, les banques centrales, les fonds monétaires internationaux ou régionaux. Pourtant, les modes de paiement, indépendamment des supports de paiement que sont les monnaies subissent eux aussi des bouleversements dont certains peuvent déboucher vers de nouvelles monnaies… qui ne seront pas cryptées et qui ne seront pas « minées ».  On verra un peu plus tard, que ces compétitions naissantes des nouvelles monnaies soulèvent une question très lourde de sens entre monnaies locales et monnaies globales.  

Prochain article : la révolution des systèmes de paiement.


7.Monnaies cryptées et monnaies complémentaires : révolution globale ou révolte locale ?


Avant d’entamer le parcours véritablement révolutionnaire de l’auto-émission de monnaie, il est utile de promener le concept de monnaie cryptée dans un autre univers, celui des monnaies alternatives, parfois nommées monnaies complémentaires.

Si on les compare de très nombreux points communs apparaissent qui laisseraient à penser que les différences se situent sur le plan technologique et non pas sur le plan monétaire.

En fait, on s’aperçoit vite que les unes et les autres sont animées d’intentions divergentes pour ne pas dire radicalement opposées. Avant de décrypter leurs différences, on dira un mot d’introduction sur les monnaies alternatives.

Les monnaies alternatives : une initiative multidimensionnelle

Lorsque en France, on évoque les SEL (systèmes d’échanges locaux) et les monnaies complémentaires ou alternatives, il est d’usage de signaler la création récente dans telle ou telle localité d’une monnaie destinée à revitaliser une zone géographique et à permettre aux gens que le chômage risque d’écarter de la société de redevenir des contributeurs mettant en valeur leurs compétences et leurs talents. C’est bien pour ces raisons que le législateur a introduit ces monnaies dans un texte de loi en juillet 2014. Cette reconnaissance est aussi l’aveu du peu de cas qui leur était fait en France par les institutions économiques officielles.

De tradition centralisatrice en tout, la France est demeurée très en deçà de ses voisins, Suisse, Allemagne ou Grande Bretagne, pour ce qui concerne les monnaies alternatives et complémentaires. Ce n’est pas le vote de la loi qui fera qu’un maire français sera payé en monnaie alternative ou complémentaire comme le maire de Bristol est payé (dit-on) en Bristol Pounds au lieu de livres sterling. C’est déjà fort… mais plus fort encore, il n’est pas arrivé le jour où des contribuables français pourront, comme à Bristol, utiliser cette monnaie complémentaire pour payer leurs impôts. Elles sont en fait partout ces monnaies d’un nouveau type puisqu’on en compterait 5000 monnaies locales.

Sur le territoire français, 30 sont en activité (leur nom officiel est MLC pour «monnaies locales complémentaires»): L’Abeille à Villeneuve-sur-Lot, Sol Violette à Toulouse, La Pêche à Montreuil, La Doume dans le Puy-de-Dôme, bientôt la Sonantes à Nantes. Trente seraient en projet. Il est courant de lire que les monnaies alternatives à la Française ne représentent pas grand-chose : un auteur relevait que « l’Eusko du Pays basque, représente 350.000 équivalent euros en circulation (contre 200.000 fin 2013) ». C’est une des principales. A l’opposé, la monnaie complémentaire suisse, le WIR, qui a plus de 80 années d’existence et qui fonctionne entre entreprises, représenterait 2% du PIB.

Global contre local ?

Ces monnaies apparaissent d’autant plus vigoureusement que les équilibres économiques ont été mis à mal avec pour conséquence que le chômage ronge la société et qu’il devient insupportable que des gens désireux de travailler ne rencontrent qu’indifférence et répulsion. Leur ressort? Créer une zone d’échanges économiques protégée. Recentrer une partie de l’activité économique d’un «territoire» sur les agents économiques, commerçants, artisans, prestataires de services qui lui sont et par là même stimuler leurs échanges. En règle générale, clé de l’acceptation des SEL ou des MLC, ces monnaies sont échangeables contre la monnaie officielle, l’Euro dans la Zone euro, la livre sterling ou le franc suisse etc.

Une des monnaies complémentaires parmi les plus célèbres, lancée en Autriche pendant l’entre-deux guerre, connue sous le nom de « l’initiative de Wörgl » répondait à la plupart des caractéristiques mentionnées : émission par une collectivité locale en paiement de sa politique de travaux, d’équipements et d’aide sociale exprimée au niveau purement local. Convertibilité contre la monnaie nationale avec une décote de l’ordre de 10%. Le total de l’émission était couvert par une somme exprimée en monnaie « officielle » déposée dans une banque réputée. Cette monnaie fut acceptée pour le paiement des impôts locaux dans le cadre de la collectivité émettrice. Elle fut vite acceptée par les commerçants et permit le développement d’échanges entre particuliers, commerçants, artisans etc…. Son impact économique locale fut très rapide. Elle avait une particularité sur laquelle on reviendra : elle était dite « fondante ».

Revenons au principe : une collectivité locale dans une période de récession économique dramatique met en place une monnaie locale dont l’usage restera localisée à la zone de responsabilité de cette collectivité et dont l’émission sera sécurisée par un dépôt de garantie plus ou moins important (la « couverture ») et dont la diffusion primaire reposera sur l’émission de dettes de la collectivité et ses émanations.

Quel rapport avec le Bitcoin ? N’est-on pas exactement aux antipodes de ce dernier. Le global se poserait face au local. Le monde face au village etc. De fait, les monnaies cryptées dans leur version « classique » se présentent comme des monnaies à vocation universelle, portées qu’elles sont par une technologie de désenclavement, d’ouverture et de mise à la portée de chacun de tout ce que l’univers peut avoir de généralement passionnant : c’est-à-dire l’internet. Les défenseurs des monnaies cryptées assument sereinement qu’elles puissent faire l’objet de spéculation et de cotation. Certains jugent cette variation de valeur comme un élément natif et intrinsèque fondé sur ce fait simple qu’elles ne se considèrent pas comme la résultante d’une émission de dettes.

Toutes caractéristiques qui sont précisément à l’opposé de ce que défendent les propagandistes des monnaies complémentaires ! Et tandis que les monnaies cryptées revendiquent leur capacité à être partout les mêmes,  partout dans le monde, pour toutes les transactions et pour tous les montants, les monnaies alternatives ou complémentaires revendiquent la proximité, les relations à taille humaine et souvent limitent les transactions qui y sont accessibles pour que leurs ambitions humanistes prévalent.

Rendre la monnaie au peuple !

La rationalité sociale et économique sur lesquelles elles reposent sont donc aux antipodes l’une de l’autre et pourtant elles se placent toutes deux dans un mouvement économiques très particulier : celui qui consiste à « restituer  aux peuples » une sorte de droit imprescriptible à disposer de la monnaie, c’est-à-dire à l’émettre, la gérer et l’adapter aux besoins. Pratiquement cette « restitution » signifie écarter de la production/gestion de la monnaie les institutions qui en étaient « les monopoleurs » : les banques.

Les deux conceptions s’appuient, sans que cela soit affirmé haut et fort, sur l’idée que la production de monnaie par les banques repose sur le principe « de l’émission de dettes ». Selon cette proposition les banques y procèdent selon leurs critères et leurs intérêts et non pas en fonction des besoins et des intérêts de ceux qu’elles rendent débiteurs. Monnaies cryptées et monnaies alternatives sont donc un « coup de force » contre le « détournement » par les banques d’une mission de « service public» : la création monétaire.

Si elles ont en commun cet esprit libertarien, elles s’opposent cependant sur l’essentiel : la valeur de la monnaie. On a déjà mentionné le fait que si dans l’esprit des détenteurs d’une monnaie cryptée les variations de sa valeur ne sont pas un obstacle à son utilisation, dans l’esprit des promoteurs des monnaies alternatives, c’est une hérésie. Mieux encore, bon nombre de monnaies alternatives ont imposé à leurs détenteurs une variation négative obligée de la valeur : elle diminue au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la date de création de l’instrument qui la concrétise ! Cette diminution régulière et intrinsèque de la valeur a conduit à les dénommer « monnaie fondante ». Pour ses porteurs, une « monnaie fondante » est tout l’inverse d’une monnaie cryptée ! Le détenteur d’un bitcoin, s’il est patient ou optimiste, peut espérer voir son taux de change contre euro, varier à la hausse. Le détenteur d’une « monnaie fondante » quant à lui est certain qu’il n’aura plus grand-chose entre les mains s’il prend trop de temps à l’utiliser.  

Prochain article : rapports et influence entre technologie et monnaie.


9. Emissions monétaires : une diversité méconnue ?

Paru dans Huffington post France et Huffington Canada


Lorsque on entend, dans un mouvement de créativité monétaire louable, qu’il devrait s’émettre deux types de monnaie Euros, l’une pour le nord (solide et sérieux), l’autre pour le Sud (fantaisiste et fragile), on sous-entend que les monnaies devraient être adaptées aux caractéristiques économiques, sociales, voire culturelles de leurs utilisateurs.

Ne serait-ce pas bien naturelle ? La monnaie, toute monnaie n’est-elle pas le fruit de la croyance et de la confiance, ainsi qu’on n’a pas cessé de le montrer et de le répéter dans les articles précédents.

Il serait amusant de montrer que dans notre univers de monnaie Unique, la « Zone Euro » et dans l’univers en général des nations développées, la monnaie n’est pas vraiment « unique » « uniforme » « universelle ». Dans l’ordre des monnaies, n’existe pas une règle des trois « U » !

Ici, on fera un peu d’histoire et aussi de la « technologie ».

Monétariser le crédit-interentreprises

De tous temps, pour diverses raisons, dont celle de la liquidité, les entreprises se sont fait mutuellement crédit. C’est le crédit interentreprises. Deux techniques ont fait leurs preuves. L’une sur une petite échelle et une période de temps relativement brève : le Wir, créé en Suisse et qui fonctionne depuis 80 ans, au côté de la monnaie officielle, le Franc Suisse. L’autre, la lettre de change, dont l’existence européenne date des foires de Champagne au XII-XIIIéme siècle et, qui fut codifiée en France dans le courant du XIXème siècle. Ces deux monnaies fonctionnent entre entreprises et naissent (plus correctement, on dira qu’elles sont émises) à l’occasion de leurs échanges. Elles permettent de retarder le paiement final dans la monnaie « officielle ». Elles collent étroitement à la vie économique et à son rythme. Deux différences cependant : la lettre de change est limitée dans sa durée et ce point a toujours fait l’objet d’une réglementation détaillée. Elle est matérialisée (de moins en moins) sous forme papier quand le Wir est une monnaie de scripturale, sans limitation de durée. Ces deux monnaies ne circulent qu’entre entreprises. Ce sont des moyens de paiement : elles sont remises à l’occasion d’une transaction et la concluent.

En France, pendant longtemps, le porteur (tireur) d’une Lettre de change, pouvait la transmettre par endos à une autre entreprise et régler des achats. Cette caractéristique la rapprochait étroitement d’une monnaie au sens traditionnel du terme.

Pour être complet, il faut indiquer que la lettre de change à la Française pouvait être « changée » en monnaie scripturale à l’occasion du crédit dit d’escompte mis en place par les banques ; ce type de crédit est demeuré longtemps un des fondements du crédit aux entreprises. La lettre de change a perdu une bonne part de ses vertus purement monétaires : elle a été progressivement cantonnée au statut d’instrument de paiement entre les deux entreprises qui l’ont émises, elle n’est plus à proprement parler un instrument monétaire entre entreprises. Le Wir quant à lui continue son existence de monnaie complémentaire. Son utilisation progressant dans le moment de crise et se réduisant dans le moment d’euphorie économique.

Les monnaies divisionnaires à la merci des puces

Que diable les cartes à puce font-elles aux côtés des pièces de monnaies (dites monnaies divisionnaires) ? La réponse est là : dans un grand nombre de pays, en Europe et sur les autres continents, les cartes de paiement sont en train de détrôner les bonnes vieilles pièces avec la bénédiction des pouvoirs publics. Il y a là des motifs fiscaux : les monnaies divisionnaires font partie de ce qu’on nomme vulgairement le « liquide, le cash » et sont au même titre que les billets soupçonnées d’être des supports de fraude fiscale. Une autre raison tient au coût de production des monnaies divisionnaires : il est largement supérieur à la valeur faciale de ces monnaies et a longtemps pesé sur la production à la charge des « Monnaies de Paris et autres lieux ». Résultat paradoxal : dans les périodes troublées, ces monnaies en nickel, cuivre ou tout autre métal étaient thésaurisées et … disparaissaient de la circulation ! La carence en monnaie divisionnaire a été un casse-tête de tous les temps.

Diverses solutions furent expérimentées : le caramel mou en Italie, les timbres-postes insérés dans de supports ronds en France (par la Société : FYP ou Fallait Y Penser !). On imposa à certaines institutions, chambre de commerce, syndicats de commerçants, voire même commerçant eux-mêmes, d’en assurer l’émission et la gestion. Ce fut le cas pendant une grande partie de le période dite « d’entre-deux guerres » en France.

Quel rapport avec les cartes bancaires ? Simplement celui-ci : dans la plupart des pays développés, un mouvement est lancé pour que le paiement par cartes soit substitué au paiement par piécettes. Jusqu’ici les banques émettrices de ces cartes s’y opposaient en raison des coûts de traitement. Tout évolue, même les coûts de traitement mais aussi, et surtout, les technologies de paiements. Celles-ci sont en pleine révolution depuis qu’elles ont été mises en contact avec la téléphonie mobile : arrivent maintenant dans la vie de tous les jours, paiements sans contact et paiements par cartes virtuelles. Les paiements « ip » qui utilisent les canaux de l’internet viennent concurrencer les paiements cellulaires de la téléphonie sans fil.

Au fait, si ces technologies se développent à toute vitesse, est-ce vraiment pour résoudre enfin la problématique de la monnaie divisionnaire ? En vérité, tous les paiements, les petits paiements tout autant que les gros, une fois captés, seront une très jolie source d’information sur les consommateurs, les produits consommés et les habitudes de consommation…Toutes informations que les paiements par monnaies fiduciaire et divisionnaire ne pouvaient capter. La monnaie divisionnaire sera enfin rentable !

A quand le paiement quantique ?

L’Euro est une monnaie sans cesse affublée du sobriquet « unique ». On ne commentera pas sur ce que « un » implique dans les traditions occidentales, on dira qu’il peut paraître étonnant que la monnaie soit à ce point unique qu’elle permette tout « uniment » de faire face à la compensation de dettes et de créances en centimes d’euro, ou en milliards, toutes les dix minutes ou tous les centièmes de seconde.

Lorsque vous sortez vos piécettes (ou votre téléphone) pour régler l’achat d’une baguette de pain au même moment un programme de trading à Londres vient de lancer une rafale d’opérations sur le mode « High Speed Trading ». Ce sont des milliards d’euro qui volent dans les circuits de fibres optiques, qui se compensent sur toute la planète et qui sollicitent violemment les systèmes bancaires internationaux.

Vivons-nous dans le même monde financier et monétaire que ces algorithmes : sûrement non ! Il leur faut pour exister de puissants ordinateurs. Il les faut le plus près possible des marchés. Toute milliseconde gagnée se résout en millions d’euro de profits.

Mais si nous ne vivons pas dans le même monde financier et monétaire, d’où vient que c’est de la même monnaie qu’on débat ? N’a-t-elle pas nécessairement changé de nature par le fait même de la quantité, de la vitesse et de la nature des transactions ?

Ces questions sont-elles très au-dessus des préoccupations des citoyens de base ? Pas du tout ! Puisque c’est de la même monnaie qu’on discute, les garants finaux sont les citoyens de base. Les erreurs des combattants de la transaction « quantique » sont finalement payées par ceux-là qui raclent leurs poches pour faire l’appoint quand ils achètent des bonbons pour les enfants ou qui tapent leur code instantané pour valider l’opération de paiement à distance via leur smartphone.

Il est un enjeu-clef dans le monde de la physique : « l’unification des quatre forces ». En économie, on aurait envie de dire que dans un monde de plus en plus « global », l’unification des forces monétaires n’est pas rassurante.


11. Qu'est-ce que payer: Big data vs banques

Sommes-nous à la veille d'une révolution pour ce qui concerne la monnaie? Il y a peu, j'écoutais une conférence donnée par l'ancien DG d'une institution financière internationale. Etait-ce à dessein, était-ce par mégarde, le voilà qui distingue entre la monnaie de tous les jours et la monnaie des grandes opérations financières. Etrange distinction dans un monde qui ne rêve que de monnaie unique, en Europe au moins, ou du fameux Bancor du regretté J.M.Keynes, ou, pour les rétrogrades, d'un retour à l'or, et à lui seul évidemment.

Cette distinction on l'a évoquée à de nombreuses reprises dans le courant des articles sur la monnaie. Ce qui paraît de moins en moins étonnant, c'est le fait que l'intervention des banques dans la production de la monnaie "de tous les jours" paraît de plus en plus superflue.

Il faut investiguer sur ce thème: en quoi les banques ont-elles si longtemps paru indispensables dans la production de monnaie? Pourquoi parle-t-on du droit qu'on les banques de produire de la monnaie?

Pourquoi les banques sont-elles incontournables dans les paiements?

Une transaction primairement, basiquement, se résume à la fixation d'un prix et se dénoue par le paiement du prix convenu. Dénouer signifie que le paiement ayant été accepté, l'objet de la transaction ayant été livré, le transfert de propriété est réalisé. Il est parfait. Dans ces conditions: qu'est-ce que payer? Un paiement à lieu lorsque le créancier reçoit en compensation de sa créance, un équivalent "ad valorem" sous n'importe quelle forme pourvu qu'il l'accepte. Il accepte les boules de gomme ? Un paiement en boules de gomme fera donc l'affaire. Il se contenterait de quelques kilos de riz. Il s'estimera payé quand il aura reçu le riz demandé. Ceci est moins pratique pour ses propres besoins de paiement que de recevoir de l'or. Ce dernier est neutre en tant que support de paiement: celui qui l'a reçu peut s'en servir dans ses propres transactions car, dans la plupart des contextes culturels, l'or a vertu libératoire. Donc, l'or requis en paiement étant livré, le paiement est fait. On pourra discuter des inconvénients de sa manipulation. Il est lourd, on ne peut pas le diviser à l'infini etc.

Le billet de banque avait permis de se passer de l'or tout en conservant sa "vertu libératoire". La lettre de change par exemple, instrument de paiement tout autant que le chèque, présentait un inconvénient. Il s'agissait finalement de la remise d'une créance particulière pour éteindre une créance particulière: le créancier de la transaction échangeait un risque de non-paiement contre un autre. Le support remis en paiement pouvait n'être pas "franc comme l'or". Si le créancier se disait satisfait de la livraison de deux vaches en paiement du prix, il pouvait en revanche hésiter à accepter pour paiement une créance sur un tiers. Qui pouvait certifier que ce tiers serait solvable?

L'invention du Billet de banque avait été une véritable révolution: la confiance dans la valeur de l'or se voyait substituée la confiance dans l'émetteur de la monnaie. Les créanciers n'avaient pas besoin de s'interroger sur "le tiers solvable". Ce dernier était une banque. Elle pouvait faire faillite? Evidemment, mais, elle simplifiait considérablement la solution à apporter à la question "le tiers est-il solvable?" En remplaçant par quelques centaines d'acteurs, les milliers de tiers débiteurs en question. On comprend bien que le rôle des banques était donc incontournable et que la vraie question était de savoir si les pouvoirs publics s'impliquaient dans la sécurité des paiements, c'est-à-dire, dans la stabilité et la solvabilité des banques.

A cet instant, on relèvera un point d'importance sur le plan de la philosophie monétaire: les banques via le billet de banque et les instruments qu'elles inventeront pour l'améliorer, avaient dématérialisé le rapport des parties au paiement. Le paiement effaçait la réalité de la transaction, comme l'or l'avait fait auparavant, mais avec plus de force et de pertinence: après tout l'or étant une marchandise en présentait aussi les défauts. Une transaction réglée en monnaie de banque est un échange de créances, l'opération réelle est totalement séparée de l'opération monétaire.

Il faut alors revenir sur la révolution du Big data, de l'algorithme et des communications réunies. Les banques on l'a vu étaient nécessaires pour la formidable simplification qu'elles proposaient. Le créancier n'était plus contraint de se livrer à un travail de fourmi pour s'assurer de la capacité de payer de sa contrepartie, ni d'accepter des marchandises en paiement dont il n'aurait pas le "replacement" immédiat. La remise de billets de banque pourvoyait à ces incertitudes. Or, à la réflexion, en opérant cette substitution, il s'évitait, une tâche et un temps considérable.

Le Big data contre les banques?

Si on imagine que serait mis à la disposition des créanciers, petits ou grands, un système qui, à une vitesse considérable, opère la compensation des dettes et des créances, alors, pourquoi passer par la monnaie? Il y a bien longtemps, rien sur le plan théorique n'aurait empêché le créancier à être payé en créances de nature diverses et baroques, rien sauf le temps qu'il aurait dépensé en recherches sur ces créances puis ensuite dans leur recouvrement. Si on imagine un système informatique apte à reconnaître l'existence de l'ensemble des créances et des dettes de l'ensemble des acteurs économiques et à les «apparier», c'est-à-dire à les apurer par compensation des unes avec les autres, qu'est-il besoin de la monnaie? Et donc des banques?

Bien sûr, ce système devrait être capable de vérifier la réalité des créances à lui déclarées, leur légitimité, leur disponibilité, leur transférabilité. Or c'est justement ce sur quoi repose le "Big data": capacité de collecte de données, de tri, de croisement, de vérification. La dématérialisation que le paiement bancaire avait permise serait poussée au plus haut point, puisque les transactions les plus petites, voire infimes, pourraient être apurées (appariées) comme les plus grandes.

Donc une vraie révolution des paiements, la disparition des intermédiaires, les banques en l'espèce entraînant des gains de coûts considérables particulièrement pour les transactions les plus modestes. La rapidité d'exécution n'aurait plus rien à voir même avec les mécanismes de paiement et de compensations des banques.

Pourtant la véritable révolution n'est pas là: le billet de banque, dématérialisant les paiements avaient "raboté" leur réalité. Un paiement par chèque, parle de l'émetteur et du bénéficiaire. Même chose pour le virement. On sait que les parties au paiement sont des personnes physiques ou des personnes morales, des particuliers ou des entreprises. Que sait-on de la transaction? Que sait-on des autres transactions? Peut-on se livrer à des statistiques sur le comportement des parties à la transaction, à l'occasion des milliers d'autres transactions dans lesquelles ils sont impliqués? Bien sûr que non! Et même si les banques le voulaient, capter les informations, les traiter, les compiler, en tirer les conséquences supposerait de revoir de A à Z certains aspects du traitement des informations bancaires.

On annonce régulièrement l'apparition de nouveaux acteurs dans le domaine des paiements en ligne ou "cryptés": qu'il s'agisse d'Amazon, Google, Apple et les autres. Il faut être conscient que si leurs objectifs concernent le traitement le plus rapide possible des paiements, ils ne sont pas souvent engagés dans la recherche des voies et des moyens d'en révolutionner les processus. Leur intérêt pour les paiements tient surtout aux informations qu'on peut en tirer sur leurs clients, les prédictions qu'on peut faire quand à leurs habitudes de consommation et à leurs comportements futurs.

La fréquence des paiements, leur nature, le rassemblement de ces données sur des bases géographiques, ou temporelles, les croisements avec les socio-types vont renouveler la nature et l'ampleur des informations détenues sur les "débiteurs" et sur les «payeurs» et redonner au mode de paiement toute la réalité qu'il avait perdu sous les coups de la monnaie de banque.

Pour les ordinateurs du Big data, pour ceux des réseaux sociaux, il n'y a pas d'individu perdu «dans la foule solitaire» tant qu'on peut en récupérer les données.



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