Les « crypto monnaies » souveraines

 

- Les monnaies digitales souveraines: le dollar de sable, monnaie numérique des bahamas (publié dans Les Echos le Cercle. janvier 2021)

- Blockchains et monnaies cryptées souveraines : les banques centrales à la manœuvre (publié dans les Echos- 23/07/2020)

- Les monnaies cryptées souveraines entre monnaie spécialisée et monnaie généraliste ? (publié dans le blog de la gestion du Patrimoine)

- Qu'est-ce qu'une monnaie cryptée souveraine? Le point sur les monnaies cryptées souveraines

- Monnaies cryptées souveraines, une introduction

- Monnaies cryptées souveraines, Libra et valeur

La cryptomonnaie est-elle la chloroquine de l'économie ? (publié dans les Echos-le cercle)

Monnaies cryptées souveraines contre monnaies cryptées privées (publié dans le blog de la gestion du Patrimoine)

Le grand bond en avant de la Chine monétaire est-il pour bientôt? (publié dans les Echos)

Les monnaies digitales souveraines: le dollar de sable, monnaie numérique des bahamas

 

Qui, au milieu du maelstrom des monnaies cryptées souveraines ou privées pensait que les Bahamas mettraient en place une monnaie digitale souveraine, le sand dollar (dollar de sable) ? Ce lancement est passionnant à plus d’un titre.

Les Bahamas cumulent de nombreuses difficultés issues de la géographie. Leur configuration donne une bonne idée de ce que contrainte veut dire : 700 îles, dont une vingtaine sont habitées, disséminés sur 260.000 km2, peuplées d’environ 300.000 habitants. Des distances énormes, des habitats dispersés et difficilement joignables, une densité de population très faible... autant dire que faciliter les flux commerciaux au sein de l'archipel tient de la quadrature du cercle. Gérer le stock de monnaies indispensable à ces liens est d’une grande lourdeur. Obtenir une bancarisation à l’occidentale de toutes ces îles coûterait très cher compte tenu des distances et de la faiblesse numérique de la population et en dépit du fait que les habitants des Bahamas ont un niveau de revenus très enviables.

Dans ces conditions pratiques, aujourd’hui plus que jamais, le sort de la monnaie fiduciaire, les fameux billets de banque, est quasiment scellé. Ajoutons que le commerce en ligne explosant, la demande de billets ne peut que décliner suivant en cela un mouvement bien connu dans les pays européens.

L'option CBDC

Une monnaie électronique pure et simple supposerait un minimum de bancarisation dont on a dit les difficultés : après de nombreuses études, les Bahamas ont choisi l’option CBDC, à savoir "central bank digital currency". Le sand dollar, déployé progressivement depuis octobre 2020, est né et se trouve dans la position de première monnaie numérique souveraine. Loin des tumultes monétaires entre les projets multiples de Facebook, du crypto yuan le sand-dollar et grillent la politesse aux géants.

Ce n’est évidemment pas le produit d’un coup de baguette magique : la monnaie n’est pas un concept simple malgré les apparences, la monnaie digitale ne l’est pas davantage, ni dans ses prérequis, ni dans ses modalités d’application. Dans le contexte de l’étude pour un euro digital, la Banque centrale européenne énonçait les principales contraintes s’imposant à toutes monnaies et, par conséquent, à toutes monnaies digitales : accessibilité, robustesse, sécurité, efficacité et confidentialité tout en respectant la législation en vigueur.

Plateformes

En premier lieu, la monnaie fiduciaire des Bahamas étant alignée sur le dollar, le sand dollar sera aligné à parité sur le cours du dollar. L’offre de sand dollar reposera sur l’intervention de plateformes (fournisseurs de monnaies numériques) agréées par les autorités monétaires. Ces fournisseurs devront s’engager à une totale interopérabilité de leurs prestations et la mise à niveau des systèmes sur lesquels ils développeront leurs prestations. Le sand dollar sera réservé aux citoyens des Bahamas.

L’intervention de ces plateformes est qualifiée par le représentant d’une d’entre elles comme "définitive et irrévocable car c'est une monnaie fiduciaire". Cette remarque est importante : les utilisateurs de cette e-monnaie sont placés exactement dans la position d’utilisateurs de monnaie banque centrale traditionnelle. Le sort des plateformes ne devant pas être supporté par les détenteurs de "wallets".

En fin 2020, six entreprises ont rempli leurs obligations en matière de cybersécurité et ont reçu l’agrément des autorités monétaires pour distribuer des sand dollars dans les portefeuilles mobiles. Elles seront rejointes en début 2021 par une coopérative de crédit et une banque commerciale.

Le défi de l'acceptabilité

Un aspect important et très fréquemment débattu dans les projets de monnaie digitale banque centrale ou souveraine : les particuliers ne détiendront pas de comptes directement auprès de la banque centrale. Cette possibilité fait l’objet de controverses dont les implications sont lourdes de conséquences, le moindre n’étant pas le risque de voir les banques centrales siphonner les dépôts des banques commerciales et de porter atteinte à leurs modèles économiques.

Les citoyens des Bahamas sont accoutumés aux échanges en ligne et aux monnaies électroniques ce qui n’empêchera pas la banque centrale d’organiser séances et réunions d’information. Tous les connaisseurs des mécanismes monétaires sont conscients que la clé dans la mise au point d’un nouveau système de paiements se trouve à la fois dans l’acceptation de la nouvelle monnaie et son utilisation sans réserve. Toute monnaie doit répondre aux injonctions de crédibilité et de confiance. Toute nouvelle monnaie dépend de la réponse positive des agents de l’économie à ces injonctions.

L’objectif visé est donc que les utilisateurs finaux ne ressentent pas de différence par rapport aux systèmes de paiement mobile qu'ils connaissent déjà. Ces avancées suscitent un grand intérêt dans la région. L’idée d’une mise en place de CBDC progresse dans les Caraïbes : la Banque centrale des Caraïbes orientales (ECCB) suit de près l’expérience des Bahamas.

Blockchains et monnaies cryptées souveraines : les banques centrales à la manœuvre

 

 

L’implication des Banques centrales dans les recherches sur la blockchain et sur les monnaies cryptées donne lieu à de multiples déclarations. Annonces ou communication, il est certain que le sujet est stratégique à un degré tel, que quel que soit le sujet monétaire et financier, spécialisé ou universel, les banques centrales doivent agir.

 

La “Financial Conduct Authority (FCA)” est en charge de la régulation des activités de services financiers en Grande-Bretagne. L’objectif visé est classique dans les économies libérales : protéger les consommateurs et épargnants, s’assurer de la qualité des intervenants du secteur et faire en sorte que la concurrence entre acteurs soit saine et juste.

C’est dans cet esprit qu’en plein milieu de la crise du Covid-19, la FCA s’est inquiété de l’accès au « Cash », le présentant comme une priorité, même si on observe l’accélération des paiements en ligne.

 

Curieux contraste avec le mouvement qui a saisi de nombreuses banques centrales et les conduit à se porter plutôt qu’à la mise en valeur et au soutien de l’argent « liquide » ou monnaie « banque centrale », à la création de monnaies électroniques ou « digital currencies » ou encore « crypto monnaies souveraines » (CBDC).

 

En vérité, cet aspect de la question induite par l’émergence des technologies digitales du type blockchain, monnaies cryptées, smart contracts, et fichiers/registre distribués, est à la fois le signe de la prise en main de leur avenir technologique par les Banques traditionnelles et leurs partenaires, mais aussi celui de la prise en compte d’une révolution dans les relations commerciales entre agents économiques de l’ensemble des pays du monde.

 

Le premier point est le plus discret ! Si de nombreux établissements annoncent des projets qui démarrent et énoncent des avancées technologiques disruptives, les comptes-rendus sur les résultats, les mises en production et les diffusions sont moins fréquentes. De fait, les groupements d’études et de recherches qui se constituent de par le monde peinent à trouver des gouvernances de projet solides et des répartitions de tâches efficaces. Peu survivent, ou, devant les abandons, ne font plus que végéter. Parmi les causes : le nombre de participants dont les motivations ne sont pas nécessairement homogènes et aussi les niveaux de compétences. La nouveauté de ces techniques n’a pas encore donné lieu de façon égale à l’émergence des compétences humaines nécessaires.

 

Parmi les organismes en pointe dans la recherche sur l’introduction de ces technologies dans les processus financiers et monétaires, la Banque de France s’enorgueillit d’être le premier (ou parmi les premiers) établissements bancaires centraux à avoir lancé, testé et mise en application des services appuyés sur la blockchain dans le but très clair d’obtenir des processus sécurisés, très rapides et décentralisés. Rien de très médiatique dans cette initiative car portant sur des domaines très confidentiels : par exemple, celui de la gestion des identifiants créanciers SEPA. Plus récemment, la Banque de France annonçait avoir « testé avec succès le recours à une blockchain pour une monnaie digitale de banque centrale destinée à « régler une émission de titres financiers numériques » (communiqué).

 

Si on a ici donné un relief particulier aux projets et réalisations de la Banque de France c’est à la fois, pour montrer que les organismes dits « traditionnels » s’investissent dans la fameuse « révolution digitale » au nom de l’exercice amélioré et renforcé de leurs missions traditionnelles et pour souligner que cette « révolution » est un cheminement complexe, irrégulier et parfois anarchique. En témoigne la multiplication des initiatives dans le très médiatique domaine des crypto-monnaies.

 

C’est par la banque du Japon et non par le crypto-yuan (ou renmibi) qu’on entamera quelques observations.

 

La Banque centrale du Japon a très récemment annoncé qu’elle procédait à des recherches sur le thème des CBDC. Ses premiers pas l’ont porté vers des aspects techniques parfois basiques : qu’est-ce qu’il se passe si, la monnaie digitale ayant remplacé la monnaie banque centrale, une méga-panne d’électricité paralyse l’ensemble du pays ? Comment faire pour que les agents économiques japonais qui n’ont pas de smartphones (35% !!!) puissent accéder à cette nouvelle monnaie ? De même les questions relatives au degré de décentralisation via des fichiers distribués ou de centralisation de la gestion de la blockchain sont l’objet de débats intenses.

 

Les monnaies cryptées banque centrale sont en effet sous une double pression : il les faut aussi résilientes et convaincantes que les monnaies « banque centrale » traditionnelles. Le thème ici est que, particulièrement dans l’univers de la banque et de la monnaie, la confiance s’instaure lentement et se perd très vite : un ratage dans une série de codes et c’est la « loi » qui perd de son autorité. Or, elles ne gagneront leurs galons de monnaies que si la rapidité attendue des transactions est accompagnée de la sécurité qu’offrent les systèmes traditionnels. Et ici, il ne s’agit plus seulement de savoir si les blockchains sont correctement codées, il est question d’identité des personnes, de luttes contre l’argent illicite, le terrorisme et le grand banditisme.

 

La banque du Japon pourra-t-elle combler l’écart qui la sépare des progrès réalisés par la banque centrale chinoise ? Seule, elle ne serait pas bien armée, aussi est-elle entrée dans une coordination internationale de banques centrales qui comprend la Grande-Bretagne, la Suède, la Suisse et l’Eurozone. L’objectif affiché est de collaborer sur des recherches relatives à l’émission de monnaies digitales souveraines.

 

Il est en effet préférable pour tous ces établissements de travailler sur des normes communes si ce n’est sur des systèmes identiques : dans l’avenir, en supposant que les monnaies digitales souveraines se seront implantées solidement dans les transactions domestiques, il faudra que les systèmes soient compatibles entre eux pour tout ce qui aura rapport avec les transactions internationales qu’elles soient le fait de consommateurs sur des milliers d’opérations ou d’investisseurs sur des montants considérables.

 

S’ajoutera à cette « incitation » un élément de « realpolitik » : l’initiative « monnaie digitale souveraine » peut être l’instrument d’une politique internationale délibérément compétitive qui n’aura pas l’interopérabilité universelle au centre de ses préoccupations. Certains commentaires sur la monnaie cryptée chinoise la présentent comme un instrument de compensation internationale en compétition avec le « système dollar ». Allant plus loin, la Chine pourrait proposer ses compétences en matière de monnaies digitales et d’organisation informatique « banque centrale » à des pays qui n’ont actuellement pas les moyens financiers et humains d’engager des recherches et a fortiori des mises en œuvre comme on les a décrits pour la banque de France en début de cet article.

 

Si un « yalta » sur les zones d’influence des monnaies digitales souveraines devait avoir lieu, il sera préférable que les pays tiers parlent un langage technologique commun face aux Etats-Unis et à la Chine.

 

 

Les monnaies cryptées souveraines entre monnaie spécialisée et monnaie généraliste ?

 

 

 

Derrière les tonitruances des bitcoin, libra et autres monnaies cryptées privées, indépendantes, libres et prêtes à rendre le pouvoir monétaire aux citoyens, certains mouvements donnent à penser que beaucoup de choses sont en passe de changer le monde des monnaies souveraines.

 

Banque de France et banque de Suède à la manœuvre

 

Le moment est passionnant car les problématiques sont multiples. L’attitude de deux banques centrales européennes, la banque centrale française et la banque centrale de Suède est topique en ce sens que l’une et l’autre s’intéressent aux monnaies cryptées dans deux domaines dont on aurait envie de dire qu’ils sont l’un à l’autre opposés.

 

En fait, l’une, la banque de France, s’est mobilisée pour ce qu’on pourrait qualifier les transactions de « gros » quand la banque de Suède avance dans le cadre de la mise en place des transactions « retail ».

 

Les objectifs visés par les deux banques sont communs dans leur principe mais très différents quant à leur portée. Les banques centrales doivent aux citoyens des pays dans lesquels elles opèrent qu’ils ne seront pas gênés dans leurs opérations financières ou commerciales par des opérations trop lentes, trop coûteuses, trop incertaines. A l’inverse, elles s’attachent à la mise en place de systèmes et de supports garantissant le moindre coût, la plus grande rapidité et la sécurité la plus absolue. Les deux banques centrales visent donc à fournir des moyens d’échanges monétaires rapides, efficaces et sécurisés, triple exigence des agents de l’économie quels qu’ils soient.

 

En revanche, les deux banques centrales diffèrent dans les populations et les types de transactions qui sont en cause. La banque Centrale de Suède s’est engagée dans des recherches ayant pour objectif la mise en place d’une monnaie de détail, complémentaire de ce qu’on nomme des monnaies en billets ou en pièces. La banque de France, a lancé plusieurs projets qui portent sur des domaines très spécialisés sur le plan technique et qui n’ont pas de vocation immédiatement universelle. Il s’agit de mettre en place de nouveaux moyens de traitement monétaires dans le domaine très complexe des échanges de titre, des modalités de livraison-règlement via des « titres financiers numériques » et des opérations de règlements interbancaires. L’une s’adresse donc à l’ensemble de la population, essentiellement celle qui traite des opérations de petits montants en nombre considérables, l’autre à des professionnels peu nombreux, maniant des opérations moins nombreuses dont les valeurs unitaires sont considérables.

 

La Banque de France et la recherche de solutions « entre banques »

 

La banque de France n’est pas « nouvelle » dans cette recherche et a participé à de nombreux travaux dont le but justement était d’aboutir à la fameuse requête du 7/7, 12/12, 365/365 où il est posé que les opérations bancaires doivent se dérouler sans aucune suspension motivée par des horaires de travail, des jours ouvrés ou non et des jours de congé. L’ensemble de ces mesures où la pression était mise par la BCE avait pour objet de répondre à la fois aux exigences des agents économiques et aux pressions concurrentielles venant des monnaies cryptées.

 

Il faut aussi garder en tête que la Banque de France, en tant que membre de la BCE, a participé à tous les travaux destinés à forger de solides relations interbancaires dans le cadre du lancement de la zone euro puis dans celui de l’expansion des opérations de la BCE. Pour exemple, le système Target 2 a été mis en place pour réduire les risques dits systémiques dans le cadre des mécanismes de compensation interbancaires, mais aussi pour assurer les paiements en euro et l’ensemble des rapports entre banques de l’Eurosystème dans les meilleures conditions.

 

On voit ainsi que les objectifs de la Banque de France touche moins à la question de la création d’une monnaie « cryptée » qu’à la mise en œuvre de techniques connues dans le cadre particulier des monnaies cryptées, en particulier la technique de la Blockchain et des smart contracts.

 

La Banque de France est donc, pour le moment, dans une logique très technique touchant des enjeux interbancaires dans le contexte très particulier d’un espace monétaire unique, celui de l’Union Européenne et du cadre d’intervention de la BCE.

 

La Banque de Suède et la monnaie de détail

 

Les recherches de la banque de Suède à l’opposé s’intéressent surtout à une vaste population et à des opérations de petits montants. Il ne s’agit donc pas de toucher à l’univers des risques systémiques mais à celui de la confiance et de la croyance dont la monnaie est investie par ses utilisateurs particuliers.

 

La mise en place de l’e-krona s’explique par un phénomène socio-économique commun à tous les pays développés qui prend une dimension surprenante en Suède : le déclin de l’usage de la monnaie dite divisionnaire, billets et pièces, et l’essor des paiements en ligne. Devant cette explosion, la banque de Suède a considéré que les thèmes de la sécurité des paiements, de l’efficacité du règlement des transactions et des coûts qui y sont attachés, imposaient une révision complète des idées habituelles en matière monétaire : d’où l’idée de mettre en place une crypto-monnaie qui viendrait compléter l’offre de monnaie « cash » et peut-être s’y substituer un jour.

 

Si la question peut paraitre simple : ce ne serait jamais qu’une ligne d’ordinateur qui viendrait s’installer dans un portefeuille (wallet), la réalité est tout autre et pose des questions de fonds : par exemple, à partir du moment où il n’est plus question de monnaie de compte, ou de monnaie scripturale, il devient concevable que la tenue des avoirs « en monnaie cryptée » des agents économiques, y compris les particuliers, soit assurée par … la banque centrale. Rien ne s’y opposerait si ce n’est que ce serait un curieux retour en arrière : les banques centrales se sont en effet débarrassées de leur clientèle directe, particulier et entreprises pour ne devenir que « des banques de banques ». Ou bien, la banque centrale pourrait passer des accords avec des banques commerciales pour qu’elles opèrent la nouvelle monnaie cryptée qu’elles fourniraient à leurs clients en l’achetant auprès de la banque centrale. La question serait aussi de passer par des portefeuilles ou wallet tenues sur les ordinateurs des banques ou au contraire sur ceux des titulaires de ces « comptes » en monnaie cryptée.

 

Cette problématique est similaire à celle qui est soulevée par le Crypto-yuan dont la conception a été lancée sur des observations similaires : explosion du commerce en ligne, explosion des paiements en ligne et problématique de sécurité, d’efficacité et de coûts.

 

Les nouvelles monnaies, leurs techniques surtout ne font que commencer à faire parler d’elles. On est cependant encore loin d’une large mise en œuvre tant les défis technologiques, matériels, logiciels, structure des systèmes soulèvent des problématiques complexes. Mais ces deux exemples, comme celui du Crypto-Yuan, montrent que les idées bougent vite.

 

 

Le point sur les monnaies cryptées souveraines

 

Depuis quelques temps, en fait depuis que Facebook a lancé sa crypto-monnaie sous le nom de la Libra, les crypto-monnaies souveraines semblent être sorties du bois ! Par exemple, le crypto-yuan suivait. On apprenait qu’il était testé depuis 2014 et accumulait de nombreux brevets sur la blockchain, les wallets, les signatures et preuves diverses. Le Président chinois annonçait en fin d’année 2019, que la blockchain était une priorité prioritaire.

Dans la foulée, se découvraient dans les cartons de nombreux pays, des projets de crypto-monnaies souveraines. Plus des 2/3 des pays du monde s’y intéressait !

La qualification de « monnaies cryptées souveraines » ou, en langage classique « central bank digital currency », est attribuée aux monnaies émises sous forme électronique sous l’initiative et la responsabilité exclusives des autorités monétaires d’un pays. Elles s’appuient pour la gestion de leur émission et de leur circulation sur les fonctionnalités de la blockchain. Elles peuvent user d’un mode de fonctionnement identique à celui des monnaies cryptées privées classiques. Les fonds des utilisateurs sont représentés par des coins ou tokens, inscriptions informatiques d’informations plus ou moins détaillées stockées dans des wallets. L’utilisation de ces fonds suppose aussi l’usage de clés privées et publiques.

On pourrait donc en conclure que les monnaies cryptées souveraines ne sont que des modalités peu originales des monnaies cryptées en général. Il faut cependant y regarder de plus près.

En premier lieu, et cela suffit à les distinguer, elles sont émises et gérées sous la responsabilité des autorités monétaires d’un Etat, c’est-à-dire d’un des ces tiers de confiance que les initiateurs des monnaies cryptées privées voulaient éliminer ! En deuxième lieu, tout en se prévalant de l’anonymat des opérations, les Etats, ne se sentent pas « obligés » par cette confidentialité : définissant les normes et caractéristiques des transactions, ils pourraient se les approprier pour en tirer des bénéfices en termes de contrôle social, économique et monétaire. Les capacités de calcul considérables installées dans des pays comme la chine, laisse entrevoir ce qu’il est possible de faire dans ces domaines. En troisième lieu, les monnaies cryptées souveraines ne se soucient pas beaucoup de la démocratie monétaire que veulent développer leurs homologues privées.

Dans la formule du bitcoin, les calculs de minage c’est-à-dire tout ce qui permet de valider les transactions et de les inscrire dans la chaine des blocs, sont le fait de la communauté (et surtout de ses ordinateurs). Dès qu’un nouvel entrant dans la communauté est reconnu, il se voit transmis les logiciels qui règlent la vie de la monnaie. C’est même un élément essentiel de cette démocratie communautaire. L’accès au fonctionnement de la monnaie est dit « permissionless » : personne n’a à approuver le nouveau venu. La plupart des monnaies cryptées souveraines se soucient peu de démocratie « monétaire » : les acteurs sont filtrés, ils sont « permissioned ».

Pour terminer dans cette brève comparaison, une différence essentielle les sépare : par exemple, le crypto-yuan sera couvert par une parité totale (« 1 pour 1 ») avec le yuan « classique ». Les utilisateurs du crypto-yuan pourront ainsi passer d’une monnaie à l’autre sans risque de décote ni risque de liquidité. La monnaie cryptée chinoise aura l’Etat chinois comme signataire de confiance. A l’opposé des monnaies cryptées traditionnelles qui ne s’appuient sur aucun garant.

 

 

 

 

Peut-on dire que, dans le moment où la libra a émergé, les institutions monétaires et politiques de plusieurs pays se sont réveillées et ont brutalement compris l’importance du sujet et le côté révolutionnaire du projet « facebook » ?

 

Crypto monnaies et communication

 

Reconnaissons qu’entre le discours sur les monnaies cryptées et celui qui est tenu sur les systèmes de compensation interbancaires, la palme revient aux fameuses altmoneys ! Le bitcoin a ouvert le chemin et l’a balisé. L’esprit libertarien qu’il véhicule, la dénonciation des « tiers de confiance » qui ont « volé » la monnaie aux peuples et la modernité des Blockchains, smart contracts et « decentralized/distributed ledger », parlent aux peuples (au moins ceux qui, férus d’informatiques, comprennent ce qui est dit) pour pousser en avant un nouvel eldorado monétaire. La phraséologie qui accompagne ces discours, renvoie aux mineurs d’or de Californie et du Klondike, et laisse planer l’idée que miner du bitcoin c’est la nouvelle façon d’extraire de l’or et qu’utiliser les monnaies cryptées c’est s’engager dans la voie de la liberté des hommes et des initiatives.

 

De l’autre côté, les banques dans l’ensemble des systèmes économiques, dont le métier basiquement est d’encaisser et de décaisser pour le compte de leurs clients, ne font pas vibrer lorsqu’elles mettent en place des systèmes de paiement transfrontières dont les noms sont parfaitement inconnus du grand public : la description du dernier en date, SEPA, est beaucoup moins « sexy » que les longs discours sur le « scaling » du Bitcoin ou les smart contracts d’Ethereum.

 

Il est pourtant intéressant de mettre en valeur, les permanentes transformations des systèmes bancaires et aussi, leur intérêt prudent pour les techniques de crypto-monnaies.

 

L’évolution des systèmes classiques

 

On approchera la question en prenant l’exemple du système dit « SEPA » soit  «Single Euro Payments Area». L’objectif de ce système est de simplifier le fonctionnement des échanges d’actifs monétaires via les techniques de prélèvements et de virements. En tant qu’espace européen, le système rassemble une part très significative des volumes et des montants monétaires traités dans le monde.

La zone SEPA rassemble les États membres de l'Union Européenne (UE), les quatre États membres de l'AELE (Association européenne de libre-échange composée de l'Islande, du Liechtenstein, de la Norvège et de la Suisse), Monaco et Saint-Marin. Les ressortissants de ces pays ont un accès égalitaire au système d’échange mis en place.

 

Ce système de paiement permet d’apporter une réponse aux trois contraintes des systèmes de paiements transnationaux : la sécurité des process, la rapidité du dénouement des opérations, la liquidité des parties qu’il s’agisse des banques ou des agents particuliers et entreprises.

 

Les banques centrales et les nouvelles exigences

 

La feuille de route des banques européennes définie par la BCE est particulièrement riche. Cette dernière a enjoint les banques de son ressort à faire en sorte que les virements et paiements de petits montants (les acteurs du commerce et des ventes de services en ligne sont directement concernés) répondent à un objectif « d’une compensation dans la journée ».

 

Les mêmes préoccupations ont conduit les banques internationales à rechercher des solutions pour les paiements de gros systématisant ce qui est réalisé au niveau européen, sous deux formes, les unes relatives à l’activité commerciale internationale, les autres aux échanges dans le cadre des marchés financiers internationaux.

 

Concrètement toutes ces initiatives répondent aux soucis évoqués plus haut : disposer du plus haut niveau de qualité de l’information relative aux opérations entre parties prenantes au système, réduire au maximum le risque de liquidité et l’impact bilantiel de ces opérations et offrir le prix de traitement le moins élevé dans un contexte de sécurité le plus grand.

 

Les crypto-monnaies « banque centrale ».

 

La recherche des solutions les meilleures a passé depuis quelques années par l’analyse des systèmes dits de Crypto-monnaies et surtout de fichiers distribués et sécurisés par les techniques de cryptage et de blockchain.

L’idée n’est pas neuve selon laquelle les banques centrales pourraient s’appuyer sur des crypto-monnaies souveraines.

Le lancement d’un crypto dollar a été proposé voici près de 6 ans… sous le nom de Fedcoin. Les protagonistes de ce projet visaient ce qu’on nomme « une crypto-monnaie de détail » et par conséquent ouverte à tous les agents économiques, par opposition aux propositions de systèmes de paiement de gros, impliquant aussi des registres distribués.

Plus récemment, le législateur américain a pressé la Federal Reserve pour qu’elle accélère les études sur cette question, insistant sur le fait que la Banque de Règlements Internationaux a relevé lors d’une récente enquête auprès de plusieurs banques centrales que 40 états ont des projets de monnaies cryptées à l’étude.

 

Les raisons invoquées pour ces études, bancs d’essai, et pré-test sont multiples et parfois contradictoires.

C’est ainsi que la banque de Suède, s’inquiétant de l’effondrement de l’usage de la monnaie fiduciaire, s’interroge sur la mise en place d’une monnaie cryptée « de détail » destinée à maintenir un ancrage de la monnaie dans l’esprit de la collectivité. A l’opposé, la banque de Chine envisage sérieusement le lancement d’un renmibi digital dans le but de réduire la circulation fiduciaire. Certains observateurs y voient une tentative de contrôle totalitaire des individus. D’autres font tout simplement remarquer que l’économie chinoise se développant à une vitesse très grande, le niveau de vie suivant, les besoins des consommateurs s’accroissant, les échanges ne peuvent plus s’appuyer sur les seuls billets dont les chinois sont friands. Ces billets ont de très nombreux inconvénients qui tiennent à leur usure physique très rapide, leur obsolescence technique, la possibilité de les imiter massivement, les risques liés à leur transport etc. La France s’appuyant sur son expérience SEPA a lancé l’étude d’une application « registre distribué » de sa base de données « créancier ».

 

Un combat inégal

 

Le lancement de crypto-monnaies souveraines ne serait pas une bonne nouvelle pour les promoteurs privés de crypto-monnaies pour une raison et (presque) une seule : leur acceptabilité.

Les promoteurs du bitcoin n’ont de cesse d’annoncer que les réseaux d’acceptation se multiplient, que les chaînes de boutiques adhérent en masse. Que des salariés demandent le paiement de leurs salaires en bitcoin etc etc.

 

Les monnaies cryptées issues des ICO, annoncent des capacités de valorisation exceptionnelles et … oublient de rappeler que les échecs dans cet univers sont légions.

Tous ces messages ont pour but de montrer qu’à défaut de cours légal les monnaies cryptées se fraient leur voie dans le monde de l’acceptation monétaire.

Les crypto-monnaies souveraines n’auront pas besoin de ces débauches de communication et de communiqués. Emanant du souverain, elles bénéficieront du cours légal, dont une première vertu est celle qui tient au fait qu’elles sont incontestables dans le règlement des créances publiques, et dont la deuxième est qu’on ne peut les refuser dans n’importe quelle transaction opérée entre ressortissants du pays où elles sont émises.

 

Les monnaies cryptées classiques ne reposent sur rien, les crypto-monnaies souveraines reposent sur … le souverain.

 

Conclusion : des monnaies cryptées centralisées ?

 

En règle générale, les projets de monnaies cryptées souveraines n’ont pas grand-chose à voir avec le Bitcoin, parangon des monnaies cryptées pures. Elles sont centralisées même si les paiements ont lieu entre pairs sans passer par un tiers de confiance ; la création monétaire est entre les mains d’une institution publique, de préférence la banque centrale ; la nécessité de techniques cryptographiques sophistiquées n’est pas une contrainte centrale et l’usage de blockchains n’est pas perçu comme une obligation. A tel point que certains projets de monnaies banques centrales ne prévoient aucune blockchain pas plus qu’elles ne prévoient des nœuds et des validations par « des membres de la communauté ».

 

Pour résumer ces projets : l’explosion même si elle est très souvent désordonnée, des monnaies cryptées, incite les banques centrales à prendre le sujet au sérieux et à reconnaître qu’il répond à un double besoin social : celui qui est né de l’usage de technologie dites « sans fil » et de l’usage des « smartphones » et celui qui résulte des échanges de « réseaux ». Il répond aussi à des besoins de plus en plus pressants, touchant à la liquidité des établissements bancaires et financiers et à la sécurité des transactions dont ils ont la charge.

 

 

les monnaies cryptées souveraines à l'épreuve de la libra

 

 

La Libra est mal partie, les commentaires sont le plus souvent dans ce sens. Que, maintenant, Facebook s’efforce de retomber sur ses pieds après s’être mis la tête à l’envers me parait normal ! Difficile de perdre la face (je ne me laisserai pas aller à un humour « facial » douteux !!!) et puis, il y a une réalité commerciale de Facebook : sa base de clientèle élargie à toutes les messageries et réseaux qui fonctionnent sous sa houlette. Cela fait 2 milliards de personnes. Facebook n’a pas envie de les décevoir c’est-à-dire de les voir partir ailleurs, faute de pouvoir « jouer » au geek indépendant des tiers de confiance traditionnels. Un client en moins, c’est de la publicité en moins. Donc, on entendra parler de la Libra pendant encore quelques temps, jusqu’à ce que la rumeur devienne inaudible.

 

Grâce à Libra, les monnaies cryptées souveraines.

 

Le mérite de la Libra aura sûrement été de lancer un pavé dans la mare tranquille des monnaies souveraines. Celles qu’on a judicieusement nommé les « monnaies signées ». Peuvent-elles continuer à vivre une vie paisible entre systèmes bancaires structurés comme un parti communiste ?

 

On a envie de dire qu’il n’est pas urgent de se précipiter et que les banques centrales ont à l’heure actuelle suffisamment de sujets de préoccupation pour ne pas en rajouter. Et à y regarder de près, ne constate-t-on pas que les banques centrales et les banques placées sous leur gouvernance ont, pour la plupart d’entre elles, saisi à bras le corps la question des paiements (qui est profondément la question de la compensation et de la liquidité interbancaires) de gros et de détail.

Alors pourquoi, les banques centrales se saisiraient-elles de ce sujet ?

 

Une première raison : la certitude que d’ici deux à cinq ans, la Chine aura lancé sa monnaie cryptée souveraines (CBDC ou central bank digital currency ou encore BCMD, banque centrale monnaie digitale etc…).

Une deuxième raison : les enjeux géopolitiques qui devraient conduire des groupes d’Etats ou des Etats, nommément le UE et la Chine à essayer de trouver des moyens de compensation internationale indépendants du dollar.

Une troisième et non la moindre malgré les apparences : le rejet du billet de banque pour des raisons qui vont de la désaffection des utilisateurs jusqu’à la lutte des Etats contre le terrorisme et le travail caché.

 

 

Peut-on imaginer que la Libra deviendra un moyen de paiement de CBDC ? Au travers de ce qu’on vient de dire, cela n’aura pas beaucoup de sens : on a du mal à imaginer des banquiers centraux confier le sort de leurs crypto-monnaies souveraines à un entreprise privée qui a clairement échoué à les évincer du jeu monétaire. Personne ne peut être rassuré par les déclarations de David Marcus devant le Sénat américain lorsqu’il annonçait que la Libra serait un moyen idéal pour défendre le monde libre contre les ambitions chinoises !!!

 

Les Chinois ont compris le message et l’ont retourné en : « la Libra est un des nombreux instruments inventés par les américains pour soumettre le monde à leur impérialisme, économique et politique ».

 

Ces différentes considérations conduisent directement à une réflexion sur ce que « monnaie » veut dire.

 

On en parle à tort et à travers et la première ICO un peu rigolote est accompagnée très sérieusement de sa crypto-monnaie, de la blockchain qui lui est nécessaire pour fonctionner et de toute une gamme de tokens, utility, service, financial asset et autres.

 

La monnaie et la valeur comme la loi et la justice.

 

Peut-on imaginer un univers irénique genre Thoreau/Emmerson où l’individu pourrait, comme on au supermarché on choisit une marque pâtes alimentaires, choisir sa monnaie de paiement au grand bazar monétaire planétaire ? Outre le fait qu’il est évident que ce serait une parfaite régression économique ; outre le fait que ces subtilités de choix n’enrichissent que les malins et se payent sur le dos des « geeks » et surtout du consommateur lambda ; outre le fait qu’on ne voit pas un instant les « rationale » d’un maniement de plusieurs monnaies tant sur le plan culturel que sur le plan financier, il faut admettre qu’il s’agit d’un space-opéra monétaire au sens de ce genre littéraire vis-à-vis de la Science-fiction en général.

 

Car, que cela plaise ou non aux inventeurs de monnaies cryptées en tous genres, la monnaie n’est pas simplement un machin destiné à faire circuler les marchandises et les services. Elle n’émerge pas sous la pression des marchands, des consommateurs et de toutes les personnes privées qui passent leur temps à râler contre les contraintes publiques. On a trop répété la doxa aristotélicienne des trois fonctions de la monnaie (on oublie trop que le grand philosophe soutenait que le soleil tournait autour de la terre et qu’il avait des preuves scientifiques de ce qu’il annonçait). Aristote a eu une belle intuition sur la monnaie. Elle était cependant trop fonctionnelle et pas assez conceptuelle ! La monnaie primairement, essentiellement, est un produit de la société et, sur le plan politique, a une valeur institutionnelle. La Monnaie régit les rapports de valeurs des artefacts. La Monnaie fait partie du corps des normes politiques et sociales au même sens que la loi et la justice.

 

(Pour illustrer l’urgence de ce propos : la monnaie est l’unité de mesure de la valeur et son expression même comme le sont les fameuses unités de mesure de poids, de temps, d’espace. Cela n’entraîne pas qu’il s’agisse d’unité « unique » sur un plan mondial. Les souverains, pour des raisons très variables ont revendiqué leur droit à définir leurs mesures propres : en Grande-Bretagne, on ne pèse pas selon les mêmes mesures qu’on France. Mais, la tendance de toutes les unités de mesure est bien de s’unifier et non pas de se disperser ! On mesure la radioactivité de la même façon sur toute la surface de la planète).

 

Cela s’exprime pratiquement par le concept de monnaie signée, coup de génie des Grecs, à qui justement nous devons la conception moderne de la cité. Cette même monnaie signée s’exprime dans la société qui l’a portée et qui l’utilise, par un moyen archi-connu : le cours légal. La prétention d’un agent économique à user d’une monnaie cryptée de son choix sera toujours limitée par cette injonction du souverain, garant final, en tant qu’auteur de la monnaie et de sa valeur et donc de ses deux rôles d’instrument de paiements et de conservateur de valeur.

 

La monnaie est un élément central des sociétés politiques. La dislocation des espaces monétaires se traduit toujours par une dislocation sociale et politique, au pire, par une aliénation du même ordre, au mieux. L’évolution des systèmes monétaires est affaire, et porte conséquence, politique. Introduire la pluralité des monnaies n’est pas une simple question de narcissisme « silicon valley » c’est bouleverser la façon d’être en société.

 

 

La cryptomonnaie est-elle la chloroquine de l'économie ?

  

Pour relancer la consommation, en chute libre depuis la crise du coronavirus, il est parfois envisagé de distribuer de l'argent aux citoyens. Comment ? Plusieurs pistes sont à l'étude. Et pourquoi pas les cryptomonnaies, s'interroge Pascal Ordonneau.

 

Publié le 26 mars 2020 à 14h25Mis à jour le 26 mars 2020 à 14h34

Pour lutter contre la maladie, il faut des médicaments. Si on trouve des miraculeux, tant mieux. Si on n’est pas sûr du résultat, tant pis. Il faut essayer. C'est d'ailleurs le débat du moment avec l'utilisation de l'hydro-chloroquine pour soigner les patients atteints du coronavirus SARS-CoV-2.

 

Dans le domaine économique, on trouve aussi des partisans des formules révolutionnaires ou, tout du moins, disruptives. Comment préserver la liquidité des économies et comment protéger des hommes et des femmes qui se trouveront démunis faute de travail, et, par conséquent, faute de ressources. La conjonction de ces deux risques conduirait ni plus ni moins à une crise économique mondiale plus profonde et plus mondiale que celle de 1929.

 

Liquidité des systèmes

Pour ce qui est de la liquidité, la question est simple et la solution aussi. La liquidité concerne les agents bancaires et financiers. La crise de 2008 a montré qu’à trop tergiverser et à brandir des principes du type «libre concurrence» ou «punissons les coupables, ceux qui spéculaient avec l’argent des autres» on provoque des effets de dominos désastreux qui se propagent de banques en banques, de produits financiers en produits financiers.

 

 

Keynes avait inventé le multiplicateur d’investissement. Dans sa foulée, ses suiveurs avaient découvert le multiplicateur de crédit. Certains esprits aventureux avaient imaginé le démultiplicateur, ce mécanisme infernal qui conduit à la déflation et à l’effondrement des mécanismes de fixation de la valeur. La destruction de monnaie dans ces conditions devient un effondrement incontrôlable. La société suit immanquablement.

 

La lutte contre l’assèchement de la liquidité est du domaine des banques centrales et concerne les banques secondaires de dépôts et d’investissement. L’Europe a finalement mis en œuvre de mécanisme de résolution, des quantitative easing, des achats de créances privées et publiques pour, desserrant la contrainte de liquidité, permettre un fonctionnement «normal» du système et, mieux, faire en sorte qu’il puisse garder une capacité d’initiative décentralisée.

 

Il est probable que pour cette branche de la question, les initiatives des banquiers centraux, nommément la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE), accompagnées, timidement par le Fonds monétaire international (FMI) - dont ce n’est pas le rôle - seront efficaces et rapides à mettre en œuvre. Il est certain que le risque de collapse de certaines banques systémiques sera atténué par des nationalisations ou par des plans de résolution solidement dotés.

 

Distribuer de l'argent

L’autre branche de la question est plus délicate. Non pas sur le plan conceptuel : on ne manque ni d’idées ni de principes ni de très bonnes raisons d’agir. La difficulté est plutôt logistique au sens où ce qui va être proposé n’a jamais existé sous la forme « méta-économique» que l’on pressent.

 

Et c’est là que surviennent les docteurs miracles, les solutions révolutionnaires. L’idée qui se fait jour dans de nombreux pays libéraux - dont les Etats-Unis - est simple comme bonjour. Pour relancer les économies, pour atténuer l’impact dramatique sur le niveau de vie des citoyens du monde, et donc, ne pas provoquer l’effondrement des appareils productifs en raison de l’effondrement de la demande, il faut que les consommateurs puissent continuer à consommer.

 

Donc, il faut distribuer de l’argent, peu importe sur quelle base, peu importe l’apport réel des bénéficiaires à l’économie. Il faut leur donner les moyens de consommer. Si possible des biens et produits locaux. Personne n’imaginerait de gaieté de cœur que des distributions d’argent se retrouvent en importations massives de télé, de jeux en tous genres et de tee-shirts fabriqués ailleurs. Parmi les règles de gestion de ces injections de monnaie, on trouvera donc un renforcement des frontières économiques. On n’a pas pu empêcher le coronavirus de se répandre dans le monde. On y parviendra pour les biens et les services classiques.

 

Distribuer des billets ou créditer les comptes en banque ?

Distribuer de l’argent ce n’est pas simple. Imaginons des billets. Et ce sont donc des milliards de bouts de papier qu’il faudra imprimer, dans les conditions de sécurité habituelles pour éviter les fraudes et les fausses émissions. Je passe sur la comptabilité de l’opération, sur les queues aux points de distribution, sur l’enregistrement des bénéficiaires, et. On ne peut que conclure qu’une opération physique pure est impossible et qu’il vaut mieux la réserver à des cas marginaux.

 

L'autre solution est classique : créditer les comptes en banques de millions de citoyens, quitte à demander aux banques de second rang de prêter main-forte aux pouvoirs publics, moyennant des dispositions fermes des banques centrales pour garantir les banques sous-traitantes contre les risques de bilan ? L’argent cascaderait dans le système bancaire quitte à ce que la manne soit soumise à plusieurs étages de cascade. Les premières en ligne directe avec les banquiers centraux, qui recevraient les milliards à distribuer, les suivantes recevant leurs parts, jusqu’à celles qui ont le contact B to C.

 

Il ne faut pas être effrayé par les écritures. Les ordinateurs quantiques seront mobilisés pour une noble cause. Reconnaissons cependant que rien ne sera simple là aussi, les risques de doublons, de fraudes, de ratés informatiques et organisationnels seraient moindres que dans le cas précédent, mais ils seraient incontournables.

 

Cryptodollars

Enfin, la crypto-économie vient massivement apporter ses services. Aux Etats-Unis, on verserait ces subsides sous la forme de dollars numériques. Un cryptodollar adossé au dollar lui-même dans un rapport paritaire. Pour ce cryptodollar, pas besoin de toutes les complications des bitcoins et de leurs émules. Pas de nœuds, pas de communauté où tout le monde fait mouliner son ordinateur, pas d’autre chose qu’un portefeuille et une clef personnelle. Le reste ce sont des enregistrements informatiques sur une blockchain gérée par les pouvoirs publics. Cette technique aurait le mérite d’éviter que les données aillent se perdre chez une ou deux grosses baleines comme on nomme les milliardaires en monnaies cryptées.

 

Peut-on vraiment penser que la Fed toute seule pourrait se charger de cette opération énorme de digitalisation de l’ensemble de la première économie mondiale ? Il y a des chances que non. La banque centrale américaine n’est pas connue en tant que société de prestation informatique.

 

C’est là que le monde des cryptomonnaies frémit et voit naître des grandes espérances. « Pourquoi ne pas nous confier cette opération ?», glissent ses représentants dans des billets publiés sur des sites d'information spécialisés. Pourquoi, même ne pas ouvrir cette sous-traitance à plusieurs sociétés, il en est des milliers et parmi elles de vraies escroqueries, mais il suffirait à la banque centrale et aux grandes banques de mettre en place des dispositifs de vérification. On mettrait aussi en concurrence des techniques. On pourrait même introduire là-dedans des systèmes de représentation des cryptodollars, des « coins » et des «tokens» de notre fabrication, plus commodes, si la cryptomonnaie souveraine s’avérait trop lourde à manipuler.

 

On pourrait faire exploser le rôle du souverain et sa prétendue responsabilité ultime à l’égard de la détermination de la valeur d’échange des biens et des services. On pourrait réinventer des systèmes monétaires privés, locaux ou professionnels. La Californie, dit-on, n’attend que cela : fabriquer elle-même sa monnaie et se dégager des lourdeurs fédérales.

Le grand bond en avant de la Chine monétaire est-il pour bientôt?

 

Récemment, une information lancée par « China Star Market » est venue ponctuée les débats sur la question de la fameuse monnaie cryptée souveraine chinoise : en Mai, les employés de l’administration de la municipalité de Suzhou devraient recevoir 50% de leurs primes de transport sous la forme de la «  China's national digital currency (DCEP) ».

 

La crypto-monnaie serait émise par quatre banques sous contrôle étatique. D’ores et déjà, les bénéficiaires de ces primes sont priés de télécharger les wallets destinées à recevoir leurs primes sous cette forme.

 

Un projet déjà ancien

 

Dira-t-on que la Chine procède à pas de géants ou au contraire qu’elle avance prudemment ? Peu importe. Elle avance et se montre ainsi très cohérente avec un projet qui a une valeur et une portée nationale très fortes.

 

D’aucuns ont prétendu que les  déclarations tonitruantes autour de la Libra ont  déclenché une réaction rapide de la part des chinois conduisant à la mise en place d’une monnaie cryptée nationale.

 

Cherchant désespérément à défendre un projet de monnaie cryptée mondiale en pleine perte de vitesse, le responsable officiel de la Libra, David Markus, n’avait trouvé rien de plus intelligent à argumenter devant le Sénat amèricain que la « grande menace chinoise » : « les Chinois vont envahir le monde avec leur Crypto-Yuan, la Libra sera un rempart pour les démocraties occidentales! ». En vérité, la banque centrale de Chine est sur la brèche depuis 2014. Un de ses départements spécialisés a été installé pour la circonstance. Sa mission : travailler sur les « codes » et accumuler le plus grand nombre de brevets concernant les nouvelles technologies blockchain et monnaies cryptées. Le résultat est probant puisque la Chine est en passe de détenir le plus gros portefeuille de brevets dans les domaines de monnaies cryptées et de blockchain.

 

Courant 2017, le magazine Technology relevant du célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT) signalait déjà que des tests étaient en cours. Il commentait l'événement en précisant que les avancées de la Banque centrale chinoise étaient prudentes mais aussi que le franchissement de cette étape donnait un signal fort sur la volonté de l’Etat Chinois d’aller de l’avant et, peut-être, de devenir un des premiers Etats à lancer cette monnaie du futur.

 

La crypto-monnaie souveraine de la Chine est une nécessité

 

La Chine est soucieuse de trouver tous les moyens de poursuivre sa marche en avant économique et d’en diffuser le bénéfice à l’ensemble de sa population. Elle a parcouru les étapes de la modernité industrielle et technologique à une vitesse étonnante. Son réseau d’infrastructure qu’il s’agisse d’autoroutes, de trains à grande vitesse et d’aéroports en témoigne. Cependant, elle demeure très mal servie en dans le domaine des infrastructures bancaires et financières, comme bon nombre de pays en Asie et le sous-continent indien, sans parler du continent africain.

 

Cette situation est à la fois paradoxale et contradictoire. D’une part, la Chine est allée directement du paiement bancaire traditionnel au paiement par smartphone, comme elle est passée du commerce de proximité au commerce en ligne, mais, contradiction, les modes de financement et de paiement n’ont pas suivi. Se superposent de plus en plus difficilement, un système de paiements « à l’ancienne » par le moyen des billets de banque et un système d’avenir avec les paiements en ligne.

 

De fait, ce sont des millions de personnes qui n’ont pas accès aux services de base d’un système bancaire moderne, les guichets de banque sont rares, les services fournis très frustes allant de pair avec une pauvre qualité de services. Les conséquences sont directement économiques : des coûts d’opérations financières et bancaires excessifs, des délais de paiements en contradiction avec la modernisation accélérée du commerce et des échanges de biens et services. Tout ceci faisant obstacle à la progression de la consommation et à l’accès aux secteurs des services, c’est-à-dire à la croissance, elle-même.

 

L’idée d’une réforme des moyens de paiement en Chine n’est donc pas venue par hasard. L’archaïsme des systèmes de paiement est un frein à la croissance d’un pays tout et autant que l’insuffisance des monnaies ou leur mauvaise distribution au sein de la collectivité des agents économiques.

 

Et au-delà : qu’est-ce qu’une crypto-monnaie souveraine

 

Une monnaie est souveraine à la triple condition d’avoir le souverain comme garant, d’être émise par lui et d’en recevoir un privilège : le cours légal (avec éventuellement le booster du cours forcé).

 

Précisément, le cours légal est un critère fonctionnel qui emporte tous les autres. Le souverain, en décrétant le cours légal, dit que toute transaction peut être débouclée au moyen de cette monnaie sans que les créanciers puissent s’y opposer ou choisir un moyen de paiement de leur préférence. Parmi les dettes les plus directement concernées, se trouve les dettes à l’égard de l’Etat, et en particulier les impôts. Quand le souverain décrète le cours légal de la monnaie, non seulement il énonce que toutes les dettes des agents économiques ressortant de son autorité peuvent être apurées par le moyen de cette monnaie, mais aussi qu’elle sera acceptée aux caisses du trésor public sans aucune discussion.

 

Ce point qui parait évident, ne l’est pourtant pas. Les échecs de la plupart des crypto-monnaies, dont la Libra est le dernier exemple en témoigne et malgré les déclarations euphoriques de ces thuriféraires, les transactions en bitcoin se traînent. En vérité, la plupart des crypto-monnaies, sont devenues des supports d’opérations « anonymes » ou « des réserves de valeur » originales en ce sens que la volatilité de leurs cours devrait faire fuir le moindre épargnant raisonnable !!!

 

Cours légal, émission souveraine sont les piliers de cette réforme monétaire d’envergure. L’acceptabilité d’une monnaie souveraine par le seul fait que le souverain la déclare légale et l’accepte à ses guichets pour le paiement des impôts et autres créances publiques est un point déterminant : le monnaie dont le cours est légal bénéficie d’une acceptabilité très forte. Une monnaie cryptée comme le bitcoin ne cesse de se heurter à un plafond de verre : celui de son taux d’acceptation.

 

C’est essentiel mais pas nécessairement suffisant pour rassurer les utilisateurs. Un troisième pilier fait partie des moyens destinés à rendre le crypto-yuan acceptable. On le trouve dans la déclaration de la banque de chine sur la parité « un pour un » du « nouveau Yuan » avec l’ancien. Tout détenteur de crypto-yuan saura qu’il n’est pas défavorisé par rapport à un détenteur de Yuan « traditionnel ». Les parties à une transaction pourront opérer sans risque, les uns en crypto-yuan, les autres en Yuan traditionnel.

 

 

Extrapolons au monde extérieur. Tout cocontractant étranger à la Chine qui serait payé en crypto-Yuan saura, qu’il est d’une façon ou d’une autre réglé en Yuan traditionnel et que, dans ces conditions, il peut compter sur l’effet rassurant d’une des réserves de devises internationales les plus considérables du monde

 Comprendre le Métavers en 20 questions

 

 

 

 

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En collaboration: Institut de l'Iconomie

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