Libra vs Renmibi/yuan digital : si différentes et pourtant si proches

Cet article a été publié dans Les Echos. Vous pouvez le consulter sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle

 

Cela devient passionnant : à peine les ICO effondrés avec leur cortège de tokens, associés à des crypto-monnaies sur fonds de blockchain, à peine le bitcoin remis de ses « All time highs » replongeait-il dans les « All time lows », que la fanfare des cryptos sonnait l’arrivée dans la carrière de deux candidats champions : La Libra et le Renmibi/yuan digital.

Bien sûr, il faudrait compter avec le Russe ! On l’oubliera pourtant, il n’est pas prêt dit-on et il n’est pas sûr que le tempérament « KGB » qui marque les esprits locaux soit épanouissant pour une monnaie « cachée ». On se concentrera sur les deux nouvelles monnaies mentionnées plus haut. Champions, compétiteurs ou tout simplement différents, survenant au même moment, radicalement opposés mais possédant de bien curieux points communs.

 

En un trimestre deux champions ont émergé

 

La Libra, la presse en a parlé d’abondance, nous est venue à la fin de premier semestre de cette année, lancée par Facebook qui n’en était pas à sa première tentative. La précédente n’avait rien donné. En fin Juin 2019, il était annoncé au monde sidéré, que le réseau allait lancer une monnaie nouvelle qui pourrait être utilisé par les adhérents Facebook, Instagram et WhatsApp. La nouvelle ne pouvait pas ne pas faire de bruit car il s’agissait de quelques 2 milliards d’humains qui, potentiellement, pourraient revendiquer un droit à une « wallet Libra ». Seraient donc concernées les transactions de ces deux milliards d’individus, entre eux ou avec des entreprises ayant intégré le réseau. Non seulement les transactions seraient « traitées » par le moyen de la nouvelle monnaie, mais aussi, les informations relatives aux acteurs particuliers et entreprises engagés dans ce système.

 

La preuve que cette monnaie doit se concevoir comme une vraie monnaie de paiement : à l’opposé du célèbre Bitcoin, la Libra a comme collatéral, un panier de devises « sérieuses » c’est-à-dire souveraines : Dollar, Euro, Livre sterling et Yen. A l’opposé du Bitcoin et de ses suiveurs, le cours de la Libra contre « les autres devises » serait ainsi stabilisé.  

 

Le Renmibi/yuan digital, a été annoncé quasiment au même moment, un peu plus tard peut-être, que la Libra au point qu’on a dit que les autorités chinoises avaient accéléré leurs annonces pour ne pas laisser la vedette à l’initiative de FaceBook.

 

Monnaie étatique contre monnaie privée

 

La nouvelle monnaie chinoise disposera d’un réseau numériquement moins important que celui de Facebook ! En effet, les deux milliards de membres du réseau Facebook sont en principe des personnes capables juridiquement et intellectuellement d’user des facilités de ce réseau. Le milliard de Chinois correspond à une population ce qui n’est pas tout à fait pareil.

 

A l’inverse de la Libra, il s’agit d’une monnaie de paiement d’origine étatique, sous le contrôle des pouvoirs publics et dotée d’une parité totale avec le Renmibi/yuan « non-digital » c’est-à-dire la monnaie de compte et la monnaie fiduciaire, celles qui ont cours légal. Le cours du Renmibi/yuan digital sera donc lié à celui du Renmibi/yuan traditionnel et susceptible d’aucune fluctuation différente de ce dernier contre tout autre devises.

 

En ce sens, entre Renmibi/yuan digital et Libra, on ne parle pas de la même chose : le premier n’aura pas d’effort à faire pour que les agents économiques lui accordent leur confiance ; son acceptabilité, graal de toute monnaie, sera totale et incontestable. Quant à la seconde : ses promoteurs espèrent faire émerger parmi les agents économiques, confiance et croyance à l’origine de son acceptation, par le moyen de la fameuse « réserve » dans laquelle les monnaies souveraines à titre de garantie collatérale (terme préférable à celui, ambigu, de « sous-jacent ») seront stockées.

Y-a-t-il là, une sorte de supériorité d’une monnaie digitale par rapport à l’autre ? On peut penser qu’il faudra plus de temps et de soutiens à la Libra pour s’implanter dans l’univers des paiements qu’il n’en faudra au Renmibi/yuan. Ajoutons que, monnaie lancée par les pouvoirs publics chinois, le Renmibi/yuan digital pourrait se voir accorder un privilège qui n’est donné par le souverain qu’aux monnaies qu’il signe : celui d’apurer les dettes fiscales tant en ce qui concerne les particuliers que les entreprises. Ce serait, par comparaison avec la Libra un avantage décisif.

 

Faut-il en revanche penser que, produit d’un régime différent des régimes démocratiques occidentaux, le Renmibi/yuan digital se comportera en tant que technique cryptographique différemment de la Libra ?

 

Opposées au départ, très proches à l’arrivée ?

 

Il est vrai que les deux monnaies digitales paraissent, une fois encore, à l’opposé l’une de l’autre ! La Libra se rattache encore à la philosophie libertarienne illustrée par le Bitcoin et ses suiveurs. Elle repose sur l’utilisation du registre décentralisé, l’intervention de nœuds dans la validation des opérations et une blockchain propre. On notera que la blockchain, ici, est dite restreinte par opposition de celle du bitcoin : à la « communauté » est substitué un nombre restreint d’intervenants (1).

 

A l’opposé, le Renmibi/yuan digital ? N’est-il pas délibérément hors de l’épure des pures crypto-monnaies puisque l’initiative est centrale et s’appuie sur les fameux tiers de confiance que sont les banques, vitupérées par les partisans libertariens du Bitcoin et des autres. Ajoutons une différence encore plus essentielle : malgré les accrocs faits par cette dernière aux idéaux qui fondent les « vraies crypto-monnaies », la technologie « blockchain » est là alors qu’il n’est pas sûr que le système mis en place pour le Renmibi/yuan digital en use.

 

Autant on comprend qu’une monnaie conçue en dehors (et contre) des tiers de confiance traditionnels (banques, assurances, pouvoirs publics) suppose que des contraintes nouvelles encadrent son émission, ses échanges et sa recension, autant, ces contraintes peuvent paraitre superflues quand une monnaie digitale est sous contrôle public centralisé.

 

Il faut ici revenir au principe de la blockchain et de la nature de la monnaie cryptée : procédures appliquées à l’enregistrement, la transmission et la conservation de fichiers, elles peuvent être conçus de façon restreinte et ne porter que des indications sur les montants échangés assortis d’un numéro d’ordre, auquel cas ils ressemblent à des billets de banque, identifiés par un numéro et porteur d’une valeur en unité de compte. Mais les fichiers peuvent être enrichis de données étrangères aux seules transactions, amplifiant les données circulant dans les échanges scripturaux traditionnels et favorisant l’intégration des données personnelles, privées ou publiques.

 

Dans cet esprit, la Libra et le Renmibi/yuan digital ont d’étranges points communs : ils sont ultimement des échanges de fichiers et, puisqu’il y a, dans un cas, un système totalement centralisé et dans l’autre un système faiblement décentralisé, ils possèdent l’un comme l’autre le pouvoir de délivrer ou d’accaparer les données contenues sur ces fichiers et/ou de les modifier, distribuant, par exemple, bons points politiques et mauvaises notes financières !

 

Si différentes et pourtant si proches !!!

 

 

(1)        Cette simple « atténuation » du rôle « décentralisé » de la blockchain et de ses opérateurs est fortement critiquée. Elle conduirait en fait à laisser à Facebook (ou à la fondation Libra) le soin de gérer le système Libra. Parmi ces décisions de gestion, on pourrait relever celles concernant la « réserve » dont la composition pourrait être modifiée sans que les porteurs de Libra soient informés. Gestion très peu « open » par conséquent et très peu « communauté ».

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