Soliloques sur le Vaste Monde, Septembre 2017

- Elle est pimpante ma jeune imprimante

- Les vieilles pierres sont trop sucrées

- Paris est une fête... payante

- L'information va devenir autonome, comme les bagnoles

Elle est pimpante ma jeune imprimante

 
J’ai acquis, il y a peu, une nouvelle imprimante pour remplacer la vieille. Je ne m’appesantirai pas ici sur la question de la fin programmée, inscrite dans leurs circuits (et peut-être dans leur ADN) des appareils électroniques. C’est un mauvais débat. Ne sommes-nous pas, nous aussi, programmés pour nous arrêter de fonctionner un jour ?

La vieille imprimante avait l’air d’être vraiment vieille. Elle commettait des bruits déchirants quand elle se préparait à imprimer, des sortes de « poussées d’arthrites » au moment où il faut bouger. Elle imprimait dans un bruit d’enfer. Elle grognait ! Mais je m’y étais habitué. Elle déchirait un peu trop le papier, surtout le beau. Elle mettait du rouge sans qu’on le lui demande. Elle avait pris ses aises et, comme une vieille mule, en faisait à sa tête plus qu’à son tour. On s’attache. Les objets ont une âme. Les plus grands poètes ont même vu des gâteaux faire revenir des souvenirs ou des impressions passées.

Pourtant, il a fallu se détacher. J’ai pris une jeune. Toute pimpante. Pas de bruit. Des frôlements. Comme des chuchotis : tendre l’oreille pour l’entendre. Elle parle et a su m’expliquer patiemment et délicatement comment profiter d’elle. Obtenir les meilleurs « performances ». Elle est discrète. Elle ronronnerait ?

Sauf que quelque chose m’a « interpelé dans mon vécu » comme on disait il y a presque 40 ans. Une découverte « glaçante » comme à la télé. Je pensais que cette petite nouvelle n’aurait affaire qu’à moi. Quand je lui passerais une demande d’impression, elle impressionnerait pour moi, rien que pour moi. Et voilà qu’au premier tour de manivelle, au premier lancement de son logiciel, elle m’a demandé si je voulais la partager.

C’était recommandé, me dit-elle, pour autant, bien entendu, que j’aie donné mon accord. Ce serait dommage, argumenta-t-elle, de ne pas tendre vers une utilisation optimale de ses talents.

Pour ce qui la concernait, pas de problème, elle serait ravie de satisfaire plusieurs utilisateurs. On leur donnerait un code, comme une clef. Ils pourraient venir quand ils voudraient. Imaginez ma tête : se retrouver à plusieurs sur la petite nouvelle ! Mais je n’avais encore rien vu : elle me proposait d’adhérer à un club particulier (VIP). Je n’aurais rien à faire. Quand elle aurait des besoins, quand il lui manquerait quelque chose, elle irait directement se fournir là où elle pourrait avoir satisfaction. Elle paierait elle-même (avec ma carte, évidemment).

J’ai dû commettre des manipulations étranges, incongrues ou malvenues. Je crois que j’ai tapé convulsivement sur un choix où c’était « non ». Pas question de donner dans ce jeu malsain. Pas question de partager. Pas question qu’elle puisse prendre contact avec n’importe qui.

Un peu après, j’ai découvert qu’elle m’avait envoyé un message. « Tu ne pourras pas rester très longtemps à l’écart de l’internet des objets. Nous sommes patients. Nous t’attendons. Bientôt, tu n’auras plus rien à faire. Nous te prendrons en charge. Tu seras enfin heureux et comblé. »

 

Paris est une fête... payante


Le monde est ouvert ! Il est bien normal que les « étrangers » ne se contentent plus de leurs Palavas-les flots ou Romorantin locaux et souhaitent s’ouvrir l’esprit. Aussi, les touristes étrangers déferlent-ils. La France est une destination de choix. Nous ne pouvons qu’être flattés. Ces gens viennent chez nous voir ce qu’il y a de plus beau au monde et ils sont prêts à payer pour cette découverte unique . Là se trouve la différence entre un touriste et un envahisseur : le premier paie pour voir les indigènes tandis que l’autre les fait payer. Loin de raser l’herbe à nos frais comme Attila en son temps, le touriste apporte son écot et enrichit ses hôtes. 

C’est pourquoi l’importation de touristes est devenue une préoccupation significative du gouvernement français. Dans cinq ans, cent millions, dans dix ans, cent-cinquante millions de touristes viendront se remplir les yeux de nos merveilles, de nos sites, de nos châteaux, musées etc… Voudra-t-on en profiter qu’il faudra s’organiser solidement et professionnellement. Pas question de traiter le touriste comme un migrant dont l’horizon se borne au Pas de Calais. On voudra les retenir ces touristes : hôtels, jeux, musées, gastronomie, accortes hôtesses, sémillants accompagnateurs, chapeaux pointus et T-shirt « la France on ne s’en lasse pas ». 

On ne pourra plus laisser sans contrôle les allers et venues décomplexées le long de la plus belle avenue du monde ? Il faudra faire comme on fait à Florence pour visiter le Dôme : les Champs Elysées seront payants. Des points d’entrée seraient prévus : les visiteurs s’inscriraient dans une queue tournant dans le cercle formé par les rues de Tilsitt et de Presbourg. La sortie se ferait par l’avenue Montaigne. Des billets groupés pourraient être proposés pour passer des Champs Elysées aux « Petit et Grand Palais ». Les visites du Louvre seraient réservées à une élite fortunée. Les autres pourraient acheter des CD où s’abonner à des connections spécialisées. 

Un rideau de verre extrêmement résistant est en voie d’installation autour des accès à la Tour Eiffel. Lutte contre le terrorisme, nous dit-on ! Il s’agit d’une expérience de « containment ». La tour est solide mais pas au point de subir un assaut 24/24 de touristes enthousiastes. On sait qu’il faudra la protéger contre son propre succès.

Au fait, et les Parisiens dans tout cela ? On va les faire payer comme de vulgaires touristes ? Auront-ils un droit préférentiel à la visite ? Des prix raisonnables et non pas des billets astronomiquement chers ? Les Parisiens, le Président l’a promis, se verront attribuer des droits spéciaux. Sans eux, Paris ne serait plus Paris, Ménilmuche disparaîtrait, la Butte s’affaisserait et la môme en perdrait sa voix. Alors oui, les Parisiens auront des droits, à condition de résider à Paris au moins 9 mois de l’année. Seul bémol : ne pourront y prétendre les résidents des « arrondissements AirBNB », les quatre premiers, ceux que Madame Hidalgo veut rassembler pour que leur exploitation commerciale soit mieux coordonnée. 
 

Les vieilles pierres sont trop sucrées

Vacances dans les Cévennes. Quelques photos dans de charmants petits villages. Déambulations le long de ruelles aux pavés inconfortables, à l’ancienne bien sûr. Villages si bien conservés qu’on se croit de retour dans les temps bénis où les hommes se parlaient. Des mots courts et simples qui disent ce qu’il y a dire comme les murs des maisons, sans afféteries de sculptures ou de moulures, font leur boulot de murs de maisons. Des villages où les vieux sagement assis en rang sur des bancs ou solitaires sur des chaises mal rempaillées suçotent leurs bouffardes éteintes. Des ruelles où les enfants joueraient à des jeux de mains pas vilains. Où, le temps serait palpable…

J’ai montré des photos : « Deux ou trois lieux. Pas emblématiques ». Des lieux simples. Un peu à l’écart des grands périples touristiques. Des lieux qui se souviendraient encore du passage de Stevenson, l’Homme de l’Île au Trésor, qui, il y a bien longtemps, voulut aller se perdre dans les Cévennes profondes, comme on part en Amazonie, à ses risques et périls. Des images de vieux villages tout neufs et d’autres encore « en l’état futur de réachèvement ».

En prenant ces photos, citadin incoercible, amoureux des grandes villes où l’oxyde de carbone est en passe de remplacer l’air qu’on respire, je ne pouvais que m’interroger. J’étais dans des lieux hors du temps qui auraient dû être effondrés à force d’être abandonnés, leurs habitants partis vers les villes ou dans de jolis « sam/suffi » en bas dans la plaine inondable.

Mais les vieilles pierres ne meurent pas toujours. Des gens qui les aiment viennent et « retapent », restaurent, réhabilitent. Les petites rues, s’éclairent ici ou là, de portes remises à neuf, de vantaux colorés, de plantes grimpant vers les faîtages qui sentent bon les poutres neuves et les toitures refaites « comme avant ».

Quelle drôle d’idée de s’installer dans des maisons étroites aux plafonds bas. Retour aux sources ? Vivre dans de petites maisons, dans de petites pièces « à vivre », ouvrant sur des rues si étroites qu’on peut, en se penchant un peu par la fenêtre, serrer la main du voisin en face. Ces lieux sont-ils pareils à de vieux vêtements, solides et inusables qu’on aime à porter parce qu’ils ont toujours été là, contre la pluie, le vent, la neige.

Ces maisons petites dans des ruelles minuscules au milieu de villages de poupée sont les sœurs ainées des petites cabanes qu’inventent les enfants pour s’entasser et oublier le monde des grandes personnes. Elles sont comme des nids. Elles seraient aussi comme des œufs. On y pénétrerait lentement en poussant une porte lourde. L’obscurité serait propice. Il faudrait qu’un cartel égrène le temps pour restituer à l’atmosphère une épaisseur chaleureuse. On retrouverait un vieux fauteuil en tapisserie chiné à quelques kilomètres. On soufflerait sur les braises. Et, la main posée sur un vieux livre, on rêverait devant la flambée. Une image presque fœtale.

Les passés en sucre valent mieux que les présents acerbes.   
 

L'information va devenir autonome, comme les bagnoles


Elle est de plus en plus troublante la façon dont est assumée cette grande mission qu’est le journalisme d’information. Il est vrai que c’est de moins en moins commode. Comment être en avance sur l’évènement quand les smartphones se déploient au premier signe d’anomalie, aux bruits d’une bagarre et aux baisers des personnalités de la politique, du showbiz ou du CAC40.

Comment faire marcher la machine à attirer de la publicité quand les téléspectateurs ne restent plus, le soir, pendant le dîner, devant la fameuse "petite lucarne" devenue de plus en plus grande. En France, la campagne présidentielle a montré que le plus simple était de se saisir d’un candidat et de quelques-unes de ses factures, puis de débattre à l’infini des possibles, des probables et des suppositions après avoir évacué tout ce qu’il pouvait y avoir d’actuel dans l’actualité, tout ce qu’il y avait de factuel dans les faits et tout ce qu’on croyait juste dans la justice.

Les programmes et les discussions qu’ils auraient dû susciter en ont souffert ? Mais les recettes publicitaires s’en sont mieux portées... C’est donc à un stade supérieur de l’information que les chaînes en sont venues : le panel de commentateurs capables de débattre sur l’ombre de l’ombre des faits. Les journalistes ont abandonné la formule sacro-sainte : « venons-en aux faits ». Les faits ont été défaits. Ils ont disparu. Seuls comptent maintenant les gros faits, le "big data". Des faits qui vivent au-dessus des journalistes d’information. Des faits en or massif.

Pour que la publicité ne fiche pas le camp chez Google, Facebook et autres Tweeter, puisqu’on ne peut rien dire de concret depuis que les faits se sont fait la malle, il faut trouver autre chose. Le sport. Le langage du sport va venir sauver l’information de tous les jours. Le sport n’est-il pas de tous les jours ? Le commentateur sportif ne tient-il pas entre ses mains les recettes de la publicité ? Son vocabulaire n’est-il pas parfaitement maîtrise et son auditoire accoutumé à ses "champs sémantiques".

Le journalisme d’information a pris le pli : je ne compte pas le nombre de cas où Macron est "taclé" par Mélanchon. En retour, Macron (dossard "Président") n’hésite pas à pousser les uns au "penalty", les autres dans leurs buts. Comme dans les bons combats de boxe, Marine "dézingue" à tour de bras. Ce qu’il lui est bien rendu par des commentaires "cinglants", fouet à la main, sabre au clair d’un de ses rivaux. La vie est un combat. La vie politique n’est plus qu’un sport de combat parmi les autres.

Disparus, les petits faits nous reviennent en gros paquets : le big data. L’information autonome suit de près l’émergence de la voiture autonome. Encore quelques ratés ?  Google rassemble les éléments de langage, avec les accents rugueux et les accents graves. Les machines qui traitent les grosses données, nous fabriqueront en continu les petits commentaires auxquels les journalistes modernes nous auront habitués.

 


 

Anne Hidalgo ne va pas vite

Anne Hidalgo vient de frapper un nouveau « grand coup ». La vitesse autorisée à Paris n’excédera pas plus de 30 à l’heure ! Il est temps de prendre son temps, nous assène-t-elle en digne héritière du président qui voulait qu’on laisse le temps au temps comme on laisse le vol au vent. Elle s’est donnée cette grande ambition : prendre à bras le corps les flux et les flots pour les dompter. On dit qu’elle s’attaquera bientôt au « high speed trading » et à toutes les ambitions quantiques des ordinateurs qui font de vitesse, big data et gigatetra flops les brouets indigestes qui assassinent les artisans de centre-ville.

Je savourais ma revanche de piéton quand je vis passer, sous mon nez, à toute vitesse, une trottinette électrique. Et là, un peu plus loin, alors que j’avais entrepris une marche forcée, c’était un type monté sur une seule roue, gyroscopique et électrique. Il ne manquait pas d’élégance remarquais-je. Ce qui n’était pas le cas d’un gros ridicule qui tentait de louvoyer avec une planche clignotant de toutes les couleurs.

Mon esprit s’illumina : j’assistais au triomphe de la vitesse moyenne, bien sûr ! Les voitures iront moins vite mais les piétons, enfin équipés, ne ralentiront plus la circulation : tout le monde sera calé sur du 30 à l’heure.

Je me suis baissé à temps : Mélangeons et Chiotti virevoltaient dans un Taxi-Drone et riaient de bon cœur. Les transports volants ne sont pas du ressort de la mairie de Paris.


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