Soliloques sur le Vaste Monde, Novembre 2024

L’enlèvement du petit santiago, un remake de l’enlèvement des Sabines ?

 

Dans la presse française, pour laquelle les valeurs universelles doivent être défendues « quoiqu’il en coûte », on a pu lire cette « Une » : « Enlèvement de santiago: le nourrisson retrouvé en vie avec ses parents aux Pays-Bas ». C’est peu dire qu’un poids énorme, des tonnes sûrement, nous a été enlevé. Ouf ! Tout est bien qui finit bien ! La France peut respirer et retourner à ses passions, l’injure, la violence de l’automobiliste contre le cycliste, le refus d’obtempérer, la viol d’une dame de 87 ans etc. C’est vrai que pendant plusieurs jours, ça n’a pas été drôle du tout : on était, comme qui dirait, coincé entre la vengeance d’Israël et la fuite éperdue de santiago avec ses parents.

 

Il y a des drames, comme ça, qui vous tourneboule tout un pays, toutes les « unes » des journaux, tous les plateaux-télés. Je parle de l’histoire du petit Santiago, évidemment ! pas des bagarres qui ne cessent de durer entre Russes et Ukrainiens, entre Israël et le moyen orient. Je ne parle pas d’elles parce que ça fait un certain temps qu’on nous bassine avec ces histoires incompréhensibles où les anciennes victimes universelles deviennent les nouveaux tortionnaires sans frontières, sans honte ni âme, où on se rend compte que les représentants des riches se battent, à l’air libre contre l’ennemi de l’ombre refoulé dans des tunnels creusés sous les hôpitaux.

 

L’opinion publique (au moins française) s’en lasse et veut sortir de tous ces penchants à la haine, au désir de détruire, à la guerre des civilisations etc. Il faut aller au plus simple. Ne plus se prendre les pieds dans le tapis des illusions occidentales. Il faut faire comme Trump qui ne se prend pas la tête et qui se moque complétement qu’un bébé migrant, Ramirez, né dans la région de fort Alamo ait pris la poudre d’escampette avec une meute de rangers en moto à ses trousses.

 

Cela peut paraître étonnant de mettre en parallèle l’histoire de ramirez (il est sauvé, dieu est grand) et celle de Donald Trump (in god we trust). En vérité, (toujours ma fameuse théorie des signaux faibles) : l’un ne pouvait exister sans l’autre. Donald n’a de sens que si ramirez s’enfuit, légitimant le renversement de paradigme initié par l’ancien-futur président qui pourrait tenir en cette phrase : « l’Amérique ne veut plus courir après ramirez. Que ramirez se débrouille, le marché se prononcera !». C’est donc à ramirez de courir après l’Amérique !

 

C’est choquant ? Pourtant n’y a t-il pas un peu d’empire romain conquérant et universel chez les Américains et beaucoup de Grecs décadents et bavards chez les Européens (qui ont fait beaucoup d’histoires avec Santiago et qui se sont efforcés de transformer cette affaire en tragédie antique) ? En vérité, Donald nous dit « peu importe que Maximus ( cf Gladiator 1) soit liquidé par Commode qui l’a accablé des plus ignobles trahisons : l’empire continue à avancer et les grains de sable ne sauront l’empêcher d’être « magna iterum* ».

 

Ce n’est pas très « politiquement correct » que de convoquer Donald Trump dans le grand débat du changement de paradigme ? Pourtant, ne voit-on pas que la fameuse mondialisation bénigne et heureuse se dissout en particularismes et protectionnismes agressifs et violents ? Le ton du candidat président est vulgaire et injurieux ? N’est-ce pas maintenant le ton à la mode depuis les rapports entre copropriétaires jusqu’aux rapports entre les nations. A qui la palme du renversement des rapports ? A la Russie, où l’injure remplace tous les arguments, où l’Etat-voyou se dépense sans compter en fake-news, en piratages de données et en attentats chez les gentils européens. Aux partis politiques français s’entre-déchirant aux dépens d’une population qui a cru à l’unanimisme et à la générosité olympiques ? Elle, qui se trouve à nouveau plongée dans les remugles d’une assemblée où s’entassent des députés drogués, antisémites, auteurs de violence contre les femmes etc.

 

Le paradigme s’est totalement inversé : d’une société où les valeurs étaient celles de la fraternité, de l’honnêteté et du respect de l’autre, on vient de passer à une société où s’achève la transition de l’individualisme au nombrilisme puis au narcissisme. Une société que Trump a épousée sérieusement.

 

Et, pendant ce temps, la pensée journalistique française et la triste histoire des santiago nous renvoient aux temps où la mort du petit chat illustrait le vide de la société. Mais, là, c’était pour faire rire.

 

* En anglais contemporain: "Great again" 

Donald Trump est-il un fasciste ?

 

Il est parfois de bonnes émissions télévisuelles classiques. La Chaine Parlementaire fait partie de ces fournisseurs qui offrent à leur public des informations vivantes, dénuées de prises à partie grotesques et de tricheries sur les informations. Pourtant, récemment, évoquant des questions cruciales sur la démocratie, on a vu quelques commentateurs s’égarer dans des comparaisons mal contrôlées. Ces dérapages étaient pavés de tant de bonnes intentions que c’était une autoroute qui s’ouvrait vers l’enfer des pensées erronées.

 

Dans cet ensemble de pensées à la va-vite, instinctives, moralisatrices à défaut de pouvoir recourir au doute constructif, j’ai été frappé du « biais » européen quant au fonctionnement des institutions américaines traduisant une forte méconnaissance de ces dernières. On a assisté à l’accumulation d’images d’Epinal où le mode européen de pensée s’autoproclame vertueux pour se donner le droit de juger une société qu’il connait mal.

 

Témoin de ces « biais » : la dénonciation du fascisme de Donald Trump. On ne débattra pas ici des subtilités comparés du fascismes Italiens, de la dictature de Franco, du régime de Salazar pour ne citer que les cas où les dénonciateurs antifascistes sont les plus virulents. On se bornera à regarder certains traits de civilisation institutionnelle américaine et à les mettre en perspective face aux postures des intellectuels « libéraux » et aux impostures des intellectuels dits de « gauche ».

 

Il est utile d’insister sur ces éléments historiques : l’émission à laquelle on a fait référence, n’a pas hésité à montrer une réunion de nazis américains, essentiellement d’origine germanique, à Madison Square Garden en 1939, comme illustration des risques « fascistes » pesant sur la société américaine. Or, à la même époque, des manifestations de nazis britanniques se succédaient, sans que personne ne se soit permis de penser que la Grande-Bretagne « virait hitlérienne ». C’était aussi faire injure à l’attitude anti-esclavagiste des immigrés allemands qui s’enrôlèrent massivement contre la Sécession des Etats du Sud.

 

A quel risque « fasciste » les Etats-Unis sont-ils exposés ? Dans ce pays, probablement celui où on vote le plus souvent, le plus intensément, le plus massivement, l’élection présidentielle n’est pas l’ultima ratio de la vie démocratique.

 

En vérité, ses citoyens sont en permanence appelés aux urnes. Chaque Etat de l'Union élit « ses » représentants, sénateurs, gouverneurs, présidents. Encore n’est-ce ici que le niveau « supérieur ». L’appareil électoral est mobilisé pour les postes plus modestes de procureur général d’Etat, secrétaire d'État, trésorier d'État, etc.

 

Faut-il en rajouter ? Au niveau des 3141 Comtés ont lieu des élections pour les postes de shérif, de commissaire de comté, de procureur de comté. Au niveau des Écoles se tiennent des élections pour les conseils scolaires et les surintendants d'école. Au-dessous du comté, 19500 municipalités sont administrées par un « municipal government ».

 

Ajoutons des élections spéciales : organisées pour combler des postes vacants ou pour des questions spécifiques. Et pour être complet, on rappellera l’existence des Référendums et initiatives sur des propositions de loi, des amendements constitutionnels, ou d'autres questions spécifiques soulevées dans les différents Etats.

 

C’est une source d’infinie perplexité pour les Français que de découvrir que les Américains d’un Etat peuvent être appelés à voter en cochant des propositions listées sur des bulletins pour choisir telle ou telle initiative ou au contraire la rejeter. C’est une autre source d’étonnement que de découvrir que, d’un Etat à l’autre, des dispositions essentielles pour la vie des citoyens peuvent différer, voire être contradictoires. En témoignent les récents cas de l’avortement, de la GPA etc… Pour couronner le tout, il n’y a pas de loi « municipale » aux Etats-Unis qui organise le territoire comme un plan cartésien. Les formes juridiques adoptées par les municipalités sont très variées… remarquons enfin que certaines parties de comté étant gérées par une municipalité, le reste l’est directement par le comté !

 

Notons aussi que la plupart des élections, à l’exception de l’élection présidentielle, se déroulent tous les deux ans ! L’essentiel des mandats est donc remis en cause de façon accélérée. Faut-il en déduire que ce n’est qu’une façade les élus parvenant à se faire réélire sur plusieurs années ? On peut aussi tenir le raisonnement inverse : aucun élu ne peut se prévaloir d’une continuité assurée, tous doivent à intervalles très rapprochés mener campagne pour une réélection.

 

Que conclure de ces quelques informations ? En premier lieu, ce n’est pas parce que le Président change que l’ensemble des élections à tous les niveaux des Etats-Unis s'alignent sur l'orientation du nouveau Président. Il en résulte que le système américain dispose d’un solide bouclier contre les tentatives de « fascisation » tant il est clair que plus un Etat a de niveaux et de quantité d’élections, plus il est difficile de les contrôler toutes de façon centralisée. On notera aussi que cette multiplicité d’élections dont l’existence perdure sur près de 200 ans est justement ancrée dans un esprit d’indépendance voire de méfiance des Américains à l’égard de tout pouvoir central (le pouvoir fédéral).

Enfin, et de toute évidence, cette expression publique de la liberté individuelle est un trait de la psychologie des foules américaines.

 

 


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