Confutatis maledictis
Comment comprendre qu’un musulman s’en prenne à d’autres musulmans, dans la rue, en France, pour le motif qu’ils boivent de la bière ? Comprendre ? Soyons réalistes, ce genre
d’évènement, confinant à la caricature ou au kafkaïen, ne stimule pas du tout, ou pratiquement pas, les efforts intellectuels : une majorité de personnes vivant en France réagira négativement,
d’instinct. L’auteur de ces agressions, doit être puni, éliminé, renvoyé et il doit en être de même pour tous les gens de cette « espèce ». La réaction sera d’autant plus nette et
violente, qu’il s’agit clairement d’une forme de conflit religieux. Or, en France, existe une franche aversion à l’égard des conflits et des guerres de religion qui sont pris pour une des plus
caricaturales manifestations de l’esprit humain. Elle est toujours vivace, plus de trois siècles après qu’elle a été prononcée, cette incantation de Voltaire : « Ecrasons
l’infâme ! ». Infâme étant mis pour Dieu.
A l’inverse, on devine qu’il sera difficile d’essayer d’interpréter, de justifier et évidemment de soutenir l’auteur de cette agression, de lui trouver de bonnes raisons et de justifier son
geste. Essayer de comprendre ?
Dans la circonstance, l’auteur de l’agression vient d’un pays où sa religion est pratiquée avec un maximum de rigueur. Est-il en France parce qu’appartenant à une ethnie hostile au pouvoir d’une
autre ethnie ? Ou plus simplement parce que la France étant un pays riche, il est préférable d’y vivre plutôt que de risquer mourir de faim ailleurs. Dans les deux cas, peut-on en conclure
qu’ayant quitté son pays, il l’a renié ?
Difficile à croire. Il est beaucoup plus probable qu’il est parti en l’emportant à la semelle de ses souliers et dans sa tête. Il n’a pas quitté ce qui l’a fait homme et membre d’une société. Il
n’a pas jeté aux ordures ses convictions d’enfant, ses attachements familiaux, le plaisir qu’il avait de communier avec ses proches dans une même croyance. Il n’en a, en aucune façon, renié ses
exigences, ses enseignements, ses combats.
Imaginons alors comment il peut vivre en France, lui qui, quittant son pays, a emporté comme une bulle culturelle protectrice, étanche et imperméable au monde, au sein de duquel il vit sa
religion. Vivant au sein de l’accessoire parce qu’il faut bien manger, il a gardé ses attaches à l’essentiel dont il est convaincu de représenter les vraies valeurs, celles qui sont à l’abri dans
la bulle, celles auxquelles il doit sa raison d’être.
S’il rencontre en chemin des personnes peu convaincues ou désinvoltes dans la foi dont il se sent porteur, c’est une triple trahison qui le frappe : celle qui l’a conduit dans ce pays
étranger, celle de repères spirituels menacés et celle des tièdes et des apostats. Alors, ayant peut-être résisté longtemps à l’appel de ses convictions, un détail critique, deux bières,
déclenchent un appel à la vengeance, la plus stricte, celle qui est réservée aux hérétiques.
Encore une fois, comment pourra-t-il vivre en France, sans que son parcours ne soit jonché de soi-disant mécréants massacrés au nom de la pureté des convictions ? Il n’y a pas beaucoup de
solutions.
Pensons à celle qu’on trouve dans Orange Mécanique : dans le but de sensibiliser à l’insupportable de la violence et du meurtre l’un des voyous dont le film raconte les aventures, on
l’attache à un siège et, des heures et des heures durant, on l’oblige de regarder des scènes atroces où se succèdent meurtres ignobles, tortures immondes et massacres en tous genres. Il n’en sort
évidemment pas très frais.
Ou bien, on mobilise la compassion sociale, assortie des moyens dont la psychanalyse appliquée abonde. Se déchaineraient ensuite l’amour du prochain, la rémission des péchés et l’appel à la
générosité divine.
Ou bien, on renvoie l’intéressé dans son pays d’origine…
Et, comme le disait Prévert « tout fut à recommencer »
Violences dans l’Empire
L’affaire de
nouvelle Calédonie est malheureusement passionnante. Citons tout d’abord la « vulgate » médiatique. Le bon public doit le savoir, les
« autorités », le « Président » ont tout raté. Comme le résumait un sage (dont les plateaux-télé regorgent), « 40 ans de travail
coopératif, collaboratif, pacificateur ont été comme jetés à la poubelle. C’est un énorme gâchis dont les pouvoirs en place devront rendre compte ». etc
etc
Et il est vrai que depuis 40 ans les pouvoirs publics ont été frappés de cécité. Il est des schémas idiots qui ont la vie dure et qui font des dégâts de
décennies en décennies. L’un, en particulier, sort des vieux cartons de l’Empire français (je mets encore un « e » majuscule) à son déclin. En
résumé : il y a deux communautés dans un territoire d’empire (en français, une colonie), les indigènes ou autochtones, ceux qui étaient là avant et les
autres qui sont arrivés après. Ils pourraient s’entre-tuer au nom des libertés politiques. Pour l’éviter, on avait inventé de maintenir une partition
équilibrée. Par exemple : ils vivront ensemble, s’habitueront les uns aux autres et, qui sait finiront par fusionner démographiquement et tout sera réglé.
Cette idée a connu des modes institutionnels divers : on divise le territoire en deux, dans l’un on met les indigènes, dans l’autre les
« autres ». Il y a plus sophistiqué : dans un territoire montagneux on met les indigènes en haut et les « autres » dans la plaine. Il
y a la version corse : on met les mâles dans la montagne et les femmes sur les rivages. Et il y a la formulation institutionnelle qui a l’élégance de
ressembler à une façon de démocratie parlementaire : le corps électoral est divisé en deux, mais les élus sont les représentants de tout le monde, version
originale du « contrat social » de Rousseau.
Or, de toute évidence, ça ne marche pas. L’histoire de France est pavée de ces bonnes intentions, un peu trop factices, trop souvent caricaturales, qui sont
vite taxées de "colonialisme par d’autres moyens". On pourrait, pour atténuer la responsabilité de nos édiles, citer des exemples étrangers et les catastrophes
humanitaires qui s’en sont suivies. Cela n’a pas beaucoup d’intérêt pour le sujet préoccupant de la nouvelle Calédonie.
Une fois ces remarques faites, il vaut de revenir sur la formule « 40 ans de travail politique fichus en l’air ». Ne devrait-on pas énoncer « 40
ans d’illusionnismes politiques qui se retrouvent par terre ? ». Donc, pendant 40 ans des gens se sont efforcés de régler des problèmes dont ils
savaient d’expérience française et étrangère qu’ils étaient insolubles. Pire, ils ne se sont pas aperçus que durant ces 40 ans le monde avait changé.
Il y a quarante ans… c’était à l’époque du bon Président Mitterrand. Vous vous souvenez surement de ses fameux « Hein ! » qui ponctuaient des
pensées aussi profondes que les flaques d’eau après l’orage. Alors, que s’est-il passé en quarante ans. Je ne vous ferai pas l’injure de vous le dire si ce
n’est qu’il ne serait pas mauvais de se souvenir que lors de la présidence du Président Hollande la France s’est trouvée en face des derniers lambeaux de son
empire, sans l’avoir prévu, sans en tirer les conséquences.
L’Afrique avait, pendant ces quarante années, changé d’« amis » : un nouvel ami diffusait des messages d’amitié et de soutien, la
Russie. La Russie, porteuse d’idées nouvelles et surtout « anti-occidentales »… L’Afrique seulement ? N’y aurait-il pas, ici ou là, des
résidus du vieil empire. Et, il y aurait toujours des idées saugrenues de listes électorales.
Est-il trop tard pour se réveiller en nouvelle Calédonie ? La question mériterait d’être généralisée : est-il trop tard pour se réveiller en
Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à la Réunion ? On dit que la Russie aurait choisi de se concentrer sur ses anciennes possessions européennes et
qu’elle aurait confié à quelques affidés (on murmure Azerbaïdjan) le soin de régler les questions un peu trop éloignées. On dit que ces diverses menées le
sont en liaison avec le désir chinois de développer un empire marin. On devrait dire… que ceux qui pensaient que la France avait bien travaillé pendant les 40
dernières années se trompent lourdement.
Il y a 25 ans, la France, voyant l’empire russe s’effondrer, a choisi le nombrilisme de la consommation et de la mondialisation libérale. Il est temps de
changer de braquet.
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