Oh là là, Paris! C'est la vie !
On raconte toujours Paris comme si la vie n'y avait laissé, tout au long de centaines d’années, que de belles traces,
de beaux bâtiments, de belles gens et de belles lumières. Il est vrai que dans les livres et, surtout, les films, « Si Paris m’était conté », « Les Trois mousquetaires », «
Les mystères de Paris », la ville, en met plein la vue mais n'a pas d’odeur !!!
Or, Paris, pendant des siècles et jusqu'au milieu du XXème siècle, était une zone industrielle à ciel ouvert. On y
produisait des tas de choses, on y accumulait des tas de déchets (y compris humains), on équarrissait, tannait, fumait. On y déféquait et en déversait le produit par la fenêtre des habitations (avec un cri d'avertissement « gare, l’eau »). Tout près du Parc
Monceau, on traitait les métaux, on traitait les surfaces, le plomb, le cuivre. Des fumées nocives s'épanchaient à deux pas des plus beaux hôtels de la bourgeoisie. La Seine était polluée et
ses poissons étaient immangeables. Ses affluents parisiens étaient réduits à l'état d'égouts industriels. La Bièvre voyait passer tous les résidus des équarisseurs, des peauciers, des
tanneurs. Le boulevard Bonne Nouvelle avait été creusé dans des immondices accumulées pendant deux cents ou trois cents ans : l'odeur était telle que personne, même avec les subventions du
Roi de France, ne voulait s'en approcher!
Le Mont Parnasse et quelques "montagnes" parisiennes n'avaient pas d'origine naturelle ! Quelques « vides », des
carrières abandonnées, avaient été converties en dépôts d’ordures. La butte Chaumont, un trou gigantesque, avait été transformée en montagne de détritus, résidus de
matériaux de construction, restes d’équarrissage des chevaux de trait arrivés au bout du
rouleau, accumulation d'ordures etc .
Il est vrai que dans ce monde peu ragoutant, les riches étaient à l’abri dans leurs hôtels, les moins riches évitaient
de se promener dans les rues, et si cela advenait, s’attachaient à occuper le « haut du pavé » pour éviter les éclaboussures des petits égouts qu’étaient la plupart des rues. Le
succès des « passages » parisiens qui se multiplièrent au XIX ème siècle tint à ce que, proprement dallés, ils permettaient d’éviter les fameuses mouches sur les bas blancs, ces traces
de boue récoltées dans des rues mal pavées (ou pas du tout).
Paris a bien changé. On peut inventer un décor de films depuis le moyen âge jusqu’au milieu du
XIX-ème siècle et laisser aller les acteurs et l’ensemble de la production sans qu’ils
salissent leurs souliers ou leurs sneakers. Autrefois, certains quartiers ne pouvaient pas être fréquentés de nuit à peine de mort: le centre de Paris est aujourd’hui paisible et riche.
La Seine a été si bien nettoyée que même les édiles parisiens, la mairesse en tête, songent à piquer une tête dans son eau devenue cristalline et pleine des poissons qui, il y a
3 siècles, faisaient encore la joie des gastronomes. Les filets d’eau puante ne courent plus au milieu des rues. Les saletés et ordures de la ville sont maintenant délicatement
répandues contre les murs, restes de hot-dogs, seringues à but non médical, morceaux de portes et autres résidus plâtreux laissés par les rénovations d'appartement.
Au fond, non, finalement, Paris n'a pas trop changé, j’en veux pour preuve les bruits de la rue, toujours aussi
intenses. Les hennissements des chevaux de traits ont été remplacés par les hurlements des motocyclettes et les explosions des moteurs de gros cubes ; les tonnes de crottin par le fumet des
pots d’échappement. Les quartiers dangereux ne sont plus les mêmes mais ils sont tout aussi dangereux. Le couteau qui avait un temps été rangé dans les placards de cuisine a fait sa réapparition
et sert avec autant de fréquence qu’autrefois. Les débats d’idées sont toujours là, la folie anarchiste a trouvé un remplacement de choix dans les hystéries religieuses. Un changement
cependant : Le pinard ne fait plus recette, on va plus vite dans la défonce avec le crack et autres substances.
Il est de bon ton de nos jours de faire comme si les temps d’avant n’avaient pas
existé. Rappelons pourtant que le Paris d’avant la guerre de 14, celui d’avant Haussmann, celui d’avant la révolution connaissait les fêtes les plus dingues. Au milieu de foules
endiablées, dans les quartiers populaires, les "milords l’arsouille" menaient des bals de folie, que suivaient même les «Brummel» des beaux quartiers. On ne s’en souvient plus. Dommage, ils étaient plus sains que les mannequins sinistres et
compassés des fashion weeks et que les influenceurs qui courent après les gros
sous, entre strip-tease sur internet, propos orduriers et réclames pour botox.
Il est dramatique de penser que le seul journaliste occidental que le tsar Russe a jugé utile de convoquer pour une "monoview" fasse partie de cette cohorte d’américains
pour qui l’histoire humaine se réduit aux comptes-rendus des assemblées générales des Gafam, au déversement de propos complotistes sur X ou sur Facebook et aux grandes manifestations de
l’Amérique profonde des red necks surarmés et sous-équipés en neurones.
Et finalement, cela n’a pas raté : lors du monologue infligé à l’Américain aux dents blanches et à l’allure constipée du monsieur qui veut montrer qu’on ne le prendra pas
pour un minus, le président Russe, conscient de l’inculture de son interlocuteur et prêt à en tirer parti, a donné le sentiment qu’il lui infligeait une longue histoire de l’histoire russe depuis
le célèbre Boris, à l’origine de tout, jusqu’au grand Poutine par qui tout recommence.
Il lui aurait fait comprendre quel grand dessein anime l’âme russe et avec quelle force elle a su élever les peuplades sibériennes sous-développées et contraindre les musulmans
insolents. Il a su lui faire comprendre que la Russie était éternelle et que son Tsar tirait son nom des césars romains dont il était à la fois le continuateur et le rénovateur. Il aura
montré comme les Présidents américains ont été légers face à ses propositions de coopération, comme ils ont été arrogants vis-à-vis d’un pays qu’ils voulaient reconfigurer à la dimension de
la Russie d’il y a trois cents ans.
Belliqueux ? Lui, le Tsar Poutine ? Lui qui a dû faire face aux agressions et aux intimidations de l’occident dégénéré. Ne lui a-t-il pas fallu mettre au pas les
Tchétchènes qui continuaient le vilain boulot de la décomposition territoriale de la Russie « éternelle » ? La Russie ne s’est-elle pas opposée aux fantasmes nationalistes de la
Géorgie en protégeant contre elle, l'alliée sans scrupule des occidentaux, les Ossètes et les Abkases ? Ne parlons pas des Russes dépossédés de leur russitude dans certains pays baltes
et jusqu’aux confins de la Bulgarie et de la Roumanie.
Notre brave journaliste innocent de toutes ces manœuvres hostiles, ne savait-il pas que depuis le traité de Versailles (en connaissait-il l’existence ?) les nations
occidentales se sont acharnées à découper, dépecer, déplacer des territoires et des populations entières. La Russie n’était pas dans le lot ? C’est oublier que ses pertes territoriales
étaient dues aux communistes, complices objectifs de l’Occident. Les Russes, le Tsar Poutine n’a pas manqué pas de le rappeler, dénoncent ces menées spoliatrices et humiliantes qui ont valu à la
Hongrie de perdre populations et territoires. Qui songe à la politique oppressive d’ « Ukrainisation » des Hongrois ukrainiens ? Qui songe au rattachement à la Pologne de
populations typiquement russes ?
La volonté d’anéantir l’empire et ses valeurs a pris toute sa dimension insane lorsque au XIXème siècle, les Etats-Unis ont menacé d’envahir l’est sibérien et l’Alaska, sachant
bien que le pouvoir russe n’aurait pu se défendre dans des territoires aussi éloignés. Le chantage américain a dépouillé injustement la Russie de l’Alaska et de ses populations
traditionnellement russes et orthodoxes.
Victime des menées occidentales, la Russie entend redresser la tête, et redresser les torts, par la même occasion. A la Hongrie, elle rappelle ses droits, à la Roumanie, à la
Bulgarie et à la Moldavie leurs obligations. Quant aux pays baltes, elle les invite à méditer sur leur existence et leur raison d’être.
Dans toute cette affaire, subliminale ou proclamée sur tous les toits, le reporter américain a quand même réussi à obtenir de la part du Tsar des messages de mansuétudes. Il
n’en veut pas aux Ukrainiens, ce sont leurs dirigeants qui sont manipulés par les occidentaux. Il leur dit de considérer la belle harmonie qui règne entre la Russie et la Biélorussie. Voilà une
belle leçon donnée à tous les dégénérés qui ne voient dans la division des peuples que de l’argent à gagner.
Il leur dit, et il le dit au journaliste américain dont le visage coincé parlait plus d’intestins dérangés que de partage d’idées supérieures : la Pologne et les pays
Baltes, la Finlande aussi, n’ont rien à craindre de la Russie !
« читай по моим губам » *
a-t-il insisté.
*« Read my lips »
« Sit lux » ! et la lumière
tremblota
« Si on ne fait pas la grève, on n’aura pas de visibilité ». Cette phrase à elle seule renvoie bien loin dans l’histoire de France : « Si on ne coupe pas la tête du Roi,
personne ne se rendra compte qu’on fait la Révolution ».
Qui pouvait être animé de cette raison raisonnante ? Les aiguilleurs des voies ferrées. Ils voulaient signaler comme la politique en matière d’aiguillage eit déficiente : le
moyen ? Interpeller les députés ? Mobiliser le Sénat ? Lancer une alerte ? Non, définitivement ! Les aiguilleurs se trouveraient dépossédés ; quant aux alertes, le
risque évident, serait de tomber dans le marigot du tout-venant des affaires sexistes, du pinard qui est sucré et de l’augmentation du taux de suicide chez les pédophiles.
Donc, il fallait faire grève à un moment fort, le moment où les Français partent en vacances. Ainsi, les aiguilleurs auraient « la visibilité ». Comme les contrôleurs de la SNCF qui ont
réussi leur coup : 150 000 Français plongés dans les pires tracas. Pendant plus de 15 jours, tous les médias sur le pont et l’Ukraine renvoyée dans les pages des faits divers. De leur côté,
les agriculteurs ont compris que ce n’est pas la capacité de bloquer qui importe, c'est celle de ne pas tout bloquer, mais suffisamment pour que ça se voit. Et comme le ridicule ne tue pas,
les agents de la Tour Eiffel s’y sont mis : motif, les boulons se déboulonnent. Tant pis pour les touristes, tant mieux pour la visibilité !
« Visibilité » est le maître-mot. Oubliez les « prises d’otages », les « chantages aux vacances » ; oubliez tout ceci qui finalement n’a pour but que de
dramatiser et de culpabiliser. Aujourd’hui, il faut être visible, et apparaître dans « un plateau-télé », dans « C dans l’air » ou dans le célèbre « Maizalors,
keskifon ? » de Basil X.
Visibilité ? Est-ce vrai de tout, partout, sur tous les sujets ? Y aurait-il de l’invisibilité qui viendrait contredire cet appel fort à la visibilité ? Y aurait-il des domaines
qu’on préférerait obscurs ? Des crimes qui ne serait que des fautes ? Pourtant, l’invisibilité est encore, de nos jours, une méthode bien rodée, tout spécialement dans le monde de ceux
qui, contrôlant les médias, contrôlent le droit au visible ou à l’invisible.
N’est-il pas frappant que, dans ce moment où les menaces russes sur le monde occidental s’accompagnent d’angoisse et de craintes, certains faits « particuliers », russes parfois, à
peine révélés disparaissent et vite retirés des regards sont rendus invisibles ? Un exemple : le patron emblématique de l’Express, Grumbach n’a été de toute son existence qu’un espion
au profit de l’Union Soviétique. Après 50 ans de trahison, l’affaire vient d’être découverte. Il est légitime qu’elle soit rendue visible. Or, on peut craindre qu’elle retourne dans le monde
obscur d’où elle vient. Pourquoi faire des excès de visibilité ? L’individu devait être un loup solitaire ? Le journal l’Express était « soviet proof ». Tout ceci était connu.
Même Raymond Aron y écrivait ! Et les autres ? Couvertures ou complices ? Passez votre chemin, il n’y a rien à voir ! Ici, à ce moment, voir, c’est être voyeur !
Charles Hernu, ministre de la Défense de François Mitterrand, espionnait pour le compte de l’Union Soviétique depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? Que sait-on des enquêtes lancées
contre tous ceux qui ne pouvaient qu’être trop proches de son influence, de sa position, de ses relations.
Rien ? Pourtant, un homme comme ça, n’était-il pas bon d’être bien avec lui ? Sympathique et ouvert, il savait s’intéresser aux autres… Quand on a un ami de ce genre, de ce niveau, de
cette importance, ne trouve-t-on pas un grand plaisir à travailler avec lui?
Beaucoup le disent : La visibilité serait comme lancer une chasse aux sorcières, pour que tout vienne à la surface. Comme les Américains, il y a près d’un siècle ? Frappons fort: pour les
esprits forts, pour les clercs de gauche, ceux qui écrivent si souvent dans l'Express, la visibilité c’est la censure sous un autre nom.
Les clercs auraient cessé de trahir* ? Ou continueraient-ils à fermer les yeux ?
*Julien Benda, La trahison des
clercs