Soliloques sur le vaste Monde, février 2023

La terre est un disque sans fin

Si on ajoute les touristes, les "SDF", tout ceux qui viennent, et si on retire ceux qui partent, combien de parisiens restent-ils?

 

La terre est un disque sans fin

 

Un ami m’a passé un papier sur le thème « oser l’ignorance ». J’y ai découvert que, pour un nombre impressionnant de Français, les pyramides ont été bâties par des extra-terrestres, que le Professeur Raoult va sauver la France (et accessoirement le monde) avec sa « hydrochloro truc » et d’autres croyances incongrues. 

Ces informations provenaient d’un sondage réalisé en France. « Quand je me regarde, je me désole » … Heureusement, on sait qu’il suffit de se comparer pour se consoler :  les Américains sont aussi nombreux que les Français à penser que les extra-terrestres ont bâti les pyramides (et Stonehenge) de même, les platistes sont aussi nombreux aux Etats-Unis qu’en France.

Platistes ? Le mot est lâché. Ce n’est pas pour frimer. Ni pour engager un débat sans intérêt avec la Ségolène : « là où il n’y a pas d’altitude, y a-t-il de la platitude ? ». Ni pour épater les populations en avançant que le web.2 précède le web.3. Platiste se dit de l’idée selon laquelle la terre n’est pas comme une orange bleue ni comme un ballon de foot. La terre, notre terre, celle sur laquelle nous avons planté nos tentes, n’est pas non plus un cube. La terre, les données de l’expérience le hurlent, est plate. Plate comme une assiette sans bord, comme un disque microsillon ou un CD, comme une sole ou une limande, comme la crépe ou la galette de sarrazin.

Les utilisateurs de TikTok et de Telegram sont les tenants les plus convaincus de cette thèse.
Il est un peu trop facile de se moquer de ces gens qui n’acceptent pas l’idée commune selon laquelle la terre serait un globe. Attention ! les platistes ne disent pas que la terre est plate comme un espace euclidien à deux dimensions. Ils savent bien qu’il y a des montagnes et des gouffres, des pentes et des épaisseurs. Ils disent simplement qu’il n’y a rien de l’autre côté. Ils disent que si, par hasard, quelqu’un s’y fourvoyait il tomberait parce que rien ne le retiendrait. Aux beaux esprits qui s’amusent des risques pris par les gens qui sont sur les bords de l’univers au risque de dégringoler dans le vide, ils répondent que le platisme ne doit pas être assimilé au disquisme : la terre est plate sans limite et, si on veut vraiment utiliser le symbole du disque, on dira que la terre est un disque d’un rayon infini.

Le platisme comporte un message d’espoir et d’optimisme : quand un homme décide d’aller de l’avant, rien ne l’arrête, alors qu’un globiste (un qui croit que la terre est un globe) passerait son temps à revenir à la case départ. Résultat : un sentiment de ratage et de pessimisme.

Les platistes sont résolument ouverts sur le monde et sur les merveilles qu’une nature sans limite réserve à l’homme. Ils se distinguent des bullistes. Sous ce terme on rassemble tous ceux qui sont convaincus que si la terre est un globe, elle est cependant enfermée dans une bulle dont on ne peut pas sortir et qui est intangible.

Au sein des bullistes, une sorte de secte propose une synthèse avec les platistes : la terre serait enfermée dans une bulle (comme les millefiori) elle-même posée sur un terrain plat en pente. Elle dévalerait sans cesse sans que les habitants s’en aperçoivent.

En France, cette idée est très présente en politique. Pour éviter de bouger, les Français se rêvent dans une bulle immobile sans se rendre compte qu’elle dévale une pente sans fin et eux avec.

 


Si on ajoute les touristes, les "SDF", tout ceux qui viennent, et si on retire ceux qui partent, combien de parisiens restent-ils?


Beaucoup de choses ont été dites sur le niveau intellectuel de la maire de Paris. On n’insistera donc pas, ce serait oublier que certains citoyens sont protégés non pas seulement pour leurs fonctions et ce qu’elles ont de public mais aussi parce que tout le monde ne peut pas prétendre à réussir le concours de l’ENA ou même celui de polytechnique et que ça, on ne s’en pas toujours compte, c’est une souffrance qui mérite, comme toutes les grandes douleurs, respect et compassion. Il faut se souvenir que Bouvard et Pécuchet regrettaient amèrement de n’avoir pas pu consacrer le temps nécessaire à l’acquisition de connaissances scientifiques de haut niveau*.

Donc, nous ne ricanerons pas sur les manques de la maire de Paris. Elle nous a montré à de nombreuses reprises qu’elle faisait de son mieux : en témoignent les édiles de Kiew à qui, dans le cas où ils envisageraient de reconstruire leur ville, la maire de Paris avait suggéré de concevoir très en avance la circulation des vélos et des trottinettes.

Donc, nous nous interdirons de nous moquer de son projet de «dédensification» de la capitale. Tout d’abord, reconnaissons que dans le marais un peu glauque des projets à visée sociale, celui-ci semble atteindre les objectifs fixés : la ville-lumière a en effet perdu plus de 120.000 habitants en dix ans selon l'Insee. C'est une belle réussite qui répond à « une vraie nécessité, pour qu'on puisse mieux vivre à Paris ».

La maire de Paris, bien qu’ibérique de culture, a su se mobiliser de belles pages de la littérature française et y trouver des arguments en faveur de la dédensification : installer les villes à la campagne fut une idée maîtresse d’un de nos grands auteurs. Que faire cependant si les villes ont déjà été construites ? La réponse, notre Mairesse nous l’a apportée dans toute sa simplicité : on dédensifie.

Il est vrai que Paris est très densément peuplée : la plus belle ville du monde fait partie des 10 premières villes en tête du palmarès mondiale de la densité. Et même, le XVIIème arrondissement aurait le privilège de faire partie des zones urbanisées les plus intensément habitées du monde, juste après Shangaï.  Je n’en suis pas peu fier, natif de cet arrondissement et y demeurant depuis, je me suis toujours considéré comme un paysan de Paris.

Dédensifier, certes, voilà le projet.  Prenez garde à ne pas confondre avec le travail du plombier : dédensifier n’est pas déboucher. Pourtant, dans l’idée de la maire de Paris, il s’agit pour le bien-être des parisiens, de dégorger leur surplus, de vidanger en quelque sorte et d’évacuer les résidus de cette opération vers d’autres lieux en mal de densité (car, s’il y a des villes trop denses, d’autres ne le sont pas assez, que, pour cette raison, on nomme villages).

On notera aussi que pour la mairesse de Paris, dédensifier c’est aussi trier et se débarrasser de ce qui bouche et de remplacer par ceux qui bougent. Dédensifier c’est donc déboucher et enrichir Paris par l’arrivée de nouveaux parisiens. 110 nationalités sont maintenant présentes, diverses au point que le Suisse austère côtoie l’Afghan compliqué.

Dédensifier serait-ce remplacer ? Oser cette question dénonce son auteur car, bien au contraire, la maire de Paris ne cesse de dénoncer les vidanges excessives. Ces arrondissements du centre de la capitale, vidés de leur populations et remplacés par des habitants intérimaires, les « touristes » qui paient le prix fort pour le plaisir de vivre au sein d’une ville si conviviale parce que si dense. Il n’est pas nécessaire de procéder à la vidange de ces parisiens à temps partiel, le processus de dédensification est automatique et autonome. Ce qui est vrai au centre, ne l’est pas aux limites de la ville, porte de la Chapelle, par exemple. On assiste ici et là, à des tentatives de redensification involontaire.

Autrefois, nos bons rois dans leur sagesse ne disaient-ils pas : qui vient paye un peu, qui reste paye beaucoup.
 
Il (bouvard) déplora son ignorance et même regrettait de n’avoir pas été, dans sa jeunesse, à l’Ecole polytechnique.

 


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