- Performances Allemandes et éclatement de la zone euro (paru dans le Huffington Post mars 2017)
- La peur de l’inflation est-elle un trucage allemand ?
- Lorsque les dirigeants allemands s’écrient « tous pour un… »
- Trop bon l'Europe pour les Allemands (paru dans les Echos en septembre 2010)
- Un bref essai sur l'histoire de l'Allemagne en deux parties
- L'Allemagne est-elle un trou noir en deux parties
De temps à autre, les Français sont pris d’un petit coup de spleen. Et si on en revenait aux bons temps de l’inflation ? Et si, on laissait les prix déraper un peu, chaque année, pas beaucoup, mais quand même un peu, en sorte d’alléger les dettes des particuliers, en sorte de donner un coup de pouce à la valeur des actifs ?
La grande souffrance allemande de l’inflation
Ceux qui rêvent de cette inflation-là, oublient que l’échelle mobile des salaires qui était quasiment la règle, donnait un bon coup de main à l’inflation. Ils ne souviennent plus que l’inflation n’est que le reflet d’un refus de choisir, c’est-à-dire d’identifier des domaines où il faut se restreindre pour faire en sorte que les autres, porteurs d’avenir, s’épanouissent le plus vite possible. Ils veulent oublier que l’inflation de nos jours ne s’exprime plus sous la forme d’une hausse générale des prix mais sous celle d’une hausse de certains prix : ceux des actifs. Les bulles immobilières, internet, sur les produits dérivés, sur les matières premières sont devenues la forme moderne de l’inflation. Et comme les changes sont sous contrôle, qu’ils soient maintenant figés ou unifiés ou encore à marge de fluctuation restreinte, l’inflation si on en venait à la « relancer » n’aurait probablement pas l’allure qu’elle avait autrefois. Elle serait peut-être plus pernicieuse et dangereuse que plaisante et enrichissante !!!
Parmi les peuples les plus hostiles au retour de l’inflation, l’Allemagne est un cas à part. Le refus de l’inflation prend chez elle les aspects des guerres de religion. En général, lorsque le sujet de la monnaie est évoqué, lorsqu’un « non-allemand » se met à penser tout haut au sujet de l’inflation, c’est dire lorsqu’un expert ou un non-expert se prend à évoquer cette idée toute simple « qu’un peu d’inflation »… « Pourquoi pas ? », « et si on y pensait un plus fort etc »… tout Allemand normalement constitué se lève et, après un moment de recueillement, après avoir mûrement réfléchi, lance, que l’Allemagne a payé un lourd tribut à l’inflation. Il continue avec des accents si émouvants que tous ceux qui étaient là à deviser sur un possible retour de l’inflation, se prennent à l’écouter, se taisent donc, sentent leurs yeux s’embuer, sortent leurs mouchoirs ou s’écartent un instant pour étouffer un sanglot.
Vous pensez que l’auteur en fait trop ? Vous imaginez que les Allemands ne sont pas émotifs et passéistes à ce point ? Vous avez envie de dire « nous aussi on a eu nos expériences d’inflation ! Et on n’en fait pas un plat aussi triste ». Vous aussi vous battrez le rappel de vos expériences, même si vous ne les avez pas vécues et il vous souviendra que l’inflation, dont on disait qu’elle était dans la nature des Français, ne leur a finalement pas fait trop de mal. Vous aimerez montrer à cet Allemand en larmes que nous avons eu les frasques financières du célèbre Laws et, plus près de nous, les Assignats avec leur cortège de têtes coupées. On ne vous écoutera pas. « La Grande Inflation Allemande» est à l’origine de tous les maux de l’Allemagne de l’après-première guerre mondiale. Elle a massacré « Leurs Classes Moyennes » paisibles et travailleuses. Et si Hitler vint, vous répétera-t-on, ce fut la conséquence directe et immédiate de la Grande Inflation. Monstrueuse elle était, il en est venu des monstruosités. Donc, la grande Désolation de l’Allemagne, cette atroce inflation continue à hanter l’esprit allemand, pire que le ravage du Palatinat par les armées de Louis XIV : « plus jamais ça » ! nous disent-ils d’une voix toute pénétrée d’anxiété ! Plus jamais de banque centrale qui produit des billets sans limitation pour faire face aux dépenses de l’Etat. Plus jamais ce spectacle honteux de billets surchargés parce que l’inflation est telle qu’on n’arrive plus à produire la monnaie en suffisance !
Tout ceci n’est que de l’histoire finirez-vous par protester ! Et vous auriez raison. Qui a entendu les Français pleurer la dissolution de l’Union Latine, machine monétaire qui avait réussi à traverser plus d’un demi-siècle d’histoire tourmentée ? Pourtant l’hyperinflation allemande continue à impressionner. Il suffit de se rapporter aux discours de Jens Weidmann, le Président de la Bundesbank. Son opposition à une politique de relance économique via l’injection de liquidités de la Banque Centrale Européenne, n’est pas ni une simagrée, ni une feinte. Il n’en veut pas et n’en démord pas. Au nom des souffrances d’une « classe moyenne sinistrée », au nom d’une défense tatillonne de la démocratie.
L’hyperinflation, un truc des allemands pour faire oublier le reste !
Elle finit par devenir une curiosité intellectuelle cette peur de la grande inflation pour deux raisons au moins. La première : quand on interroge les Allemands on s’aperçoit que majoritairement, ils ne s’en souviennent pas ! Les Allemands auraient-ils la «mémoire courte»? Pourquoi agiter «l’hyperinflation» si cela n’émeut plus que des intellectuels cacochymes ou des économistes retardataires. La deuxième raison, c’est que les victimes de la grande inflation ont été les classes moyennes, celles qui supportaient le plus activement la politique du Kaiser. Celles qui croyaient fermement que l’Allemagne pourrait gagner cette guerre-là et payer les dettes contractées pour la mener par le même moyen qu’en 1871 : en faisant payer les pays vaincus… la France au premier chef ! Hélas, la politique du Kaiser tomba à côté de la plaque !!! Et la classe moyenne fut emportée par l’hyper-inflation dont l’origine « technique » est tout bêtement que l’Empire Allemand n’avait pas les moyens de sa politique guerrière.
Cette insistance déployée par les plus hautes autorités allemandes à « se souvenir » des morts économiques devrait faire tousser plus d’un Européen ! Comment ! Les Allemands veulent nous enchaîner à leur histoire (avec un petit « h » tant celle-ci est médiocre). Ils prétendent imposer à l’Europe un mode de pensée qui trouve ses racines dans une Allemagne souffrante. L’inflation est mortelle nous disent-ils : pensez qu’elle a fait venir Hitler et les malheurs qui s’en sont suivis. C’est pousser le bouchon vraiment très loin ! Les fameux événements horrifiques sont plutôt à mettre au débit de la politique d’austérité lancée 10 ans plus tard pour lutter contre les effets de la crise de 1929 et qui provoqua une explosion du chômage : 6 millions de chômeurs avant les élections qui conduisirent les nationaux-socialistes au pouvoir. Attribuer ce phénomène à l’hyperinflation, c’est mettre entre parenthèses 10 années de vie politique et économique. C’est occulter qu’Hitler est le sous-produit du chômage de masse voulu et organisé par la malheureuse «classe moyenne» !
La question qu’on doit se poser est alors: d’où vient cette obstination dans l’erreur historique ? S’agit-il d’une de ces tentatives dont ne sont pas chiches les Allemands pour expliquer leur politique catastrophique par des événements dont ils n’avaient pas la maîtrise, par des séismes économico-politiques au-delà de leur contrôle, en d’autres termes pour s’exonérer de leurs responsabilités ? Ils souffrent atrocement aujourd’hui d’une angoisse et allergie anti-inflationniste contractée il y a … 90 ans. Ou bien faut-il y voir une façon, inélégante, de chercher à faire oublier les désastres qu’ils ont causés, Allemands en chair et en os et pas seulement par des idées abstraites… et nauséabondes: à répéter sans cesse que cette affreuse inflation a été à l’origine des désastres de «l’après Première Guerre Mondiale», c’est-à-dire ceux de la Seconde, on finira bien par y croire. Einmal !
Vous auriez envie que cesse ce qui tourne à une sorte de radotage ? Rien n’y ferait. Vous pourriez même vous attirer le reproche de vouloir retirer à l’Allemagne la beauté romantique d’une destinée ravagée !
Alors, si un Allemand vient larmoyer sur les risques inacceptables de l’inflation, sur la souffrance qui s’ensuivit et qui est demeurée inscrite en lettre de feu dans la conscience collective allemande, faites-lui simplement remarquer que les Français ont la politesse de ne pas rappeler en permanence que pendant cinq années la France a subi un pillage systématique de ses ressources économiques, agricoles et humaines avec des conséquences autrement plus dramatiques. Pour exemple : l’indemnité versée par la France à l’Allemagne s’élevait à 400 millions de francs par jour, l'équivalent de 4 millions de salaires journaliers ouvriers. La moitié du budget de la France !
Vous risquez simplement qu’on ne vous trouve pas convenable et vous pourriez même être accusé de ré-enfourcher ces vieilles idées de responsabilité encourue par l’Allemagne, dont la création de l’Europe, démocratique et occidentale, a fait table rase. L’Allemagne est un modèle, n’est-ce pas ?
C'est une vieille chronique. Elle est parue dans les Echos en 2010, le 9 septembre. Elle n'a pas pris une ride. Malheureusement?
« C’est la contagion qui scelle le destin d’une théorie en sciences sociales, pas sa validité ». Cela devient une banalité contagieuse. L’Allemagne, modèle insigne ! Allemagne qui fait toujours tout bien ! Cette Allemagne qui a su maîtriser ses coûts et a mené une politique constante de rigueur et d’austérité sur les dix dernières années. Allemagne du consensus viril entre Syndicats responsables et Gouvernements qui voient loin. Allemagne décomplexée qui n’oublie pas les millions de morts de la Shoah et la folie de la guerre, et aussi, Allemagne d’aujourd’hui dont les enfants savent qu’ils n’y sont pour rien. Allemagne, dont les succès économiques sont un modèle, pour les Français en particulier, qui, fermés dans leurs jeux politiques puérils, dans leur incapacité à grandir et à choisir, se réfugient dans les facilités de l’Euro, des chèques qu’on tire finalement sur l’Allemagne, sur sa richesse et son heureuse contribution à une monnaie commune presque solide.
Elevons des autels en l’honneur du modèle allemand.
Louis XIV disait à Molière "n'irritez pas les dévots, ce sont des gens implacables". La France laïque a réussi à se réinventer des religions et à ériger des autels parmi lesquels ceux des dévots admirateurs du modèle Allemand. Et il est vrai qu’ils sont implacables. Pas un mois, pas une semaine sans qu’une cérémonie, un sacrifice sur l’autel des mérites germaniques, se déroule, à notre consternation la plus totale. Ils se répandent en « flectamus genua », en gémissements de flagellants et en protestation de vertu pour mettre en valeur nos défauts hideux et notre persistance dans la mécréance économique, financière et sociale.
Il faut dire que les clercs en Modèles Etrangers ne peuvent plus défourailler sans limites. Et s’il prend à quelques diacres de lancer encore « chaque fois que j’entends le mot France, je sors mon modèle étranger », on doit reconnaître que les jappements de la presse Murdochienne sont moins bruyants. L’effondrement des folles idées (pardon… il faudrait dire des modèles) financières et bancaires américaines et anglaises a sérieusement calmé ce genre d’enthousiasme. Ceux qui clamaient que la France n’était au mieux qu’ « un pays soviétique qui avait réussi », ont dû rabattre de leur superbe. Tous les modèles n’ont pas tenu le coup. Seul l’Allemand est là, debout, solide et vénéré.
Le modèle allemand : une illusion d’optique
Eh bien non ! Il n’y a pas de modèle allemand. A moins qu’on veuille faire croire que la France de la Belle Epoque était un modèle. A moins qu’on veuille faire l’apologie des économies de rentiers ou qu’on s’emploie à féliciter les gros malins, capteurs d’opportunités et rouleurs de mécaniques.
Ne laissons pas les évidences de côté : sur les 10 dernières années, la croissance française et la croissance allemande ont été à peu prés équivalentes. Autre évidence : l’attrait de la France pour les investisseurs étrangers, et pas seulement ceux qui veulent investir dans la pierre, ceux aussi qui veulent créer des usines, des centres de recherche, des sièges sociaux.
Ensuite, tordons le cou à une idée qui court comme le furet des contines enfantines : l'Allemagne est bonne et responsable, car, en vrai rouleur de mécanique, elle pourrait fort bien se passer de l’Europe et, donc, de s’en séparer. Bien sûr il faudrait que l’égoïsme la saisisse ou que son altruisme se trouve épuisé par les abus de commensaux indélicats (dont évidemment les Français). Lâchons le gros mot : L’Allemagne pourrait quitter l’Euro. Or, n’est-ce pas à l’Allemagne, à sa puissance industrielle, à son économie réelle, solide et durable, que l’Euro doit de conserver quelque valeur ? Ce ne sont ni quelques Iles Grecques, ni les palais florentins et leurs collections de sculptures gréco-romaines, ni le « gai Paris » et ses millions de touristes qui peuvent ancrer la monnaie européenne dans la réalité économique d’aujourd’hui.
Comme l’Euro est agréable et doux à l’économie allemande !
Trop faciles ces arguments ! Et faux ! Archi-faux ! L’Allemagne profite au maximum de l’Euro, comme elle a profité de l’Europe lors de l'absorption de la fameuse « partie Orientale ». Qui se souvient que les Européens ont dû subir une fantastique hausse des taux d’intérêts pour permettre aux Allemands de l’Ouest d’offrir sur un plateau leur Deutsch mark aux Allemands de l’Est ! Que se passerait-il, à l’heure actuelle si l’Allemagne quittait l’Euro ? Passons sur les différents aspects réglementaires, politiques etc. de ce coup d’éclat. On dira simplement que, puisque l’Allemagne, selon les clercs en modèles étrangers, est le modèle des modèles, comme Zeus est le Dieu des Dieux, le nouveau Mark exploserait et monterait au ciel, comme un vulgaire Yen japonais. Evidemment, ce serait un coup sérieux porté à la compétitivité allemande. Ses exportations prendraient une autre allure ! Mais non, s’écrieront les diacres en modèle allemand, les exportations allemandes portent sur des biens qu’ils sont les seuls à fabriquer avec tout le sérieux et la compétence qu’on leur connait…. Bien sûr, bien sûr ! Allons, les seuls fabricants au monde de machines-outils sont les Allemands, les seuls fabricants de voitures et de camions haut de gamme sont les Allemands. Plaisanterie que tout ceci, et aveuglement. Les Japonais ne sont pas mauvais, mais, leur monnaie est trop forte, les Chinois s’y mettent et les Indiens suivent.
Grâce à tous ces pays de l’Union Européenne qui n’ont rien compris et qui se laissent aller aux délices de l’endettement public, l’Euro flageole et n’est plus ce concurrent que les Etats-Unis redoutaient. Il s’affaiblit, pas autant que la livre, certes, mais ne tout cas il ne caracole pas. Et çà c’est bon pour les exportateurs allemands. Alors, imaginer que les Allemands voudraient se désarrimer de l’Euro et, peu ou prou de l’Europe, est un songe creux.
Les autels vont chuter, le modèle Allemand est bancal !
Il faut cependant aller plus loin. Disons-le en peu de mots : le modèle allemand est bancal, il est surfait et surtout il n’est durable en aucune façon. En regardant loin, ce soi-disant modèle est une machine infernale lancée contre l’Allemagne et, par voie de conséquence, contre l’Europe. Pour faire bref : L'Europe, pour les Allemands, c'est l’équivalent d’une rente et l’assurance d’un revenu minimum garanti.
La structure démographique de l’Allemagne et les tendances qui s’inscrivent dans le prochain quart de siècle conduisent nécessairement à relativiser le fameux modèle et à faire vaciller les colonnes du temple que ses adorateurs lui ont érigé.
Résumons un peu : la population de l’Allemagne régresse chaque année et, avant le milieu de ce siècle, sera revenue au niveau de celle de la France. La population active est stationnaire depuis une quinzaine d’années à l’inverse de celle de la France. La conséquence logique est que la part de la population âgée progresse à forte allure. Tout ceci est connu, ainsi que son corollaire, l’augmentation de l’immigration en Allemagne.
Il faut en tirer aussi quelques conséquences évidentes qui auront le mérite de définir plus précisément les conditions réelles du fonctionnement du fameux « modèle ».
Un point mort artificiellement abaissé.
Le point mort de la machine économique Allemagne est artificiellement abaissé. Il est clair qu’une démographie en berne, ce sont des milliards d’euros d’économie. Milliers d’écoles qui ne sont pas nécessaires, milliers de lits d’hôpitaux, médecine néo-natale, post-natale, maternités qui ne s’imposent plus, milliards de transferts de revenus en faveur des familles qui n’ont pas à être mis en place, milliards d’investissements en logements, en équipements publics en tous genres…
Mais l’impact ne se mesure pas seulement à l’égard du coût, fonctionnement et investissement, que représente la croissance démographique, il se mesure aussi sur le marché du travail. Une économie qui n’est pas confrontée à la progression de sa population active se préoccupe moins de la création d’emploi ! Obtenir des succès dans la lutte contre le chômage n’est plus très difficile. C’est l’inverse lorsque le dynamisme démographique se traduit par la croissance ininterrompue de la population.
C’est en ce sens que le « modèle » allemand est bancal : le point mort de l’économie allemande n’est pas abaissé par une action intelligente sur les conditions de formation des revenus et des coûts, mais en raison de la défaillance d’un des éléments clefs de l’avenir d’un pays. La situation est caricaturale à ce point que dans cette économie, à point mort abaissé, les gast-arbeiter, sont à proprement parler une variable d'ajustement.
Alors, y-a-t-il un divin modèle Allemand ? Ou une machine qui, continuant sur son erre, va conduire l’Allemagne en enfer ? Déjà les autorités allemandes s’inquiètent du niveau de la population active. Le modèle allemand pour survivre doit, depuis longtemps, compter sur un apport de main d’œuvre étrangère. Bientôt, caricaturalement, les retraités allemands dépendront pour leur survie des gast-arbeiter, Turcs, Kurdes et sûrement Polonais, ainsi que de quelques slaves du Sud…et de Français pourquoi pas ?
Les seniors allemands verront-ils tout cela ? Peut-être pas ! Les retraités allemands se seront installés en Europe, ou ailleurs, selon leur niveau de vie : Les riches en France et Italie, puis, plus modestement, en Espagne et au Portugal, les autres en Croatie, au Maroc… ou ailleurs ! Ils y stimuleront la consommation locale !
L’Allemagne des rentiers fera pendant à la France de la Belle Epoque quand elle importait des Italiens, des Belges et des Espagnols.
Les matières noires, les forces noires, les trous noirs sont maintenant des concepts ou des images banals. On sait qu’il y en a partout. On ne sait pas de quoi c’est fait, mais, en Physique, tout au moins, promis, juré, on le saura bientôt : le boson, le fameux Boson de Higgs qui se cachait n’a pas tenu longtemps. Il a fini par se rendre.
L’Allemagne se rendra-t-elle ?
On ne parle pas de guerre ici. C’est de monnaie, d’argent, de flux monétaires qu’il s’agit. L’Allemagne est-elle, vis-à-vis de l’Europe, un immense trou noir monétaire ? Rappelons rapidement, pour ceux qui ne vivent pas au rythme de la musique des particules, qu’un trou noir est un phénomène physique dont la puissance gravitationnelle est telle qu’il absorbe toute matière qui se trouve dans ses parages, y compris la lumière. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on le nomme « trou noir ». L’Allemagne a-t-elle les caractéristiques d’un trou noir dans la sphère monétaire ? Siphonne-t-elle tous les flux et particules monétaires qui viennent à l’approcher? Et surtout, les ayant siphonnés, les fait-elle disparaître ? La monnaie aspirée ne se retrouverait plus nulle part et, en tout cas, pas chez ses voisins et associés dans l’UE et dans la Zone Euro.
Le trou noir « allemand »
Revenons sur les faits. Enquêtons. Il y aurait donc de l’argent qui aurait été attiré par l’Allemagne et qui aurait disparu !
- La première, la plus évidente, tient à la balance commerciale de l’Allemagne. Les Allemands sont les champions d’Europe, et probablement du monde, des exportations. La machine à exporter qui a toussoté en 2008 et 2009 s’est remise en marche et fabrique de l’excédent commercial à tour de bras. Preuve que l’Allemagne est très forte ? Pas vraiment ! Preuve surtout que ses voisins ne le sont pas, puisque l’Allemagne réalise 80% de son excédent commercial sur ses amis de l’Union Européenne. Ne concluons pas tout de suite. Constatons.
- La deuxième, moins facile à comprendre, tient à une curiosité : « les Réserves de devises en Euro». L’Euro est partagé par 17 pays indépendants. Dans le domaine international, monnaie de la première zone économique mondiale, l’Euro est nécessairement une monnaie de réserve. Les banques centrales étrangères en accumulent pour assurer et faciliter le commerce et les investissements de leurs ressortissants avec la zone euro et procèdent à des achats de créances « euro » sous forme de dépôts dans des banques, d’obligations et de titres privés et souverains. Dans la vraie vie, celle de tous les jours, ce sont les obligations d’Etat allemandes qui ont la préférence. C’est dire qu’un pays hors zone euro dont le commerce serait essentiellement constitué de flux d’importations et d’exportations vers l’Italie maintiendra des réserves utiles en Euro via l’achat de titres allemands ! Plus le commerce avec l’Italie se développerait, plus la demande de titres allemands s’élèverait ! (et plus les taux d’intérêts allemands baisseraient !!!). Ainsi, l’Allemagne siphonne-t-elle les capitaux qui vont constituer les réserves en Euro.
- La troisième disparition est la version « intérieure (à la zone Euro) » de la seconde. Sous les effets de la crise, l’espace monétaire Euro a subi de très profondes distorsions. Un espace monétaire unique, c’est-à-dire au sein duquel ne circule qu’une monnaie et une seule, devrait se comporter comme un système de pipe-lines. Les banques formant des interconnections aux carrefours de ce système, transmettant les flux ou les réorientant, les accélérant ou les ralentissant de sorte que jamais, il n’y ait de surpression, de goulets d’étranglement ni surtout de cloaques où les flux de capitaux se retrouveraient perdus, stagnants et croupissants. Or, la crise a mis en cause ces fameuses interconnections. Les unes ont montré des fissures, les autres ont pété. Leur rôle est maintenant mal rempli par des interconnections affaiblies, dont les performances sont contestées… Le marché s’est fragmenté en raison des doutes accumulés sur le bon fonctionnement et la solidité des banques. En conséquence, les flux interbancaires, « la liquidité », finit par se retrouver dans les circuits bancaires allemands et ultima ratio dans les comptes de la Bundesbank qui, miracle du système Target, est devenue la créancière principale de la BCE… Si on voulait faire de l’humour, on dirait que l’opposition de l’Allemagne à la mutualisation des dettes a été contournée.
Les Allemands détournent-ils les flux ou raflent-ils la mise ?
Ces trois causes de disparition de la monnaie commune pourraient être prises comme on a tendance à le faire depuis qu’il est du plus grand chic d’être germanolâtre : les Allemands sont très bons, tant pis pour les minus d’à côté. Les meilleurs gagnent et les conséquences sont normales : c’est à eux que vont tous les flux monétaires. En langage de trader de base : ils raflent la mise !
Malheureusement, ce n’est pas comme ça qu’on joue la question des grands équilibres économiques et c’est encore moins de cette façon qu’on traite les questions d’une union monétaire et économique. Disons les choses directement : cette Union n’a pas été constituée pour devenir un champ encore plus clos qu’auparavant de batailles, économiques ou non, avec des gagnants qui enfoncent les autres ! A ce compte, on se demanderait bien pourquoi la France déverse tant d’argent sur la Corse et au nom de quoi on fait payer à l’Ile de France sa richesse et sa capacité d’attraction.
Il faut bien peser les conséquences qui résultent de ce trou noir monétaire. Ils sont plus sournois et complexes qu’on veut bien imaginer.
- Le surfinancement de l’Allemagne par le moyen des réserves en Euro devient à lui seul la démonstration de la nature perverse de la monnaie unique : les Allemands profitent de la profondeur économique européenne qui attire les opérateurs étrangers et en détournent les avantages en dévalorisant les institutions de leurs voisins.
- Le détournement du fonctionnement de l’espace monétaire européen vers les institutions bancaires allemandes constitue un avantage fourni à ces dernières dans des conditions totalement douteuses : les Banques allemandes sont fragiles, leur fonctionnement est opaque, elles ont été touchées par les pratiques les plus contestables. Ce détournement n’est pas encore un hold-up mais en cas de krach bancaire allemand les choses auraient une autre allure !
- La balance commerciale allemande a longtemps fourni à l’Allemagne des ressources quasi-keynésiennes aux frais de ses voisins : la croissance allemande «d’avant la Crise» y avait trouvé des stimulants à bon compte. Or, ça ne marche plus ! Le solde de la balance commerciale allemande ne se retrouve pas en enrichissement des Allemands, ni en pouvoir d’achat, ni en croissance économique. Les derniers chiffres allemands sont tout sauf admirables, même si c’est mieux que dans les autres pays de la zone Euro.
Un trou noir en physique, non seulement aspire toute la matière qui se trouve dans sa proximité, mais aussi l’anéantit. Il est donc naturel de s’interroger face au trou noir monétaire qu’est l’Allemagne: ces flux monétaires, ces masses d’argent sont-ils détruits ou vaporisés ? Ou sont-ils détournés au sens le plus simple du terme, celui où des intérêts privés viennent prévaloir sur l’intérêt général, y compris à l’encontre des citoyens allemands eux-mêmes.
Qui s’accapare ces flux d’argent détournés ?
Les statistiques viennent de tomber. L’Allemagne, mighty Germany, Popeye Européen aux beaux bras musclés, vient encore d’époustoufler le monde : son excédent commercial vient à nouveau de montrer que les meilleurs sont vraiment les meilleurs et que les Allemands quand ils sont meilleurs sont les meilleurs des meilleurs. Il y aurait de la jalousie là-dedans ? Nous autres Français, conscience du monde, lumière des peuples, fanal qui écarte l’innocent des rochers de la concussion et du dévoiement des politiques, nous ne serions pas reconnus ? Nous serions écrasés par les chiffres trop beaux de boutiquiers en culotte de peau ? Il y a probablement de cela… Mais il y a quand même autre chose.
La force des Allemands : des voisins impuissants
On ne répètera pas les arguments qu’on a déployés sur plusieurs contributions quant à la façon très habile dont ont usé les Allemands pour gérer société, économie et population entre ces années sombres, il y a 15 ans, où leur pays était l’homme malade de l’Europe et ces cinq dernières années où règne en maîtresse la doctrine rigoriste de Wolfgang Schäuble. Les Allemands ont admirablement bien géré leur propre génie et l’impéritie de leurs voisins. Plombés par une réunification bien moins heureuse qu’attendue, par une économie sociale de marché coûteuse et inefficace et par des coûts économiques effaçant toutes les vertus de la fameuse « deutsche Qualität », ils ont réussi grâce aux lois Hartz, grâce à une démographie désastreuse, et à une exploitation systématique de l’effondrement de l’Union Soviétique à renverser les tendances.
L’épisode économique n’aurait pas été aussi brillant si, dans le même temps, la fin de la Guerre froide aidant, leurs voisins, libérés et subventionnés par l’UE ne s’étaient pas mis à consommer et si les vieux alliés ne s’étaient pas laissé aller à, enfin, en profiter : et la France, par exemple, de se lancer dans les 35 heures pendant que les Allemands les supprimaient. Il ne sert de rien de répéter que les Allemands ont su mener une déflation des coûts publics et privés pendant que tout autour d’eux l’appétit des pays pauvres pour les belles bagnoles leur en fournissaient les moyens et que les pays riches, cigales de comédie, leur apportaient leur pouvoir d’achat. C’est fait, les chiffres le crient. On ne peut pas les effacer !
Car on ne peut pas effacer que la situation de l’Allemagne vis-à-vis de ses voisins se résume à deux chiffres : 70% du commerce extérieur allemand est dirigé vers l’Europe. Plus des deux-tiers de la balance commerciale allemande et ses excédents viennent de ses voisins directs !!! La puissance allemande c’est donc la faiblesse européenne. Les Allemands continuent à rater la conquête du monde et faute d’avoir des grandes visions se contentent de fricoter avec leurs minus de voisins. Faut-il gémir à ce constat ou essayer de réfléchir à son sens profond ? Faut-il condamner l’Allemagne pour « abus d’excèdent commercial et recel des comptes courants positifs y attachés » ou bien s’interroger sur un acteur économique surpuissant dans un espace économique de concurrence imparfaite.
Déformation des espaces économiques : le risque de l’explosion
Lorsque lendemain de la seconde guerre mondiale les économistes français s’interrogèrent sur la façon dont on devait « organiser » la croissance économique et le bonheur des Français, un livre vint secouer les classiques certitudes des libéraux purs et parfaits : « Paris et le désert français ». Paris et sa région siphonnaient les richesses françaises, les compétences, les entreprises, la recherche, les universités. L’Etat, donnée dominante socialo-économique française, était à Paris tout en haut de cette pyramide d’accumulation de richesses matérielles et immatérielles. C’était insupportable, contre-productif, sans avenir : il fallait absolument réagir, il ne pouvait plus être question de laisser les marchés associés au pouvoir central continuer à déformer l’espace économique et social français. A terme, grosse tête sur un corps décharné, la nation mourrait.
Or, c’est très exactement ce qui, actuellement est en train de se dérouler sous nos yeux. Ce n’est plus d’une Ville dominante et de sa région qu’il est question, mais d’un ensemble politico-industriel et de son territoire national. L’Allemagne est en train de siphonner la richesse européenne au sens le plus caricatural du terme. Il faut revenir vers des idées économiques que les théories post-néo libérales anglo-saxonnes ont pulvérisées : les théories de la concurrence imparfaite et celles de la construction/déformation des espaces économiques. A l’optimisme douteux de la régulation par les marchés (dans les meilleurs des mondes qui soit) il vaut mieux écouter ces théories qui annoncent que les puissants ne seront pas corrigés par la nature et que les dégâts produits à leur environnement seront dramatiquement durables. Veut-on un exemple de ces accumulations destructrices : devenu La Nation Qui Réussit, vidant les pays européens de leur pouvoir d’achat, l’Allemagne se transforme en grande lessiveuse des surplus de liquidité des agents bancaires et non bancaires européens. Cette accumulation la conduit à prendre des airs de victime et à dénoncer un scandale parmi les scandales : au rythme où les liquidités affluent, elle devient le principal créancier de la Banque Centrale Européenne, cette institution qui se prétend indépendante. Et si la BCE faisait défaut ?
La théorie Keynésienne et les post-keynésiens ont dans des temps anciens théorisé les conséquences du commerce extérieur sur les différents multiplicateurs et accélérateurs qui, par leurs jeux, permettent à une économie de se remettre d’aplomb. Pour eux, l’excédent commercial est l’équivalent de l’investissement dans les modèles nationaux de flux économiques. Il donne à l’économie un coup de fouet amplifié par le fameux multiplicateur. L’excédent allemand devrait conduire précisément à cela qui provoquerait une accélération de la croissance nationale et par là même à une augmentation de importations vers l’Allemagne…. Or ce n’est pas cela qui se passe. Les excédents allemands, retenus par les entreprises exportatrices, sont recyclés en investissements en dehors de la zone euro. Et voilà que la puissance économique allemande fondée sur l’exploitation de son environnement économique immédiat, lui permet de constituer l’épargne utile à des investissements hors de la zone européenne et, ironie de l’histoire, de faire profiter les pays tiers des bienfaits de la fonction keynésienne de l’investissement. Investir en Grèce ? Vous n’y pensez pas ! Beaucoup moins rentable que la Turquie.
Et on revient alors sur ce qu’il y a de fondamentalement vicieux dans le mode de fonctionnement actuel de l’économie européenne : un pays dont la base de consommation, c’est-à-dire la population diminue, épargne tout ce qu’elle peut au détriment de ses voisins et investit massivement pour financer les retraites d’une part de plus en plus considérable de sa population.
Aucun espace économique n’est lisse, animé par des acteurs économiques égaux entre eux et sans influence, les uns sur les autres. Tant les collectivités territoriales, Etats compris, que les entreprises le déforment et créent des zones d’attraction, de concentration comme les forces de gravitation déforment l’espace. Le seul moyen à partir d’un certain stade de gravité et d’attraction pour échapper à ce qui devient une sorte de fatalité, c’est d’impulser une force opposée gigantesque destinée à casser les forces du siphonage et de l’absorption. En Europe, en économie, cela débutera par l’explosion de la zone euro.
Cela signifie, tous pour l’Allemagne. « It’s Europe, Stupid ! ».
Angela a-t-elle eu tort d’enrôler les Syriens ? A-t-elle ouvert les portes de l’Allemagne par pure compassion chrétienne ? A-t-elle suivie les recommandations de Deutschland Gesellschaft et lancé une campagne de recrutement massive : on se souviendra qu’il y a peu, moins de 25 ans, le Mur ayant chu, venant de « toutes les Russies », un million et demi de descendants d’Allemands sont venus retrouver leurs frères. Ils ne parlaient pas un mot d’allemand, mais un descendant d’Allemand est un Allemand comme l’ami de mon ami est mon ami.
L’Allemagne comme le Klondike
Les industriels auraient convaincu Angela qu’un million et demi de Syriens venus du chaud valaient bien un million et demi d’Allemands venus du froid ?
C’est une belle idée. Trop belle pour être honnête. La vérité est ailleurs : elle aurait relu Keynes. Celui-ci avait beaucoup réfléchi sur les mouvements de population et leurs conséquences économiques. Il avait été très marqué par les deux ruées vers l’or, l’américaine de Californie et la canadienne du Klondike.
L’annonce que de l’or avait été découvert dans ces deux régions avait provoqué des ruées de migrants. Ils étaient venus de tous les pays du monde, surtout européens, abandonnant tout pour chercher fortune dans l’Ouest (où, à cette époque au moins, tout était nouveau). Keynes, économiste attentif avait cherché à comprendre comment il était possible que des milliers de gens traversassent des océans hostiles et des territoires plein d’indiens féroces pour arriver dans des contrées inconnues dans le seul but de ramasser des paillettes d’or. Il n’avait pas trouvé.
En revanche, il avait tiré beaucoup de profit de l’observation des conséquences des « Runs». Les « pionniers » arrivaient avec des ressources, ils achetaient de quoi vivre, ils s’équipaient en pelles, pioches, tentes, barattes et tamis. Les marchands, pour les fournir, faisaient appel à des fabricants qui devaient recruter et investir pour pouvoir livrer. Les ouvriers, à leur tour, dépensaient l’argent etc….
Et voilà, vous avez compris : c’est le fameux « multiplicateur » de Keynes ! Il en était venu à proclamer : « Pour relancer une économie, criez sur tous les toits qu’il y a de l’or dans la montagne là-bas dont on voit le sommet enneigé, des milliers de gens se précipiteront et, investissant, dépensant, creusant, se nourrissant, relanceront l’économie ».
Quel rapport avec les Syriens et Angela ? La Chancelière, on le sait, est divisée. Elle ne veut pas contrarier Wolfgang Schäuble, son ministre des finances et, moins encore, le sémillant Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank. Ils ne veulent pas de relance keynésienne « classique » (par les dépenses publiques). Alors, elle a décidé de recourir à la technique du Run des migrants. Elle a clamé sur tous les toits que l’Allemagne, c’était cocagne. Elle a été entendue. Les migrants sont arrivés par milliers.
Mais voilà où le bât blesse : il n’y a pas d’or en Allemagne sauf l’épargne des Allemands.
Les Européens, solidaires de l’Allemagne
C’est alors qu’Angela a sonné la charge et lancé son Ministre des Finances, l’inoxydable Wolfgang Schäuble, un homme qui n’est pas un spécialiste de la pensée délicate et de l’Europe consensuelle.
En principe maniaque d’une Union Européenne sous la formule : « un pour un c’est déjà beaucoup », il a proposé une mesure étrange : la prise en charge des migrants arrivés en Allemagne par les pays de l’Union.
Le mécanisme, grossièrement parlant (mais peut-on faire autrement quand on voit à quel point la proposition est choquante ?) consiste en une taxe européenne sur l’essence. Le diesel est-il exclu (on sait que VW a demandé qu’on parle moins de ce carburant-là) ? Peu importe : il reste que Wolfgang met les pieds, ou les roues, dans le plat.
Ce plat c’est celui de la solidarité européenne : l’Allemagne, pour qui la fameuse règle d’or de l’équilibre budgétaire s’impose sans conteste possible à chaque membre de l’Union et surtout de la Zone Euro et qui ne veut pas de solidarité européenne, ni budgétaire, ni financière vient de découvrir la vertu de la mutualisation. Il y a deux ou trois ans, quelques esprits (latins) avaient imaginé de mutualiser les dettes européennes. Certains esprits (faux) commençaient à penser que le respect de la règle d’or risquait d’avoir des effets déflationnistes. Ils avaient imaginé que la solidarité européenne épargnerait ce danger à certains pays très touchés par la récession.
Pour Wolfgang Schäuble pareilles propositions étaient impensables et insensées, il n’a donc pas cessé de combattre cette hérésie budgétaire doublée d’une menace gravement hyper-inflationniste « à la » 1923.
« Appuyez-vous sur les principes, ils finiront par céder ». On sait que les Allemands entrés en plein hiver démographique ont besoin de main d’œuvre pour un très proche avenir. Plutôt que de monter des usines dans les pays européens qui ont des taux de chômage élevés, ils ont choisi monter des migrants. Et la Chancelière a lancé un appel aux malheureux de la terre.
Angela a dit, en allemand, « nous pouvons le faire » sur un tempo de cantate de Bach.
Et ils l’ont crue. Et ils sont venus. Et voilà que ça coûte. Au début, Wolfgang pensait qu’avec 25 milliards d’euro tout serait ficelé. Las, ce serait plutôt du côté de 50 milliards. Peut-être même plus! Le Budget Allemand prendrait un sérieux coup dans l’aile.
Alors, Wolfgang s’est mis à la flûte. Il a appelé ses confrères européens. Il leur a expliqué que les migrants étaient venus massivement en Allemagne sans qu’on sache trop bien pourquoi. Et il a développé une belle argumentation humanitaire : les malheurs du monde doivent être pris en charge par l’Union : elle est dédiée, c’est normal, aux belles et grandes idées. Pendant ce temps, VW et les autres se chargeront d’employer les malheureux qui ont atterris par hasard en Allemagne.
Globalement l’idée serait : les coûts pour l’Europe, les bénéfices pour l’Allemagne. Et une bonne petite taxe européenne pour que tout le monde en Europe soit solidaire avec l’Allemagne. L’Union à la Wolfgang, c’est « Tous pour un ! ».
Doit-on penser que les bonnes pensées allemandes n’ont pas prise ? Il y avait tous les ingrédients comme il faut pour faire une bonne mayonnaise européenne. Mais, c’est comme pour la béchamel, la solidarité revendiquée par les Allemands c’est plus difficile à faire venir que la mayonnaise à l’Américaine.
Alors, devant le succès sans discontinuer de « l’appel » aux migrants, les Allemands, voyant que la mobilisation de l’épargne européenne ne se fait pas, ont décidé d’en appeler « à la poudre et aux armes » : l’OTAN. Il faut mobiliser l’OTAN. L’OTAN doit être postée aux frontières. L’OTAN ne sert plus à grand-chose ces derniers temps en dehors des aventures Ukrainiennes des Russes. Il faut rentabiliser cette dépense-là.
C’est une autre forme de solidarité européenne que revendique la Chancelière : car, si l’OTAN devait compter sur l’armée allemande, on n’irait pas bien loin. L’état de cette dernière est désastreux et ses équipements vieillis et pratiquement hors d’état de nuire. Donc, à nouveau, la Chancelière et son Ministre des Finances s’efforcent de faire payer à l’Europe les futurs ouvriers du Deutschland Gesellschaft.
Dans quelques temps, l’Allemagne demandera à l’Europe de sauver ses banques. La solidarité ce n’est pas fait pour les chiens.
Ce petit essai fait le point sur un quart de siècle d’histoire. Ecrit en 2050, il est encore proche de l’histoire qui se fait tout en se permettant un peu de distance par rapport aux événements.
En 2015, les prospectivistes annonçaient que l’Allemagne perdrait environ 12 à 15 millions d’habitants et plus encore en termes de population active. En 2040, selon leurs calculs, la population allemande tomberait en dessous de 70 millions et la population française dépasserait 80 millions d’habitants. L’Allemagne serait essentiellement peuplée de seniors, les plus riches émigrant dans des pays ensoleillés ou des pays « hospitaliers » au sens sanitaire du terme.
La nature ayant horreur du vide, les Français en surnombre dans leur pays, commencèrent à passer le Rhin pour s’installer en Sarre, Bade-Wurtemberg, dans les pays du Rhin et en Westphalie conservant ainsi une proximité spirituelle avec la mère-patrie.
Ce mouvement-là, à l’Ouest, fut accompagné d’un autre mouvement qui conduisit en 2040 à la renaissance de l’Allemagne de l’Est en tant qu’Etat indépendant.
On sait que la Chancelière Merkel, effrayée par les prévisions ci-dessus mentionnées et vivement incitée par le Président de la Bundesbank, Jens Weidmann, avait décidé de compenser l’insuffisance démographique Allemande par l’importation massive de soi-disant «réfugiés, victimes de l’horreur Daesh etc.». A partir de 2015, grâce à l’appui de l’industrie allemande, fut orchestrée l’arrivée d’environ 800 000 Syriens, Irakiens et accessoirement, Erythréens et Soudanais. Devant pareille générosité d’une femme de droite, tous les partis de gauche allemands en rajoutèrent. Les arrivages de population étrangère atteignirent 500 000 personnes tous les ans pendant 10 ans, jusqu’en 2025-2026. Conséquence: en 2040, descendance comprise et rassemblement des familles aidant, une dizaine de millions de « nouveaux Allemands » arrivèrent en Allemagne s’ajoutant aux vieux «gestarbeiter» turcs, kurdes et maghrébins.
Tout au début de la période 2015-2025, les «réfugiés» furent orientés vers l’Est de l’Allemagne vidé de sa population en raison de son effondrement économique après la chute du mur de Berlin. Les Allemands n’avaient pas tout prévu : les «réfugiés» ainsi rassemblés, constituant des communautés parfaitement soudées, en vinrent à prendre le contrôle de la plupart des collectivités locales, puis des régions et enfin des Länder de l’Est. Qui plus est, pour profiter de cette harmonie locale fondée sur l’Islam, certes tempéré mais Islam quand même (en tout cas rien à voir avec le protestantisme précédent), les «réfugiés» installés dans les autres parties de l’Allemagne rejoignirent l’Est massivement, vite suivis par les anciens «gastarbeiter». Les Länder de l’Est, homogènes sur le plan spirituel, moral et politique, en vinrent à créer une union informelle en 2030 puis, par un référendum en 2038, décidèrent de constituer une Fédération des Allemagnes de la Vraie Foi.
Les quelques descendants des vieux Allemands de l’Est eurent vite la tentation de quitter ces territoires qui ne ressemblaient plus à ce qu’ils avaient connus : A moins de la cuisiner avec de la viande de bœuf ou de mouton, il était devenu impossible de consommer de la choucroute. Ne parlons pas de la bière, jamais interdite mais devenue hors de prix (Une taxe sur les produits «non charia compatibles» avait été surajoutée aux anciennes taxes).
Les pays alentours (Pologne, Autriche, Tchéquie, Slovaquie) avaient très tôt verrouillé leurs frontières (à partir de 2030). Les Allemands de l’Est de la Vraie Foi s’en vexèrent-ils? Il n’en est pas moins vrai que par le référendum «tragique» de 2039, ils se séparèrent de l’Allemagne et s’érigèrent en Etat indépendant.
De son côté, la France dût accepter un processus de rattachement des Länder Rhénans. Conformément à sa tradition démocratique, elle exigea (2025-2032) qu’on suive la voie du référendum. (Référendum «espoir» 2040). Pour accueillir les nouvelles régions, elle choisit une dénomination nouvelle «Pays de France» moins agressive que «France» tout court et s’engagea vis-à-vis du petit nombre d’habitants allemands subsistants, seniors pour la plupart, à leur apporter entre-aide et solidarité, valeurs françaises essentielles depuis la nuit des temps.
Quelques temps auparavant, marginalement mais logiquement, il fut (2036) procédé au rattachement du pays des Wallons au «Pays de France». Le Luxembourg suivit en 2037 pour éviter l’enclavement. (La France avait judicieusement proposé au Grand-Duc de devenir Prince et de s’installer à Monaco, plus riant et pas tellement plus petit).
En 2040, année qui borne notre étude, la situation est la suivante : une Allemagne repeuplée, environ 85 millions d’habitants, mais écartelée et divisée. A l’Ouest, invasion paisible des Länder Rhénans sous la pression de la surdémographie française, s’attribuant un bon tiers de l’ancienne Allemagne. A l’Est, la nouvelle Allemagne de l’Est, l’Allemagne de la Vraie Foi, a retranché un autre tiers. En 2040, l’Allemagne «traditionnelle» est réduite au dernier tiers, 100 000 km2 et 30 millions d’habitants. Pour mémoire, cette même année, le recensement de la population des «Pays de France» donnait 110 millions d’âmes.
L’histoire ne s’est pas arrêtée en 2040. Ces dernières années (texte écrit en 2050) et tout récemment en 2048, la Commission Européenne a proposé à l’Allemagne de récupérer la Suisse en contrepartie de la perte des Länder de l’Ouest. L’équipement touristique et médical suisse étant de premier ordre, de nombreux séniors allemands s’y sont installés. L’effet démocratique décrit plus haut pour le Pays de France devrait profiter aux Allemands. Depuis 10 ans, peu après le référendum « espoir », le choix d’un référendum de rattachement de la Suisse étendue au Tyrol est sur la table des négociations européennes. Il reste qu’il faudra que l’Allemagne s’assure des bonnes grâces du «Pays de France» qui, en raison de l’éclatement récent de l’Italie, pourrait craindre la reconstitution de l’antique Lotharingie. Aujourd’hui encore, en 2050, on se souvient que les Rois de France n’en vinrent à bout que 500 ans après sa création.
« On ne peut pas être et avoir été » : le cas finlandais
Que n’a-t-on pas entendu depuis le début de la crise économique en 2007-2008 de la part de ce pays pourtant membre fondateur de la Zone euro. Il faut se souvenir de déclarations tonitruantes sur le théme de la dramatique incompétence des pays « du sud », France comprise, dans la gestion de leurs finances et dans les menaces qu’ils faisaient peser sur la « monnaie commune ». Les Finlandais en étaient même à regretter d’avoir intégré la Zone Euro où sévissaient trop de mauvais et de nuls quand, eux Finlandais, excellaient partout : ils étaient des Allemands en mieux.
Comme les Allemands leur économie tournait à plus de 40% pour l’exportation. Comme les Allemands, leurs excédents commerciaux étaient exceptionnels. Mieux que les Allemands, ils avaient trouvé la pierre philosphale budgétaire et respectaient les régles d’or énoncées par les pays vertueux du Nord. Ils étaient presque meilleurs que les meilleurs. Quant au taux de chômage, il était infinitésimal. Comme en Allemagne. La Finlande fière de ses performances et peu soucieuse d’être assimilée à des nuls n’hésitait pas à déclarer par la voix de sa ministre des Finances Finlandaise Jutta Urpilainen: «La Finlande préfère se préparer à sortir de l'euro plutôt qu'à payer les dettes des autres pays de la zone euro». Son pays avait été un des plus durs dans les négociations relatives à la dette grecque et avait aussi montré un esprit fort peu coopératif pour le cas de l’Espagne : la Finlande avait un peu oublié qu’elle faisait partie d’une Union et avait négocié des garanties de son côté !
Quatre ans après les sonneries triomphantes ce brio économique a perdu de son brillant. « Effondrement de tout » pourrait qualifier ce que devient la Finlande : on avait oublié que la brillante économie exportatrice reposait sur deux piliers, le bois et la téléphonie (Nokia) entre autres. L’un et l’autre se sont effondrés en raison d’un manque d’adaptation, l’un aux violences des révolutions technologiques, l’autre à l’idée de protection de la nature et à la concurrence des autres producteurs. Le Premier ministre finlandais, Alexander Stubb, en est même venu à accuser Steve Jobs d’avoir, avec son entreprise, d’avoir détruit le marché du travail de la Finlande ! On n’enfoncera pas le couteau trop loin dans la plaie mais quand même, on relèvera que tout ceci met en valeur que l’arrogance de la réussite ne conduit qu’à l’aveuglement et à l’incapacité de scruter l’avenir.
La Finlande est-elle le modèle réduit de l’Allemagne ?
La Finlande serait-elle, y compris sur le plan démographique, un modèle réduit de l’Allemagne? La concentration des exportations allemandes tant sur le plan géographique que sur le plan industriel constitue une faiblesse. Rappelons que la construction automobile fournit 40 % des exportations allemandes. Un salarié sur sept travaille dans ce secteur. Rappelons aussi que les exportations allemandes se portent massivement vers l’Europe. Récemment encore, en janvier 2014, on relevait qu’elles avaient surtout profité des marchés des membres de l'Union européenne « hors zone euro ». Or, l’évolution économique des membres de l’Union Européenne paraît de plus en plus marquée par la stagnation et la déflation : il n’y a pas de locomotive en Europe et l’Allemagne a vu son PIB stagner voire regresser. Quand à l’efficacité industrielle de l’Allemagne, elle est contestée par ses marchés d’exportation eux-mêmes. Sur le plus important d’entre eux, le marché chinois, les nuages s’amoncellent : l’attention que portent les autorités de la concurrence chinois aux conditions de prix pratiquées par les industriels allemands de l’automobile ne laissent pas d’inquièter. Ces derniers sont, à l’instar d’autres industriels étrangers, accusés de comportements monopolistiques. Les prix pratiqués sur les livraisons d’automobiles et surtout de pièces détachées seraient excessifs. Les accusations chinoises ont déjà eu des effets : la plupart des industriels allemands ont baissé leur prix, allant jusqu’à des réductions de plus de 40%. D’autres ont accepté de payer des amendes avant que les autorités chinoises ne les défèrent à la justice locale. Dans le même temps, les constructeurs chinois prennent leur essor. Quelques ricanements se font entendre sur la qualité de leur production, de même que sur l’industrie naissante du smartphone en Chine. Il faut se rappeler que ces même ricanements avaient accompagné la naissance de l’industrie japonaise de la montre, de la photo et de l’automobile, puis de l’électronique pour ne citer que ces industries. Il ne leur avait pas fallu plus d’une dizaine d’années pour qu’ils éliminent leurs concurrents européens et américains…
L’Allemagne est-elle un trou noir monétaire et économique ? Il faut craindre et les conséquences de l’arrogance d’un pays qui croit avoir réussi et l’aveuglement qui l’accompagne. Un trou noir en physique, non seulement aspire toute la matière qui se trouve dans sa proximité, mais aussi l’anéantit. Il est donc naturel de s’interroger face au trou noir qu’est devenue l’Allemagne: flux monétaires détruits ou détournés au sens le plus simple du terme, flux économiques dont la permanence est constestable, flux démographiques gravement déséquilibrés, faux succés qui contribuent à une incapacité dramatique à jouer un rôle constructif et contributif dans l’Union Européenne. Poids lourd qui tourne au poids mort. Le trou noir deviendra-t-il un tombeau pour l’Europe ?
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