Soliloques sur le Vaste Monde, Avril 2021

Un prince est mort, c’était un duc.

Si la pandémie s’installe, il faudra lui faire un peu de place

Poisson d'avril

Un prince est mort, c’était un duc.

 


C’est une vieille rengaine qui m’a traversé l’esprit à cet instant où j’ai lu « la terrible nouvelle ». J’aurais pu le laisser traînasser à computer les chances que les Sussex assistent aux funérailles et à parier sur le site « willtheycome ».

« Jour de colère que ce jour-là, sur toute la terre, ça valsera ». Tournait sans cesse, en voix de basse, comme on le fait dans les églises.

Le Prince Philippe est mort.

Il n’a pas pu attendre. Dans trois mois, il aurait eu 100 ans. Il aurait attaqué un nouveau siècle. On peut supputer que le précédent lui avait suffi. Le siècle suivant ne s’annonçait pas sous de bons augures. Alors, tout compte fait,

Le Prince Philippe est mort.

A un moment, un petit hoquet d’hostilité contre Albion (qui demeurera toujours perfide dans mon cœur), je me suis surpris à caresser une mauvaise pensée : « Le dernier Allemand de la couronne d’Angleterre vient de passer de l’autre côté ». Cela sonnait un peu « dernier des mohicans ».

Le Prince Philip Battenberg est donc mort.

Finalement, n’était-il pas pour nous Français, l’Allemand rêvé ? Au visage altier, au sourire féroce, à la blague ravageuse, et même capable de supporter les silences de la mer. L’Allemand avec une tête d’Allemand conquérant les marches de l’est, brandissant l’épée à deux mains face aux barbares slaves. Un teutonique, en d’autres termes, un vrai chevalier.

Le Prince Philip, Prince de Danemark et de Grèce a disparu

Et avec lui les rêves des petites filles et le buissonnement poétique des arbres généalogiques. N’était-il pas merveilleusement romantique d’être Prince du Sud et du Nord en même temps ? Prince de légende nécessairement puisque né à la fois du côté d’Elseneur et d’Athènes. « Enfin, un Allemand cultivé ! » pouvait s’écrier la ménagère française de cinquante ans ! Enfin, un Allemand qui a su choisir la simplicité : laissant tomber l’amphigourique et presque « offenbachien » Schleswig-Holstein-Sonderbourg-Glücksburg et se satisfaisant du nom d’un château confortable.

Le Prince Philippe, prince des Anglais, mais aussi de tous les autres, Ecossais, Gallois, Irlandais… et aussi de quelques arpents de neige et d’immensités maritimes, est mort.

Et tourne en boucle ma rengaine,
 
« Quand le ciel en aura marre des fous
Il foutra tout par-dessus tout
En l'air
Ce qui était dessous
Par terre
Ce qui était debout
Ça s'ra pas beau à voir du tout »
 
Le Prince Philippe avait-il envie de continuer à vivre dans un monde qui a, depuis longtemps, perdu ducs, princes et archi-ducs et le Saint Empire ?
 
Il était marin, le Prince. Un marin, si sa vocation est vraie, n’aspire qu’à une chose, larguer les amarres. Il s’y refusa toute sa vie pour assumer une mission plus exigeante que celle, classique, d’affronter cyclones, vagues scélérates et éléments déchaînés.
 
Maintenant, ce serait le moment ?
 
Et ce serait un signe ?
 
Pour un marin, larguer les amarres n’a pas le même sens que pour les terriens. Ce n’est pas tout laisser tomber au risque que tout soit cassé. Ce n’est pas partir avant que les « pires » deviennent de plus en plus sûrs. C’est suivre une route qu’on s’est choisie et emporter ce qu’il faut d’enthousiasme et de ténacité pour s’y tenir et s’accomplir.
Que faire d’autres que partir lorsque Dieu s’est absenté et que mon Droit a muté en Leurs Créances.
 
Allons ! cette « Humeur » serait barrée de noir ?
Entre Covid, l’Irlande, le Brexit et le reste, la nef à Boris a largué les amarres.
Le Prince, quant à lui, s’épargne la compagnie des fous.

 
 

Poisson d'avril

 


Aujourd’hui, mardi à 17:00, heure locale, il neigeait vraiment. Et, franchement, par les temps que nous vivons, neiger est une très mauvaise idée. Peut-être quelque chose venue de l’Hôtel de ville pour nous faire comprendre que « mère nature » commande. 

Pourquoi sortir quand les bourrasques de neige s’accumulent en congères, quand les rues blanchissent, quand le froid vient tout transpercer ! Saugrenu, j’en conviens ! Quelque chose de riant était annoncé. Cela suffisait.

Allez, je casse le morceau : le riant des Champs, c’est « le chat » ! Ce personnage inénarrable de Philippe Geluck dont les propos sont stratosphériquement plus élevés que ceux d’Heidegger à son meilleur. Grâce à son chat, Philippe Geluck associe la plaisanterie délicate et légère à une façon arachnéenne de saisir les problèmes vrais. Genre « qui suis-je, d’où viens-je, ou vais-je… ».

D’habitude son auteur insère les dessins de son « chat » dans les étroites contraintes de la petite taille des cartoons. Il doit jongler avec les couleurs pour rendre sylphidesques les volumes monstrueusement anormaux du félidé. Sur les Champs, il s’est laissé aller. L’avenue est grande assez (disent les Belges) pour penser grand. Donc, il a représenté son chat en « trois-D », (pour parler moderne) en vingt sculptures (pour parler ancien), gigantesques, toutes exprimant un grand dessein de l’humanité (c’est pourquoi, elles sont gigantesques). Tout est grand, la sculpture, le dessein, le propos (exprimé par un titre à faire pâlir de jalousie M.Magritte lui-même). Franchement, il faut remercier les hommes de bonne volonté comme Philipe Geluck. Ils nous offrent une suspension des temps mauvais et du temps pour envisager des lendemains sereins. 

Mais, Geluck n’est pas seul. Récemment, un nommé Chalençon nous a fait vraiment rire : Il aurait organisé des diners fins à l’encontre de toutes les règles du confinement et, cerise sur la queue du poisson, des ministres y auraient participé. Evidemment, fureur des politiques intègres et rigolades des gaulois anarchisants. « Poisson d’Avril » ! s’est-il écrié peu après que le Procureur de la République a été saisi. " Poisson d’Avril, ils ont tous été bien attrapé! C’est même pas vrai ! C’était pour de la pub… etc ". Hélas, il faut être Philippe Geluck pour savoir ce qui fait rire, tout en disant des choses graves sur l’humanité.

Un cousin de M. Chalençon: Victor de Charanson, éleveur d’insecte de son état, a poussé la blague plus loin que son parent. Il a révélé aux Français ébahis et incrédules que les pouvoirs en place avaient relancé les activités du camp de Drancy et du Vel d’hiv afin d’y rassembler tous les vieillards réticents à la vaccination et les envoyer ensuite dans des camps de réanimation secrets. Il a dit que même la police française, les gendarmes mobiles et dans certains cas les troupes d’assaut ont participé à cette opération. Charanson, hilare et certain de son effet, s’est écrié sur C-news « poisson d’Avril ! C’était pour faire rire ». Rafler les vieux et les enfermer dans des camps vaccinatoires, c’est à mourir de rire. Son cousin a adoré mais pas trop fort, à cause du Procureur.

Il ne faut pas s'arrêter en si bon chemin: le moment le plus drôle a été atteint lorsque le bon professeur Raoult a été interviewé par la radio chinoise. Les Chinois, en blouse blanche pour faire honneur au bon professeur, lui ont demandé tout de go (qui est, il faut le rappeler, un jeu chinois) de résumer la situation épidémique mondiale en quatre idéogrammes. Sentencieux et sentant que le monde entier le regardait, le bon professeur s’est saisi d’un pinceau, l’a plongé dans un seau de chloroquine teintée au brou de noix pour l’occasion.

Juste au moment où il allait opérer, quarante millions de citoyens de la bonne ville de Wuhan se sont écriés : « poisson d’avril ! » (en Français car les Chinois sont délicats) . 


On  a entendu le "poisson d’Avril" chinois jusqu’à Marseille.

Si la pandémie s’installe, il faudra lui faire un peu de place

 

« J’ai de la chance, quand je commets une faute, il y a toujours quelqu’un pour s’en apercevoir » Confucius

Image lumière noire

 

Peut-on, les morts se multipliant, maintenir l’état d’émotion profonde du début de la pandémie quand de belles rides pensives et choquées gravaient les visages des gens de communication aux heures de prime time ? Ne voit-on pas qu’à force d’empiler les chiffres « glaçants » (comme ils disent dans les talk-shows) du massacre pandémique, la banalité vient à l’emporter ? Les médias s’efforcent de maintenir le flambeau de l’indignation, de la stupeur et de l’effroi. Ils pimentent leurs messages d’anathèmes et de condamnations. Ils travaillent la dramaturgie. Ils multiplient les acteurs, sachants et non-sachants, pour porter le combat contre les « ils » … (Qui auraient dû faire…), les « on » …. (Qui se sont montré en dessous de tout), les « Pouvoirs »… (toujours publics … Sans cesse menteurs et incompétents). Ils dessinent des graphiques où le noir et le rouge l’emportent sur le bleu et le vert. Et aussi des videos « hard » en direct du lit des mourants pour réveiller des publics lassés et blasés. Nous n’avons plus d’arènes, les hôpitaux font l’affaire.

 

Les temps passant, ce qui était un scandale, devient un manquement, puis une difficulté tout comme les congères que les épisodes neigeux empilent sans prévenir sur une autoroute ou comme un glissement de terrain qui, après des semaines de pluies torrentielles, emporte maisons, ponts et routes sans parler des malheureuses victimes. Nous sommes entrés dans la dernière phase, celle où on s’exclame, « que la vie n’est pas nécessairement belle et heureuse » et où on conclut « qu’il faut faire avec… ». Certains indices trahissent que ce moment est en passe d’advenir : les imprécations contre « ceux qui nous dirigent » finissent pas s’atténuer, les piques s’émoussent, les condamnations sont assorties d’excuses qui, à force, pourraient bien être absolutoires. Les chroniqueurs se font modestes et en viennent à philosopher : peut-on vraiment lutter contre les éléments quand ils se déchaînent ?

 

Une pandémie qui s’éternise et tue avec toujours autant, sinon plus, d’efficacité, finit par faire partie du paysage. Elle intéresse toujours les gens dont le métier est de s’intéresser aux pandémies, les autres, ceux qui ont des tas d’autres choses à faire finissent par ne plus voir ce détail de la vie courante. Détail mortel, comme tant d’autres, mais détail car, les grandes émotions, les grands enthousiasmes, les grands moments d’affliction durent autant que les roses. Ils consomment trop d’énergie pour s’inscrire dans le temps long. Encore heureux s’ils continuent leurs existences exceptionnelles dans des œuvres exceptionnelles, poèmes, peintures ou musiques.

 

Grâce à elles, on ressentira pendant quelques instants des intensités émotionnelles oubliées. Comme une recharge énergétique, afin de pouvoir revivre en un éclair, un déferlement instantané d’émotions violentes d’autrefois. Une fois que c’est passé, on passe à autre chose, les vacances à planifier, l’école des enfants et quelques masques pour les gestes barrière.

 

« On s’habitue à tout » aux pandémies comme au reste.

 

Alors que les morts s’ajoutent aux morts, aboutissements sans grand intérêt de vies banales, quelques décès contrastent et, au sein de cette affaire grisâtre, on parvient, ici ou là, à glisser un peu de brillant. La mort du Duke, par exemple, vient comme une bulle de lumière éclater au-dessus d’une sombre mélasse. Il y a quelques jours, c’était la mort de Madoff. On ne peut pas comparer, ce serait malséant. Pourtant, Madoff n’est pas un mort ordinaire. C’est presque un mort de conte de fée. Comme celle du Duke, la mort de Madoff, rompt la banalité des morts pandémiques. Il a été une pandémie à lui tout seul (pas le Duke). C’était avant les crypto-monnaies, les bitcoins et les autres choses automatiques et informatiques.

 

 

Cette mort marquerait-elle la fin des désastres bricolés et artisanaux ? Peut-être la mort des catastrophes du genre covid ? Demain, les catastrophes viendraient, sans prévenir, au hasard des machines programmées pour tout prévoir. Et « Liker » ou « disliker » ne serviront de rien. Le mieux sera de débrancher.


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