Le french bashing qui fait rage en Grande-Bretagne a atteint récemment des sommets himalayens. Pourquoi tant de haine? Même les Allemands ne se sont pas lancés dans l’insinuation venimeuse et
l’injure perverse. Les journaux anglais feraient de Lucien Rebatet et de ses chroniques dans «Je suis partout» un littérateur anodin et pacifique. Que s’est-il donc passé pour que ces gens
déversent à notre encontre des imprécations pires qu’un émir de Daesh ?
Nous autres Français serions restés insensibles aux plaintes de nos voisins ? Nous les aurions crus forts comme Winston, séduisants comme Kate, intelligents comme John Maynard (Keynes,
évidemment)… et nous nous serions attachés à d’autres malheureux en Afrique, en Asie ou ailleurs. Sourds et aveugles que nous étions! Les grandes souffrances ne sont pas exclusivement le
fait des plus pauvres.
Les Anglais ne représentent qu’une petite partie du «Royaume Uni». Ils sont en butte aux Français par tradition. Mais aussi aux Ecossais, Gallois, Irlandais du Nord. Ils étaient triomphants. Ils
sont maintenant cernés de toutes parts. Pire, les Anglais d’Angleterre sont divisés entre londoniens, riches et banquiers et les autres, provinciaux, pauvres et chômeurs.
Cela éclaire-t-il la question du «french bashing»? Oui, outre leur décadence et leurs divisions sociales, les Anglais, entourés d’ennemis, se voient «infiltrés» par les migrants. Ils en souffrent
pour deux raisons. Leur démographie est négative : ils voient les nouveaux venus prendre la place des enfants qu’ils n’ont pas faits. Les Polonais, les Bulgares, les Roumains, les Hongrois
débarquent comme les tribus germaniques à la fin de l’empire romain. Sans compter ces migrants que les Français font semblants de retenir à Calais. Manœuvre perfide de diversion! Les Français
useraient de quelques pauvres types venus de pays impossibles pour détourner l’attention sur d’autres migrants: les Français des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce. Tous les diplômés de
toutes les écoles françaises qui viennent en Angleterre voler les jobs des Anglais. C’est la deuxième raison. La plus douloureuse.
Une enquête récente a mis en lumière l’ampleur du drame. Les diplômés Anglais sont systématiquement surperformés tant en qualification qu’en salaires par les Français. Un exemple
emblématique: Le patron de la bourse de Londres, le célèbre London stock exchange, est français. Dans la banque d’investissement les Anglais sont "boutés hors". Pas assez compétents:
pauvres en mathématiques et très peu créatifs. Le résultat sur le plan qualitatif est renforcé sur le plan quantitatif: Londres est en passe de redevenir une ville française. Des dizaines
milliers de Français y vivent et y travaillent.
Faut-il enfoncer le clou? L’électricité que consomment les Anglais d’Angleterre est majoritairement française. Le métro de Londres est dans un tel état qu’il a fallu appeler les Français pour le
réparer. La gestion des chemins de fer, des services publics, abribus, centrales nucléaires, éoliennes sont partiellement ou majoritairement françaises et même les principales compagnies de bus
de tourisme londonien.
Les Anglais sentent que se prépare un nouvel Hastings. Le french bashing serait un dernier sursaut d’un peuple désespéré?
Il faut craindre les simples et la simplicité
Régulièrement, par secousses profondes, l’Humanité comme un animal agacé, parait s’ébrouer violemment pour se débarrasser de tout ce qui l’encombre. S’alléger et supprimer les choses, les êtres
et les idées inutiles.
Revenir à la simplicité d’antan. Retourner à ces moments primordiaux où il suffisait de vouloir. Retrouver le chemin vers les moments de fraternité antiques quand tout était dit autour d’un feu
de bois en contemplant la danse du chaman et en s’en remettant à la course limpide des étoiles.
Aujourd’hui, l’animal est hébété, désemparé et désorienté. Il cherche la simplicité et quelques phrases divines bien senties. Et là où il ne les trouve pas s’en va vers les destructions les plus
grandes, les plus inouïes et les plus définitives. Comment est-il venu que l’Humanité au prix des pires exactions contre elle-même en soit à rechercher les fallacieuses promesses de la simplicité et de l’accès direct au
bonheur ?
Il y a 25 ans, la démocratie, ses règles, ses intermédiations, ses lois qui sont lentes à cheminer, ses règlements qui entravent les désirs d’espaces ouverts et infinis, ses négociations
incessantes et les intérêts qui ne peuvent s’empêcher d’entrer en conflits, sont venus brouiller tous les messages sur le bonheur des hommes, des nations et des peuples.
La simplicité, la lisibilité, la clarté qu’apportait la Guerre Froide furent congédiés. Le vainqueur de cette guerre, la démocratie occidentale put enfin proposer au monde ses propres procédés de
fabrication des sociétés nouvelles: via une destruction, paisible et sans bruit, des anciennes. L’innovation est destructrice annonçait-elle et le bonheur s’ensuivra. La mondialisation, la
libéralisation, l’ouverture, torrents impétueux furent déchaînés et emportèrent les micro-équilibres qui donnaient le sentiment aux plus faibles qu’ils faisaient encore partie de la communauté
des êtres humains. Ils en sont devenus les rebuts.
Les démocraties montrèrent tous leurs talents à produire des mondes équilibrés à coup de règles compliquées pour faire respecter des principes simples, à coups de débats pour faire penser que
personne ni rien n’étaient laissés de côté, à coups de votes et d’élections et de campagnes et de discours.
Ces accumulations, leur poids intrinsèque, leur complexité qui ne les rend accessibles qu’à ceux qui en connaissent les subtilités et les arcanes, les éduqués des pays éduqués, exaspèrent
l’animal. Celui-ci, devenue folle veut se délier de tous ces fils qui la gêne, se libérer de toutes ces règles qui l’entravent.
Pour y parvenir, il suffit de gestes simples tuer, détruire, mépriser, refuser les droits qui ne sont que des remparts contre les assauts de la Vraie Vérité, aller proclamant «pas de liberté pour
les ennemis de la liberté», massacrer et laisser «Dieu reconnaître les siens». Des cohortes d’illettrés déferlent fiers de ne rien savoir et de brûler des bibliothèques. «Trop savoir, c’est
tout compliquer. La simplicité on la trouve dans les cœurs pas dans les têtes». Celles qui ne savent pas reconnaître cette belle évidence n’ont pas vocation à rester sur les épaules.
Les BRICS n'ont plus de Mortar
Rappelons-nous les quelques lueurs d’espoir qui filtraient sous les nuages sinistres de la crise de 2008. «Every cloud has a
silver lining» se consolait-on. La frange argentée à cette époque se nomma «BRIC». BRIC est l’acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine, apparu sous la plume d’un économiste de Goldman Sachs en 2001 ou 2003. L’idée
était de traiter ces quatre pays avec les égards dus à leur taux de croissance, à leur potentiel de développement et au fait, qu’à l’horizon de 2040, leurs PIB devraient être équivalents à ceux
des vieilles puissances industrielles du G6 (Etats-Unis, France, Allemagne, Japon, Grande-Bretagne et Italie).
Avaient-ils des points communs? Leurs très fortes croissances effaçaient les différences quant à leur développement économique, le
niveau de formation de leurs populations, le niveau scientifique etc. La croissance permettrait très vite d’en faire table rase. On pouvait même rêver à des points de vue politique communs
et à des rapprochements. En 2009, le Brésilien Lula da Silva, le Russe Dimitri Medvedev, l’Indien Manmohan Singh et le Chinois Hu Jin tao lançaient le premier sommet «BRIC» à Iekaterinbourg
en Russie. Les «BRIC» étaient convaincus que les Etats-Unis ne pourraient plus jouer le rôle de méga-économie mondiale.
Partout dans le monde un consensus financier excita bourses et investisseurs. Se multiplièrent les fonds d’investissement sur la
base des «BRIC», des sociétés performantes et innovantes qui s’y développaient très vite. Les entreprises «du vieux monde», à vocation internationale ou non, se mirent en quête de projets
d’investissement, de recherches d’association et d’opportunités de développement «BRIC».
La preuve de la capacité des BRIC à générer prospérité et richesse se fit incontestable. Le magazine Forbes commentait «Les pays
émergents du groupe BRIC … ont enregistré … une hausse exponentielle du nombre de leurs milliardaires…»; selon la même source dans les années 2008-2010 «Moscou abrite
désormais le plus grand nombre de milliardaires (79) devant New York (58)».
Le temps a passé. Les uns après les autres, les composants des BRICS, se déliteraient? Le Brésil qui protestait contre l’arrivée
massive de capitaux en quête de bons rendements et prétendait imposer une taxe pour freiner les ardeurs et la hausse du Réal, se demande aujourd’hui comment les retenir. La Russie, frappée au
porte-monnaie en raison de ses tentations expansionnistes, a vu son PIB s’effondrer. L’Inde s’empêtre dans des conflits sociaux et interethniques… Et la Chine? Ses déboires économiques récents nous font souvenir des brillantes analyses d’Herman Kahn, l’homme qui, à la fin des
années 60 (de l’autre siècle) voyait le Japon dominer l’univers des années 2000, dictant ses lois économiques et contrôlant toutes les industries du monde par le moyen de ses grands
conglomérats. Que sont devenus les «young hopes»? Doit-on maintenant les juger à l’aune des PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain) dont
l’acronyme résume tout le mal économique qu’il faut en penser ? Ou des « BURK (Biélorussie, Ukraine, Russie, Kazakhstan)».
Ou bien les BRIC manqueraient-ils du Mortar indispensable pour ériger une construction plus solide qu’une opinion
boursière?
Laissons Calais aux Anglais
Le drame des migrants de Calais occupe les pensées d’un nombre de plus en plus grand de personnes et même des Anglais. Poussant la bêtise au plus haut, comme une sorte d’étendard, quelques
tabloïds anglais invitent leur pays à déclencher une guerre pour annexer Calais et ses environs. Ils exhortent Downing Street à régler le problème de la déportation massive de populations
depuis la France. Evidemment, un réflexe de fierté saisit les Français : «Ils n’auront pas Calais». Pourtant, il faut s’interroger: les Français n’ont-ils pas intérêt à opérer de la sorte?
On transposerait la formule de l’enclave espagnole de Ceuta. Dans la formule «Calais», les défenseurs contre l’invasion ne seraient pas les Espagnols mais les Anglais. Les rôles seraient
renversés. Comme les Marocains à Ceuta, les Français diraient aux migrants: «Ce n’est pas bien d’essayer de franchir les barbelés anglais». C’est tout. Ils laisseraient aux Anglais le soin d’en
empêcher le franchissement.
Dans cette affaire, une mesure ne peut absolument pas être imaginée: affréter des trains pour expédier les migrants vers l’Angleterre. On sait les connotations négatives que ce genre de procédé
traîne derrière lui. Il ne manquerait pas un commentateur de la gauche «vraie» pour rappeler la célèbre formule: «40 hommes, 8 chevaux». Les comparaisons iraient bon train. On dirait que ces
trains seraient des trains de la honte. On ferait des comparaisons historiques. On traînerait la SNCF et ses dirigeants dans la boue . On condamnerait un haut fonctionnaire pour avoir
donné le coup de tampon du départ et un chef de gare le coup de sifflet. Je suis sûr que si pareils convois étaient organisés les activistes de toutes les grandes causes, depuis ceux qui
luttent férocement contre l’implantation de l’aéroport de Nantes, jusqu’à ceux qui refusent les barrages destinés à l’agriculture ou qui se battent contre les firmes multinationales du médicament
pour qu’enfin la vaccination contre les maladies contagieuses ne soit plus obligatoire, organiseraient des sit-in, pour les plus pacifiques, et des déraillements de convois de migrants pour les
plus radicaux. Je suis sûr que la société française serait à nouveau traversée par un de ces chocs philosophiques qui l’honorent et la divisent.
Qui ne soutiendrait ceux qui interpellent nos consciences? Qui aurait le cœur de voir partir des wagons entiers de migrants, parfois dès leur débarquement sur la côte méditerranéenne, pour
l’Angleterre, l’Ecosse ou même le pays de Galles ? Qui ne voit que certains voudraient banaliser cette traite humaine: la dérive des mots pire que celle des continents conduit aujourd’hui à
faire croire qu’une déportation vers l’Angleterre se nomme une migration? Comme si la Sibérie du goulag était une destination «club med»!
A ces menaces humanitaires, il faut résister: pas de trains, ni de convois, c’est une évidence morale. Et pas de bateaux non plus. Des Boat-people ne seraient pas mieux que les trains de la
honte. Définitivement: laisser Calais aux Anglais est une bonne idée. Un lease-back pour ne pas froisser les egos?