Les émeutes où la violence stupide
s’est montrée sous son vrai jour, celui, non pas de la défense d’idées nobles et d’appels au « respect » mais celui du lucre le plus commun, du vol le plus caricatural,
aurait été le fait, on l’a dit et il faut le répéter, de mineurs, voire d’enfants. On a vu des gamins de 14 ans et moins, donner un coup de main à leurs ainés dans le pillage de
magasins et aussi, aller se servir eux-mêmes, participant à une sorte de fête combinant le plaisir du jeu de combat en version réel entre voleur et policier, de la razzia moderne
si possible électronique et horlogère, et de la joie lumineuse et colorée des incendies.
On a entendu des paroles fortes : « deux claques et au lit ! ». Il est certain qu’il faut réfléchir à l’effondrement de l’idée d’autorité. Des enfants qui
trouvent naturel d’aller piller et incendier, ont-ils été éduqués dans le respect de l’autre, au mieux, et dans celui du fonctionnement de la société, au moins ? Il est très
probable que l’effondrement de la cellule familiale s’est accompagné de l’effondrement de l’idée d’autorité dérivant de l’irresponsabilité du père qui « se casse »
laissant ses enfants à sa femme, leur mère, la tâche de subvenir à leurs besoins matériels et sociaux.
Mais beaucoup plus insidieusement s’est développée avec l’assentiment général, une culture de l’enfant comme norme et comme acteur. Les traits qu’elle adopte, les comportements
qu’elle induit, la hiérarchie qu’elle instaure ne sont pas flagrants. Ils viennent progressivement modifier les regards, les pensées et les normes, accréditer des comportements
et, subrepticement, renverser certains rapports traditionnels.
Il y a peu, quelques psychiatres ont manifesté leurs réserves à l’égard de modèles d’éducation conduisant à survaloriser les enfants non seulement au sein des familles mais aussi,
finalement au sein de la société. Les manifestations de cette survalorisation sont caricaturales dans le domaine de la publicité. On ne veut pas ici critiquer la vieille habitude
des publicitaires conduisant à l’utilisation de l’enfant comme sujet crucial de la consommation, où l’enfant et la satisfaction de ses « besoins », fantasmés ou non par
les parents, modèlent et justifient la consommation de l’ensemble de la « famille ».
Ce qui est en jeu ici, c’est le rôle donné à l’enfant comme guide de la famille, dans l’ensemble de ses opérations sociales et économiques. C’est l’enfant qui se pose/est posé au
côté du père pour lui faire comprendre qu’il n’a pas compris quelque chose, qui est pourtant bien simple : un mode d’emploi mal lu, un besoin mal défini. Sans qu’il soit le
bénéficiaire direct d’un objet ou d’un service, c’est l’enfant qui décrypte pour ses parents les nouveaux codes, les modes d’emploi et les réelles nécessités
d’acquisition de biens ou de services qu'ils ne comprennent pas ou ne connaissent pas.
C’est l’enfant comme guide mental et moral, capable de ne pas céder aux émotions ou, s’il y cède, de leur donner leur vrai sens dans un monde d’adultes en déroute. Il ne s’agit
pas seulement du vieux mythe de l’enfant pur et naturel qui sait regarder la nature, les animaux et finalement les hommes sans préjugé, avec empathie et altruisme. Il faut aller
plus loin. L’enfant est mobilisé et intervient faute de mobilisation et d’intervention de la part des adultes et tout particulièrement son père (ou l’homme qui en fait office).
Papa est devenu un copain « limite crétin », (genre « lapin ») qu’il faut inviter à assumer ses responsabilités.
L’enfant qu’on vient de décrire doit sa puissance de communication à l’effacement du père, le papa-copain pas malin et un peu comique. Ce dernier devient le benêt de l’histoire,
celui qui « n’y avait pas pensé » et qui prend un air marrant-ahuri devant les observations ou les actions du vrai responsable, son rejeton.
Dans ce nouveau monde, l’enfant n’est pas le roi, installé sur un trône et n’en bougeant pas ; il n’est pas le Jiminy Cricket de la famille ; il est devenu le sage qui
fait rayonner les valeurs qui intéressent la famille, il est purement et simplement l’aune et la référence à partir de quoi se positionnent ceux qui devraient proposer des choix,
arbitrer des projets et imposer des comportements : ses parents et, par extension, les adultes.
Qui peut demander à cet enfant de ne plus aller piller, narguer la police et mettre le feu à son école ?
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