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Dans un livre que j’avais écrit sur les firmes multinationales, objets économiques qui ont eu leurs heures de gloire il y a bien longtemps, j’ouvris l’introduction par cette citation d’un économiste américain, le professeur Vernon :
« Il semble que les États souverains se sentent sans défense. Des concepts comme la souveraineté paraissent étrangement vidés de leur signification ».
Le docte américain s'exprimait dans des termes apocalyptiques, annonçant la mort des nations. D'autres lui emboîtèrent le pas découvrant les nations bien faibles et le monde en passe d'être dominé par quelques firmes mondiales.
Les firmes multinationales, c’étaient les 7 sœurs « pétrolières », les marchands de grains, les quelques entreprises minières qui trustaient cuivre, acier et aluminium… Aujourd’hui ? Ce seraient les fameuses GAFAM. Ce seraient ces entreprises qui cherchent à s’emparer du pouvoir monétaire et celles qui cherchent à distraire et à monnayer les fameuses « data » à commencer par celles qui concernent chaque personne dans le monde.
Comme les firmes multinationales d’autrefois, les nouvelles firmes se moquent des frontières, des réglementations, vont même plus vite que la capacité des Etats à ajuster leurs dispositions légales et réglementaires. Elles tissent des liens économiques, informationnels voire politiques qui fragmentent les espaces économiques, politiques, culturels.
Quand le pouvoir politique chinois s’éveille…
Pourquoi s’en inquiéter ? Pourquoi inquiéter les Etats en leur reprochant d’avoir abdiqué leurs pouvoirs souverains ? N’est-ce pas là aller contre le progrès ? L’acharnement des tiers de confiance, contournés ou neutralisés, à retarder un mouvement puissant en marche vers un avenir meilleur, n’est-il pas la manifestation de corporatismes dépassés et d’une incapacité à vouloir s’ouvrir à l’avenir….
Il est symptomatique que la première réaction d’envergure d’un souverain vis-à-vis de ce que d’aucuns qualifient de mouvement irrépressible soit venue brutalement, totalement, de la Chine, pour laquelle le mot répression ne serait pas étranger !!! A la stupéfaction du monde de la « tech » qu’elle soit « crypto », « data » ou autre, la Chine est la première nation à avoir posé les bornes du souverain à des activités qui se voyaient sans limites voire capables de faire sauter verrous archaïques et murailles préhistoriques.
Ici et là, les autorités chinoises avaient déjà commencé à réglementer, à cantonner, à restreindre certaines activités « nouvelles » « porteuses d’avenir ». Il s’agissait de ne pas se laisser emporter par les Initial coins offerings et les aventures auxquelles elles ouvraient la voie. Les manifestations restrictives des autorités américaines avaient conforté une sévérité partagée. Puis, la détention ou l’usage de monnaies « cryptées » ou « digitales » se trouvèrent contrôlées et les débordements internationaux, interdits.
Les autorités chinoises sont montées d’un cran. Ce fut le coup de tonnerre de l’interdiction d’Ant, puis des coups d’arrêt à quelques levées de fonds de grandes entreprises chinoises aux Etats-Unis. Et maintenant c’est le secteur de l’Education qui est touché.
Les commentaires sur ces mesures sont trop souvent inspirés par des prises de position politiques en vertu desquelles les autorités chinoises reproduisent ce qui leur est dicté par le parti communiste. Leur attitude, « incompréhensible », « anti-économique » serait évidemment l’objet de discussions très sérieuses au sein même du pouvoir, voire du parti communiste. Les grandes institutions économiques, les grandes entreprises, une fraction importante des représentants politiques s’assembleront surement pour ne pas laisser triompher ces prétentions « souveraines »…
En vérité, le mouvement des autorités chinoises vers davantage de réglementation est la manifestation d’une prise de conscience : l’espace monétaire et financier d’un pays ne peut pas être livré aux jeux d’intérêts privés sous prétexte qu’ils sont porteurs d’innovation.
Quand le monde capitaliste suit l’exemple chinois.
C’est ainsi qu’il faut comprendre l’affaire Binance, un des leaders de la nouvelle économie financière et monétaire, dont une chronique disait qu’elle était « dans des relations difficiles avec les régulateurs » !!! Binance s’est fait sérieusement accrochée par la Financial Conduct Authority, entité de régulation britannique pour qui cette entreprise « n’était pas autorisée à entreprendre une activité réglementée au Royaume-Uni ». Dans la suite de ces déclarations, les régulateurs japonais, italien, Malais, ont rappelé que Binance n’avait pas d’autorisation pour agir dans ces pays.
Réglementer ? La patronne de la FED, Janet Yellen, y pense sérieusement déplorant que les Etats-Unis soient encore bien en retard ou très en deçà des réglementations efficaces. Premier pas vers une régulation plus forte : le président de la SEC, Gary Gensler, pense à des règles qui créent des barrières à l’entrée et peut-être même à une interdiction pure et simple des crypto-monnaies.
Il n’est pas sûr que ce soient des objectifs sérieux mais le fait que des crypto-monnaies s’annoncent délibérément comme des concurrents du dollar ne peuvent pas laisser présager d’une sorte d’indifférence polie ou admirative des institutions politiques et financières américaines au nom de la révérence qu’on doit toujours avoir à l’égard de l’esprit d’entreprise et de l’innovation.
Progressivement, on assiste au retour du « Souverain » dans le débat sur la finance digitale, des smart contracts, monnaies digitales et autres tokens. Gérer la monnaie est un acte de pouvoir à l’égal de rendre la justice, édicter la loi et protéger les frontières. Gérer la finance est un acte de protection tant en ce qui concerne les particuliers et leur épargne que les entreprises et leurs ressources de financement.
Les récentes déconvenues sur le laxisme de la gestion des stablecoins montrent que l’absence du souverain revient à livrer les citoyens de base à l’esprit de « greed » et aux manipulations des plus douteux.
Je concluais dans le livre cité en introduction :
« Les firmes multinationales obéissent à une logique interne parfaitement rationnelle quand elles étendent leur réseau à l'ensemble de la planète. Mais au plan national, la logique de ce système devrait trouver ses limites, au moins en théorie, dans la souveraineté du pouvoir politique, responsable de l'intérêt général et pas seulement économique ».
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le souverain d’aujourd’hui est en passe de se réveiller.
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