Serait-ce encore un de ces détournements de citations comme je les
affectionne ? Faut-il voir ici de la dérision où on en appellerait aux mannes du Grand Roi pour fustiger notre époque si petite ?
Que nenni, pas d’ironie, pas de moqueries, rien qu’un retour aux grands principes, à ceux qui ont fait la France, qui sont sans cesse derrière nos
pensées quand nous nous affairons à lui rêver un grand destin.
Alors quoi ? Pourquoi déformer une citation qui avait sa grandeur faite de royale autorité ? La réponse, il est vrai, n’est pas
évidente. L’Etat, ce n’est pas moi, ce n’est pas toi, et encore moins nous ou vous. Surtout, pour ceux qui rêvent de s’approprier l’Etat ou au
moins quelques forces et prérogatives, l’Etat, ce n’est pas eux.
Eux, les religieux qui confondent Etat de droit et droit divin, eux, les minoritaires d’une élection qui bavent sur la démocratie représentative et
appellent, au détour d’une défaite, à se révolter contre l’élu d’une votation, parce que l’Etat, ce n’est pas lui, parce que l’Etat, ce n’est pas
là.
Il y a encore des luttes à mener en France pour que l’Etat ce ne soit finalement personne. Ni « moi »… Quand le Grand Roi lança
cette boutade, il mit à bas définitivement que l’Etat pouvait être revendiqué par une bande quelconque. L’Etat comme le Roi ne peut appartenir à
personne.
Il ne peut être ni confisqué, ni éclaté, ni découpé. On ne peut prétendre en retirer ce qui, sur l’instant, déplait. On ne peut en soustraire les
temps critiquables et, se fondant sur une autorité de circonstances, déchirer des morceaux de passé comme, autrefois, la censure cisaillait dans le
texte.
Louis XIV s’attacha à agrandir le pré carré et aussi à l’unifier. La lutte contre les protestants, l’élimination du Jansénisme, la mise au pas des
grands de l’aristocratie participèrent de cette construction de l’esprit : l’Etat est le même pour tous dans son essence comme dans ses
manifestations. Personne ne peut se l’accaparer, même au nom de Dieu.
La France d’aujourd’hui aurait des pulsions contraires et, à ce compte, ferait mourir une deuxième fois l’innocent chevalier de la Barre, pure
victime des fanatiques qui prétendaient imposer leur Dieu contre la volonté même de Louis XIV, 100 ans plus tôt.
L’Etat, ce n’est pas vous, les tenants de telle religion ou de telle autre. L’Etat, c’est encore moins vous qui invoquez des particularités
physiques ou culturelles pour confisquer les bribes de pouvoir qui vous intéressent. L’Etat, ce n’est nous qui, aujourd’hui, sommes là, vivants, à
peine nés et pas encore morts. La France n’est pas un feu d’artifice ni une vague scélérate. Elle s’est fabriquée durant des siècles.
Traditionnellement, le récit de la création de la France est rythmé de grands hommes, de victoires et d’envolées patriotiques. Il faudrait aussi,
raconter les défaites, les trahisons, les effondrements. Il faudrait raconter les sursauts, les reconstructions et l’opiniâtreté face à
l’adversité.
Si, ce pays, si petit, tout au bout d’un morceau de continent, une virgule géographique à peine perceptible à l’œil nu quand la mappemonde est
centrée sur la Chine, a réussi à survivre dans la conscience universelle, n’est-ce pas justement parce que l’Etat était « autre chose »
que des égoïsmes et des accaparements particuliers ?
On dit que les Romains inventèrent l’humanisme à un moment où les hommes avaient bien du mal à se rencontrer et à se connaître. Les Français, ont
inventé l’Homme universel au moment même où les hommes se sont découverts si particuliers et riches de leurs profondes diversités.
L’Etat, c’est cette universalité qui, solidement enracinée en France, se propose au monde, en dépit des temps qui divergent, des esprits qui se
particularisent et des intérêts sociaux qui se combattent.
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