Dans la première partie des clowns seraient apparus ? Ou bien la lumière aurait trouvé amusant de se recomposer en habits de couleurs ?
Ne s’agirait-il que d’une blague ? Le pauvre Yorick serait-il revenu pour nous emmener à la pêche au vrai, muni de sa canne à rire ? Ou bien, Alain Resnais nous aurait envoyé David Hemmings pour quelques leçons de prise de vue ? Qu’ont-ils à nous dire ces envoyés d’un passé trop lointain sur les milliards de photos prises tous les ans, que dis-je tous les ans! tous les jours ? "Pourquoi photographier" est une question nouvelle. Atget, viens que je t’exorcise, et vous tous qui preniez votre temps au mépris de l’argent. Nicéphore qui ne prenais pas encore de photos: tu ne savais pas. "Pourquoi photographier? ", voilà une question qui ne t’intéressait pas.
Brutalement, notre enquête fait un bond en avant : les pièces 15, 16 et 18 (on notera encore une fois un numéro manquant- le gagnant ?-). Les couleurs se sont condensées en formes rondes et joufflues qu’une analyse sommaire pourrait assimiler à des ballons. La photo est nette. Colorée. Délicate même avec ses tons acidulés. Une photo comme on en faisait dans les années cinquante. Pourquoi avoir photographié ce qui pourrait être des ballons ? Que viendraient-ils faire dans ces photos sauf à créer une diversion et nous écarter de ce que les ballons recéleraient : un visage, une tête, de femme sans conteste ? La photo pour le coup n’est pas voilée ni floutée. Elle dit bien ce qu’une photo doit dire quoique nous devions, question d’éthique, ne pas nous laisser aller à des images trop « connotées » : cette femme est entourée de couleurs globulaires qui pourraient être des bonbons. Le contenu sexuel et probablement anthropophagique (manger les bonbons serait assouvir le désir pour la donzelle) serait crûment, sans fards, exposé. Or, entre les deux photos-bonbons que voit-on, la même silhouette élégante que dans la description précédente. Un clown à genou l’adore. Au-dessus de sa tête des langues de couleurs, pareilles aux célèbres langues de feu du nouveau testament. Cette enquête on le voit sera complexe entre divin, sexualité et anthropophagie.
Le drame à l’origine de notre enquête ne se joue-t-il pas dans les photos 20,22 et 23 ? Ne voit-on pas qu’il y a souffrance (22) ? Une femme est peut-être en danger. Elle n’exprime pas un seul instant la gaité qui convient lorsque des ballons-bonbons de couleurs sont disposés alentour. Les bonbons-ballons sont un prétexte, une sorte d’aliénation, un détournement. Leur présence n’est pas fortuite. Elle n’est pas le résultat d’une condensation éphémère et riante de quelques rayons de soleils lassés de faire les arcs en ciel. La photo 23 le crie, le dénonce, le prouve : les ballons ont été apportés. Ceux-là qui étaient positionnés entre les mains ou au pied de l’héroïne ( photos 18, 20, 22) ne lui étaient pas consubstantiels contrairement à ce qu’une interprétation erronée de la photo 18 aurait pu laisser penser. Les ballons - on voit dans la photo 23 qu’il s’agit de ballons- ont été apportés par une personne tierce qui semble se frayer un chemin parmi des tuyaux de cheminée. Que veut donc nous dire cette photo. Pourquoi l’a-t-on prise ? S’agissait-il d’un amusement enfantin devant des ballons de toutes les couleurs convoyés sur un toit de Paris par une porteuse de ballon ? Ou bien, s’agissait-il de conduire une traque impitoyable : les photos eussent ici été comme les balles traçantes, les jumelles laser, la longue vue grossissante du chasseur en position de guet. En les multipliant le chasseur sait qu’il ne peut pas rater de voir sa proie.
On sent que la nuit va bientôt tomber. Les photos sont moins exposées. Dans le même temps, elles deviennent plus précises. La photo 28 est explicite. On ne peut pas se tromper. Les ballons rouges paraissent saigner et maculer de sang la robe de la jeune femme, rouge sans erreur possible. On voit cette dernière ployer sous un fardeau. Ployer sous le fardeau des ballons gonflés à l’hélium qu’on voit devant tous les parcs de France ? Si ces ballons avaient été lourds, ils n’auraient pas pu s’envoler comme le « ballon rouge » célèbre dans toute l’histoire du cinéma ! On voit bien que le « pourquoi » de la prise de photo trouve sa réponse dans le « parce que du progrès du savoir ». Sans le courage du photographe, aurait-on eu conscience du poids des ballons. Photos 28 et 26 : la dernière signale l’effort fait pas un des suspects pour convoyer les ballons sur le sommet du toit parmi les tuyaux de cheminée. La photo 29 est un véritable coup de tonnerre et complète notre progression vers la mise à jour d’un crime de droit commun en cours de préparation. En effet, se cachant délibérément derrière un bloc de maçonnerie porteurs d’une batterie de tuyaux de cheminée, un personnage, un étrange instrument à la main, fait mine de progresser. On pourrait penser à un appareil photographique ; on peut aussi penser à une arme, une kalachnikov si on en juge par la taille. Si on n’avait pas pris de photo, comment aurait-on pu découvrir cette manœuvre d’approche, comment aurait-on pu trouver ce fil rouge qui donne tout son sens à l’ensemble des photos ?
Dans la troisième partie de "pourquoi photographier?", notre enquête nous conduira vers de très difficiles questions dont celle qui n'a pas encore reçu de réponse: " Invisible est-il réductible à in-vu?".
Si on n’avait pas photographié, l’évidence sauterait aux yeux : on n’aurait rien vu ! N’est-elle pas lumineuse cette démonstration selon laquelle, la preuve qu’on a vu, c’est de la photo qu’on la tient. La preuve que pourtant, on n’a pas tout vu, c’est aussi par la photo qu’elle vient. Notre analyse a commencé comme plongée dans les limbes du voir. Une image émergeant, une photo fût prise. Pourquoi le fût-elle, qu’y avait-il comme image à voir et pourquoi voir cette image et l’ayant vue pourquoi la prendre en photo, et finalement l’ayant prise en photo, pourquoi est-ce une autre image qui nous a interpellé ? Il faut avancer dans ce chemin bien encombré de pièges et de nids de poule en tous genres. Il faut avancer vers le pourquoi de la photo.
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