Photo reportage 3: Alexander Vasukovich

COMMEMORATIVE PHOTO

Aux antipodes du précédent. Ici la photo ne rend pas compte d’un choix de vie au sein et au nom d’une forme de nature, mais de la banalité de la vie. Car il n’y a rien de plus banal dans un pays en guerre que de prendre des soldats en photos. Rien pourtant, ici, n’évoque la guerre autrement que parce qu’il y a des soldats, des armes et des chars d’assaut. Ils sont au repos. Comme des photos de fêtes de médaille du travail ou de classe de terminale.

 

Ce ne sont pas des photographies de guerre. Pas de morts, de corps mutilés, de murs défoncés et de véhicules désarticules. Pas de tireurs tendus vers une cible invisible, tout là-bas, dans des maisons démolies. Pas de chars qui fait feu. Pas d’obus qui creusent la terre. C’est la guerre avant. La guerre quand les copains sont là ; la guerre, avant de partir tirer, tuer, détruire. Ils ont tout l’attirail pour ça. C’est la guerre au moment où on a le temps de prendre la pose avec les copains, équipés de leurs outils de guerre, appuyés sur leurs machines de mort.

 

Ce n’est pas très passionnant de jouer les photographes de famille même pour des soldats dont on peut toujours se dire qu’une fois la photo prise, ils « vont y aller », comme au boulot. Et ils vont peut-être « y rester » ! C’est banal, de les photographier deux par deux, ou en groupe, avec ceux qui font les malins, agitant un V de la victoire devant le photographe. Le photographe est-il dans un reportage ou ne fait-il pas le photographe comme on peut le faire pour une remise de Légion d’honneur ou un mariage avec le déjeuner et la danse-guinguette ?

 

Mais voilà, les soldats ont vu que le photographe prenait des photos. Ils lui ont dit. « Dis, tu peux nous prendre ? ». C’est pour la famille, les amis. Ceux-là verront une bande de types, peut-être copains. Ils verront que le petit malin sur la droite faisait le rigolo. Ils verront que tout le monde allait partir au boulot sans râler. Sans faire la sale gueule. On se dit « ils savent bien qu’ils vont y laisser leur peau, certains en tout cas ! A la guerre, il y a des morts ! ». On se dit aussi que devant la caméra du photographe, « ils n’y pensent pas trop. Pas encore ? ».

 

Le vrai reportage commence bien après. Le photographe voudrait bien savoir l’après de ces photos sympas. Et il va voir les soldats et s’ils ne sont pas là, les familles. Ils ne sont pas là parce qu’ils sont morts. Alors, il reprend ses photos, et il fait des croix rouges sur les types qui étaient rigolards quand ils étaient vivants. Ils sont toujours rigolards sur ses photos mais ils sont morts. Le photographe veut aussi savoir où ils sont morts. Il interroge ceux qui étaient sur la photo et qui ne sont pas morts. Il trace la géographie des terrains de la mort. Il récupère les photos que les soldats ont mis sur internet, sur les réseaux sociaux. Il reprend ces photos, celles où ils sont vivants, il ajoute celles où, en plus, sur ces photos de vivants, il a mis des croix rouges. Il y joint des photos vues d’avion qui montrent les zones où ils ont été tués, avec une croix sur un terrain, sur le croisement de deux routes, pour indiquer l’endroit précis. Pour être précis, il indique le nom du soldat. On pourra le retrouver sur une des « photos de groupe ». Il joint à tout ceci, les captures d’écran des pages « facebook » ou autres équivalents.

 

C’est là que le reportage photographique surgit. Un soldat c’est un candidat à la mort. Ce n’était pas marqué sur la photo, mais la mort était nécessairement au rendez-vous. Elle vient à l’heure dite. Après qu’elle soit passée, il y a des croix rouges. Avant, avec des « V » de la victoire, tout était souriant.

 

Son reportage m’a frappé au point que j’ai un moment pensé que le fameux « GI » halluciné de Don Mac Cullin avait dans son regard à la fois fou et mort, l’image de ses copains, riant, faisant les idiots devant leur char. Une photo de famille, un peu comme à l’université.

 

Tous morts. 

 

 

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