Fabriquons une fausse généalogie de l’Art photographique. Commençons comme, autrefois, il y a bien longtemps, Disney racontait l’histoire de la Musique, avec des néanderthaliens se tapant sur le ventre en rythme avant de taper, toujours en rythme, sur la tête de prisonniers de guerre etc….
Voici ce qu’on pourrait imaginer : Au début on s’applique à photographier. Puis on photographie ce qu’on voyait naturellement avant. Après on photographie pour donner à voir, pour montrer comme on réfléchit bien. Un jour, on photographie ce qu’on veut voir. Et à partir de ce jour, on ne photographie plus le réel. On s'applique à le créer.
Il y aurait l’enfance de l’art, puis son adolescence et enfin l’âge mûr, qui précéderait la décadence. Tout ceci fleurerait bon la critique artistique du XIXème siècle.
Tout ceci est absurde, la démarche artistique est aux antipodes de ce genre d’élucubration… l’enfance de l’Art n’existe pas. Et s’il n’y a pas d’Art là où il n’y a pas d’Homme, il ne faut pas penser que l’Homme dont on parle ici c’est l’homme, qui commence petit et termine vieux.
Tout ceci est absurde mais la photographie est un art qui devient dangereux. Avant que d’imaginer l’absurde, il faut évoquer l’art photographique dans tous ses aspects récents.
Réflexions et méditations sur l’Art photographique
L’appareil à voir et à enregistrer ce qui est vu est devenu une extension du corps de l’homme et, aujourd’hui, de plus en plus, de tout objet qu’il soit communicant ou non. Aujourd’hui, on peut tout voir, soit généralement, soit spécialement. Le système de sécurité voit tout le monde, généralement, dans la rue et, spécialement, les intrusions dans votre appartement. L’aspirateur verra spécialement son champ d’action, le téléphone portable avec appareil photo intégré verra généralement ce qu’on veut bien lui faire voir. Le satellite verra globalement et en détail, dans des spectres lumineux qui échappent à l’œil humaine. L’appareil verra donc mieux que nous.
La caméra chirurgicale verra en détail, mais plus en détail encore. Comme le télescope, il arrivera qu’elle ne voie que certaines couleurs. Il arrivera aussi qu’elle donne à voir des couleurs, des choses et des forces qui n’ont jamais été vues. Le télescope est devenu capable de « voir » ce qui n’est plus visible depuis des milliards d’année, le microscope voit ce qui n’a pas plus d’un millionième de seconde d’existence, que notre œil ne saurait saisir et il le fige pour plusieurs années. On peut voir des univers, on peut voir des particules élémentaires. On peut voir ce qu’on ne voit pas. Il n’y a plus d’invisible pour les yeux. Et surtout, on peut tout conserver, dans l’état ou compressé, la nano-seconde saisie sur le vif, continue à vibrer des mois après, des années après. Elle a une drôle de tête cette nano-seconde qui pensait passer sans se faire remarquer !!!
Et puis, on peut voir l’essentiel comme le superflu. Le petit Prince de Saint-Ex a pris de l’âge et ne comprend pas très bien ce qu’il se passe. Il y a tant d’essentiels… que parfois on a envie de superflu, pour se reposer.
Si on nomme photographie toute capture d’image qu’elle qu’en soit la nature, l’usage, la portée, le moyen utilisé, ne s’agit-il pas en réalité des traces qui sont laissées par l’Homme après qu’il se soit penché pour voir l’univers et se voir lui-même, pris au piège de cet univers.
Qu’est-ce alors que la photographie ? Un nouveau sens, un sens exacerbé, un moyen de connaissance ou de mémoire, de communication, d’enseignement, de recherche et d’approfondissement ? La photo ne concerne-t-elle que ce qui est visible ou nous donne-t-elle à voir ce que nous ne regardions pas ? Reproduit-elle l’univers ou fait-elle émerger une connaissance nouvelle ? Crée-t-elle des univers ou les installe-t-elle dans notre conscience ?
L’Enfance de l’Art !
Ici on ne parle plus de caméra de surveillance, de l’endoscope, de Hubble, cet appareil photo lâché dans une folle course pour photographier l’univers, ni des ondes gravitationnelles qui viennent d’apparaître sur l’écran. On ne parle même pas des caméras qu’Abel Gance jetait en l’air pour rendre l’impression des batailles de boules de neige où s’illustrait le Napoléon jeune écolier qui avait percé sous le Napoléon enfant.
On parle de la photo prise par un homme tenant un appareil à photographier, technologique ou pas. Il fait quoi avec son appareil ?
Entasser dans la boîte les images de tout et de rien, du joli, du drôle, de l’impressionnant. Il faut se glisser dans la peau du photographe en herbe, le laisser pousser et s’assurer que tout s’est passé dans le bon ordre.
J’ai un bel appareil.
Au début, je dois l’apprivoiser et faire ce qu’on a toujours envie de faire avec un appareil photographique : prendre le paysage, la tête à mimi, Toto à son mariage et le chat qui est si mignon. Si j’ai acheté un appareil, c’est parce que j’ai besoin d’augmenter la capacité de mon cerveau. C’est une mémoire additionnelle. Peut-être ne regarderai-je jamais ce que j’ai photographié ? C’est une mémoire. La mémoire, on ne la convoque pas à tout et à n’importe quel propos. Parfois, on ne la convoque pas du tout. On a oublié ce qu’on y avait mis ou tout simplement, ça ne vaut plus le coup de déplacer du courant entre quelques neurones. Il n’empêche : les photos que j’ai prises ne sont pas autre chose que des vues que j’ai vues, pas plus (même si c’est moins).
Montrer mes photos, c’est me montrer autant que les montrer.
Ensuite, si je continue à l’utiliser, mon appareil photo sert à montrer. A montrer ma mémoire d’abord. Regardez ce que j’ai vu. J’en ai vu beaucoup. Et puis, il y a les gens que j’ai vus et que je vous montre, et les situations. En fait, je ne suis pas dans les photos. Ça n’a pas d’importance. C’est comme si c’était moi qu’on voyait, puisque, entre nous, si je n’avais pas été là, il n’y aurait pas eu de photos. On me voit au travers des photos. Quand je me moque de Momo, et qu’on voit la photo, on dit, « ça c’est bien toi de prendre des photos comme ça!». Quand je prends de belles photos de la montagne par un beau coucher de soleil. On me dit, « c’est beau». Je sais qu’on veut dire. «Tu fais de belles photos». Peut-être aurai-je dû faire attention au cadrage. Momo n’est pas terrible avec sa bouche en train de bouffer. Et le chat, on ne voit pas la queue, et c’était ça le plus drôle. La maison est de traviole et la montagne, elle est floue, je n’ai pas trop bien compris les histoires de réglages. Finalement, ce qui est marrant, c’est de faire des « selfies ». Le bon cadrage on s’en fiche. Le tout c’est que je sois dans la photo avec n’importe quoi, le chien, le Président de la République et Momo qui fait l’âne !
Montrer ? Cela ne se fait pas en se jouant. Il faut y avoir pensé.
Si je fais le clown quand je prends des photos, ça se voit et mes copains qui font de la photo sérieuse vont gentiment se moquer de moi et dire que c’est pour rire mes photos, alors que les leurs, c’est pour donner à voir. Il faut tenir compte de ça : montrer des photos à des gens, copains ou pas, tout le monde le fait. Les copains aussi prennent des photos. En plus, les gens se les envoient. Même les ratées. J’en reçois bien. Sur mon appareil photo ou sur mon mobile ou sur mon ordinateur. Franchement, beaucoup sont nulles. Ce n’est pas parce qu’on a un objectif, un joli paysage ou un truc marrant qu’on fait une photo que les gens ont envie de voir. J'ai changé, je zappe ces photos-là et je râle ferme quand elles me bloquent de la mémoire. Donc, si je veux continuer à faire de la photo, il faut que je fasse attention.
Je veux choisir. Ce ne sont pas les sujets qui commandent.
Je veux des photos qui ne soient pas des bouts de truc à base de mobiles ou de smartphones, avec des potes qui se biturent ou la prof qui montre sa culotte. Si on ne veut pas du chiottesque, il faut choisir et si on veut choisir, il faut avoir réfléchi. Si je veux faire de la photo, autant faire de la vraie photo, donc. Ne pas photographier les paysages ou les histoires drôles ou les petits animaux qui vous font de l’œil. Avoir envie d’autre chose. Rechercher autre chose. Apprendre à regarder pour photographier autre chose. Photographier, ce n’est donc pas appuyer sur le bouton. Peut-être même je devrais faire un croquis avant? Trouver ce qui va aller dans le croquis, dans ce que je veux voir et pas dans ce que je regarde en passant sans y penser.
Un dialogue avec le monde et celui de la photo en particulier.
N’empêche que si je veux continuer à faire de la photo, les croquis c’est une bonne idée, mais réinventer la roue n’en est pas une ! Tout n’est pas à photographier parce que tout n’a pas d’intérêt ! Mais aussi, il y a des gens, les photographes d’avant, qui ont fait des photographies. Qui se sont illustrés dans des sujets, des formes, des couleurs, des géométries, des trognes, des nus, nues, nuées… si je veux faire de la photographie, c’est à la fois bien de ne pas réinventer les techniques, mais c’est aussi prudent de ne pas faire la même chose que les professionnels. Il faut s’inspirer mais ne pas être aspiré. Alors, j’aurai quelque chose à montrer. Ce ne sera pas un truc dans ma mémoire. Je ne le montrerai pas à mes potes qui avaient surtout envie de voir la tête de Momo quand il s’est trouvé pété à son mariage. J’aurai envie de revoir mes photos. Leur parler. Les laisser me parler. J’aurai envie qu’on regarde mes photos avec des mots, en leur parlant. J'aurai envie que mes photos soient volubiles, loquace ou, quand elles révèleraient silencieuses, j'aurai envie que ce silence hurle des choses insupportables, des moments de gràce indicibles. j'aurai envie que mes photos parlent à ceux qui les regardent à la seule condition qu'ils sachent écouter et ne se contentent pas de voir.
Un jour, je découvrirai ce que je photographie.
Si je les laisse me parler, il faudra bien que je leur laisse un peu de liberté. Et pour moi, beaucoup de liberté. Et par-dessus tout, de la présence. On ne peut pas photographier à la va-vite. Ce que je veux photographier, je veux le chercher, je veux le trouver comme j’avais le sentiment de le chercher. Cela peut vouloir dire «découvrir» ce que je ne connaissais pas. Cela peut vouloir dire, que la photo prise, prenant ses aises, me dit tout simplement qu’elle contient quelque chose que je n’avais pas vue. Apprendre à regarder mes photos. Trouver des idées à creuser. Creuser ces idées. Faire émerger de nouvelles vues. Apprendre à voir avant tout et savoir vite saisir l’image que je reconnaitrais en une fraction de seconde parce que je sais « voir », même l’invisible (décidément, ce pauvre Saint-ex, il avait tout faux !).
Et mes photographies transformeront le regard qu’on porte sur le monde.
Un peu plus tard. J’aurai inventé mon regard. J’aurai imaginé des images qui n’existent pas en vrai. J’aurai photographié ces images. Quand il y a une photo, le regard est concerné. C’est vrai parce qu’on a vu. C’est clair comme de l’eau de roche. C’est évident. Alors, mes photos montreront la réalité qui me plait ou cette réalité qui me parait importante, avec de vraies questions sur l’homme le temps, la photo. J’aurai réussi le jour où on verra que mes photos montrent les choses telles qu’elles sont. Et surtout, le jour où les regards se poseront sereinement sur la réalité venue tout droit de mes photos. Ce jour-là on dira que je suis un visionnaire. Mon appareil sera revenu à son rôle initial, un outil pour le souvenir. Pour qu'on se souvienne de tout ce qu'il ne faut pas oublier.
Regard sur un monde nouveau.
Et si ces nouvelles vues étaient de nouveaux mondes ? Et si ces nouvelles vues appelaient de nouveaux regards ? Et si je parvenais à voir au-delà des vues coutumières ? Certains détails, dit-on, contiennent des mondes aussi riches que les mondes présents dans le tout. Photographier reviendrait à sonder les profondeurs et l’altitude. Photographier serait aussi déchiffrer, retrouver sous l’immédiat visible un palimpseste dont les couches et les images à l’instar des sédiments se sont accumulées oblitérant l’image originelle et détournant l’originale. J’exigerais alors de ma photographie qu’elle se hisse très haut pareille au travail du poète qui appelle de ses mots, les mondes à venir, pareille à la parole du conteur qui appelle des mondes stupéfiants. Qui, l’un et l’autre, changent le regard et offrent à penser.
Mais voyez-vous ce n’est pas comme ça que cela se passe vraiment : il n’y a pas d’enfance dans l’Art, seulement un échange avec l’Art, il n’y a pas de regard naturel, mais des regards inspirés, les visionnaires sont hommes à faire voir des mondes invisibles, ils laissent le monde de tous les jours à tous ceux qui aiment bien photographier les copains en train de se prendre une cuite ou la communion de la petite.
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