Soliloques sur l'Art, octobre 2023

Dana Schutz

 

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Voyant les œuvres de Dana Schutz, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à celles de Miriam Cahn. Œuvres de dénonciation, œuvres violentes où la nature de l’homme se révèle dans toutes ses dimensions malsaines et mortifères. On dira qu’elles ont en commun une vision plutôt pessimiste !!! qu’elles expriment en couleurs, fortes, bien posées.

 

Et puis c’est tout, l’œuvre de Miriam Cahn est toute entière de violence. Ses tableaux sont autant de coups de poing balancés dans la figure des regardeurs.

 

https://www.pascalordonneau.com/les-mots-de-l-art/l-art-en-mot/miriam-cahn-au-palais-de-tokyo/

L’œuvre de Dana Schutz est moins directe. Elle ne violente pas les regardeurs, elle leur montre de quoi se violenter eux-mêmes. Elle ne leur donne pas une information coup de poing, elle leur raconte une histoire et mobilise une très vaste et intelligente culture pour passer le message de l’absurdité du monde, du ridicule associé au dantesque, de la destruction sur des lits de reconstructions. Tous ses tableaux, sans exception ont des titres qui viennent commenter ou orienter la compréhension de l’œuvre et aussi briser les cadres.

 

Corps brisés dont quelques personnages eux-mêmes brisés cherche à retrouver la forme initiale. Certains visages aux yeux exorbités font penser à Brauner quand quelques autres renvoient à Munch. Ce n’est pas un travail de citations. C’est un travail qui repose sur une culture très riche et profonde. Travail aussi qui repose et exploite une connaissance très intime de la peinture : les tableaux de très grandes tailles dans cette exposition sont impeccablement composés. L’auteure manie la couleur avec force et sait lui faire jouer un rôle à la fois dur et équilibré.

 

Les œuvres parlent. Non pas seulement par le fait qu’elles sont « intitulées » mais parce qu’elles racontent des histoires. Et il faut, comme toujours, mais ici un peu plus nécessairement, savoir regarder les tableaux de loin puis se rapprocher lentement pour que lentement l’histoire se dévoile pour que les protagonistes émergent et s’individualisent. Certaines œuvres, vues de loin (encore une fois, ces œuvres sont de très grandes tailles) présentent un magnifique équilibré, des couleurs impeccablement posées, un cadrage sans faille. Puis, en se rapprochant apparaissent des ossements, des jambes et des bras séparés de leurs corps et un peu plus prés ce sont des personnages qui s’efforcent de réparer et de reconstruire ou qui arrachent et absorbent. Le bestiaire y est ici humain, les proies aussi.

 

 

 

Marfaing chez Berthet-Aitouares

Galerie Berthet Aithouares

14-29 Rue de Seine, 75006 Paris

 

C’est une sympathique exposition qui est proposée. Quelques toiles de Marfaing illustrant heureusement son travail et qui donnent l’occasion de revenir sur cet artiste trop tôt disparu. Il avait été quelque peu oublié et depuis quelques temps revient sur les cimaises des galeries. Sa cote suit cette redécouverte de ses œuvres.

 

Marfaing est un peintre du noir, comme le sont certains peintres asiatiques qu’on présentera dans la seconde partie de cette chronique artistique. En vérité ce n’est pas absolument un peintre du noir car les formes qu’il livre en noir sont toujours soulignées de blanc, soit qu’elles émergent de plans blancs ou gris blancs soit que le blanc paraisse submergé, assommé par des grandes constructions noires.

 

On ne dit pas assez qu'il est des peintres qui sous couvert de "montrer" appellent le regardeur et l'invitent à "passer". Passer où? Passer vers un autre monde qui peut être lui-même ou passer vers le mondes des autres qu'on n'atteint qu'après s'être oublié dans une forme de méditation. Ces peintres montrent les voies que le regardeur inconsciemment recherche ou consciemment lorsqu'il a déjà rencontré l'artiste et ses œuvres et revient. 

 

On ne peut évidemment pas ne pas mentionner l’autre artiste du noir qu’est Soulages. Ils ont peint à la même époque, on a envie de dire ensemble tant le travail de l’un renvoie à celui de l’autre. Des critiques ont justement mis en valeur ce parallélisme incomplet car si la couleur, le noir, se répondait de l’un à l’autre, les mouvements des pinceaux, la vigueur des traces, l’ampleur des mouvements pouvaient laisser penser qu’à de certains moments Marfaing peignait plus dynamiquement que Soulages qui aurait été quant à lui plus statique. De fait, toute une période du travail de Marfaing est marquée par les grands gestes qui ont fait dire de lui qu’il appartenait au mouvement de l’action painting.

 

Puis, sa technique s’épurera et reposera sur un pur travail sur le noir et le blanc. A l'opposé, Soulages, pendant quelques temps, a recherché les moyens de mettre le noir en valeur par sa confrontation avec des traces de rouges, de jaunes, de bleus qui créaient par leurs superpositions des espaces, des reliefs et offraient des profondeurs que n’avaient pas les œuvres de Marfaing.

 

Peu importe cette vaine compétition, le noir chez Marfaing plonge le regardeur dans une méditation d’un autre type que ce qu’on trouve chez Soulages. L’exposition en montre la richesse et mérite qu’on la visite.

Miriam Cahn au palais de Tokyo

 

Magnifique exposition d’une œuvre très dure, violente et sans limites de cette artiste suisse. On la rattacherait à l’hyper-expressionnisme si cela existait. On évoquerait combien les dessins d’enfants contiennent de violences à peine contenues, car bon nombre des œuvres de Miriam Cahn renvoient directement à la simplicité des peintures enfantines.

 

Dessine-moi un coup de poing, il suffit à l’artiste de quelques coups de pinceaux, de formes et d’un dessin que ne renieraient pas un enfant, avec des crayons dans les mains sauf que l’enfant hésiterait peut-être et se contenterait de dessiner une fleur avec quelques épines. Il n’y a pas de fleurs mais l’expression d’une violence dont on peut sans peine s’imaginer qu’elle exprime un rapport sadique. L’expression est simpliste ? primaire, enfantine, ce serait comme de l’art brut. Mais ce n’est pas de l’art brut, ce n’est même plus de l’art où on montre la violence et de quoi elle est faite, comme elle s’exprime ainsi que pouvait le faire Goya. Miriam Cahn crayonne aussi vite qu’elle le peut, avec les moyens du bord, les déferlements de violence, les visages écrasés et les corps violés. 

 

On aurait aussi envie d’en appeler aux maîtres de la couleur tant il parait que si les tableaux de Miriam Cahn pouvaient se passer de leurs lignes sommairement dessinées, ils perdraient tout leur sens sans l’application des couleurs véhémentes, stridentes qui suffisent à créer une ambiance d’atrocité.

 

Jaune souffre, parmi les couleurs les plus arrachantes, jaune délétère, rien d’ensoleillé, qui renvoie à la série de sculptures, les femmes de Dresde de Baselitz, bustes à peine équarris émanant des incendies d’une ville écrasée de flammes et de bombes incendiaires.

 

Bleus pétrole ultra chimiques virant aux violets sombres qui n’évoquent pas l’eau des rivières ou des océans mais celui des larmes et des nuits qui ne parviennent pas à cacher l’horreur des violences et des tortionnaires.

 

Corps informes et violentés qu’on casse et qui s’effondrent, transformés en magma ou en flaques. Lorsqu’on y trouve une consistance elle renvoie aux images distordues de Bacon.

 

Et lorsque l’artiste choisit le fusain noir, on peut imaginer qu’elle a décidé d’écrire une plainte, une violence, une lettre où elle dénonce la torture et la mort dans toute leur simplicité humaine.

Abed AL KADIRI, Genealogy of Repair

 

Galerie Dumonteil 8 rue d’aboukir

Une exposition très intéressante d’un artiste libanais. On pourrait simplifier en disant que le noir est mis car ce sont des œuvres sombres parcourues par des silhouettes noires, des ombres dans des univers où la couleur est assombrie de grandes coulures de noir. Ce serait trop simplifier l’œuvre d’Abed Al Kadiri que de la réduire au noir car, « bois de vincenne » « boxers » et « race » ne sont pas des œuvres « au noir ». Elles sont toutefois sombres et porteuses d’un message lourd.

 

Les lithographies ou travaux au fusain, sont très forts, s’apparentant à des œuvres au noir de veliskovic, corbeaux et autres oiseaux noirs.

Le noir et la matière : Les peintres coréens du noir .

Lee Jin Woo

Yoon Hee

Lee Bae.

Au musée Cernuschi

Exposition passée

Le noir et la matière : Les peintres coréens du noir .

 

Pourquoi ce tropisme pour ce qu’autrefois on aurait qualifié de non-couleur ? Et pourtant, le noir est sans cesse présent dans la peinture pour mettre en valeur ou au contraire rabaisser telle manifestation lumineuse, tel objet coloré. Il portait des valeurs ou des craintes : Michel Pastoureau, dans un livre remarquable sur le noir rappelle « il ne fait pas bon d’être noir et blanc au Moyen Age ».

 

On l’oublie souvent, mais le noir, en tant que couleur, c’est-à-dire un pigment qui peut être utilisé pour les vêtements, la peinture, les fresques était particulièrement difficile à obtenir et, une fois obtenu, à maintenir contre les agressions du temps.

 

C’était une petite exposition fort intéressante des peintres coréens attachés au noir sous quelques formes d’expression picturale que ce soit. Les uns attachés au noir telle que la matière le fait, qu’ils s’agisse de charbon ou de cendre, les autres, projetant des trainées d'encre noire.

 

Les quelques œuvres renvoyaient nécessairement à la tradition du pinceau d’encre noire pour écrire, quand écrire est aussi dessiner.

 

En Corée, le noir symbolise l’eau, le nord et l’hiver. Le totem associé est la Tortue noire (현무). 

 

Le musée Cernuschi a voulu mettre en valeur trois artistes coréens peintres, sculpteurs, graphistes du noir, en quelques œuvres, relevant davantage du résumé que de l’exposition ! Il faut retenir les noms des artistes. Ils reviendront.

 

Ce sont Lee Jin Woo, Yoon Hee et Lee Bae.

 

 


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