Soliloques sur l'Art, avril 2024

« Rhizomes : Tisser des connexions » – Meitsen Chen & Michel Alexis chez BOA

 

Jeongmin Domissy-Lee

 

Docteur en Linguistique, Conseillère en art

est l'auteur de cette remarquable présentation sur les oeuvres de Meitsen Chen et de Michel Alexis.

 

BOA 11  rue d'Artois 75008

 

Meitsen Chen

 

 

Inspirée par la théorie philosophique du rhizome de Deleuze et Guattari, l’exposition « Rhizomes : Tisser des connexions » réunit deux artistes – Meitsen Chen & Michel Alexis – dont les visions s’écartent des frontières traditionnelles de l’art, en créant une série d’œuvres qui évoquent les réseaux souterrains de la pensée humaine, la nature labyrinthique et interconnectée de la société moderne.

 

Les rhizomes, ces structures végétales, polymorphes, sous terre et donc, "invisibles", ne s’élèvent pas comme les arbres de manière binaire et verticale. Au contraire, les fruits de leur croissance, horizontale, omnidirectionnelle et vivace, se déploient inexorablement dans une mobilité et une mutation permanente.

 

Voilà une métaphore prégnante qui permet de mieux appréhender la façon dont les idées, les expériences et les relations se développent et s’entremêlent dans le monde où l’on vit, aujourd’hui.

 

L'expérience des cultures du monde vécue par Meitsen Chen et Michel Alexis – l'une artiste taiwanaise d'origine installée à Paris depuis plus de trente ans et, l'autre partageant sa vie d'artiste entre Paris et New York depuis ses débuts –, sans doute soumise parfois à l'enchantement irrésistible d'une altérité, les guide néanmoins vers un retour à soi-même, une force créatrice alimentée par une introspection, multi et transculturelle. Ils explorent, au travers leurs œuvres, les intrications de l’existence humaine "pluri-identitaire", chacun avec son langage et son imaginaire propre, offrant un cheminement alternatif, subjectif, voire poétique.

 

Pour Meitsen Chen, sensible à l’urbanisme architectural et social, le rhizome est une vision artistique qui fait écho à la nature environnante de l’être humain, en perpétuelle interaction avec les autres.

 

Chaque ville, chaque pays de son itinéraire devient un cocon organique, se métamorphosant sans cesse, à l’image du rhizome et de ses ramifications irriguées de réseaux vitaux qui se tissent. Et, à chaque fois, le voyage fait naître en elle une quête d’identité, identité qui se construit, aussi bien en mouvement que par imprégnation, au croisement des lieux, des cultures et des influences.

 

Le processus graphique du travail de Meitsen Chen se construit à partir de sa propre histoire, son émotion forte ou sa mémoire revisitée. Ensuite, elle emploie des matériaux et des supports différents – peinture, photographie, cuir, résine, acrylique, craie … – pour retranscrire la vision des images qu’elle souhaite créer. Elle superpose diverses couches sur la toile, chacune dotée de degrés d'effacement variables, produisant ainsi une subtile nuance et conférant une profondeur particulière à l'ensemble. Dans l’exploration des concepts et des formes, qui tend au minimalisme, touchant ainsi au fondamental et à l’universel, elle illustre la transformation du végétal en un paysage intérieur et, ce faisant, elle se cherche et se trouve.  

 

 

Michel Alexis

Quant à Michel Alexis, il voit le rhizome comme une "image de la pensée" qui met l’accent sur la fluidité et la multiplicité. Et, son mouvement résiste à l’organisation, favorisant plutôt un système nomade de croissance et de propagation.

Cette idée du rhizome se matérialise visuellement, dans ses œuvres empreintes d’une inclination pour l’abstraction lyrique, comme une libre association de signes, de mots, de couleurs, de symboles, nous évoquant ainsi le surgissement de l'inconscient.

 

L’approche artistique de Michel Alexis, qui oscille entre la calligraphie, l’abstraction et la forme suggérée, s’engage à partir d’un processus quasi aveugle : il commence par tracer de fines entailles à peine visibles, à l'aide d'un outil de gravure dans l’épaisseur blanche de la colle, du papier et de la toile ; ensuite, la couleur s’écoule dans les plis et les déchirures, se répandant en taches et en formes aléatoires. Au sein de ses toiles, les "figures" prennent vie, s’entrelaçant dans une certaine unité. Et la structure linguistique, polymorphe et dynamique, se déploie en symbiose avec un contenu émotionnel et spontané, créant ainsi une œuvre immersive.

 

En somme, le rhizome représente pour nos deux artistes une recherche de liberté par tous les moyens, mais au long de lignes solides mobiles et en constante connexion avec les autres, échappant à la "territorialité", à la "stratification", aux "codes" de l’organisation conventionnelle. Il est aussi l’image de la structure du savoir qui s’élabore simultanément, comme des synapses, à partir de tout point, sous l’influence réciproque des différentes observations et conceptualisations, prenant l’environnement et le contexte comme éléments fondateurs de son évolution. Et, il désigne également leur conception de l’identité humaine, identité plurielle qui s’oppose à la racine unique, identité en capacité d’élaboration de cultures composites par la mise en réseau des apports extérieurs. 

 

Chaque œuvre exposée ici est une invitation à plonger dans un réseau d’associations multiples et inattendues, où les concepts se chevauchent et les perspectives divergentes éloignées reconvergent. Tout comme les tiges du rhizome, les œuvres ne suivent pas une trajectoire linéaire, mais s’étendent et s’entrecroisent, proposant une cartographie visuelle unique des êtres humains et de la réalité qui les entoure.

 

En parcourant cette exposition intitulée « Rhizomes : Tisser des connexions », on pourra cheminer dans un paysage stratifié par les couches de signification. On sera ainsi conviés à déambuler entre les œuvres, à s’y égarer et à en saisir la densité cryptique, qui nous incitera enfin à s’engager dans une réflexion approfondie sur les liens qui tissent notre existence ensemble.

 

 

Fondation Taylor: deux artistes Claire Espanel et Thierry Dalat

Claire Espanel

Dans un commentaire sur son travail, Claire Espanel, rappelle qu'elle a décidé de ne plus recourir à la couleur. Ainsi dit, ainsi fait. L'ensemble de ses œuvres, celles qu'on a pu voir exposée à la fondation Taylor, joue bien sur les nuances du noir, du gris et du blanc. 

Ce n'est pas un univers très gai que l'artiste livre au regardeur. Le sombre domine parfois éclairé, et non pas égayé, par des gris ou des blancs qui, en contraste disent la lumière, qui s'insinue ou fait tâche dans un monde noir et gris, d'arbres et de personnages, qui parfois jaillissent, parfois se dissimulent. 

Ces œuvres sont souvent de grandes tailles, voire imposantes, le message qu'elles passent est fort. On est tenté par des impressions surréalistes: broussailles qui seraient des êtres vivants, des gardiens de quelques cultes, ou des animaux de la nuit. 

 

Parfois, ce sont des constructions qui, mystérieusement, semblent émerger d'entrelacs serrés d'arbres, de branches et de lianes, et dont la pesanteur est annulée par des transparences étranges. 

 

Belle exposition. Amateurs de dessins ou peintures décoratives et apaisantes s'abstenir. On est ici bien plus près du monde d'Anselm Kieffer que de celui de David Hockney. 

Ce sont des œuvres qui invitent à la méditation.

 

 

Thierry Dalat

Dans quelque chronique d’il y a longtemps, j’avais décrit un peintre pour moi un peu mystérieux : Eugène Leroy. J’étais venu à cette idée que son œuvre traitait de la disparition. Progressivement, son travail sur une toile, revenait en accumulant couches de peintures sur couches de peinture à faire disparaître le sujet de l’œuvre.

 

Ce n’est pas le cas de Thierry Dalat au sens où tout est visible et clairement défini dans ses tableaux. Les portraits montrent des femmes, le plus souvent, et leur présence est incontestable. En revanche, ce que ces portraits montrent paisiblement, c’est le silence de ces femmes. Ce n’est pas un silence né de blessures ou de violences. Ce ne sont pas des femmes humiliées, battus, prisonnières. Ce sont des femmes silencieuses.

 

Pourquoi ce silence ? Ce sera aux regardeurs d’en décider.

 

 

Le travail de l’artiste est intéressant créant une atmosphère grise, claire, avec quelques reliefs dus aux collages et décollages. Les visages se détachent sur un fond parfaitement uni dans une atmosphère d’immobilité parfaite. Parfois, un sourire est esquissé, comme si, par moment, le silence venait à être déchiré.

 


 Comprendre le Métavers en 20 questions

 

 

 

 

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