Les Tibétains ont un langage d'Hiver
Les Tibétains ont un langage d'hiver et un langage d'été. En hiver, les Tibétains sont très froids, au contraire de l’été où ils se montrent affables et diserts. Allez donc faire le chaleureux par moins quarante! C’est la raison pour laquelle les Français n’ont jamais pu implanter leur culture du « petit café » pris à la terrasse : les hivers tibétains sont longs et les Tibétains n’ont pas tendance à parler dehors.
En hiver, au Tibet, il fait si froid qu’il n’est pas même possible de parler. Ouvrir la bouche pour prendre sa respiration et se lancer dans un discours, une harangue ou tout simplement un échange de salamalecs locaux? C’est la mort assurée : l’air qu’on inspire à moins quarante, congèle instantanément les poumons. Au bout de trois mots, le discoureur imprudent s’effondre, asphyxié. Aussi les Tibétains ne sont-ils pas bavards en hiver.
Il est une autre raison à ce mutisme hivernal : l’atmosphère est glaciale à ce point que les mots à peine sortis de la bouche se figent, se contractent, ralentissent leur course et, comme de petits cailloux abandonnés par le vent, tombent lourdement claquant sur le sol gelé. Certains mots plus malins, plus légers aussi, mots de l’humour et de l’amour, s’efforcent de contrôler leur chute et parviennent au prix de quelques lettres et de virgules abandonnées en route à se réfugier dans la première oreille venue. Ils se réchauffent alors, nichés dans n'importe quelle oreille pourvu qu’elle soit accueillante au mépris de la confidentialité la plus élémentaire. Et puis, ils repartent au risque du froid et du gel. Au risque de ne pas trouver une nouvelle oreille accueillante et chaleureuse. Au risque de chuter sur le sol gelé. Ceux qui, finalement, parviennent au destinataire de l'échange et doivent lui fournir la moitié du dialogue, se trouvent inévitablement dans le plus profond désordre. Et il y a aussi des mots manquants, ceux qui ont chuté. Et des phrases entières. Dans ces conditions, il est prudent, au Tibet, en hiver, de ne jamais s’exprimer à l’air libre que ce soit en public pour clamer des slogans antichinois ou en tête à tête pour échanger quelques propos anodins sur le temps qu’il fait et la santé des enfants. Sauf en cas de nécessité absolue, bien entendu !
Il ne faut donc pas se formaliser si, lors d’échanges avec les Tibétains, en hiver, les rapports sociaux vous paraissent froids et les propos, glacés. Il n’y rien d’hostile dans ces attitudes réfrigérantes. Mais avant que de prendre la route pour un Week-end ou deux, en plein hiver, retenons quelques conseils et recommandations.
Le langage d'hiver est constitué de phrases monosyllabiques. On dit même que les Tibétains parlent en idéogrammes. L'objectif est de mettre le maximum de sens dans le minimum de son pour que, ramassée sur elle-même, la phrase ait une chance de parvenir en bon état dans l'oreille de l'auditeur.
Le risque que des mots soient piégés par le froid, comme des oiseaux imprudents pris dans une tourmente de neige, a une conséquence anecdotique. Elle nous montre le vrai visage des Tibétains, joueurs et gais, même en hiver.
En hiver, au Tibet, les enfants adorent jouer au mot-prisonnier. On procède ainsi: le locuteur se met face à un vent absolument glacial. Il dit lentement une phrase amusante. Les mots surpris par le froid se figent et tombent par terre. Alors, les enfants, en riant, les ramassent et les mettent dans des pots en terre cuite vite recouverts d'eau. L'eau gèle, les mots gelés sont donc conservés à la température propice et ne peuvent pas se réchauffer. Quelle joie lorsque le printemps arrive ! On laisse les pots dégeler aux premiers rayons du soleil. Et voilà les mots qui sortent des pots. Quelle joyeuse cacophonie ! Les enfants rient. Et les adultes aussi qui aiment bien les jeux de société. Les peuples simples savent s'amuser d'un rien !
Il faut pourtant savoir qu’une conséquence est moins sympathique : les Chinois ont mis au point de machines à ramasser les mots gelés abandonnés par les Tibétains. L’été, ils les écoutent. Au Tibet en été, les rentrées dans les prisons sont plus fréquentes qu’en hiver.
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