Qu'on ne se méprenne pas: cette entrée n'est pas consacrée à l'Euro exclusivement. Par "Monnaie Unique" on entend ici, la conception globalisante et universalisante de la monnaie qui a été l'Alpha et l'Oméga de la littérature sur les politiques monétaires, la création monétaire et les typologies entre monnaies et moyens de paiement.
Il s'agit de poser une question très simple: est-il légitime d'accorder au concept "monnaie" une dimension "totalisante" qui vaudrait pour tous, dans toute transaction par n'importe quel agent économique, depuis l'acheteur d'une baguette de pain jusqu'au trading à haute fréquence?
paru dans le Huffington Post
Peut-on s’attaquer à la pensée d’Aristote ? Aristote n’est-il pas « Le Philosophe » ?
Quelles déraisons pourraient conduire à prétendre qu’est fausse sa théorie de la monnaie appuyée sur les trois fonctions qu’il lui a attribuées ? Plutôt que de prendre cette posture-là, ne devrait-on pas constater qu’Aristote a « inventé » la monnaie, avec peut-être le secret espoir qu’appelée par le philosophe à émerger dans l’univers du sens et de la raison, elle existerait effectivement. Si on suivait pareille hypothèse, il faudrait admettre qu’Aristote, visionnaire aurait voulu que ses contemporains se rendissent compte qu’un instrument social nouveau venait d’apparaître ; il aurait formulé la création un paradigme, à tester, à vérifier et à soumettre aux dures lois de l’expérience et de la venue à la réalité.
Le problème est que ses propos ont été tenus pour des lois comme ceux qui commentaient les mouvements des astres et proposaient comme une sorte d’évidence que le soleil tournait autour de la terre. Pensée si solidement posée qu’il faudra attendre près de 2000 ans et un procès religieux célèbre pour qu’elle commence à trembler sur ses bases…
Alors, la monnaie ? Le bel exercice de pensée d’Aristote va-t-il subir le même sort… 2500 ans après sa formulation.
Interroger les « trois fonctions »
Soyons clairs, l’idée ici n’est pas de proposer un « contre-Aristote » ! il s’agit de s’interroger sur cette « curiosité » : la monnaie ce sont trois fonctions sous une même espèce. N’extrapolez pas indument et ne pensez pas à autre chose qu’à l’économie ! Résumons la pensée d’Aristote sur la monnaie tout en sachant qu’il s’agit surtout d’éléments parmi d’autres de la réflexion du philosophe sur la société et ses rouages, éléments, rapports.
Il décrit trois stades économiques : le stade familial de la mise en commun des biens produits qu’ils soient fabriqués ou récoltés, le stade du troc quand la société s’est élargie, le stade de la monnaie lorsqu’il s’agit d’écouler des productions sur de longues distances. La monnaie est fondée sur trois fonctions : celle d’évaluation qui permet l’échange de produits hétérogènes, celle de transaction qui permet de se passer de l’emport de marchandises en trop grand nombre pour se livrer au troc à longue distance, celle de réserve de valeur qui permet à celui qui a vendu de ne pas acheter immédiatement et de décaler ses transactions pour tenir compte de saisonnalités ou de la formulation des besoins.
Selon cette formulation, on voit qu’Aristote n’imagine pas que la monnaie soit omniprésente dans la vie sociale. Le troc demeure tout et autant qu’est vivace ce qu’on qualifierait de nos jours « économie coopérative et collaborative ». L’échange monétaire est réservé aux opérations « lourdes » du commerce à longue distance. On pourrait légitimement opposer qu’il n’était pas nécessaire pour cela d’inventer la monnaie au sens strict du terme, celle des lydiens, la monnaie signée et marquée. Le grand commerce aurait pu vivre avec les lingots d’or ou d’argent que les mésopotamiens utilisaient dans leurs opérations commerciales, découpant ce qui était indispensable à leurs paiements. Prétextant l’efficacité, Aristote avance qu’il était plus simple de donner 10 drachmes que de découper dans un lingot leur équivalent en poids.
On ne débattra pas ici de la validité de cette proposition, ce sont les trois fonctions et leurs destinées qui nous intéressent.
Malheurs de la monnaie unifiée…
La plupart des théories monétaires vont retenir et maintenir coûte que coûte cette conception de la monnaie qui assume et se définit par ces fonctions. Or, de même que la théorie de la concurrence pure et parfaite s’est déployée et a bouleversé le champ de la pensée puis de l’action économiques, sans qu’à aucun instant personne n’ait constaté que ses prémisses se rencontraient et s’éprouvaient dans la « vraie vie », de même à aucun moment sauf dans l’histoire récente, on n’a vu que la monnaie recouvrait les trois fonctions telles que proposées par Aristote.
En d’autres termes, la monnaie, conçue comme un mécanisme ou un outil économique unique, universel et intemporel n’est devenue une « réalité » économique que très récemment.
Il faut revenir sur la situation décrite par Aristote : la monnaie dont il parle n’est pas une monnaie de tout le monde pour toutes les situations de transactions commerciales ou privées. Elle ne circule par universellement pour des opérations de toutes natures : elle circule dans un champ économique très étroit, limité à quelques denrées, à quelques opérateurs dans un cercle restreint de territoires. C’est une monnaie pour un cercle fermé de grands opérateurs et de grandes opérations. Son existence, son émission, ses manipulations ne touchent en rien les autres agents de l’économie.
Dans ce cas à quels supports les autres cercles de la société pouvaient-ils être renvoyés ? Aristote ne le mentionne pas mais l’archéologie le montre : le troc n’était pas si généralisé et, la vie urbaine se développant, des monnaies « complémentaires » étaient utilisées, en bronze, étain, plomb, fer. Les temps modernes ont connu (et connaissent toujours) des monnaies complémentaires (et non concurrentes ) sous forme de graines, de coquillages ou d’objets en métal. De même a-t-on vu apparaître en France, sur de courtes durées, des monnaies d’étain, qui ne concernaient qu’un petit commerce, quand l’or et les billets de banque rassemblaient des intervenants économiques de « poids ». De même que dans les échanges entre commerçants les monnaies à échéance courtes, les lettres de change, servaient bien de moyens d’échange via la technique de l’endos. Avaient-elles ces monnaies, les trois fonctions aristotéliciennes ? Bien sûr que non, il n’est pas recommandé de garder trop longtemps de la monnaie sous forme de grains ou de carottes de tabac ! La référence à des monnaies d’étain pour définir des unités de compte ne pouvait pas être aussi solide que la référence à l’or…
Mais on en vient à montrer que la monnaie unique et universelle qui, seule, renvoie aux fameuses trois fonctions, n’a jamais existé, sauf, dans un moment exceptionnel qui vient de s’achever dans le fracas d’une des crises les plus violentes des tous les temps ; la monnaie d’Aristote, c’est la monnaie de banque. Celle qui est venue à la réalité économique lorsque les systèmes bancaires, grâce à la bienveillance des Etats et au développement récent du libéralisme économique le plus pur, ont été mondialisés, globalisés et interconnectés. En complément de ces interconnections, l’usage des monnaies concurrentes à la monnaie de banque a été battue en brèche, limitant au minimum les « fuites » qui auraient entravé la capacité des banques à produire de la monnaie. De la monnaie pour tous et pour tout.
Le règne de la monnaie « unique », valant pour tous, depuis celui dont le salaire ne dépasse pas le SMIC, faisant ses courses à coup de quelques centaines d’euro, jusqu’à celui qui à la tête d’une plateforme High speed trading manie des milliards du même euro dans le but de produire d’autres milliards d’euro sans limitation puisque la production monétaire ne dépend plus que des banques et que celles-ci sont aussi parties prenantes dans ces opérations de trading à haute vitesse.
Évoquant cette monnaie unique, on a indiqué qu’elle s’était fracassée dans le désastre de 2008, où en est-on maintenant ?
On verra dans la chronique qui suit que, sur les décombres de la monnaie unique, émerge, un rapport monétaire nouveau qui s’appuie sur de nouvelles réalités, sociales, économiques et technologiques.
Monnaie du prince, monnaie spéculative, monnaie inscrite dans le temps… ici nous ajoutons de la monnaie à la monnaie quand d’autres ajoutaient du temps au temps. Faut-il donner à la monnaie une profondeur ou doit-on plutôt lui faire couvrir des territoires en deux dimensions ? La monnaie unique n’est-elle pas de ce genre qui calcule son efficacité sur la base de son extension territoriale ? Pourtant dans le précédent article n’a-t-on pas suggéré que la monnaie du prince, toute territoriale qu’elle est, s’inscrit dans un temps long par opposition à la monnaie du peuple dont la perspective temporelle n’est pas plus longue que la combustion d’une cigarette ?
Essayons de conserver la « loi » aristotélicienne des trois fonctions. Essayons de reconcevoir des systèmes monétaires qui extraient de cette loi des modes d’être de la monnaie.
La fameuse fonction de transaction
On ne reviendra pas sur le fait qu’à l’époque d’Aristote c’était à proprement parler un acte de foi que d’attribuer à quelque chose de parfaitement abstrait comme la monnaie, une fonction de transaction. On a montré que la monnaie n’était pas nécessaire pour le type de transactions auquel pensait le philosophe : le grand commerce. De fait, les grands empires de ce temps s’en étaient passés.
En revanche, la fonction de transaction est essentielle pour notre temps. Nous sommes passés d’un univers de rareté monétaire à un univers totalement monétarisé. On oublie trop souvent que l’économie « capitaliste » du XIXème siècle pour ce qui touchait les particuliers avait gardé des traits « archaïques » de troc, d’échanges de biens consommables et de paiements décalés dans le temps. La monétarisation des sociétés occidentales est, sous beaucoup d’aspects, une conséquence de l’urbanisation c’est-à-dire d’un affaiblissement des espaces de confiance et de croyance qui autorisaient le troc et justifiaient la patience par l’ exacerbation de la parcellisation des tâches et donc l’explosion des échanges entre agents économiques.
Cette monétarisation a pris de nos jours une dimension phénoménale dans le sens où ce qu’on n’aurait jamais imaginé « tradable » il y a encore un quart de siècle, l’est devenu. Les secondes ont pris de la valeur, les temps libres sont vendables, la musique se vend à la durée de l’écoute, les voitures sont consommables sous forme de location, co-location, collabo-location etc… Le spectre des paiements n’a cessé de se décaler vers le bas depuis un siècle. Quand on ne pouvait pas imaginer acheter du sucre autrement que par sacs de plusieurs kilos, on peut facilement imaginer aujourd’hui qu’il est vendu à « l’unité » sous la forme de petits cubes. Là où les paiements de petits achats ne pouvaient être soldés qu’au bout d’une période longue afin que l’unité de monnaie utilisable rejoigne le montant d’unités de compte dû, il est devenu possible de payer instantanément des unités de compte infimes qui ne correspondent à aucune unité monétaire mais a des fractions non matérialisées.
Cet univers-là, qui s’ouvre, béant sous nos yeux, ne devrait pas avoir de communauté monétaire avec celui des Etats et des grandes banques. Tout montre, les uns le chiffrent à 10%, les autres à 20%, que les monnaies en place ne servent que minoritairement les besoins des agents économiques de base : les particuliers et même une bonne part des entreprises.
Monnaies cryptées ?
Les monnaies adaptées à ce type de transaction ont longtemps fait l’objet de tâtonnements. Le plus souvent, animées de belles pensées morales (et maintenant écologiques, évidemment) elles étaient bien représentées par les monnaies complémentaires. Il paraît aujourd’hui que l’essor des monnaies dites cryptées est une opportunité qui mériterait d’être saisie. Les monnaies cryptées s’appuyant sur des unités de compte particulières, peuvent sans coûts excessifs et dans des conditions de rapidité et de sureté assurer l’apurement des dettes et des créances de petits montants. Certaines études menées au nom de la mise en valeur du Bitcoin montrent que celui-ci est totalement adapté à des paiements fractionnaires du type un millième, un dix-millième de bitcoin.
Le mode de fonctionnement des monnaies cryptées est intrinsèquement décentralisé, il est indépendant (c’est une question de principe) de tout autre système monétaire qu’il s’agisse d’une banque centrale ou d’un système de banques. Les monnaies cryptées ont d’autre part une très grande souplesse de fonctionnement au sens où elles ne se vivent pas elles-mêmes (malgré les tendances narcissiques du bitcoin) comme des monnaies « uniques » au sens « Euro » du terme. On sait qu’il existe environ 600 monnaies cryptées (dont des Scam moneys c’est-à-dire des arnaques !), on imagine qu’il n’est pas interdit de penser que des monnaies cryptées puissent être conçues sur une base territoriale, identitaire, professionnelle, transactionnelle. La notion de monnaie complémentaire peut aussi y trouver une dimension qui en général lui échappe : quitter le territoire et les liens du terroir pour trouver dans des dimensions autres des liens nouveaux.
Il est évident que ce type de monnaie, où le paiement par contact, où le téléphone portable devient support préférentiel de paiement, où les réseaux bancaires sont court-circuités et leurs frais avec, où enfin, les paiements de pairs à pairs sont possibles sur des distances longues instantanément et en toute sécurité, ne fera pas plaisir aux « gens du système classique »… encore que… il ne faille pas prendre les banques et leurs animateurs pour des abrutis passéistes…
La fonction de conservation de valeur
Mais voilà qu’on se met à penser qu’il existe d’autres besoins que consommer : acheter des actions ou des produits financiers, des comptes à terme et sur livret, épargner en d’autres termes. Comment fait-on si on pose comme principe que ces fameuses monnaies cryptées, territoriales ou électives sont destinées à la consommation avant tout et surtout à la consommation à très court terme?
C’est alors qu’on entre dans l’univers de la monnaie « spéculative », celle qu’Aristote n’aimait pas du tout. Quand on précise qu’on entre dans « un univers » c’est explicitement qu’on en quitte un et qu’on entre dans un autre. C’est le temps qui est ici à l’œuvre et la monnaie dont on parle n’est plus celle qui se résout en quelques minutes d’une cigarette ou en deux minutes d’un tube à la mode ou en quelques heures d’un poisson pané surgelé, ou même en quelques kilomètres d’un plein de réservoir. Ce temps qui vient tout modifier au point qu’il faut une nouvelle monnaie, il est soit défini, et s’exprime en durée et en duration, ou bien il est indéfini, il est sédimentation, accumulation lente de valeur.
Ce qui n’est pas consommé est transformé, ce qui était du domaine d’un temps qui n’avait pas plus d’épaisseur que le temps présent mute en temps à venir, en futur, en projection donc aussi en projet. Pourquoi, prétendre à une autre monnaie ? Pourquoi considérer que la première ne vaut pas pour cette introduction de la dimension temporelle ? N’a-t-on pas longtemps vécu avec cette idée qu’elle était bonne la monnaie à tout faire, celle qui vaut pour acheter des bonbons et qui vaut aussi pour monter un spiel de plusieurs milliards de dollars sur des produits structurés. C’était aussi très simple : la monnaie unique valait simplicité aux yeux des Français, par exemple, comme valait la référence à une seule et unique unité de compte, comme le valait le mètre déposé à dans le pavillon de Breteuil, comme le valait la définition des unités de poids.
En fait, la différence entre ces deux monnaies est simple, l’une vaut dans un univers algorithmique où le tiers de confiance repose sur l’ensemble des participants à la communauté qui s’est instituée autour de telle ou telle monnaie cryptée, l’autre induit des enjeux plus lourds où la question n’est plus de savoir si l’argent circule dans les meilleures conditions de sécurité et de rapidité, mais s’il affronte le temps en s’appuyant sur les meilleures compétences et les meilleures perspectives. C’est ici un domaine de spécialisation où l’on ne sera pas étonné de trouver les banques, à des degrés divers de spécialisation… on change de niveau d’exigence dans le domaine du « tiers de confiance ».
Ces deux missions doivent cependant s’appuyer sur une troisième : celle d’une monnaie de souveraineté. On l’évoquera en synthèse de cette réflexion sur la reconstruction monétaire.
Décombres de la monnaie unique suggérait-on dans le précédent article où il était question de déboulonner Aristote ? Revenons un instant sur ses idées, pour avancer ensuite dans notre monde.
Il est des usages « élevés » de la monnaie qu’Aristote n’évoque pas. Et surtout, il ne traite pas en tant que tel « le temps économique » donnée sans laquelle les économies contemporaines ne peuvent pas fonctionner. Or, justement, ces deux éléments : portée de l’usage de la « monnaie d’Aristote » et inscription dans le temps de cette monnaie viennent restreindre la portée du concept de monnaie unique
La monnaie entre ombre et lumière
Aristote qui se préoccupe de la naissance de la monnaie en tant que convention sociale ne va pas plus loin, ou plus exactement, il bifurque. Décrivant et commentant les mérites de la monnaie, il en vient à en décrire les dérives. Pour résumer : si la monnaie est belle et bonne dans le contexte d’un commerce qui permet à la cité de se procurer ce qu’elle n’a pas et d’exporter ce qu’elle a en trop, elle ne saurait l’être lorsqu’elle est maniée dans le but d’obtenir davantage de monnaie. La monnaie possède donc une part d’ombre : elle peut tomber dans l’ornière de la spéculation. Alors, l’argent est recherché pour lui-même et les marchandises ne sont plus qu’un moyen d’en accroître le stock aux mains des spéculateurs et l’injustice règne dans la Cité. On laissera de côté cet aspect de la réflexion d’Aristote, même s’il est très important. On retiendra que si la monnaie est le ferment du commerce, le commerce de la monnaie est son dévoiement. Part de lumière et part d’ombre, on l’a dit, qui tiennent à l’aptitude qu’a la monnaie à conserver la valeur. Cette aptitude à différer les transactions peut devenir une tare à un double point de vue : le prêt d’argent et ses intérêts, d’une part, et le stockage de numéraire pour lui-même d’autre part. Et pourtant, il manque une pièce à ce raisonnement : la monnaie n’est pas née des besoins du commerce.
La monnaie, frappée et signée serait née des besoins et des ambitions du souverain. La recherche de la monnaie pour elle-même, c’est-à-dire en dehors des motivations du commerce vient de ce que la monnaie est aussi l’instrument de la manifestation, de l’affirmation et de la recherche du pouvoir. Elle sert le souverain qui reçoit tribut et qui, par son exigence monétaire, impose son droit de seigneuriage. De même est-elle instrument d’une zone d’influence culturelle et politique. C’est aussi pourquoi, il est important que la monnaie soit un moyen d’énoncer la « valeur » des choses en tant que valeur d’échange. Celui qui détient le pouvoir de définir les conditions dans lesquelles les choses s’échangent détient le pouvoir tout court. Or, la monnaie n’est pas le moyen incontournable de l’évaluation des choses et des services : ni les Egyptiens, ni les Perses, puissances politiques et économiques considérables en leurs temps, n’avaient ressenti le besoin d’y faire appel pour établir des valeurs d’échange. Pas plus n’avaient-ils éprouvé le besoin d’inventer la monnaie frappée. Et pourtant…. Ils échangeaient avec l’ensemble du monde civilisé !
Séparer la monnaie « instrument de pouvoir » de la monnaie en général
Quelles conséquences tirer de ces observations ? La vision aristotélicienne de la monnaie, les trois fonctions que le philosophe lui a attribuées ne collent pas avec la réalité même de son temps à moins d’admettre que l’invention de la monnaie « sous trois espèces » était un exercice de pensée ou un appel à une conception nouvelle de la monnaie. La monnaie d’Aristote est « unique » parce qu’elle est instrument du pouvoir et non pas parce que c’est dans sa nature. La fonction de conservation de valeur, facette vertueuse de la monnaie du commerce, ne dérive en fonction spéculative qu’à la condition « d’oublier » que la monnaie, instrument du pouvoir inscrit les ambitions de ce dernier dans le temps politique, celui des projets, et non dans le temps du commerce, celui de l’entrepôt.
La monnaie du souverain, placée entre les mains privées devient monnaie de la spéculation. Son accumulation privée a aussi pour objectif le pouvoir et sa démonstration, complémentairement ou concurremment. La monnaie du souverain de nos jours, c’est la monnaie de la sphère publique, celle de la dette des Etats, des banques centrales, mais aussi celle de la spéculation, où l’argent produit de l’argent dont l’accumulation se résout, à un moment ou à un autre en pouvoir. On évoque ici une monnaie qui a ses règles propres, ses intervenants, ses opérations, engendrant des prises de risque et des flux qui sont ceux de l’exercice du pouvoir. Aussi, peut-on comprendre qu’elle soit l’objet de conflits entre les émetteurs de cette monnaie et parmi ses utilisateurs. Aussi peut-on comprendre que, responsables de la crise financière mondiale de 2008, le système bancaire américain, loin d’être mis sous contrainte, ait trouvé dans les pouvoirs publics américains un allié de poids afin d’éviter des réglementations lourdes et contraignantes.
Il est essentiel, que la monnaie « d’Aristote », demeure entre grands Etats et éventuellement grands acteurs économiques et ne déborde pas.
C’est ici que reviennent de vieilles idées d’avant l’Euro, au moment où l’Euro perçait. On les a très longtemps décrites comme des formules passéistes ou des tentatives néo-protectionnistes selon les formes qu’elles ont prises. Parmi ces idées, citons deux d’entre elles.
Pour les uns, l’Euro aurait dû être une monnaie « entre banques centrales ». Cela signifie très exactement qu’en tant que « monnaie de pouvoir » la nouvelle monnaie commune aurait été cohérente avec la naissance d’un nouvel univers, celui de la zone euro, un des ensembles économiques les plus puissants du monde. Il n’aurait été traité que par les banques centrales de cette zone et toutes les institutions agrées par elles en tant que contribuant à la puissance de l’ensemble. Une hiérarchie des responsabilités monétaires aurait été instaurée, les monnaies nationales demeurant en place pour les besoins du commerce courant et des particuliers. L’autre formule, plus complexe, posait qu’après mise en place de l’Euro, des espaces de création monétaire seraient libérés où les agents économiques « de base » pourraient procéder à leurs échanges, sans interférer avec l’Euro « super-monnaie ».
Ce sont aujourd’hui ces mêmes réflexions qui conduisent à donner aux monnaies complémentaires, en général sur une base territoriale, une forme de complément monétaire et de protection des agents économiques « courants ». Ces recherches et réflexions ne sont pas des manifestations anti-euro mais portent bien sur l’idée qu’une monnaie unique présente des risques aggravés dans un univers économique hétérogène. On dira que le marché de la zone euro ne diffère pas fondamentalement des intervenants du marché américain en termes de taille et de puissance et que le Dollar est « naturellement unique ». Pourtant, l’accroissement des hétérogénéités sociales et économiques aux Etats-Unis a conduit de nombreux économistes à s’interroger sur des zones monétaires distinctes. Cela consisterait à revenir à la vie monétaire des Etats-Unis au milieu du XIXème siècle quand les dollars de l’Est « valaient » plus d’or que les dollars de l’Ouest !!!
En s’appuyant sur ces observations, en cantonnant les fruits de la pensée aristotélicienne à un domaine très strictement délimité de l’espace monétaire, c’est à une refondation des instruments de la monnaie que nous sommes invités. La déroute financière et bancaire de 2008 donne à la pensée monétaire une nouvelle impulsion quant à la pratique des paiements, des moyens de paiements et des intermédiaires concernés.
Dans le prochain article, on passera en revue ces nouveaux espaces monétaires et les agents qui ont pour ambition de les animer.
Quand on a repris la fameuse trilogie aristotélicienne, on a voulu donner un coup de chapeau à cette belle idée qui a résisté près de deux millénaires et demi depuis les temps de la Grèce ancienne.
Revenons sur la pensée aristotélicienne : la monnaie telle que le philosophe grec l’a conçue serait le produit de la société. Elle serait venue parce qu’il le fallait du point de vue de la vie dans la cité. Fonction de transaction parce que c’est tout de même plus simple que le troc, fonction de conservation de valeur ne serait-ce que le temps d’un voyage de marchand, fonction d’unité de compte…parce qu’il faut bien que le soulier en surplus proposé sur le marché par le cordonnier perde un peu de sa valeur en tant que soulier pour acquérir une valeur en tant que quelques sacs de blé.
Cette dernière fonction attribuée à la monnaie… lui préexistait depuis des siècles. La monnaie ne remplit pas cette fonction essentiellement. La valeur d’échange des objets, des services et du travail était un élément « économique » connu avant que toute « économie » ait été conçue. De fait, il était commode de relier les deux fonctions précédentes à cette troisième. Elles trouvaient leur sens en tant que mise en œuvre de la troisième. Comme cette dernière, était en fait « première », les deux fonctions de transaction et de conservation auraient pu être considérées comme instrumentales par rapport à la fonction de « compte ».
Manquerait une fonction ?
On en vient à observer que ce qui dans l’analyse de la monnaie est inconfortable, tient à ce que la fameuse trilogie fonctionnelle ne tient pas debout que pour la beauté du raisonnement et non pas pour la vérité du propos. On en vient à penser ou bien qu’il manque une fonction dans cette description ou que l’une d’entre elles, celle qui est la plus ancienne et qui renvoie à la valeur d’échanges des biens entre eux, devrait être dominante et « commander » les deux autres !
Il est peut-être plus simple d’avancer sur le thème de la fonction qui manque ! C’est justement celle-là qui doit nous préoccuper dans l’esprit d’une refondation de la monnaie et de son rôle dans les économies modernes. Cette fonction manquante, c’est justement la plus importante : la fonction de souveraineté et au travers d’elle la fonction de pouvoir. La monnaie, telle que les Grecs eux-mêmes l’ont inventée, n’est pas née dans les empires les plus puissants du Moyen-Orient, l’Egypte, la Perse, elle est née dans des cités grecques dont l’emprise souveraine, territoriale était infiniment plus faible.
La monnaie y fut inventée pour marquer, inscrire dans le métal le signe, le sceau du souverain. Monnaie du souverain, pour le souverain, pour communiquer sur le souverain et l’annoncer tant vis-à-vis de ses tributaires que vis-à-vis de ses mercenaires et des contrées alentours. La monnaie frappée, signée, la vraie monnaie est née de ce besoin de puissance et aussi de violence.
Cette monnaie-là, n’appartient pas au monde courant, habituel, ni au monde des commerçants, des transactions courantes. Elle n’appartient pas non plus au monde du temps qu’on rentabilise ni de la valeur qui doit être protégée contre les changements du monde et les assauts du temps. Elle appartient au souverain et à ses collègues, ses compétiteurs ou ses alliés.
Pourquoi l’a-t-on mise en relation avec l’unité de compte ? Pourquoi avoir voulu créer un lien avec la fonction manquante et cette fonction qui paraissait surtout destinée à faire tenir le tabouret monétaire ? La réponse n’est-elle pas que l’unité de compte, comme l’unité de temps, l’unité de température, l’unité de mesure ou de poids sont justement du ressort du souverain. Elles ne sont pas les produits d’une unanimité sociale mais ceux d’un dessein politique à son plus haut niveau de formulation.
Monnaie souveraine
Cette fonction qui est de poser l’ordre par la puissance et la violence peut-elle être confondue avec les deux autres fonctions ? Peut-elle dans ses désordres ou ses abus emporter les niveaux monétaires qui les incarnent ? Les dettes de l’Etat, les obligations du souverain doivent-ils nécessairement s’imposer à l’égard des autres niveaux monétaires.
N’est-ce pas en ce sens qu’est montée la contestation contre la monnaie de banque, la monnaie de crédit ? La concession par le souverain à des institutions tierces de son droit de frapper monnaie est devenu l’objet de critiques virulentes. L’émergence de nouveaux modes de communication et d’exercice du pouvoir, leur concrétisation sous forme des monnaies « sans intermédiaires » c’est-à-dire sans passer par les banques accusées d’avoir détourné le pouvoir monétaire du souverain en sont le signe le plus frappant.
Que le souverain s’appuie sur des institutions, des entreprises ou des coopérations « intersouveraines » pour créer, gérer et contrôler la monnaie ne doit pas conduire à une dégradation de cette fonction de la monnaie, faute de quoi, c’est la solidité des unités de compte qui flanche et avec elle les fonctions de transactions et de conservation de la valeur.
Monnaie souveraine, monnaie d’unité de compte, qu’y-a-t-il de différent par rapport à la monnaie telle que nous la vivons, telle que nous l’avons vue se répandre et envahir notre horizon mental, nos réflexes « économiques » ? On peut ici se souvenir de tentatives consistant à passer à un autre niveau dans la conception et la gestion de la monnaie. Le « bancor » de JM.Keynes a fait partie de ces tentatives pour faire passer la monnaie à un stade supérieur de responsabilité. La création des DTS par le Fonds Monétaire International aurait pu, à deux reprises, en 1969, lors de leur mise en place et en 2008, au moment où la crise financière a pris les proportions dramatiques qu’on lui a connue, est une tentative de mise en ordre des politiques monétaires.
L’Euro, a hésité pendant quelques années entre une monnaie des Etats et des institutions financières et une monnaie « unique ». C’est cette dernière formulation qui l’a emporté pour des raisons autant politiques que théoriques. Si l’Euro avait été posé comme la monnaie des monnaies européennes, il s’en serait nécessairement suivi que les institutions privées ou publiques, banques et assurances qui traitent de la monnaie auraient été placées dans un univers de règles, de contrôles et de coordination propices à éviter tout débordement, qu’il s’agisse de l’endettement des Etats ou de la multiplication des produits financiers, des acteurs qui les traitent et des risques qu’ils contiennent.
« Placé au-dessus », que cela peut-il signifier aujourd’hui quand on voit bien que les acteurs économiques privés ou publics, particuliers ou entreprises, se réclament de monnaies taillées à leur mesure et non pas dépendantes des errements d’institutions déconnectées et devenues étrangères. C’est ici, qu’on en vient à cette fonction « de compte » ou de « valeur ». La monnaie souveraine, qui peut être la monnaie de plusieurs Etats ou une monnaie sous la responsabilité d’institutions internationales doit être « l’étalon » des monnaies dans l’esprit de diversité et de rénovation qu’on a décrit au cours de ces quatre articles. Sa fonction d’unité de compte est là et elle est essentielle.
Ce sont donc trois sphères économiques qu’il convient de définir ou de redéfinir, restituant au souverain son rôle et ses missions, déconnectant la monnaie qu’il émet des autres qui lui secondes, l’une qui inscrit les agents économiques dans le temps, l’autre qui les place dans la vie de tous les jours.
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